Responsabilité d’un cabinet de conseil en matière de structuration patrimoniale et fiscale

·

·

Responsabilité d’un cabinet de conseil en matière de structuration patrimoniale et fiscale

L’Essentiel : Monsieur [O] [W], propriétaire d’un hypermarché, a entrepris une restructuration de son patrimoine en 2012 pour préparer sa cessation d’activité et transmettre ses biens à ses enfants. Cette réorganisation a impliqué la création d’une société holding et d’autres entités. Cependant, l’administration fiscale a contesté la qualification de biens professionnels, entraînant des rectifications fiscales. En 2022, Monsieur [O] [W] a assigné le cabinet [9] en responsabilité civile, mais le tribunal a conclu que le cabinet avait manqué à son devoir d’information, déboutant finalement Monsieur [O] [W] de ses demandes et le condamnant aux dépens.

Contexte de la Restructuration

Monsieur [O] [W] détenait la quasi-totalité du capital de la société [5], exploitant un hypermarché. En 2012, il a décidé de réorganiser son patrimoine professionnel en vue de sa cessation d’activité et de la transmission de son patrimoine à ses enfants, en faisant appel au cabinet [9].

Événements de la Restructuration

La restructuration a été réalisée à travers plusieurs étapes : la création d’une société holding, la SAS [11], suivie de la constitution d’une SCI [8] et d’une SNC [6]. Monsieur [O] [W] a apporté ses actions de la société [5] à la société [11] et a transmis des parts de cette dernière à ses enfants. En 2014, une société civile [7] a également été créée pour gérer un programme immobilier.

Problèmes Fiscaux Émergents

L’administration fiscale a notifié à Monsieur [O] [W] des propositions de rectification concernant l’impôt sur la fortune (ISF) pour les années 2014 à 2017, remettant en cause la qualification de biens professionnels des droits sociaux détenus dans la société holding [11]. Monsieur [O] [W] a contesté ces rectifications, mais a finalement payé les sommes réclamées.

Procédure Judiciaire

Monsieur [O] [W] a assigné le cabinet [9] en responsabilité civile professionnelle en juin 2022. Les conclusions ont été déposées en juin 2023, et l’ordonnance de clôture a été rendue en novembre 2023.

Demandes de Monsieur [O] [W]

Monsieur [O] [W] a demandé au tribunal de se déclarer compétent, de condamner le cabinet [9] à lui verser 247 057 euros en dommages et intérêts, ainsi qu’une somme de 30 000 euros pour frais de justice. Il a également demandé que l’exécution provisoire de la décision soit maintenue.

Arguments du Cabinet [9]

Le cabinet [9] a soutenu qu’il avait pris en compte l’impact fiscal du projet et qu’il n’était pas tenu d’informer Monsieur [O] [W] d’une alternative de holding animatrice. Il a également affirmé qu’il n’avait pas manqué à son obligation de conseil et que le préjudice allégué ne pouvait être considéré que comme une perte de chance.

Motivation du Tribunal

Le tribunal a examiné la responsabilité du cabinet [9] en se basant sur l’obligation de conseil et d’information. Il a conclu que le cabinet avait manqué à son devoir d’informer Monsieur [O] [W] des conséquences fiscales de la structure mise en place, ce qui a conduit à une imposition supplémentaire.

Conclusion du Tribunal

Le tribunal a débouté Monsieur [O] [W] de ses demandes, l’a condamné aux dépens et à verser 3 000 euros au cabinet [9] pour frais de justice.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la responsabilité du cabinet [9] dans le cadre de la restructuration patrimoniale de Monsieur [O] [W] ?

La responsabilité du cabinet [9] peut être engagée sur la base de l’article 1147 du Code civil, qui stipule :

« Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

Dans le cas présent, Monsieur [O] [W] reproche au cabinet [9] d’avoir manqué à son obligation de conseil en ne l’informant pas des conséquences fiscales de la structure mise en place.

Il est établi que l’avocat, en tant que rédacteur d’acte, a une obligation d’information et de conseil envers son client. Cela inclut l’obligation d’attirer l’attention sur les risques encourus au vu des dispositions contractuelles.

Le tribunal a constaté que le cabinet [9] n’a pas informé Monsieur [O] [W] des conséquences fiscales liées à la détention de droits sociaux dans la société holding [11], ce qui constitue une faute.

Ainsi, le cabinet [9] a manqué à son devoir d’information et de conseil, ce qui engage sa responsabilité civile.

Quel est le lien de causalité entre la faute du cabinet [9] et le préjudice subi par Monsieur [O] [W] ?

Pour établir le lien de causalité, il est nécessaire de démontrer que le préjudice subi par Monsieur [O] [W] est directement lié à la faute commise par le cabinet [9].

Le tribunal a relevé que l’imposition supplémentaire à laquelle Monsieur [O] [W] a été soumis est due à la qualification de la société [11] comme holding pure, n’exerçant aucune activité d’animation.

Il a été précisé que pour bénéficier de l’exonération d’ISF, il est nécessaire d’établir que la société holding a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique du groupe.

Cependant, Monsieur [O] [W] n’a pas réussi à prouver que, s’il avait été correctement conseillé, il aurait pu revendiquer la qualification de société holding animatrice.

Le tribunal a donc conclu que le lien de causalité entre la faute du cabinet [9] et le préjudice invoqué n’est pas établi, ce qui entraîne le déboutement de Monsieur [O] [W] de sa demande indemnitaire.

Quelles sont les implications de l’article 700 du Code de procédure civile dans cette affaire ?

L’article 700 du Code de procédure civile dispose que :

« Le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. »

Dans cette affaire, le tribunal a condamné Monsieur [O] [W] à verser à la société [9] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700.

Cette décision est fondée sur le fait que Monsieur [O] [W] a été débouté de ses demandes, ce qui le qualifie de partie perdante.

Ainsi, la société [9] a droit à une indemnisation pour les frais qu’elle a engagés dans le cadre de la procédure, conformément aux dispositions de l’article 700.

Cette somme est destinée à compenser les frais de justice et les dépenses engagées par la partie qui a gagné le procès.

En conclusion, l’article 700 permet de garantir que la partie qui a dû faire face à une action en justice puisse récupérer une partie de ses frais, renforçant ainsi l’équité dans le système judiciaire.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/1/2 resp profess du drt

N° RG 22/08855 – N° Portalis 352J-W-B7G-CXFOK

N° MINUTE :

Assignation du :
21 Juin 2022

JUGEMENT
rendu le 22 Janvier 2025
DEMANDEUR

Monsieur [O] [W]
[Adresse 10]
[Localité 2]

Représenté par Me Stéphane RUFF, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE, [Adresse 1], et Me Xavier JARLOT, avocat postulant au barreau de PARIS, vestiaire #P0240

DÉFENDERESSE

S.E.L.A.S. [9] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège ;
[Adresse 3]
[Localité 4]

Représentée par Me Catherine Marie DUPUY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0577

Décision du 22 Janvier 2025
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 22/08855 – N° Portalis 352J-W-B7G-CXFOK

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Cécile VITON, Première vice-présidente adjointe
Présidente de formation,

Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint
Madame Valérie MESSAS, Vice-présidente
Assesseurs,

assistés de Madame Marion CHARRIER, Greffier

DEBATS

A l’audience du 18 décembre 2024, tenue en audience publique, devant Madame Cécile VITON et Monsieur Benoit CHAMOUARD, magistrats rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties en ont rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
Madame Cécile VITON a fait un rapport de l’affaire.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Monsieur [O] [W] détenait la quasi-totalité du capital et des droits de vote de la société [5] (ci-après [5]) qui exploite un hypermarché sous l’enseigne [12].

En 2012, Monsieur [O] [W] a souhaité réorganiser la détention de son patrimoine professionnel dans la perspective de sa cessation d’activité et de la transmission de son patrimoine à ses enfants. Dans cet objectif, il a fait appel aux services de Maîtres [D] [I] et [R] [Y] du cabinet [9].

Cette restructuration s’est articulée autour des évènements suivants :
– le 31 octobre 2012, constitution d’une société holding, la SAS [11] (ci-après [11]) ayant pour objet la gestion de participation et pour associé majoritaire et président Monsieur [O] [W] ;
– le 17 décembre 2012, constitution de la SCI [8] ayant pour objet la gestion locative immobilière et pour associé majoritaire la société [11] ;
– le 7 février 2013, apport à la société [11] par Monsieur [O] [W] des actions qu’il détenait dans la société [5] ;
– le 13 février 2013, constitution de la SNC [6] ayant pour objet la gestion d’une collection de véhicules automobiles et pour associé majoritaire la société [11] ;
– en octobre 2013, transmission par Monsieur [O] [W] à chacun de ses trois enfants des parts de la société [11] ;
– le 17 février 2014, constitution de la société civile [7] ayant pour objet la réalisation et la gestion d’un programme immobilier portant sur des locaux professionnels et pour associé majoritaire la société [11].

A l’issue de cette restructuration, Monsieur [O] [W] détenait :
– 75,34% du capital de la société [11] laquelle détenait 73% du capital de la société [5] et 99% du capital des sociétés [8], [6] et [7] ;
– 5,84% du capital de la société [5].

Dans le cadre de cette restructuration, le cabinet [9] a rédigé les statuts des sociétés [11] et [6] et le contrat d’apport de titres ainsi que l’acte de reconnaissance de dons manuels et deux engagements collectifs de conservation pour bénéficier de l’avantage fiscal du pacte  » Dutreil  »

L’administration a notifié à Monsieur [O] [W] deux propositions de rectification en date du 8 juillet 2020 portant rappel de l’impôt sur la fortune (ci-après ISF) pour les années 2014 à 2017 pour un montant total de 247 057 euros, remettant en cause la qualification de biens professionnels de la fraction des droits sociaux qu’il détenait dans la société holding [11] excédant la fraction correspondant à la participation de ladite société dans la société [5] au motif que la société [11] était une société holding pure n’exerçant aucune activité d’animatrice de groupe.

Après rejet de ses réclamations par l’administration fiscale, Monsieur [O] [W] s’est acquitté de l’intégralité des sommes réclamées le 1er décembre 2021.

Procédure

Par acte de commissaire de justice du 21 juin 2022, Monsieur [O] [W] a assigné la société [9] devant le tribunal judiciaire de Paris afin de voir engager sa responsabilité civile professionnelle.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 novembre 2023.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions du 14 juin 2023, Monsieur [O] [W] demande au tribunal de :
– se déclarer territorialement compétent pour connaître du litige ;
– condamner la société [9] à lui payer la somme de 247 057 euros à titre de dommages et intérêts ;
– condamner la société [9] à lui payer la somme de 30 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
– condamner la société [9] aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, Monsieur [O] [W] fait valoir que :
– le cabinet [9] a commis une faute en n’assurant pas une pleine effectivité au montage suggéré, non seulement en parvenant à satisfaire les objectifs élémentaires d’optimisation patrimoniale et d’anticipation de la transmission de l’entreprise mais également en prenant en considération l’impact fiscal du montage pour Monsieur [O] [W] et en lui recommandant d’animer son groupe par le truchement d’une holding animatrice alors que la société [11] aurait pu avoir cette nature pour autant qu’elle ait été configurée comme telle ;
– le cabinet [9] a, à tout le moins, manqué à son obligation de conseil en s’abstenant de sensibiliser Monsieur [O] [W] sur les risques attachés à l’organisation patrimoniale suggérée puisque par l’effet de celle-ci, il se voyait assujetti à une contribution dont il aurait pu être en totalité exonéré ;
– la mission du cabinet [9] intégrait une recherche de sécurisation et d’optimisation fiscale et le cœur du sujet résidait justement dans la constitution d’une société holding, y inclus l’assujettissement à l’ISF des titres de ladite société ;
– le pacte ISF Dutreil présenté par le cabinet [9] est étranger au débat, est une option en l’espèce non méritoire, ne répond pas à l’objectif recherché, n’a jamais été expliqué pas plus que le mérite de recourir à une holding animatrice et était aussi risqué que le recours à une holding animatrice ;
– le préjudice subi est constitué par le paiement d’une contribution au titre de l’ISF du fait que la société [11] ne s’est pas vu conférer le statut de holding animatrice alors que ce statut ne posait aucune difficulté et nécessitait seulement d’être formalisé ;
– il n’a nullement contribué à la survenance de son préjudice, le motif du redressement tenant exclusivement à l’absence de caractère animateur de la holding.

Par conclusions du 16 octobre 2023, la société [9] demande au tribunal de la mettre hors de cause, de débouter Monsieur [W] de l’intégralité de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société [9] fait valoir que :
– elle a pris en considération l’impact fiscal du projet mis en œuvre au regard du but poursuivi par Monsieur [O] [W] aux motifs que:
* le dispositif mis en œuvre, à savoir une société interposée, lui a permis de bénéficier d’une exonération partielle des droits de mutation sur la valeur des parts ou actions détenues et des actions détenues au sein de la société [11] à l’ISF ;
* l’objectif patrimonial poursuivi par Monsieur [O] [W], à savoir la réorganisation de son patrimoine et sa transmission à ses enfants, n’impliquait pas pour le cabinet [9] l’obligation de l’informer de l’existence d’un schéma fiscal alternatif consistant dans la mise en œuvre d’une holding animatrice, répondant quant à elle à un objectif purement commercial ;
– elle n’a pas manqué à son obligation de conseil au regard, en 2012 et 2013, du type de filiales composant la holding, à savoir les parts dans deux sociétés civiles et dans la société [6] dénuée d’activité commerciale, et de l’objectif patrimonial recherché par Monsieur [O] [W], à savoir financer le compte courant détenu dans sa société civile immobilière via la perception des dividendes reçus de la société [5] et transmettre une partie de son patrimoine constitué notamment des titres de ladite société à ses héritiers dans le cadre d’un engagement collectif de conservation permettant de bénéficier du pacte  » Dutreil  » ;
– Monsieur [O] [W] n’établit pas que l’animation de ses filiales par la holding [11] pouvait être aisément caractérisée et démontrée ;
– au regard du droit positif en vigueur au moment de l’intervention de la société [9], Monsieur [O] [W] était dans une situation où il n’aurait de toute façon pas pu échapper à l’imposition qu’il conteste de sorte que le rappel d’impôt litigieux n’est pas en lien de causalité avec une éventuelle faute ;
– le paiement des intérêts de retard est la conséquence de l’absence de mention sur la déclaration ISF des parts détenues dans le capital de la société [11] ;
– en tout état de cause, le préjudice allégué ne peut s’analyser qu’en une perte de chance dès lors que la mise en œuvre d’une holding animatrice aux fins de bénéficier d’une exonération de l’ISF au titre des biens professionnels aurait pu, en l’état de la doctrine fiscale applicable au jour de la réalisation du schéma, être remise en cause par l’administration fiscale et cette perte de chance est nulle dès lors qu’il n’est pas démontré que Monsieur [W] aurait opté avec certitude pour une solution alternative qui se serait avérée fiscalement plus favorable.

MOTIVATION

1. Sur la responsabilité du cabinet [9]

Aux termes de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :  » Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.  »

L’engagement de la responsabilité d’un professionnel ou d’un avocat nécessite la démonstration d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice.

L’avocat, en sa qualité de rédacteur d’acte, tenu de veiller à assurer l’équilibre de l’ensemble des intérêts en présence, est redevable envers les parties d’une obligation d’information et d’un devoir de conseil, consistant à les informer et attirer leur attention sur les risques encourus au vu des dispositions contractuelles, mais également de s’assurer de la validité et de l’efficacité de l’acte.

Un avocat est tenu à une obligation de conseil comprenant celle d’informer et d’éclairer son client dans la limite de la mission qui lui est confiée.

1.1.En ce qui concerne la faute

En l’espèce, il ressort du compte rendu du rendez-vous du 24 juillet 2012, en date du 3 août 2018, établi par Maîtres [D] [I] et [R] [Y] du cabinet [9] à l’attention de Monsieur [O] [W] que la constitution d’une société holding a été envisagée pour permettre d’apporter à cette société une partie des titres de la société [5]  » pour des motifs d’organisation patrimoniale « . Le cabinet [9] a confirmé que suite à cet apport, la nouvelle société holding percevra une partie des dividendes distribués par la société [5], a précisé le taux d’imposition de ces dividendes perçus par la société holding et expliqué que le pourcentage de titres à apporter restait à déterminer au regard des besoins personnels de Monsieur [O] [W] et de la trésorerie qu’il souhaitait  » extraire  » de la société [5]. Devaient être organisés le transfert d’autres actifs, à savoir des titres d’un groupement forestier, le programme immobilier en cours de réalisation et une partie des voitures de collection ainsi que la sécurisation de la constitution de la société au regard des normes applicables au mouvement E. Leclerc.

Il ressort également des courriels du 1er février 2013 produits aux débats par Monsieur [O] [W] ainsi que du calendrier des opérations en date du 11 octobre 2013 et de la note en date du 16 décembre 2013 établis par Maîtres [D] [I] et [R] [Y] du cabinet [9] à l’attention de Monsieur [O] [W] que la constitution de la société holding s’est accompagnée d’opérations liées à la transmission à titre gratuit de titres de cette société par Monsieur [O] [W] à ses enfants et de la  » régularisation d’un engagement collectif de conservation  » ISF  » « .

Le 17 décembre 2013, la société [11] et Monsieur [O] [W] ont signé un engagement collectif de conservation portant sur leurs actions dans la société [5]. Il ressort de l’exposé de cet acte que cet engagement collectif de conservation a été pris notamment en vue de bénéficier des dispositions de l’article 885 I bis du code général des impôts qui prévoyaient, dans leur version alors en vigueur, une exonération des bases d’imposition à l’ISF à concurrence des trois quarts de la valeur des actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.

Ainsi, le cabinet [9] a pris en considération les conséquences fiscales du projet envisagé par Monsieur [O] [W] et lui a conseillé de revendiquer le bénéfice des dispositions des dispositions de l’article 885 I bis du code général des impôts.

Toutefois, l’imposition supplémentaire mise à la charge de Monsieur [O] [W] n’est pas due à une remise en cause par l’administration fiscale de l’application des dispositions précitées sur les titres détenus dans la société [5] par le biais de la société [11]. Ainsi que le relève à juste titre Monsieur [O] [W], l’administration fiscale a considéré que devait être exonérée la valeur des titres de la société [11] à concurrence de la valeur de sa participation dans la société [5], qu’il existe ou non un pacte Dutreil ISF. L’administration fiscale a imposé les droits sociaux détenus par Monsieur [O] [W] dans la société [11] excédant ceux détenus par ladite société dans la société [5].

Or, il ne ressort pas des pièces précitées, à savoir courriels, compte-rendu et notes, que le cabinet [9] ait informé Monsieur [O] [W] des conséquences fiscales du projet au titre de l’ISF à raison des droits sociaux qu’il détenait dans la société [11] et qui ne pouvaient bénéficier de l’exonération du fait de la participation de la société [11] dans la société [5].

Le cabinet [9] est mal fondé à soutenir que la recherche par Monsieur [O] [W] d’un objectif patrimonial excluait de l’informer sur les conséquences fiscales du projet réalisé alors qu’il appartenait au cabinet [9], en sa qualité de rédacteur effectif des actes, qui incluait une obligation d’information et de conseil, d’informer Monsieur [O] [W] et d’attirer son attention sur les risques fiscaux encourus au vu des actes signés qui, d’un point de vue fiscal au regard de l’ISF, n’incluaient pas l’ensemble des droits détenus par ce dernier dans la société [11].

Il ressort des documentations versées aux débats que la définition de la notion de société holding animatrice et la preuve de l’existence d’une activité d’animation ont été précisées par une décision plénière fiscale du Conseil d’Etat (CE plén. 13 juin 2018, n° 395495, 399121, 399122 et 399124) puis des arrêts de la Cour de cassation (Com., 14 octobre 2020, n° 18-17.955 ; Com., 3 mars 2021, pourvoi n° 19-22.397). Il demeure toutefois qu’en 2012 et 2013, date à laquelle il convient de se placer pour apprécier la faute reprochée au cabinet [9], la notion de holding animatrice était admise sous conditions par l’administration fiscale.

La circonstance que le schéma fiscal retenu puisse apparaître, selon le cabinet [9], comme le plus pertinent au regard des incertitudes entourant la notion d’holding animatrice et le fait qu’il convenait, pour bénéficier de l’exonération, de documenter l’exercice par la société [11] d’une activité d’animation n’excluaient pas l’obligation pour le cabinet [9] d’informer Monsieur [O] [W] des risques encourus par le schéma fiscal retenu et de la notion de société holding animatrice.

Il résulte de tout ce qui précède que le cabinet [9] a manqué à son devoir d’information et de conseil et commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile.

1.2. En ce qui concerne le préjudice et le lien de causalité

Il ressort des deux propositions de rectification en date du 8 juillet 2020 que l’imposition supplémentaire mise à la charge de Monsieur [O] [W] au titre de l’ISF pour les années 2014 à 2017 est dû au défaut d’activité d’animation exercée par la société [11] qui a été considérée comme une société holding pure qui n’exerce aucune activité d’animatrice de groupe.

Pour les motifs déjà exposés et au regard des documents versées aux débats, la question de savoir si la société [11], au vu de sa détention de parts des sociétés [8], [6] et [7], aux côtés de la détention des parts de la société [5], aurait pu être qualifiée d’holding animatrice était incertaine, s’agissant d’une tolérance administrative. La notion de société holding animatrice a été clarifiée par des décisions rendues postérieurement à la date à laquelle il convient de se placer pour apprécier si Monsieur [O] [W] aurait pu bénéficier de l’exonération tenant à l’existence d’une société holding animatrice.

Pour pouvoir bénéficier de cette exonération, il est nécessaire d’établir que la société holding a pour activité principale la participation active effective à la conduite de la politique du groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une activité opérationnelle, et le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers. Cette preuve ne peut seulement résulter du paiement de la rémunération de Monsieur [O] [W] par la société holding et de la signature de conventions d’animation et de prestations de service. Les explications de Monsieur [O] [W] sur la manière dont il aurait pu caractériser cette activité de la société [11] sont générales et peu détaillées au regard de l’activité globale de ladite société et de l’organisation du groupe.

Il résulte de tout ce qui précède que Monsieur [O] [W] n’établit pas que, dûment conseillé, il aurait pu revendiquer la qualification de société holding animatrice pour la société [11] et bénéficier ainsi du régime fiscal plus avantageux. Le lien de causalité entre la faute commise par le cabinet [9] et le préjudice invoqué n’est donc pas établi. Par suite, il convient de débouter Monsieur [O] [W] de sa demande indemnitaire.

2. Sur les autres demandes

Monsieur [O] [W], partie perdante, sera condamné aux dépens et à verser à la société [9] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

DÉBOUTE Monsieur [O] [W] de ses demandes.

CONDAMNE Monsieur [O] [W] aux dépens.

CONDAMNE Monsieur [O] [W] à payer à la société [9] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 22 Janvier 2025

Le Greffier Le Président
Marion CHARRIER Cécile VITON


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon