Responsabilité de l’État en cas de défaillance des forces de l’ordre lors d’une interpellation

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Responsabilité de l’État en cas de défaillance des forces de l’ordre lors d’une interpellation

L’Essentiel : Le 2 mai 2018, le tribunal administratif de Toulouse a ordonné l’évacuation d’une faculté occupée par des étudiants. Lors de l’interpellation de M. [Y] le 9 mai, une grenade de désencerclement a explosé, blessant M. [Y] et deux policiers. Une enquête a conclu à une explosion accidentelle. M. [Y] a demandé une indemnisation, et le tribunal a reconnu une faute lourde de l’État, condamnant ce dernier à indemniser M. [Y] à hauteur de 50%. L’État a fait appel, contestant la responsabilité, tandis que M. [Y] a formé un appel incident pour l’usage disproportionné de la force.

Exposé du litige et procédure

Le 2 mai 2018, le tribunal administratif de Toulouse a ordonné l’évacuation de la faculté occupée par des étudiants en grève. L’évacuation a eu lieu le 9 mai 2018, calmement, mais a été suivie d’un incident impliquant M. [Y], qui a été filmé en train de dégrader un câble de vidéo-surveillance dans le métro. Les policiers de la brigade anti-criminalité ont été alertés et se sont rendus à la gare pour éviter un blocage des voies. À 5h53, M. [Y] a été interpellé, et lors de cette opération, une grenade de désencerclement a explosé, blessant M. [Y] ainsi que deux policiers.

Enquête et plaintes

Une enquête a été ouverte pour déterminer la cause des blessures. Les deux policiers ont porté plainte contre M. [Y], qui a également déposé une plainte pour ses blessures. L’enquête a conclu à une explosion accidentelle de la grenade, qui se trouvait dans la poche du brigadier [K] au moment de l’interpellation. La plainte de M. [Y] a été classée sans suite en mars 2019.

Demande d’indemnisation

M. [Y] a demandé une indemnisation au préfet de Haute-Garonne, qui a transmis la demande au ministère de la Justice. Après plusieurs relances sans réponse, M. [Y] a assigné l’État devant le tribunal judiciaire de Toulouse en avril 2021. Le tribunal a reconnu une faute lourde de l’État pour ne pas avoir fourni suffisamment de porte-grenades aux policiers et a condamné l’État à indemniser M. [Y] à hauteur de 50%.

Appel de l’État

L’agent judiciaire de l’État a fait appel du jugement, contestant la reconnaissance de la faute lourde et la responsabilité de l’État. Il a soutenu que l’explosion de la grenade était accidentelle et que le lien de causalité entre la faute et le préjudice n’était pas établi. L’État a également contesté l’utilisation de la force par les policiers, affirmant qu’elle était nécessaire et proportionnée.

Appel incident de M. [Y]

M. [Y] a formé un appel incident, demandant la reconnaissance d’une faute lourde de l’État pour l’usage disproportionné de la force et l’utilisation de la grenade. Il a soutenu que les conditions d’utilisation de la grenade n’étaient pas réunies et que l’interpellation avait été violente et injustifiée.

Position du ministère public

Le ministère public a demandé à la cour de confirmer le jugement initial, soulignant que l’interpellation violente et l’explosion de la grenade constituaient un fonctionnement défectueux du service public de la justice. Il a également noté que le port irrégulier de l’arme par le policier était une faute lourde.

Motifs de la décision

La cour a confirmé la compétence des juridictions judiciaires pour traiter l’affaire, considérant que M. [Y] avait subi des dommages lors d’une action de police judiciaire. Elle a également reconnu que l’État avait commis une faute lourde en raison de l’irrégularité dans le port et le transport de la grenade, ainsi que de l’usage de la force lors de l’interpellation.

Responsabilité de M. [Y]

Le tribunal a initialement jugé que M. [Y] avait commis une faute ayant contribué à ses dommages, mais la cour a infirmé cette décision, constatant qu’il n’y avait pas de lien de causalité direct entre la faute de M. [Y] et ses blessures. L’État a donc été déclaré seul responsable des préjudices subis par M. [Y].

Conclusion et décisions finales

La cour a confirmé le jugement initial, sauf en ce qui concerne la responsabilité partagée de M. [Y]. Elle a réservé les demandes de frais et a condamné l’agent judiciaire de l’État aux dépens d’appel, tout en rejetant les demandes d’indemnité pour frais irrépétibles.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la compétence des juridictions judiciaires dans ce litige ?

La compétence des juridictions judiciaires est établie par l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, qui stipule que « l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ».

Ce litige relève donc des juridictions de l’ordre judiciaire, car M. [Y] a subi des dommages lors de son interpellation, qui a eu lieu dans le cadre d’une action de police judiciaire, conformément à l’article 14 du code de procédure pénale.

Il est important de noter que la responsabilité de l’État ne peut être engagée que pour des actes relatifs au fonctionnement du service public de la justice, et non pour des actes d’organisation, qui relèvent des juridictions administratives.

Ainsi, la compétence des juridictions judiciaires pour connaître de l’action en responsabilité engagée par M. [Y] contre l’État est confirmée, car les faits reprochés concernent le fonctionnement du service public de la justice.

Quelles sont les conditions pour établir une faute lourde de l’État ?

L’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire précise que « sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ».

Pour établir une faute lourde, il faut démontrer une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi. Cela a été confirmé par la jurisprudence, notamment par la décision de la Cour de cassation du 23 février 2001.

Dans le cas présent, le tribunal a retenu que l’État a commis une faute lourde en raison de l’irrégularité dans le port et le transport d’une grenade à main de désencerclement (GMD) par un policier, ce qui a conduit à l’explosion de l’engin et aux blessures de M. [Y].

Il a été établi que le policier a agi dans des conditions de sécurité insuffisantes et que les règles de sécurité relatives à l’utilisation de la GMD n’ont pas été respectées, ce qui constitue un fonctionnement défectueux du service public de la justice.

Comment la responsabilité de M. [Y] a-t-elle été évaluée dans ce litige ?

Le tribunal a initialement jugé que M. [Y] avait commis une faute qui a participé à la survenance de ses dommages, à hauteur de 50%. Cependant, cette évaluation a été contestée en appel.

Il est important de noter que la faute de M. [Y] résidait dans la dégradation d’une caméra de surveillance, mais il n’a pas été prouvé que cette infraction ait eu un lien de causalité direct avec les blessures subies lors de son interpellation.

Les témoignages recueillis n’ont pas établi que M. [Y] se soit montré violent avant son interpellation. Au contraire, il a été démontré qu’il a été extrait du groupe sans difficulté, et que la violence est survenue uniquement lors de son interpellation.

Ainsi, la cour a infirmé la décision du tribunal concernant la responsabilité de M. [Y], concluant que l’État est seul responsable des préjudices subis par M. [Y], car aucune preuve d’une faute causale de sa part n’a été rapportée.

Quelles sont les implications de l’usage de la grenade de désencerclement dans ce contexte ?

L’usage de la grenade de désencerclement (GMD) est encadré par des règles strictes, comme le stipule l’annexe IV de l’instruction du 2 septembre 2014, qui précise que la GMD est une arme de force intermédiaire, dont l’utilisation doit être justifiée par des circonstances spécifiques telles que la légitime défense ou le maintien de l’ordre.

Dans cette affaire, il a été établi que les conditions d’usage de la GMD n’étaient pas réunies lors de l’interpellation de M. [Y]. Le policier a transporté la grenade dans sa poche de pantalon, ce qui constitue une violation des règles de sécurité.

L’explosion de la GMD a causé des blessures à M. [Y], et le lien de causalité entre l’usage irrégulier de cette arme et les blessures subies a été clairement établi. Cela a conduit à la conclusion que l’État a engagé sa responsabilité pour faute lourde en raison de l’usage inapproprié de la GMD dans le cadre d’une interpellation judiciaire.

Quelles sont les conséquences de la décision de la cour d’appel sur les demandes d’indemnisation ?

La cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal en ce qui concerne la responsabilité de l’État, mais a infirmé la décision relative à la faute de M. [Y], établissant que l’État est seul responsable des préjudices subis par M. [Y].

En conséquence, M. [Y] a droit à une indemnisation complète pour ses préjudices, sans réduction de 50% pour sa propre faute. La cour a également ordonné une expertise avant dire droit sur la réparation, ce qui signifie que le montant exact de l’indemnisation sera déterminé ultérieurement.

De plus, la cour a réservé les demandes formées au titre des frais irrépétibles de première instance et a condamné l’agent judiciaire de l’État aux dépens d’appel, ce qui implique que l’État devra couvrir les frais de la procédure d’appel.

Ainsi, la décision de la cour d’appel a des implications significatives pour M. [Y], qui est désormais en position de recevoir une indemnisation complète pour les blessures subies lors de son interpellation.

22/01/2025

ARRÊT N° 11 /25

N° RG 22/04518

N° Portalis DBVI-V-B7G-PFQ4

NA – SC

Décision déférée du 20 Octobre 2022

TJ de TOULOUSE – 21/01894

V. TAVERNIER

L’AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT

C/

[B] [Y]

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le 22/01/2025

à

Me Etienne DURAND-RAUCHER

Me Claire DUJARDIN

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU VINGT DEUX JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ

***

APPELANT

L’AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT

Direction des Affaires Juridiques

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Etienne DURAND-RAUCHER de la SCP CABINET MERCIE – SCP D’AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIME

Monsieur [B] [Y]

[Adresse 4]

[Localité 9]

Représenté par Me Claire DUJARDIN, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)

Représenté par Me Sara KHOURY, avocat au barreau de TOULOUSE (plaidant)

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 novembre 2024 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant A.M. ROBERT, Conseillère et N. ASSELAIN, Conseillère, chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. DEFIX, président

A.M. ROBERT, conseillère

N. ASSELAIN, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière : lors des débats M. POZZOBON

MINISTERE PUBLIC :

Représenté par M. JARDIN, substitut général auquel l’affaire a été régulièrement communiquée le 25 janvier 2023 et qui a fait connaître son avis le 01 juin 2023.

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par M. DEFIX, président et par M. POZZOBON, greffière

EXPOSE DU LITIGE ET PROCEDURE

Le 2 mai 2018, le tribunal administratif de Toulouse a ordonné l’évacuation, avec recours à la force publique, de la faculté [6] occupée par des étudiants en grève.

Le 9 mai 2018, cette opération d’évacuation a eu lieu dans le calme et une soixantaine d’étudiants occupant encore les locaux ont été évacués entre 4 heures et 5 heures du matin. Une partie de ce groupe a par la suite emprunté le métro pour se rendre à la station Marengo, à proximité de la gare [7].

A 5h16, M.[B] [Y], faisant partie de ce groupe, a été filmé en train de dégrader un câble d’une caméra de vidéo-surveillance du métro. Son signalement a été diffusé à 5h17.

Des policiers de la brigade anti-criminalité de [Localité 9] (Bac [Numéro identifiant 1]) se sont rendus à la gare pour parer à un éventuel blocage des voies ferrées.

À 5h53, le groupe d’étudiants a été localisé devant un bâtiment appartenant à la [8], au [Adresse 3], à [Localité 9]. Les fonctionnaires de la Bac [Numéro identifiant 1] sont alors descendus de leur véhicule pour les empêcher d’y pénétrer. Le brigadier [J] [K] s’est muni d’une grenade à main de désencerclement (Gmd). À la demande des policiers, le groupe a renoncé à pénétrer dans les locaux et a rebroussé chemin.

Toutefois, les policiers de la Bac [Numéro identifiant 1] ayant reconnu M. [Y] comme étant l’auteur de la dégradation commise dans le métro, le brigadier [K] a procédé à son interpellation, en l’extrayant de force du groupe de manifestants. M. [Y] et M. [K] ont chuté au sol. M. [A] [C], également brigadier de police de la Bac [Numéro identifiant 1], est intervenu en soutien de son collègue.

Dans l’action, la grenade de désencerclement transportée par le brigadier [K] a explosé et causé des blessures à MM.[Y], [K] et [C], qui ont été pris en charge par les sapeurs pompiers.

Les incapacités totales de travail (Itt) au sens pénal ont été fixées à 15 jours pour M.[Y], 5 jours pour M.[K] et 3 jours pour M.[C].

Le jour même, une enquête en recherche de la cause de blessures graves a été confiée à la sûreté départementale, et l’inspection générale de la police nationale (Igpn) a été saisie.

Les deux fonctionnaires de police ont déposé plainte contre M.[Y] qui, à son tour, a déposé plainte contre X pour ses blessures.

L’enquête a conclu à une explosion accidentelle de la grenade à main de désencerclement, qui se trouvait dans la poche gauche du pantalon de M. [K], au cours de la mêlée qui a suivi le début de l’interpellation de M. [Y].

Le 22 mars 2019, la plainte de M.[Y] a été classée sans suite pour absence d’infraction, au regard des résultats de l’enquête.

Par courrier du 10 septembre 2019, M.[Y], par l’intermédiaire de son conseil, a saisi le préfet de Haute-Garonne d’une demande d’indemnisation de son préjudice. Le préfet lui a répondu, le 17 décembre 2019, que l’interpellation s’était déroulée dans le cadre d’une opération de police judiciaire, et l’a informé qu’il avait transmis sa demande au ministère de la justice, compétent pour y répondre.

-:-:-:-

Après avoir vainement relancé les services du ministère de la justice, M.[Y] a, par acte d’huissier du 6 avril 2021, fait assigner l’Etat, pris en la personne l’agent judiciaire de l’Etat, devant le tribunal judiciaire de Toulouse, pour obtenir indemnisation de son préjudice.

Par jugement du 20 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Toulouse a :

– constaté que l’Etat a commis une faute lourde en s’abstenant de fournir aux fonctionnaires de la Bac [Numéro identifiant 1] des porte-grenades en quantité suffisante,

– déclaré en conséquence que la responsabilité de l’Etat est engagée sur le fondement des dispositions de l’article L141-1 du code de l’organisation judiciaire pour faute lourde,

– constaté que M. [B] [Y] a commis une faute qui a participé à la survenance de ses dommages, à hauteur de 50%,

– condamné en conséquence l’agent judiciaire de l’Etat à indemniser l’ensemble des préjudices subis par M. [B] [Y], à hauteur de 50%,

– avant-dire droit, ordonné une mesure d’expertise de M. [B] [Y];

– condamné l’agent judiciaire de l’Etat à verser à M. [B] [Y] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– réservé les dépens de la procédure,

– dit qu’une copie de la décision sera adressée par les soins du greffe au procureur de la République et au président du tribunal judiciaire de Toulouse, pour information,

– rappelé que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit,

– renvoyé l’affaire à l’audience de mise en état écrite du jeudi 6 avril 2023.

Par déclaration du 29 décembre 2022, l’agent judiciaire de l’Etat a relevé appel de ce jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 août 2023, l’agent judiciaire de l’Etat, appelant, demande à la cour, au visa de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, de :

– infirmer le jugement en ce qu’il a :

‘ constaté que l’Etat a commis une faute lourde en s’abstenant de fournir aux fonctionnaires de la Bac [Numéro identifiant 1] des porte-grenades en quantité suffisante,

‘ déclaré en conséquence que la responsabilité de l’Etat est engagée sur le fondement des dispositions de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire pour faute lourde,

‘ condamné l’agent judiciaire de l’Etat à indemniser l’ensemble des préjudices subis par M. [Y] à hauteur de 50%,

‘ ordonné avant-dire droit une mesure d’expertise de M. [Y],

‘ condamné l’Etat à verser à M. [Y] la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Et statuant à nouveau,

– débouter M. [Y] de l’ensemble de ses demandes,

– condamner M. [Y] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

L’agent judiciaire de l’Etat rappelle que le rapport de l’IGPN a écarté la responsabilité du brigadier de police et retenu le caractère accidentel de l’explosion de la grenade à mains de désencerclement. Il souligne que la GMD dont M.[K] s’est muni faisait partie de la dotation que les fonctionnaires de police sont autorisés à porter lors de leurs interventions. L’agent judiciaire de l’Etat conteste en premier lieu l’existence d’une faute lourde liée à l’explosion de la grenade à main de désencerclement, en rappelant que l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire ne s’applique pas aux dysfonctionnements concernant l’organisation du service de la justice judiciaire, qui sont de la compétence des juridictions administratives, et en soutenant qu’en l’espèce le tribunal a qualifié de faute lourde l’absence de dotation de portes-grenades en nombre suffisant à la BAC [Numéro identifiant 1], soit un défaut dans l’organisation du service public de la justice et non dans le fonctionnement de celui-ci. Il en conclut que le manque de moyens offert aux forces de police ne peut constituer une faute lourde au sens de cet article.

L’agent judiciaire de l’Etat soutient à titre subsidiaire que le lien de causalité entre la faute retenue par le tribunal et le préjudice n’est pas établi, seule l’explosion accidentelle de la GMD étant la cause directe et certaine du préjudice corporel subi par M.[Y], et non l’absence de dotation de portes-grenades en nombre suffisant. En second lieu, l’agent judiciaire de l’Etat conteste l’existence d’une faute lourde dans l’utilisation de la technique d’étranglement, en soutenant que l’usage de la force par les fonctionnaires de police de la BAC [Numéro identifiant 1] était nécessaire et proportionné. Il rappelle que l’interpellation a été décidée après que M.[Y] ait dégradé le système de vidéo-surveillance du métro, et soutient que lors de son interpellation, il s’est montré très agité. Enfin, l’agent judiciaire de l’Etat fait valoir l’absence de déni de justice, en rappelant que celui qui recherche la responsabilité de l’État au titre du fonctionnement défectueux de la justice doit avoir usé des voies de recours ouvertes, alors qu’en l’espèce M.[Y] critique la décision du procureur de la République de Toulouse de classer la procédure sans suite, sans avoir exercé les voies de recours légalement ouvertes.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 mai 2023, M. [B] [Y], intimé et formant appel incident, demande à la cour, au visa de l’article 46 du code de procédure civile, de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire et des articles 2, 3 et 4 de la convention européenne des droits de l’homme, de :

– déclarer recevable et bien fondé M. [Y] en son appel incident,

Y faisant droit,

– infirmer le jugement en ce qu’il a :

‘ constaté que l’Etat a commis une faute lourde en s’abstenant de fournir aux fonctionnaires de la Bac [Numéro identifiant 1] des porte-grenades en quantité suffisante,

‘ condamné l’agent judiciaire de l’Etat à indemniser l’ensemble des préjudices subis par M. [Y] à hauteur de 50%,

‘ condamné l’Etat à verser à M. [Y] la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Et, statuant à nouveau,

– constater que l’Etat a commis une faute lourde en faisant usage de la technique de l’étranglement et d’une grenade de désencerclement,

– déclarer en conséquence que la responsabilité de l’Etat est engagée sur le fondement des dispositions de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire pour faute lourde,

– condamner l’Etat à indemniser l’ensemble des préjudices subis par M. [Y] à hauteur de 100%,

– ordonner avant-dire droit une mesure d’expertise de M. [Y],

– condamner l’agent judiciaire de l’Etat à verser à M. [Y] la somme de 3.000 euros hors taxes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner l’agent judiciaire de l’Etat aux entiers dépens de première instance et d’appel.

M.[Y] rappelle que l’activité des services de police judiciaire relève, en principe, du champ d’application de l’article L.’141-1 du code de l’organisation judiciaire, et que selon la cour de cassation, constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi. Il souligne que la jurisprudence reconnaît même une responsabilité en raison d’une seule faute simple, lorsque les dommages résultent de l’usage d’armes à feu. Il soutient qu’en l’espèce, la faute lourde résulte tant de l’action des services de police judiciaire dans le cadre de son interpellation, les policiers ayant fait un usage disproportionné et non nécessaire de la force, notamment en utilisant la technique de l’étranglement, que de l’usage d’une grenade de désencerclement dans le cadre d’une interpellation judiciaire, arme particulièrement dangereuse et dont l’usage n’était nullement nécessaire dans les circonstances de la cause. Il indique qu’il n’était pas violent, qu’il a pu être extrait du groupe de jeunes présents et interpellé facilement par les policiers, qu’il mesure 1,66 mètre et pesait 51 kilogrammes au moment des faits, et que l’usage d’une clé d’étranglement n’était pas nécessaire.

Il fait valoir d’autre part que les conditions d’usage d’une grenade à mains de désencerclement, prévues par l’instruction du 2 septembre 2014 n’étaient pas réunies, et que le policier a commis une faute lourde en sortant la grenade de désencerclement alors qu’il n’était ni en situation de légitime défense ni en état de nécessité, ni en maintien de l’ordre, puis en remettant la grenade dans sa poche de pantalon, sans la mettre dans un étui ou une chasuble. Il soutient enfin que la faible volonté de l’institution judiciaire de réprimer pénalement les auteurs des faits constitue un déni de justice qui engage la responsabilité de l’État.

Dans son avis du 1er juin 2023, le ministère public demande à la cour de :

– se déclarer compétente pour connaître du présent litige,

– confirmer le jugement du 20 octobre 2022 en ce qu’il a déclaré la responsabilité de l’Etat engagée sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire pour faute lourde.

Le ministère public indique s’en rapporter à l’appréciation de la cour sur le partage de responsabilité et le montant de l’indemnisation.

Le ministère public conclut à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire dès lors que l’interpellation violente de M.[Y], suivie de l’explosion de la grenade transportée par l’un des policiers, a eu lieu dans le cadre d’une action de police judiciaire telle que définie à l’article 14 du code de procédure pénale. Il considère que les graves dommages causés par l’action de policiers dans l’exercice de leur mission caractérisent un fonctionnement défectueux du service public de la justice, et que dans le cas présent, le port et le transport irrégulier d’une arme dans le cadre d’une mission de police judiciaire relèvent de la faute lourde. Il retient un défaut de sécurité quant à la perception, au port, au transport et à la mise en sécurité de ce modèle d’arme, imputable au service, et une faute personnelle du brigadier [K], qui a transporté un engin explosif, prêt à l’emploi, dans la poche de son pantalon, endroit totalement inadapté, alors qu’il aurait dû, pour le moins, le mettre en sécurité en retirant le bouchon allumeur ou confier la GMD à un de ses deux collègues avant de procéder à une interpellation violente.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 5 novembre 2024. L’affaire a été examinée à l’audience du 18 novembre 2024.

MOTIFS

* Sur la compétence des juridictions judiciaires

L’article L 141-1 du code de l’organisation judiciaire dispose que ‘l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice’.

Ce contentieux relève des juridictions de l’ordre judiciaire.

Les dispositions de l’article L. 141-1 sont applicables aux agents investis, sous le contrôle et l’autorité d’un magistrat du siège ou du parquet, de pouvoirs de police judiciaire à l’effet de constater et de réprimer des infractions à la loi (Civ. 1ère, 9 mars 1999, n° 96-16.560).

En l’espèce, la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire pour connaître de l’action en responsabilité engagée par M.[Y] contre l’Etat n’est ni contestable, ni contestée.

M.[Y] a en effet subi des dommages à l’occasion de son interpellation, réalisée dans le cadre d’une action de police judiciaire, telle que définie par l’articel 14 du code de procédure pénale.

En revanche, l’Etat appelant rappelle les limites de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire pour connaître des actes qui lui sont reprochés, telles qu’elles résultent de la décision du Tribunal des conflits du 27 novembre 1952, dite Préfet de Guyane (T. confl., 27 nov. 1952 , n° 01420). Le critère de répartition des compétences quant à la responsabilité du service public de la justice judiciaire réside dans la distinction de l’organisation du service public de la justice, qui relève des la compétence des juridictions administratives, et du fonctionnement du service public de la justice, qui relève des juridictions judiciaires.

Ainsi, « Si l’acte incriminé est relatif à l’organisation même du service public judiciaire, la juridiction administrative est compétente. Au contraire, le juge judiciaire est seul compétent si l’acte est relatif à l’exercice de la fonction juridictionnelle ou implique une appréciation à porter sur la marche même des services judiciaires  » (concl. sur CE, 14 mars 1975, R. : RDP 1975, p. 823).

En l’espèce, le tribunal a retenu que l’Etat a commis une faute lourde en s’abstenant de fournir aux fonctionnaires de la BAC [Numéro identifiant 1] des porte-grenades en quantité suffisante.

C’est à juste titre que l’Etat fait valoir que le tribunal ne pouvait fonder sa décision sur un motif tenant à l’organisation du service public de la justice.

La responsabilité de l’Etat ne peut donc engagée pour le motif retenu par le tribunal, mais seulement pour les motifs substitués qui suivent.

* Sur le fonctionnement défectueux du service public de la justice

L’article L 141-1 du code de l’organisation judiciaire, qui prévoit la responsabilité de l’Etat du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice, énonce que ‘sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice’.

– déni de justice

Le tribunal a écarté à raison l’existence d’un déni de justice.

L’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ne peut être appréciée que dans la mesure où l’exercice des voies de recours n’a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué ( Cass. 1re civ., 12 oct. 2011, n° 10-23.288).

En l’espèce, M.[Y] dénonce le classement sans suite de la plainte qu’il a déposée, mais il n’a pas saisi le procureur général de Toulouse d’une demande de réexamen de la décision du procureur de la République, ni saisi le doyen des juges d’instruction d’une plainte avec constitution de partie civile. Faute d’avoir exercé ces voies de droit, M.[Y] n’établit pas que l’Etat lui ait dénié la protection juridictionnelle qu’il lui devait.

– faute lourde

Constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ( Cass. ass. plén., 23 févr. 2001, n° 99-16.165).

En l’espèce, le ministère public reconnaît que le port et le transport irrégulier d’une arme dans le cadre d’une mission de police judiciaire relèvent de la faute lourde.

La réunion d’une série d’irrégularités dans le port et le transport d’une grenade à main de désencerclement (GMD) caractérise en effet au cas présent un fonctionnement défectueux du service public de la justice.

L’annexe IV de l’instruction du 2 septembre 2014 fixe les ‘cadres juridiques d’emploi’, les ‘modalités d’emploi’, et le ‘contrôle des mouvements et du stockage’ relatifs aux grenades à main de désencerclement.

Cette annexe rappelle en préambule que la GMD est ‘une arme de force intermédiaire (AFI) qui n’est ni conçue ni destinée à tuer. Elle n’en demeure pas moins une arme, dont il convient de ne pas sous-estimer la dangerosité. La GMD est susceptible d’être utilisée lorsque les forces de l’ordre se trouvent en situation d’encerclement ou de prise à partie par des groupes violents ou armés. Elle permet de déstabiliser un groupe d’agresseurs en le faisant se replier ou en le dispersant’.

Elle énonce en son article 4 que ‘les règles de sécurité doivent étre respectées scrupuleusement et en permanence à l’occasion de la mise en oeuvre

de l’ensemble des procédures d’emploi (perception, transport, mise en service, port, mise en sécurité, reintegration)’.

Il incombait ainsi en premier lieu à l’autorité hiérarchique comme au policier ayant reçu l’arme en dotation de veiller, comme pour tout autre type d’arme, à ce qu’elle soit transportée en sécurité dans des conditions adaptées.

Le capitaine de police [T] [G], chef de la BAC [Numéro identifiant 1], entendu le 10 mai 2018, indique : « ll est prévu qu’une grenade type GMD soit portée dans un porte-grenade dédié. La BAC en est dotée, pas suffisamment pour les 73 fonctionnaires de notre unité. ll y a eu un plan de dotation individuelle, avant que ces policiers soient affectés. ll est prévu dans le plan BAC deux grenades par fonctionnaire. Tous les effectifs ne l’ont pas. Je ne sais pas si [J] [K] est doté de ce genre de porte-grenade ».

Un premier manquement résulte donc du transport d’une GMD sans s’être procuré au préalable un porte-grenade auprès des policiers qui en étaient dotés.

A cette violation des règles de sécurité, imputable au service, s’ajoutent en second lieu deux manquements personnels de l’agent qui a procédé à l’interpellation de M.[Y].

D’une part le brigadier [K] s’est trouvé porteur d’une GMD, alors qu’il intervenait dans le cadre d’une mission de police judiciaire.

Il est en effet établi que les policiers de la BAC avaient été initialement requis pour prêter leur concours à une opération de maintien de l’ordre relevant de la police administrative, et empêcher les manifestants de rentrer dans les locaux de la [8]. C’est dans un second temps, alors qu’à la demande des policiers le groupe avait renoncé à pénétrer dans les locaux, que les policiers ont décidé de procéder à l’interpellation de M.[Y], précédemment filmé dans le métro en train de dégrader une caméra de surveillance.

M.[K] a ainsi procédé à l’interpellation de M.[Y], sans être retourné à son véhicule pour y déposer la grenade, ni l’avoir préalablement confiée à un collègue. Il a placé l’arme dans sa poche de pantalon.

Or l’article 2 de l’annexe IV de l’instruction du 2 septembre 2014, fixant les ‘cadres juridiques d’emploi’ des GMD, précise que l’emploi de ces grenades n’est possible qu’en cas de légitime défense, d’état de nécessité, ou de maintien de l’ordre public dans le cadre de la dispersion d’un attroupement.

Aucune de ces circonstances n’était caractérisée en l’espèce, alors que le policier intervenait dans le cadre d’une opération de police judiciaire. Les conditions du port d’une grenade à main de désencerclement n’étaient pas réunies.

D’autre part, alors qu’il était porteur d’une arme dangereuse, dans des conditions de sécurité insuffisantes, le policier a procédé l’interpellation de M.[Y] dans des conditions violentes, en l’amenant au sol par une clé d’étranglement.

Il est donc établi que le port de la grenade était en l’espèce non seulement irrégulier, en l’absence d’étui de protection, et en l’absence de cadre juridique le permettant, mais encore particulièrement dangereux au regard des conditions particulières de l’interpellation.

L’imprudence du policier, qui a procédé à une interpellation dans de telles conditions, pour une infraction d’une gravité relative, alors qu’il transportait une arme dangereuse dans des conditions irrégulières, est caractérisée.

Le cumul des manquements relevés caractérise le fonctionnement défectueux du service public de la justice.

Le docteur [R] [Z], médecin légiste qui a examiné M.[Y], conclut dans son rapport du 19 décembre 2018 que « les lésions tégumentaires constatées à la face interne du bras, du coude, de l’avant-bras gauches, en regard de l’hémithorax gauche, ainsi que l’hémopneumothorax et la fracture de la 10ème côte gauche sont compatibles avec une production lors d’une explosion de grenade de désencerclement dans la position telle que décrite par les deux agents de police, à savoir en décubitus dorsal en regard d’un policier également en décubitus dorsal avec une grenade qui aurait explosé en regard de la cuisse gauche du policier’.

Le lien de causalité existant entre les blessures subies par M.[Y] et le port et le transport d’un engin explosif dangereux dans des conditions irrégulières est établi.

Le jugement est donc confirmé, pour ces motifs, en ce qu’il a retenu que la responsabilité de l’Etat pour faute lourde est engagée.

* Sur l’existence d’une faute de M.[Y] en relation avec ses préjudices

Le tribunal a jugé que M. [B] [Y] a commis une faute qui a participé à la survenance de ses dommages, à hauteur de 50%, et condamné en conséquence l’agent judiciaire de l’Etat à indemniser les préjudices subis par M.[Y] à hauteur de 50%.

M.[Y] relève appel incident sur point, et demande réparation de la totalité de ses préjudices. Il indique qu’il n’était pas violent, et qu’il a pu être extrait du groupe de jeunes présents et interpellé facilement par les policiers.

La faute commise par M.[Y], qui a procédé à la dégradation d’une caméra de surveillance du métro, n’est pas contestable. En revanche, quelle que soit sa qualification, qu’il s’agisse d’une dégradation légère de nature contraventionnelle ou d’une dégradation délictuelle, qui n’est pas formellement établie, l’infraction est en toute hypothèse sans relation de causalité directe avec les blessures subies par M.[Y].

Par ailleurs, les témoignages versés aux débats, recueillis tant par la sûreté départementale que par l’inspection générale de la police nationale (IGPN), ne caractérisent pas de rébellion de M.[Y] ayant précédé son interpellation.

M.[C], brigadier de police, a déclaré Le 9 mai 2018 au service de la sûreté départementale :

‘Nous pénétrons à peine d’un mètre dans la foule lorsque je dis à l’individu ‘c’est la police, vous allez venir avec nous’ ; immédiatement, il me semble qu’il se baisse, je l’agrippe et je le sors du groupe avec l’aide du brigadier [K].

Là, nous reculons avec l’individu, nous sommes à environ 10 mètres de la foule. Je lève la tête pour voir comment réagissent les autres jeunes, ils sont à une distance de quelques mètres; ça bouge, ils s’approchent de nous physiquement.

Un jet de bombe lacrymogène émanant de nos collègues a pour effet de repousser les jeunes qui se rapprochent de nous ; le jet vient de derrière mon dos.

En fait, au moment où je regarde la foule, je lâche prise sur l’individu que [J] continue à maintenir et à éloigner du mouvement de jeunes.

Par la suite, je vois aussitôt [J] tomber avec l’individu au sol, je vais lui prêter assistance.

[J] est allongé sur le dos, l’individu est allongé sur le dos et sur [J] et de tout leur long de corps, l’individu se débat de manière virulente et tente de se relever.

Devant les faits, [J] tente par un contrôle arrière de la tête, au niveau du cou, de maîtriser l’individu qui continue de débattre fortement et malgré le dit contrôle’.

Il a déclaré le 11 mai 2018 à l’IGPN :

‘Comme il était écarté du groupe d’étudiant, j’ai juste eu à pénétrer dans le groupe et je lui ai dit : ‘ vous allez venir avec nous, c’est la police’.

Immédiatement, il s’est baissé et a essayé de pénétrer au coeur de l’attroupement.

Là, je l’ai saisi par son T-shirt et je l’ai tiré hors de l’attroupement avec l’aide de mon collègue [J] [K].

Nous n’avons eu aucune difficulté à le sortir de l’attroupement. Cela a créé de l’agitation dans le groupe des étudiants qui ont été gérés par les autres personnels.

Pendant une seconde ou deux, j’ai perdu [J] de vue qui tirait le jeune homme, pour regarder la situation, où je vois que nos autres collègues passent devant nous pour sécuriser notre interpellation.

Lorsque je me suis retourné vers [J], il était au sol allongé sur le dos.

L’individu que nous tentons d’interpeller était sur son ventre, allongé sur le dos et [J] était en train de lui faire un contrôle du cou arrière’.

M.[K] a déclaré quant à lui au service de la sûreté départementale le 9 mai 2018:

‘Je le saisis par le bras et je l’extrais du groupe toujours accompagné du brigadier [C].

A ce moment là le reste du groupe effectue un mouvement de foule en notre direction pour le libérer.

Un équipage venu en renfort est alors obligé d’utiliser des aérosols lacrymogènes administratifs pour les repousser.

Je décide d’amener l’individu au sol car il se débat violemment en lançant des coups de poing et des coups de pied.

Il me touche au visage avec son coude et comme il ne se calme pas et qu’il porte des coups de pied au brigadier [C] je l’amène au sol en me plaçant derrière lui tout en exerçant un contrôle de sa tête avec mes deux bras.

Ce demier me mord à l’avant bras droit et alors que je me trouve au sol sous lui et que le brigadier [C] tente de maîtriser son bras j’entends une forte détonation’.

Il a déclaré le 11 mai 2018 à l’IGPN :

‘[A] [C] et moi-même nous sommes dirigés vers lui afin de l’écarter du groupe. Je suis arrivé face à lui, de trois-quarts. Je l’ai saisi par un bras, je dirais le bras gauche, mais sans certitude.

Quand j’ai vu qu’il était très virulent et que [A] le tenait également, j’ai décidé de le lâcher quelques instants afin de passer derrière lui pour le maîtriser plus facilement. Je ne l’ai pas vraiment relâché, c’était dans le même mouvement, j’ai continué à maintenir un contrôle. Une fois dans son dos, j’ai procédé à un contrôle de sa tête en passant mon bras droit devant sa tête, au niveau de son cou et l’autre bras derrière sa tête en appuyant sur sa nuque.’

Enfin, M.[Y] a précisé pour sa part à l’IGPN dans son audition du 11 mai 2018:

‘J’ai compris que la police cherchait à m’interpeller, même si je m’en doutais déjà un peu avant.

Je me suis tourné et là, les policiers sont venus vers moi. Je portais un sac à dos et j’ai été tiré en arrière par le sac à dos. J’ai donc lâché le sac pour éviter de tomber à la renverse.

Cependant, les policiers sont revenus sur mes côtés et ils m’ont agrippé, chacun d’un côté par l’avant-bras ou le poignet.

Je pense qu’il y a des étudiants qui ont essayé de m’attraper, des mains ont glissé sur moi sans conséquence réelle.

Soudain, un policier est venu et il m’a étranglé par derrière. Il m’a appuyé fortement sur la glotte avec son avant-bras. J’avais un minuscule filet d’air qui passait encore, mais je me sentais prêt à défaillir.’

Il résulte de ces déclarations, et particulièrement du témoignage de M.[C], que dans un premier temps les deux policiers sont parvenus sans difficulté à éloigner M.[Y] du groupe.

Dans un second temps, alors que M.[C] avait lâché M.[Y] et regardait la foule, M.[K] a amené M.[Y] en sol en pratiquant une clé d’étranglement.

Si M.[K] explique son geste par la virulence de M.[Y], cette violence préalable n’est pas confirmée par M.[C], qui n’a vu M.[Y] se débattre qu’alors qu’il était au sol, maintenu par M.[K].

De même M.[G], capitaine de police, et MM.[M] et [W], gardiens de la paix, n’ont vu M.[Y] se débattre et donner des coups qu’au moment où les deux hommes étaient à terre.

Les pièces versées aux débats n’établissent donc pas formelIement que M.[Y] se soit montré violent avant d’être amené à terre.

Il est en revanche démontré que M.[Y] s’est activement débattu, alors qu’il était maintenu au sol par M.[K]. Mais il n’est pas établi que ses mouvements virulents des membres inférieurs et supérieurs aient joué un rôle causal effectif dans l’explosion de la grenade qui l’a blessé, située dans la poche de pantalon du policier.

La preuve d’une faute de M.[Y] en relation directe avec ses blessures n’est donc pas rapportée.

En conséquence, le jugement est infirmé en ce qu’il dit que M.[Y] était responsable pour moitié de ses dommages.

La cour, constatant l’absence de preuve d’une faute causale de la victime, dit que l’Etat est seul responsable des préjudices subis par M.[Y].

Le jugement est confirmé en ce qu’il a ordonné une expertise avant dire droit sur la réparation.

* Sur les demandes accessoires:

Le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a réservé les dépens, mais dès lors infirmé en ce qu’il a mis à la charge de l’agent judiciaire de l’Etat une indemnité allouée à M.[Y] au titre des frais irrépétibles de première instance: l’ensemble des dépens et frais irrépétibles de première instance sont réservés en fin de cause.

L’agent judiciaire de l’Etat, qui perd son procès en appel, doit supporter les dépens d’appel. Il n’y a pas lieu de condamner l’Etat à régler une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel au profit de M.[Y], qui a présenté en cause d’appel une demande d’aide juridictionnelle.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 20 octobre 2022, sauf en ce qu’il a :

– constaté que M. [B] [Y] a commis une faute qui a participé à la survenance de ses dommages, à hauteur de 50%,

– condamné en conséquence l’agent judiciaire de l’Etat à indemniser l’ensemble des préjudices subis par M. [B] [Y], à hauteur de 50%,

– condamné l’agent judiciaire de l’Etat à verser à M. [B] [Y] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau sur ces chefs de décision infirmés et y ajoutant,

Dit que l’Etat est seul responsable de l’ensemble des préjudices subis par M.[Y] ;

Réserve en fin de cause les demandes formées au titre des frais irrépétibles de première instance ;

Condamne l’agent judiciaire de l’Etat aux dépens d’appel ;

Rejette les demandes des parties fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d’appel.

La greffière Le président

M. POZZOBON M. DEFIX

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