Responsabilité de l’État face aux dysfonctionnements judiciaires et préjudices subis par une famille.

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Responsabilité de l’État face aux dysfonctionnements judiciaires et préjudices subis par une famille.

L’Essentiel : Dans cette affaire, un père et une mère, mariés depuis 2000, sont parents de cinq enfants. En mai 2010, le juge des enfants a placé les enfants sous l’aide sociale à l’enfance après que la mère a fui le domicile familial pour échapper à la violence du père. En octobre 2021, le couple a assigné l’agent judiciaire de l’État, alléguant une faute lourde et un déni de justice. Le tribunal a statué que l’État n’était pas responsable pour faute lourde, mais a reconnu un déni de justice en raison de délais excessifs, accordant une indemnité de 8.400 euros pour préjudice moral.

Contexte de l’affaire

Dans cette affaire, un couple, désigné comme un père et une mère, mariés depuis 2000, est parent de cinq enfants. En mai 2010, le juge des enfants a placé les enfants sous l’aide sociale à l’enfance après que la mère a fui le domicile familial pour échapper à la violence du père. Les enfants ont été placés dans des familles d’accueil différentes à partir d’août 2010.

Décisions judiciaires et appels

Le juge a transféré partiellement les prérogatives d’autorité parentale au service gardien en janvier 2014, permettant la mise en place de soins et de suivis pour les enfants. Le couple a interjeté appel de plusieurs décisions concernant le placement et la délégation d’autorité parentale. La cour d’appel a confirmé plusieurs de ces décisions, tandis que la Cour de cassation a annulé certaines d’entre elles en raison de vices de procédure.

Assignation de l’agent judiciaire de l’État

En octobre 2021, le couple a assigné l’agent judiciaire de l’État devant le tribunal judiciaire de Paris, alléguant une faute lourde et un déni de justice. Ils ont demandé des dommages et intérêts pour le préjudice subi en raison des décisions judiciaires et des délais de traitement de leur affaire.

Arguments des parties

Le couple a soutenu que l’État avait commis une faute lourde en ne justifiant pas suffisamment les renouvellements de placement et en séparant la fratrie. Ils ont également évoqué un déni de justice en raison des délais excessifs dans le traitement de leurs appels. De son côté, l’agent judiciaire de l’État a demandé le rejet des demandes, arguant que les décisions contestées avaient été confirmées en appel et que les délais n’étaient pas déraisonnables.

Décision du tribunal

Le tribunal a statué que l’État n’était pas responsable pour faute lourde, car les décisions judiciaires avaient été confirmées par les voies de recours. Cependant, il a reconnu un déni de justice en raison de délais excessifs dans le traitement de certaines procédures. Le tribunal a accordé au couple une indemnité de 8.400 euros pour préjudice moral, tout en déboutant leurs demandes de préjudice financier.

Conclusion et mesures de fin de jugement

L’agent judiciaire de l’État a été condamné aux dépens et à verser 3.000 euros au couple au titre des frais de justice. La décision est exécutoire de droit à titre provisoire, et les parties ont été déboutées de leurs demandes supplémentaires. Le jugement a été rendu le 5 février 2025.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de la responsabilité de l’État en matière de fonctionnement défectueux du service public de la justice ?

La responsabilité de l’État pour le fonctionnement défectueux du service public de la justice est régie par l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire. Cet article stipule que :

« L’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. »

Ainsi, pour engager la responsabilité de l’État, il est nécessaire de prouver l’existence d’une faute lourde, qui se définit comme une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir sa mission.

Il est également important de noter que la responsabilité de l’État ne peut être engagée si l’exercice des voies de recours a permis de réparer le dysfonctionnement allégué, ou si un recours utile n’a pas été exercé.

Quelles sont les implications de la faute lourde dans le cadre des décisions judiciaires ?

La faute lourde, dans le contexte des décisions judiciaires, implique que les demandeurs critiquent non pas le fonctionnement du service public de la justice en tant que tel, mais l’appréciation des éléments par les juges.

En effet, la jurisprudence établit que :

« Il n’y a pas lieu à responsabilité de l’État lorsque l’exercice des voies de recours a permis de réparer le dysfonctionnement allégué, ou lorsqu’un recours utile, qui était ouvert, n’a pas été exercé, peu important l’issue possible de cette voie de recours. »

Dans l’affaire en question, les décisions de renouvellement de placement et de délégation d’autorité parentale ont été confirmées par la cour d’appel, et les demandeurs n’ont pas fait appel de certaines décisions. Par conséquent, leur demande visant à établir l’existence d’une faute lourde de l’institution judiciaire a été rejetée.

Qu’est-ce que le déni de justice et comment se manifeste-t-il dans cette affaire ?

Le déni de justice est défini comme le refus d’une juridiction de statuer sur un litige ou le fait de ne pas procéder à des diligences pour instruire ou juger les affaires.

Il constitue une atteinte à un droit fondamental et s’apprécie sous l’angle d’un manquement du service public de la justice à sa mission essentielle. Selon l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, chaque individu a droit à un procès équitable dans un délai raisonnable.

Dans cette affaire, les demandeurs ont soutenu que les délais de traitement de leurs affaires étaient excessifs. Cependant, l’appréciation de la durée de la procédure doit se faire en tenant compte des circonstances propres à chaque cas, notamment :

– La nature de l’affaire,
– Le comportement des parties,
– L’impact des décisions sur la vie familiale des demandeurs.

Le tribunal a constaté que certains délais étaient effectivement excessifs, engageant ainsi la responsabilité de l’État à hauteur de 21 mois.

Quelle indemnisation a été accordée aux demandeurs pour préjudice moral et financier ?

Concernant le préjudice moral, le tribunal a reconnu que :

« Un procès est nécessairement source d’une inquiétude pour le justiciable et qu’une attente prolongée non justifiée induit un préjudice dû au temps d’inquiétude supplémentaire. »

Ainsi, les époux [M] ont été indemnisés à hauteur de 8.400 euros pour leur préjudice moral, en tenant compte de la gravité des enjeux pour leur situation familiale.

En revanche, pour le préjudice financier, les demandeurs n’ont pas apporté de preuves suffisantes pour justifier leur demande. Par conséquent, ils ont été déboutés de cette prétention.

Quelles sont les conséquences des décisions judiciaires sur les frais et les dépens ?

Conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, l’agent judiciaire de l’État, en tant que partie perdante, a été condamné aux dépens.

De plus, en application de l’article 700 du code de procédure civile, il a également été condamné à verser aux demandeurs la somme de 3.000 euros pour couvrir leurs frais de justice.

Ces décisions visent à garantir que les parties qui ont dû engager des frais pour faire valoir leurs droits soient compensées, surtout dans le cadre d’une procédure où la responsabilité de l’État a été engagée.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/1/1 resp profess du drt

N° RG 21/13161 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVKRE

N° MINUTE :

Assignation du :
19 Octobre 2021

AJ du TJ DE PARIS du 01 Février 2021 N° 2021/000178

AJ du TJ DE PARIS du 12 Juillet 2021 N° 2021/001456

JUGEMENT
rendu le 05 Février 2025
DEMANDEURS

Monsieur [W] [M]
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 1]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/000178 du 01/02/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Paris)

Madame [E] [Z] épouse [M]
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 1]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/001456 du 12/07/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Paris)

Représentés par Me Maria MOSKVINA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0974

DÉFENDEUR

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[Adresse 7]
[Localité 8]
Décision du 05 Février 2025
1/1/1 resp profess du drt
N° RG 21/13161 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVKRE

Représenté par Maître Bernard GRELON de l’AARPI LIBRA AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #E0445

MINISTÈRE PUBLIC

Monsieur Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS,
Premier Vice-Procureur

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint
Président de formation,

Madame Marjolaine GUIBERT, Vice-présidente
Madame Valérie MESSAS, Vice-présidente
Assesseurs,

assistés de Madame Marion CHARRIER, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 08 Janvier 2025
tenue en audience publique
Madame Valérie MESSAS a fait un rapport de l’affaire.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

M. [W] [M] et Mme [E] [M], mariés depuis [Date mariage 9] 2000, sont les parents de cinq enfants :
– [C] née le [Date naissance 3] 2003,
– [T], née le [Date naissance 6] 2005,
– [I], né le [Date naissance 2] 2006,
– [L], née le [Date naissance 4] 2008,
– et [P], né le [Date naissance 5] 2009.

Par décisions renouvelées depuis le 12 mai 2010, le juge des enfants du tribunal de grande instance de Moulins a placé à l’aide sociale à l’enfance les enfants mineurs du couple dans un contexte où la mère, recueillie au centre parental de [Localité 1], avait fui le domicile familial avec ses cinq enfants pour se protéger de la violence du mari et que les intervenants avaient noté son comportement perturbé, des propos délirants et hystériques.

A compter du mois d’août 2010, les enfants ont été orientés dans cinq familles d’accueil différentes.

A compter du 6 janvier 2014, le même juge a également transféré partiellement les prérogatives d’autorité parentale au service gardien, consistant, en substance, à autoriser la mise en place de soins, de suivis médicaux et/ou psychologiques ainsi que les activités scolaires ou périscolaires des enfants mineurs.

M. et Mme [M] ont interjeté appel des jugements de renouvellement de placement des 12 décembre 2013 et 20 février 2020 ainsi que des ordonnances de délégation d’autorité parentale des 6 janvier 2014, 7 août 2015 et 22 février 2016.

La cour d’appel de Riom a :
– par arrêt du 10 juillet 2015, confirmé les décisions des 12 décembre 2013 et 6 janvier 2014 ;
– par arrêt du 22 décembre 2015, confirmé l’ordonnance du 7 août 2015;
– par arrêt du 21 mars 2017, confirmé l’ordonnance du 22 février 2016;
– par arrêt du 27 avril 2021, infirmé le jugement du 20 février 2020 sur la durée du placement en renouvelant le placement des enfants pour une durée de deux ans au lieu de trois et confirmé le jugement pour le surplus.

Les 10 janvier et 21 novembre 2018, saisie sur pourvoi de M. et Mme [M], la Cour de cassation, aux motifs que la durée du transfert des prérogatives d’autorité parentale non limitées à un acte unique n’est pas déterminée, a :
– cassé et annule en toutes ses dispositions et sans renvoi l’arrêt du 22 décembre 2015,
– cassé l’arrêt du 10 juillet 2015 seulement en ce qu’il confirme l’ordonnance du 6 janvier 2014,
– casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt du 21 mars 2017.

***
C’est dans ce contexte que, par acte du 19 octobre 2021, M. et Mme [M] ont fait assigner l’agent judiciaire de l’Etat devant le tribunal judiciaire de Paris sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.

Par ordonnance du 3 juillet 2023, le juge de la mise en état a notamment :
– débouté les demandeurs de leur demande de renvoi devant la formation de jugement ;
– déclaré irrecevables comme prescrites leurs demandes relatives aux décisions suivantes :
– le jugement de placement initial du 10 mai 2010,
– le jugement de renouvellement de placement du 5 novembre 2010, confirmée par arrêt de la cour d’appel du 12 avril 2011,
– l’ordonnance du 9 août 2011 de refus d’assistance au mariage et aux baptêmes,
– le jugement de renouvellement de placement du 16 novembre 2011,
– le jugement de renouvellement du placement du 14 décembre 2012 confirmé par la cour d’appel le 8 novembre 2013,
– le jugement de renouvellement du placement du 25 janvier 2016,
– l’ordonnance rejetant la demande de modification du droit de visite du 1er mars 2016.

La clôture a été prononcée le 22 janvier 2024.

***
Aux termes de leurs conclusions notifiées le 18 décembre 2023, M. et Mme [M] demandent au tribunal de condamner l’agent judiciaire de l’Etat à leur payer 77.000 euros à titre de dommages et intérêts, 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec recouvrement dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

A titre liminaire et tenant compte de la décision du juge de la mise en état du 3 juillet 2023, ils précisent le périmètre de leurs prétentions qui portent sur le bien-fondé des décisions suivantes rendues par :
– le tribunal de grande instance de Moulins :
– jugement en renouvellement du placement pour deux ans du 12 décembre 2013,
– jugement en renouvellement du placement pour deux ans du 2 février 2018,
– jugement en renouvellement du placement pour trois ans du 20 février 2020,
– ordonnance de délégation d’autorité parentale du 6 janvier 2014,
– ordonnance de délégation d’autorité parentale du 7 août 2015,
– ordonnance de délégation d’autorité parentale du 22 février 2016 ;
– la cour d’appel de Riom :
– arrêt du 10 juillet 2015,
– arrêt du 22 décembre 2015,
– arrêt du 21 mars 2017,
– arrêt du 27 avril 2021 ;
– la Cour de cassation :
– deux arrêts du 10 janvier 2018,
– arrêt du 21 novembre 2018.

Ils soutiennent que l’Etat a commis une faute lourde en ce que :
– en dépit de la protection et du respect supérieur de l’enfant et de la vie de la famille qui doivent sous-tendre toutes mesures d’assistance éducative, la motivation des renouvellements successifs des mesures de placement n’était pas suffisante et ne démontrait ni l’existence d’un danger grave pour la santé, la sécurité ou la moralité des enfants, ni la certitude que leurs conditions d’éducation ou du développement physique, affectif, intellectuel et social étaient gravement compromises;
– en dépit de l’obligation posée à l’article 371-5 du code civil, la fratrie a été séparée et le lien familial réduit à peau de chagrin ;
– la délégation de l’autorité parentale était illégale, les décisions de la Cour de cassation qui l’établissent étant intervenues que très tardivement.
Ils soutiennent également que l’Etat a commis un déni de justice en ce que :
– les arrêts de la cour d’appel de Riom des 10 juillet 2015, 22 décembre 2015, 21 mars 2017 et 27 avril 2021 sont respectivement intervenus 18, 4 et 13 mois pour les deux derniers après la déclaration d’appel ;
– le délai entre la déclaration d’appel et la plaidoirie était supérieur à 6 mois dans toutes leurs procédures.
Ils exposent, enfin, que ces dysfonctionnements leur ont causé un très grave préjudice d’ordre matériel mais surtout moral, qu’ils n’ont pu se consacrer à aucune activité professionnelle ou formation pendant ces huit années de procédure, qu’ils ont été privés de l’amour et de l’affection de leurs enfants, dont certains n’ont plus aucun contact avec eux.

Dans ses conclusions notifiées le 3 novembre 2023, l’agent judiciaire de l’Etat demande au tribunal de débouter M. et Mme [M] de l’ensemble de leurs demandes et de les condamner aux dépens.

S’agissant de la faute lourde, il soutient que la mise en cause de la responsabilité de l’Etat ne saurait constituer une voie de recours, que les demandeurs critiquent le bien-fondé de décisions de justice qui, pour certaines, n’ont fait l’objet d’aucune voie de recours et qui, pour les autres, ont toutes été confirmées en appel, qu’au demeurant, chacune de ces décisions est motivée, fondée sur la base de rapports établis par l’aide sociale à l’enfance et d’expertises psychologiques, en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant et alors que les parents étaient dans la négation de leurs difficultés et de leurs responsabilités, que les ordonnances de délégation d’autorité parentale critiquées ont toutes été confirmées en appel et que la Cour de cassation les a cassées sur le seul motif de ne pas avoir fixé une limite à la durée des mesures prononcées, qu’en tout état de cause, le dysfonctionnement que les demandeurs invoquent a bien été en l’espèce corrigé par l’exercice des voies de recours
S’agissant du déni de justice, il soutient que les délais critiqués ne sont pas déraisonnables au regard de la complexité des affaires et du comportement des parties.
Enfin, il expose que les demandeurs ne rapportent la preuve ni des préjudices allégués ni du lien de causalité avec les prétendus dysfonctionnements.

Par avis du 17 janvier 2024, le ministère public considère que les prétendues fautes lourdes correspondent en réalité à une contestation des décisions de justice et que les délais devant la cour d’appel de Riom, eu égard à la date du dépôt des mémoires des appelants, sont raisonnables. Il conclut donc au rejet des prétentions de M. et Mme [M].

Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme le permet l’article 455 du code de procédure civile.

***
L’affaire a été évoquée à l’audience publique collégiale du 8 janvier 2025 et mise en délibéré au 5 février 2025.

SUR CE,

1. Sur les demandes principales

Aux termes de l’article L.141-1 du code de l’organisation judiciaire, l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

Aux termes de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

1.1 Sur la faute lourde

La faute lourde est définie comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

Il n’y a pas lieu à responsabilité de l’Etat lorsque l’exercice des voies de recours a permis de réparer le dysfonctionnement allégué, ou lorsqu’un recours utile, qui était ouvert, n’a pas été exercé, peu important l’issue possible de cette voie de recours.

En l’espèce, M. et Mme [M] critiquent les décisions de justice rendues par le juge des enfants en matière de renouvellement du placement des enfants mineurs (jugements des 12 décembre 2013, 2 février 2018 et 20 février 2020) et de délégation d’autorité parentale (ordonnances des 6 janvier 2014, 7 août 2015 et 22 février 2016), ainsi que les arrêts rendus par la cour d’appel de Riom (arrêts des 10 juillet 2015, 22 décembre 2015, 21 mars 2017 et 27 avril 2021).

Ils reprochent l’absence de prise en compte par les juges des principes essentiels qui doivent gouverner les décisions prises en matière d’assistance éducative.

Il s’en déduit, en réalité, que les demandeurs critiquent l’appréciation que les juges ont eu des éléments qui leur ont été soumis.

Or, il est de principe que la responsabilité de l’Etat pour dysfonctionnement du service public de la justice ne saurait remettre en question une décision juridictionnelle en dehors de l’exercice des voies de recours.

Les demandeurs n’ont pas fait appel du jugement du 2 février 2018.

S’agissant des jugements de renouvellement de placement des enfants des 12 décembre 2013 et 20 février 2020 ainsi que des ordonnances de délégation de l’autorité parentale des 6 janvier 2014, 7 août 2015 et 22 février 2016, ces décisions ont toutes fait l’objet d’un appel devant la cour d’appel de Riom, qui a confirmé les décisions déférées, sauf à modifier la durée du placement pour l’arrêt du 27 avril 2021. Chacun des arrêts rendus a fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation qui a cassé au même motif les arrêts déférés en toutes leurs dispositions ou sur la seule disposition relative à la délégation d’autorité parentale.

Dès lors, M. et Mme [M] seront déboutés de leurs demandes visant à établir l’existence d’une faute lourde de l’institution judiciaire ainsi que de toutes leurs prétentions indemnitaires subséquentes.

1.2 Sur le déni de justice

Le déni de justice correspond au refus d’une juridiction de statuer sur un litige qui lui est présenté ou au fait de ne procéder à aucune diligence pour instruire ou juger les affaires ; il constitue une atteinte à un droit fondamental et, s’appréciant sous l’angle d’un manquement du service public de la justice à sa mission essentielle, il englobe, par extension, tout manquement de l’Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu, qui comprend celui de répondre sans délai anormalement long aux requêtes des justiciables, conformément aux dispositions de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

L’appréciation d’un allongement excessif du délai de réponse judiciaire, susceptible d’être assimilé à un refus de juger et, partant, à un déni de justice engageant la responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article L.141-1 du code de l’organisation judiciaire, s’effectue de manière concrète, au regard des circonstances propres à chaque procédure, en prenant en considération les conditions de déroulement de la procédure, la nature de l’affaire, son degré de complexité, le comportement des parties en cause, ainsi que l’intérêt qu’il peut y avoir pour l’une ou l’autre des parties, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige, et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu’il soit tranché rapidement.

En l’espèce, il y a lieu d’évaluer le caractère excessif de la durée de la procédure en considération, non de la durée globale de l’affaire, mais du temps séparant chaque étape de la procédure.

Le moyen selon lequel la date du dépôt des écritures des appelants doit être retenue pour apprécier les différentes étapes de la procédure n’est pas pertinent dans la mesure où la procédure devant la chambre des mineurs de la cour d’appel est une procédure orale et que la date d’audience est fixée indépendamment de toute mise en état de l’affaire.

Il y a également lieu de tenir compte, pour déterminer le caractère raisonnable ou non des délais examinés, de la nature de l’affaire. Compte tenu de l’impact majeur des décisions critiquées sur la vie familiale des demandeurs, il appartenait en effet au service public de la justice de faire preuve d’une particulière diligence.

Il convient à l’aune de ces critères d’examiner chacune des procédures critiquées :
– s’agissant de l’arrêt de la cour d’appel de Riom du 10 juillet 2015, le délai de 17 mois entre les déclarations d’appel des 21 décembre 2013 et 11 janvier 2014 et l’audience du 16 juin 2015 est excessif à hauteur de 11 mois et le délai de moins d’un mois entre l’audience et le délibéré n’est pas excessif ;
– s’agissant de l’arrêt du 22 décembre 2015, le délai de 2 mois entre la déclaration d’appel du 19 août 2015 et l’audience du 20 octobre 2015 ainsi que celui de 2 mois entre l’audience et le délibéré ne sont pas excessifs ;
– s’agissant de l’arrêt du 21 mars 2017, le délai de 11 mois entre la déclaration d’appel du 18 mars 2016 et l’audience du 21 février 2017 est excessif à hauteur de 5 mois et le délai d’un mois entre l’audience et le délibéré n’est pas excessif ;
– s’agissant, enfin, de l’arrêt du 27 avril 2021, le délai de 11 mois entre la déclaration d’appel du 29 février 2020 et l’audience du 16 février 2021 est excessif à hauteur de 5 mois et le délai de 2 mois entre l’audience et le délibéré n’est pas excessif.

La responsabilité de l’Etat est donc engagée à hauteur de la durée globale de 21 mois.

S’agissant du préjudice moral, la demande des époux [M] est justifiée en son principe, dès lors qu’un procès est nécessairement source d’une inquiétude pour le justiciable et qu’une attente prolongée non justifiée induit un préjudice dû au temps d’inquiétude supplémentaire.

L’indemnité allouée en réparation de ce préjudice ne saurait excéder l’indemnisation du préjudice que le dépassement excessif du délai raisonnable de la procédure cause nécessairement en tenant compte de la gravité des enjeux en cause pour les demandeurs.

Il convient dès lors de leur allouer la somme de 8.400 euros en réparation de leur préjudice moral.

S’agissant du préjudice financier, ils ne rapportent aucun élément au soutien de cette prétention. Ils en seront donc déboutés.

2. Sur les mesures de fin de jugement

L’agent judiciaire de l’Etat, partie perdante, est condamné aux dépens dont distraction au profit de Me Moskvina conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

En équité, il convient de le condamner également à payer à M. et Mme [M] la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,

CONDAMNE l’agent judiciaire de l’Etat à payer à M. [W] [M] et Mme [E] [M] la somme de 8.400 euros en réparation de leur préjudice moral ;

CONDAMNE l’agent judiciaire de l’Etat aux dépens, dont distraction au profit de Me Moskvina conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE l’agent judiciaire de l’Etat à payer à M. [W] [M] et Mme [E] [M] la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 05 Février 2025

Le Greffier Le Président
Marion CHARRIER Benoit CHAMOUARD


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