Responsabilité de l’employeur en cas d’accident du travail et indemnisation des préjudices subis par le salarié

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Responsabilité de l’employeur en cas d’accident du travail et indemnisation des préjudices subis par le salarié

L’Essentiel : Un salarié, en qualité de chauffeur, a été embauché par une entreprise le 1er février 2018. Le 9 février, il a subi un accident de travail, entraînant une grave blessure. Le tribunal a jugé, le 7 juillet 2021, que l’accident était imputable à la faute inexcusable de l’employeur, ordonnant une majoration de la rente et allouant une provision de 5 000 euros à la victime. En novembre 2024, la victime a demandé une indemnisation pour divers préjudices, contestée par la société. Le tribunal a fixé le montant total des indemnités à 106 377,10 euros, condamnant également la société aux dépens.

Présentation de l’Affaire

Un salarié, en qualité de chauffeur, a été embauché par une entreprise à compter du 1er février 2018. Le 9 février 2018, il a subi un accident de travail, se blessant gravement en se coinçant le pied entre deux bennes. Un certificat médical a confirmé une fracture ouverte de l’avant-pied droit, et l’accident a été pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie au titre de la législation professionnelle.

Jugement Initial

Le tribunal a jugé, le 7 juillet 2021, que l’accident était imputable à la faute inexcusable de l’employeur. Il a ordonné une majoration de la rente d’accident du travail et a alloué une provision de 5 000 euros à la victime pour ses préjudices. La société a également été condamnée à payer des frais de justice.

Expertise Médicale

Une expertise médicale a été réalisée, révélant un déficit fonctionnel temporaire et permanent, ainsi que des souffrances physiques et morales. Un complément d’expertise a été ordonné en avril 2023 pour évaluer le déficit fonctionnel permanent, qui a été fixé à 30 % en janvier 2024.

Demandes de la Victime

Lors d’une audience en novembre 2024, la victime a demandé une indemnisation pour divers préjudices, incluant des sommes pour l’assistance par une tierce personne, la perte de revenus, et des souffrances physiques et morales. La société a contesté plusieurs de ces demandes, proposant des montants d’indemnisation inférieurs.

Réponse de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie

La caisse primaire a demandé au tribunal de se prononcer sur le quantum des sommes allouées et a précisé qu’elle se réservait le droit de récupérer les sommes avancées auprès de l’employeur en raison de la faute inexcusable.

Indemnisation des Préjudices

Le tribunal a statué sur l’indemnisation des préjudices, en précisant que certains postes, comme la perte de revenus, ne pouvaient pas donner lieu à une indemnisation complémentaire. Les montants alloués pour l’assistance par une tierce personne, les souffrances endurées, et les préjudices esthétiques ont été fixés, tandis que d’autres demandes ont été rejetées.

Conclusion et Décisions du Tribunal

Le tribunal a débouté la victime de plusieurs demandes, tout en fixant le montant total des indemnités à 106 377,10 euros, après déduction d’une provision antérieure. La société a été condamnée aux dépens et à verser une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’exécution provisoire a été ordonnée pour une partie des sommes allouées.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la responsabilité de l’employeur en cas de faute inexcusable dans un accident du travail ?

La responsabilité de l’employeur en cas de faute inexcusable est régie par l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale. Cet article stipule que :

« La victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l’employeur peut prétendre à l’indemnisation des souffrances physiques et morales, du préjudice esthétique, du préjudice d’agrément et du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. »

Ainsi, lorsque l’accident est causé par une faute inexcusable de l’employeur, la victime a le droit de demander une indemnisation pour l’ensemble des préjudices subis, y compris ceux qui ne sont pas couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

En l’espèce, le tribunal a jugé que l’accident dont a été victime le salarié était imputable à la faute inexcusable de l’employeur, ce qui ouvre droit à une indemnisation complète des préjudices.

Comment se détermine la date de consolidation dans le cadre d’un accident du travail ?

La date de consolidation est déterminée selon les dispositions de l’article L.442-6 du code de la sécurité sociale, qui précise que :

« La caisse primaire fixe la date de guérison ou de la consolidation de la blessure d’après l’avis du médecin traitant ou, en cas de désaccord, d’après l’avis émis par l’expert. »

Dans le cas présent, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône a fixé la date de consolidation au 20 décembre 2018, date qui n’a pas été contestée par la victime.

Le tribunal a donc retenu cette date pour liquider les préjudices temporaires et permanents, en écartant la date proposée par l’expert, qui n’était pas missionné pour déterminer la date de consolidation.

Quelles sont les conditions d’indemnisation pour l’assistance par une tierce personne ?

L’article L.434-2 alinéa 3 du code de la sécurité sociale stipule que :

« La victime titulaire d’une rente, dont l’incapacité permanente est égale ou supérieure à un taux minimum, a droit à une prestation complémentaire pour recours à tierce personne lorsqu’elle est dans l’incapacité d’accomplir seule les actes ordinaires de la vie. »

En cas de faute inexcusable de l’employeur, l’assistance par une tierce personne à titre temporaire, c’est-à-dire avant la date de consolidation, n’est pas couverte par le livre IV et peut donc être indemnisée à titre complémentaire.

Le tribunal a ainsi limité l’indemnisation de ce poste de préjudice à la période avant la date de consolidation, en retenant un taux horaire de 20 euros pour l’assistance par une tierce personne.

Quelles sont les modalités d’indemnisation pour la perte de revenus suite à un accident du travail ?

La perte de revenus, ou perte de gains professionnels actuels, est régie par l’article L.433-1 du code de la sécurité sociale, qui prévoit que :

« Une indemnité journalière est payée à la victime par la caisse primaire, à partir du premier jour qui suit l’arrêt du travail consécutif à l’accident, sans distinction entre les jours ouvrables et les dimanches et jours fériés, pendant toute la période d’incapacité de travail. »

Ce poste de préjudice ne peut pas donner lieu à une indemnisation complémentaire en cas de faute inexcusable de l’employeur, car les indemnités journalières versées par la caisse primaire couvrent déjà cette perte de revenus jusqu’à la date de consolidation.

Dans le cas présent, le tribunal a rejeté la demande d’indemnisation pour perte de revenus, considérant que la victime avait déjà perçu des indemnités journalières pendant son incapacité.

Comment est évalué le déficit fonctionnel permanent après un accident du travail ?

Le déficit fonctionnel permanent est évalué selon les dispositions des articles L.434-1 et L.434-2 du code de la sécurité sociale, qui prévoient que :

« Le capital ou la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent subi par la victime. »

En cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime peut demander une indemnisation complémentaire pour ce préjudice.

Dans l’affaire examinée, le tribunal a retenu un taux de déficit fonctionnel permanent de 30 %, tel qu’évalué par l’expert, et a calculé l’indemnisation en multipliant ce taux par la valeur du point, aboutissant à une somme de 80 550 euros.

Quelles sont les conséquences de la reconnaissance d’un préjudice sexuel suite à un accident du travail ?

Le préjudice sexuel est défini par l’atteinte à la fonction sexuelle, qui peut inclure des éléments tels que :

– Atteinte morphologique des organes sexuels,
– Perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel,
– Difficulté ou impossibilité de procréer.

Dans le cas présent, l’expert a évoqué une baisse temporaire de la libido, ce qui a conduit le tribunal à qualifier le préjudice sexuel de léger.

Ainsi, le tribunal a décidé d’indemniser ce préjudice à hauteur de 1 000 euros, tenant compte de l’impact subjectif sur la vie de la victime.

Comment se déroule l’action récursoire de la caisse primaire d’assurance maladie ?

L’article L.452-2 du code de la sécurité sociale permet à la caisse primaire d’assurance maladie de récupérer auprès de l’employeur le montant de la majoration de la rente d’accident du travail attribuée à la victime en raison de la faute inexcusable de l’employeur.

Cette action ne peut s’exercer que dans les limites du taux notifié à l’employeur, conformément à l’article R.434-32 du code de la sécurité sociale.

Dans l’affaire en question, la caisse primaire a le droit de recouvrer les sommes avancées pour la majoration de la rente et les frais d’expertise, dans les limites de 35 % concernant la majoration de la rente.

MINUTE N° :

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

POLE SOCIAL – CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :

ASSESSEURS :

DÉBATS :

PRONONCE :

AFFAIRE :

NUMÉRO R.G :

05 Février 2025

Jérôme WITKOWSKI, président

Florent TESTUD, assesseur collège employeur
David TEYSSIER, assesseur collège salarié

assistés lors des débats et du prononcé du jugement par Maëva GIANNONE, greffière

tenus en audience publique le 06 Novembre 2024

jugement contradictoire, rendu en premier ressort, le 05 Février 2025 par le même magistrat

Monsieur [U] [J] C/ S.A.S. [3]

N° RG 19/01615 – N° Portalis DB2H-W-B7D-T3FO

DEMANDEUR

Monsieur [U] [J], demeurant [Adresse 2]
représenté par Maître BOURLIOUX Muriel, avocate au barreau de LYON

DÉFENDERESSE

La société [3], dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par Maître Valérie SANIOSSIAN substituée par Maître RITOUET Cécile, avocates au barreau de LYON

PARTIE INTERVENANTE

CPAM DU RHONE, dont le siège social est sis [Adresse 4]
représentée par Madame [I] [E], audiencière munie d’un pouvoir

Notification le :
Une copie certifiée conforme à :

[U] [J]
S.A.S. [3]
CPAM DU RHONE
Me Muriel BOURLIOUX, vestiaire : 2019
Me Valérie SANIOSSIAN, vestiaire : 1073
Une copie revêtue de la formule exécutoire :

Me Muriel BOURLIOUX, vestiaire : 2019
Une copie certifiée conforme au dossier

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [U] [J] a été embauché par la société [3] sous contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er février 2018 en qualité de chauffeur.

Le 9 février 2018, la société [3] a déclaré un accident survenu le 9 février 2018 à 11h40 au préjudice de monsieur [U] [J], décrit en ces termes :  » le salarié est monté sur le bord d’une benne et son pied est resté coincé entre deux bennes « .

Le certificat médical initial établi le 13 février 2018 décrit les lésions suivantes :  » fracture ouverte de l’avant-pied droit « .

Le 29 mars 2018, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône a pris en charge l’accident au titre de la législation professionnelle.

La consolidation de monsieur [U] [J] a été fixée au 20 décembre 2018 avec attribution d’un taux d’incapacité permanente partielle de 35 %.

Par jugement du 7 juillet 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, a notamment :

– Jugé que l’accident dont monsieur [U] [J] a été victime le 9 février 2018 est imputable à la faute inexcusable de la société [3] ;
– Ordonné la majoration de la rente servie par la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône au taux maximum ;
– Ordonné une expertise médicale aux frais avancés de la caisse primaire et désigné pour y procéder le docteur [D] [T] ;
– Alloué à monsieur [U] [J] une provision de 5 000 euros à valoir sur l’indemnisation des préjudices subis, dont la caisse primaire doit faire l’avance ;
– Condamné la société [3] à payer à monsieur [U] [J] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Réservé les dépens.

Le docteur [D] [T] a établi son rapport d’expertise le 24 février 2022.

Sur les postes de préjudice examinés, les conclusions de l’expert sont les suivantes :

– Déficit fonctionnel temporaire total : du 9 février 2018 au 14 février 2018 (hospitalisation) ;
– Déficit fonctionnel temporaire partiel : du 15 février 2018 au 30 août 2018 à 50 %, puis du 31 août 2018 au 8 février 2019 à 35 % ;
– Assistance par une tierce personne : assistance non spécialisée 2 heures 7/7 jours par jour du 15 février 2018 au 30 août 2018, puis 1 heure par jour 7/7 jours du 31 août 2018 au 8 février 2019 ;
– Pas d’aménagement du logement ou du véhicule ;
– Eléments sur la perte d’une chance de promotion professionnelle : ne peut plus conduire de camion super lourd ou lourd sur une longue et moyenne distance et ne peut plus assumer l’activité de chargement / déchargement cœur d’ouvrage du métier ;
– Souffrances endurées : 3,5/7 ;
– Préjudice esthétique : 2/7 ;
– Préjudice d’agrément caractérisé par une tendance à l’isolement social, une dépréciation de soi, ne va plus à la piscine municipale, moins de performance lors de la pratique du vélo, moins envie de sortir ;
– Absence de préjudice sexuel mais probable baisse temporaire de libido ;
– Absence de perte de chance de réaliser un projet de vie familiale ;
– Absence de préjudice exceptionnel.

Par jugement du 4 avril 2023, le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon a ordonné un complément d’expertise afin d’évaluer l’éventuel déficit fonctionnel permanent de monsieur [U] [J] après consolidation et a désigné pour y procéder le docteur [Z] [O].

Ce dernier a établi son rapport d’expertise le 23 janvier 2024, fixant le déficit fonctionnel permanent à 30 %.

Aux termes de ses conclusions n°3 déposées lors de l’audience du 6 novembre 2024, monsieur [U] [J] demande au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de condamner la société [3] à l’indemniser de ses entiers préjudices et de lui allouer les sommes suivantes :

– 11 100 euros au titre de l’assistance par une tierce personne ;
– 5 338 euros au titre de la perte de revenus avant consolidation ;
– 40 000 euros au titre de la perte de chance de promotion professionnelle ;
– 5 314,65 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
– 10 000 euros au titre des souffrances endurées avant consolidation ;
– 2 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;
– 4 000 euros au titre du préjudice esthétique définitif ;
– 20 000 euros au titre des souffrances physiques post consolidation ;
– 25 000 euros au titre des souffrances morales post consolidation ;
– 95 865 euros au titre du déficit fonctionnel permanent et, subsidiairement, la somme de 80 550 euros ;
– 3 000 euros au titre du préjudice d’agrément ;
– 1 000 euros au titre du préjudice sexuel.

Il demande enfin que la société [3] soit condamnée à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions en réponse n°2 déposées lors de l’audience du 6 novembre 2024, la société [3] demande au tribunal de débouter monsieur [U] [J] de ses demandes formulées au titre de la perte de revenus avant consolidation, de la perte de chance de promotion professionnelle, du préjudice esthétique temporaire, des souffrances physiques et morales post consolidation, du préjudice sexuel et du préjudice d’agrément.

Elle demande au tribunal de limiter l’indemnisation du préjudice de monsieur [U] [J] aux sommes suivantes :

– 6 660 euros au titre de l’assistance par une tierce personne ;
– 4 026,25 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
– 6 000 euros au titre des souffrances endurées ;
– 3 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;
– 80 550 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

Elle précise qu’il conviendra de déduire de l’indemnité totale allouée la provision versée en exécution du jugement du 7 juillet 2021 et s’en rapporte quant à la demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses observations écrites du 22 août 2024, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône s’en remet à l’appréciation du tribunal sur le quantum des sommes allouées et demande qu’il soit jugé que les sommes avancées à la victime au titre de la majoration de la rente, des préjudices indemnisés et des frais d’expertise, seront recouvrées auprès de l’employeur en application des articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux conclusions susvisées conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur l’indemnisation des préjudices de monsieur [U] [J]

En application de l’article L 452 3 du code de la sécurité sociale, la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l’employeur peut prétendre à l’indemnisation des souffrances physiques et morales, du préjudice esthétique, du préjudice d’agrément et du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Par décision n 2010 08 QPC du 18 juin 2010, le conseil constitutionnel a reconnu au salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l’employeur, le droit de réclamer devant les juridictions de sécurité sociale, outre la réparation des préjudices susvisés, la réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Monsieur [U] [J], né le 21 janvier 1972, était âgé de 46 ans au jour de l’accident survenu le 9 février 2018.

Aux termes de son rapport, le docteur [D] [T] indique que l’accident du travail a entraîné une fracture ouverte gustillo 3C (complications vasculo-nerveuses) de O1 droit et un dégantage de O2 et O3 droit avec fracture et luxation des 4ème et 5ème articulations métatarso-phalangiennes droites, délabrement et dévascularisation de l’avant-pied droit par écrasement malgré le port de chaussures de sécurité.

Après consolidation fixée au 20 décembre 2018, l’expert indique que monsieur [U] [J] conserve pour séquelles une amputation transmétatarsienne droite de M1, M2 et M3 avec syndrome du membre fantôme, ainsi qu’un traumatisme psychique.

A titre liminaire, sur la formulation des demandes de monsieur [U] [J]

En matière de faute inexcusable, en application de l’article L.452-3 alinéa 3 du code de la sécurité sociale, il n’appartient pas au tribunal de condamner l’employeur à payer à la victime de la faute inexcusable les sommes allouées en indemnisation du préjudice subi, mais de fixer le montant de cette indemnisation, dont la caisse primaire d’assurance maladie doit faire l’avance, à charge pour elle d’exercer l’action récursoire à l’encontre de l’employeur.

La demande de condamnation formulée par monsieur [U] [J] à l’encontre de la société [3] s’analyse donc une demande de fixation du quantum des divers postes de préjudice sollicités, dont la caisse primaire d’assurance maladie devra faire l’avance, à charge pour elle d’exercer l’action récursoire à l’encontre de l’employeur.

A titre liminaire, sur la date de consolidation

Les dispositions spéciales de l’article L.442-6 du code de la sécurité sociale disposent que la caisse primaire fixe la date de guérison ou de la consolidation de la blessure d’après l’avis du médecin traitant ou, en cas de désaccord, d’après l’avis émis par l’expert (saisi sur contestation de l’assuré et désigné en application de l’article L.141-1 du code de la sécurité sociale, alors applicable).

Pour cette raison, la mission d’expertise prévue au dispositif du jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon le 7 juillet 2021 n’invitait pas l’expert à fixer la date de consolidation, que la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône avait d’ores et déjà fixée au 20 décembre 2018 et qui n’a pas été contestée par l’assuré.

Ainsi, la date de consolidation retenue pour liquider les préjudices temporaires et permanents de monsieur [U] [J] sera fixée au 20 décembre 2018 (date fixée par la caisse primaire et non contestée par l’assuré), non au 9 février 2019 (date proposée par l’expert judiciaire non missionné à cet effet).

Sur les frais d’assistance par une tierce personne
Si l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu’interprété par le conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010 – 8 QPC du 18 juin 2010, dispose qu’en cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime peut demander à celui-ci, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d’autres chefs de préjudice que ceux qui y sont énumérés, c’est à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts, même partiellement ou sous conditions, par le livre IV du code de la sécurité sociale.

L’article L.434-2 alinéa 3 du code de la sécurité sociale dispose que  » La victime titulaire d’une rente, dont l’incapacité permanente est égale ou supérieure à un taux minimum, a droit à une prestation complémentaire pour recours à tierce personne lorsqu’elle est dans l’incapacité d’accomplir seule les actes ordinaires de la vie. Le barème de cette prestation est fixé en fonction des besoins d’assistance par une tierce personne de la victime, évalués selon des modalités précisées par décret. Elle est revalorisée au 1er avril de chaque année par application du coefficient mentionné à l’article L. 161-25 « .

Ainsi, l’assistance par une tierce personne à titre temporaire, c’est-à-dire avant consolidation, n’est pas couverte au titre du livre IV et peut donc être indemnisée à titre complémentaire en cas de faute inexcusable de l’employeur.

En revanche, au-delà de la date de consolidation, l’assistance par une tierce personne est couverte au titre du livre IV, sous certaines modalités fixées par décret. Elle ne peut donc faire l’objet d’une indemnisation complémentaire en cas de faute inexcusable de l’employeur, y compris lorsque l’assuré ne remplit pas les conditions règlementaires fixées.

En l’espèce, si les périodes et le nombre d’heures retenus par l’expert ne font l’objet d’aucune contestation, le tribunal limitera néanmoins la période d’indemnisation de ce poste de préjudice à la date de la consolidation définitivement fixée au 20 décembre 2018, soit :

– 2 heures 7/7 jours par jour du 15 février 2018 au 30 août 2018 (197 jours) ;
– 1 heure par jour 7/7 jours du 31 août 2018 au 20 décembre 2018 (111 jours) ;

Les parties s’opposent sur le montant de l’indemnisation et notamment la fixation du taux horaire.

Monsieur [U] [J] sollicite l’application d’un taux horaire de 20 euros, tandis que la société [3] propose l’application d’un taux horaire de 12 euros.

Sur ce, tenant compte de l’incapacité du requérant et des conditions de vie décrites par l’expert, le tribunal retient un taux horaire de 20 euros et alloue en conséquence à monsieur [U] [J] la somme totale de (2 heures x 20 euros x 197 jours) + (1 heure x 20 euros x 111 jours), soit 10 100 euros sur l’ensemble de la période ayant justifié l’assistance d’une tierce personne avant consolidation.

Sur la perte de revenus
La perte de revenus, également désignée perte de gains professionnels actuels, correspond au préjudice économique subi par la victime pendant la durée de son incapacité temporaire totale ou partielle de travail, au plus tard jusqu’à la date de consolidation.

L’article L.433-1 du code de la sécurité sociale prévoit qu’une indemnité journalière est payée à la victime par la caisse primaire, à partir du premier jour qui suit l’arrêt du travail consécutif à l’accident, sans distinction entre les jours ouvrables et les dimanches et jours fériés, pendant toute la période d’incapacité de travail qui précède soit la guérison complète, soit la consolidation de la blessure ou le décès, ainsi que dans le cas de rechute ou d’aggravation prévu à l’article L. 443-2. Une indemnité journalière est également servie en cas de délivrance par le médecin traitant d’un certificat autorisant un travail aménagé ou à temps partiel, si ce travail est reconnu par le médecin-conseil de la caisse primaire comme de nature à favoriser la guérison ou la consolidation de la blessure.

L’article R.433-13 du code de la sécurité sociale prévoit que l’indemnité journalière prévue à l’article L. 433-1 est mise en paiement par la caisse primaire d’assurance maladie dès la réception de tout certificat médical attestant la nécessité d’arrêt de travail, sans préjudice des dispositions de l’article R. 433-17.

Il résulte de ces textes que le livre IV du code de la sécurité sociale prévoit, au bénéfice de la victime d’un risque professionnel, le versement de prestations en espèces visant à indemniser l’éventuelle incapacité temporaire totale ou partielle de travail et la perte de gains professionnels qui en résulte, jusqu’à la date de guérison ou de consolidation.

Ce poste de préjudice ne peut donc pas donner lieu à indemnisation complémentaire sur le fondement de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu’interprété par le conseil constitutionnel par décision du 18 juin 2010.

En l’espèce, monsieur [U] [J] a été victime d’un accident du travail le 9 février 2018 et la date de consolidation a été fixée au 20 décembre 2018.

Dans l’intervalle, seules les indemnités journalières pouvaient indemniser la perte de gains professionnels, pourvu que les conditions de fond pour en bénéficier soient remplies et les modalités prescrites pour en bénéficier soient respectées.

En conséquence, la demande formulée au titre de l’indemnisation de la perte de revenus est rejetée.

Sur le déficit fonctionnel temporaire
Ce poste de préjudice a pour objet d’indemniser l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle jusqu’à sa consolidation. Cette invalidité correspond aux périodes d’hospitalisation de la victime, mais aussi à la perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante que rencontre la victime durant la convalescence, la privation temporaire des activités privées ou d’agrément auxquelles la victime se livrait habituellement et le préjudice sexuel avant consolidation.

En l’espèce, si les périodes et les taux retenus par l’expert ne font l’objet d’aucune contestation, le tribunal limitera néanmoins la période d’indemnisation de ce poste de préjudice à la date de la consolidation définitivement fixée au 20 décembre 2018, soit :

– Un déficit fonctionnel temporaire total du 9 février 2018 au 14 février 2018 (6 jours), correspondant aux périodes d’hospitalisation ;
– Un déficit fonctionnel temporaire partiel de 50 % du 15 février 2018 au 30 août 2018 (197 jours) ;
– Un déficit fonctionnel temporaire partiel de 35 % du 31 août 2018 au 20 décembre 2018 (111 jours).

Monsieur [U] [J] sollicite l’application d’une base journalière de 33 euros tandis que pour sa part, la société [3] propose l’application d’une base journalière de 25 euros.

Compte tenu des lésions initiales et des soins nécessaires, monsieur [U] [J] a subi une gêne dans l’accomplissement des actes de la vie courante et une perte temporaire de qualité de vie, qui seront indemnisées à hauteur de 26 euros par jour d’incapacité temporaire totale, soit :

– 6 jours x 26 euros = 156 euros ;
– 197 jours x 26 euros x 50 % = 2 561 euros ;
– 111 jours x 26 euros x 35 % = 1 010,10 euros.

Soit au total la somme de 3 727,10 euros sur l’ensemble de la période d’incapacité temporaire considérée.

Sur les souffrances endurées
Ce poste de préjudice a pour objet de réparer toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que les troubles associés que doit endurer la victime par suite de l’atteinte à son intégrité physique jusqu’à la consolidation, étant précisé que les souffrances endurées après la consolidation sont indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent.

En l’espèce, l’expert a évalué les souffrances endurées à 3,5/7, tenant compte notamment de l’intervention subie avec amputation et brochage, des traitements antalgiques et kinésithérapiques prescrits ensuite.

La consolidation est intervenue plus de dix mois après l’accident, la période de convalescence ayant été modérément longue.

Vu l’ensemble de ces éléments, les souffrances endurées seront indemnisées à hauteur de 7 000 euros.

Sur le préjudice d’agrément
Le préjudice d’agrément est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs qu’elle pratiquait antérieurement au dommage et par la limitation ou la difficulté, y compris d’ordre psychologique, à poursuivre la pratique antérieure de ladite activité.

Il est précisé que le préjudice d’agrément temporaire, c’est-à-dire antérieur à la consolidation, est indemnisé au titre du déficit fonctionnel temporaire.

Enfin, la prise en compte d’un préjudice d’agrément n’exige pas la démonstration d’une pratique de l’activité en club, une pratique individuelle antérieure étant suffisante, pourvu qu’elle ne résulte pas des seules déclarations de la victime et soit justifiée par tout moyen.

En l’espèce, monsieur [U] [J] fait valoir que depuis l’accident, il a réduit les balades en vélo et ne se baigne plus en public. Il exprime une réticence aux sorties diverses.

Si l’expert ne relève pas de contre-indication particulière à la pratique de ces activités d’agrément au plan anatomique, les réticences manifestées par monsieur [U] [J] à poursuivre les activités spécifiques de loisir auxquelles il se livrait avant l’accident résultent davantage des répercussions d’ordre psychologique de celui-ci, qui sont clairement établies. Ces restrictions des activités d’agrément antérieures sont confirmées par de nombreuses attestations émanant de son entourage familial et amical.

Il sera donc fait droit à la demande d’indemnisation formée de ce chef à hauteur de 3 000 euros.

Sur le préjudice esthétique
Ce poste de préjudice a pour objet de réparer l’altération de l’apparence physique de la victime avant et après la consolidation. Ainsi, le préjudice esthétique temporaire est un préjudice distinct du préjudice esthétique permanent et doit être évalué en considération de son existence avant consolidation de l’état de la victime.

Sur le préjudice esthétique temporaire

Le préjudice esthétique temporaire subi de l’accident à la date de guérison, n’a pas été quantifié par l’expert dans le cadre de l’évaluation des préjudices.

Monsieur [U] [J] demande toutefois que soit pris en compte un préjudice esthétique temporaire, préjudice qu’il évalue à 2 000 euros.

La société [3] s’oppose pour sa part à l’indemnisation de ce préjudice, celui-ci n’ayant pas été retenu par l’expert.

Sur ce, le tribunal relève qu’un préjudice esthétique permanent étant caractérisé, il est effectivement paradoxal que l’expert ne retienne pas un préjudice esthétique temporaire caractérisé par les pansements, l’appareillage avec chaussure orthopédique et tige montante, puis l’utilisation de cannes indiennes entravant nécessairement sa démarche durant la convalescence.

Il y a donc lieu de faire droit à la demande d’indemnisation du préjudice esthétique temporaire à hauteur de 2 000 euros.

Sur le préjudice esthétique permanent

Le préjudice esthétique permanent (après consolidation) a été évalué par l’expert à 2 sur une échelle de 7, caractérisé lors de l’examen clinique par une boiterie modérée à la marche avec déroulé du pas légèrement enraidi, une cicatrice d’aspect moyen au niveau de la face dorsale de l’avant-pied droit, le moignon consécutif à l’amputation et une amyotrophie significative au niveau du mollet.

Ce préjudice esthétique sera indemnisé à hauteur de 4 000 euros.

Sur le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle
L’article L.452-3 du code de la sécurité sociale prévoit la réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle, à condition que la victime démontre que de telles perspectives étaient certaines ou, à tout le moins, sérieuses et imminentes à la date de l’accident.

La perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle est distincte de l’incidence professionnelle, définie comme le dommage touchant à la sphère professionnelle en raison de la dévalorisation de la victime sur le marché du travail du fait, par exemple, de l’impossibilité d’accomplir certains gestes, de la nécessité de travailler sur un poste aménagé ou à temps partiel, ou encore de la nécessité d’abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre en raison de la survenance de son handicap.

Le capital ou la rente servie à la victime d’un accident du travail répare de manière forfaitaire l’incidence professionnelle définie ci-dessus, ainsi que les pertes de gains professionnels futurs, y compris la perte des droits à la retraite.

Ces postes de préjudices étant couverts par le Livre IV du code de la sécurité sociale, ils ne sauraient donc donner lieu à indemnisation complémentaire en cas de faute inexcusable de l’employeur.

En l’espèce, il est établi que monsieur [U] [J] présente une contre-indication au travail de chauffeur poids lourds, en ce qu’il ne peut plus conduire de camion super lourds ou lourds sur longue et moyenne distance et ne peut plus assumer l’activité de chargement et de déchargement, ainsi que le confirme l’expert. Ces contre-indications, compatibles avec les séquelles constatées, sont à l’origine de la décision d’inaptitude prise par le médecin du travail, dont une copie est versée aux débats. Le demandeur n’a ainsi pas pu poursuivre la profession de chauffeur poids lourds pour laquelle il était qualifié. Il justifie également de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé

Pour autant, monsieur [U] [J] ne démontre pas qu’il subit un préjudice professionnel spécifique caractérisé par la privation d’une promotion professionnelle qui lui était acquise au moment de l’accident ou, à tout le moins pour laquelle il était sérieusement pressenti compte tenu de son ancienneté, de sa formation, de ses qualifications et de ses aptitudes professionnelles.

Il ne justifie pas non plus qu’il avait prévu de s’engager dans une formation qualifiante de nature à lui permettre d’accéder à une promotion professionnelle certaine, dont il aurait été privé du fait de la survenance de son accident de travail.

Les répercussions ainsi exposées de l’accident sur la trajectoire professionnelle du requérant, si elles sont confirmées par l’expert et parfaitement comprises par le tribunal, relèvent en réalité de l’incidence professionnelle, qui est un poste de préjudice déjà indemnisé forfaitairement par la rente majorée d’accident du travail servie par la caisse primaire d’assurance maladie à compter de la date de consolidation.

En conséquence, la demande d’indemnisation au titre de la perte ou la diminution de chance de promotion professionnelle ne pourra qu’être rejetée.

Sur le préjudice sexuel
Le préjudice sexuel s’entend d’une altération partielle ou totale de la fonction sexuelle dans l’une de ses composantes :

– Atteinte morphologique des organes sexuels,
– Perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel (perte de l’envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l’acte sexuel, perte de la capacité à accéder au plaisir),
– Difficulté ou impossibilité de procréer.

L’évaluation de ce préjudice doit être modulée en fonction du retentissement subjectif de la fonction sexuelle selon l’âge et la situation familiale de la victime.

En l’espèce, l’expert évoque une baisse temporaire de la libido, confirmée par une attestation de l’épouse de la victime.

Dès lors, le préjudice sexuel après consolidation peut être qualifié de léger et sera indemnisé à hauteur de 1 000 euros.

Sur le déficit fonctionnel permanent
Aux termes de deux arrêts rendus en assemblée plénière, la Cour de cassation a jugé que le capital ou la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle en application des articles L.434-1 ou L.434-2 du code de la sécurité sociale, ainsi que la majoration prévue à l’article L.452-2 du même code, ne réparent pas le déficit fonctionnel permanent subi par la victime (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvois n° 21-23.947 et n° 20-23.673, publiés).

En cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime est donc fondée à solliciter l’indemnisation complémentaire du déficit fonctionnel permanent en application des dispositions de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu’interprété par le conseil constitutionnel par décision du 18 juin 2010.

Ce préjudice résulte de la réduction définitive après consolidation du potentiel physique et psychosensoriel ou intellectuel du fait de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s’ajoutent d’une part les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, notamment le préjudice moral et d’autre part les troubles dans les conditions d’existence personnelles, familiales et sociales de la victime.

Il en résulte que les souffrances physiques et morales postérieures à la consolidation sont d’ores et déjà incluses dans l’évaluation du déficit fonctionnel permanent.

En l’espèce, lors de l’examen réalisé le 4 février 2021, le docteur [D] [T] a retenu un déficit fonctionnel permanent de 33 % tenant compte des séquelles orthopédiques du pied droit et des troubles anxiogènes de la victime, qui faisaient alors l’objet d’une prise en charge psychologique dont il était justifié à compter du 14 janvier 2022 mais également médicamenteuse de manière occasionnelle.

Aux termes d’un examen plus récent réalisé le 23 janvier 2024, le docteur [Z] [O] a retenu un déficit fonctionnel permanent de 30 %, tenant compte à la fois des séquelles orthopédiques du pied droit, notamment des douleurs séquellaires et des douleurs des membres fantômes en permanence, ainsi que des séquelles psychologiques, dont il précise qu’elles ne nécessitent plus de suivi spécialisé, ni la prescription d’un traitement médicamenteux.

Ce taux, estimé lors d’un examen plus récent à l’occasion d’un complément d’expertise sollicité par le demandeur lui-même, sera finalement retenu.

Il y a lieu de prendre en compte l’âge de monsieur [U] [J] lors de la consolidation survenue le 20 décembre 2018, soit 46 ans.

Le déficit fonctionnel permanent sera donc indemnisé en multipliant le taux du déficit fonctionnel (30 %) par la valeur du point, soit 2 685 euros, soit 80 550 euros.

Sur les souffrances physiques et morales post consolidation
Les demandes formées par monsieur [U] [J] au titre des souffrances physiques et morales postérieures à la consolidation ont d’ores et déjà été intégrées par le docteur [O] lors de l’évaluation du taux de déficit fonctionnel permanent, dont elles sont l’une des trois composantes (voir développement supra).

Le tribunal relève d’ailleurs que le taux prévu au titre de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique par le barème du concours médical pour une amputation transmétatarsienne est de 18 à 20 % selon les qualités d’appui du moignon, le surplus constituant donc la majoration au titre d’une part des phénomènes douloureux et des répercussions psychologiques, notamment le préjudice moral et d’autre part des troubles dans les conditions d’existence personnelles, familiales et sociales de la victime.

Les demandes formées au titre des souffrances physiques et morales seront donc rejetées.

2. Sur l’action récursoire de la caisse primaire d’assurance maladie

Si la caisse primaire d’assurance maladie est fondée, en application de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, à récupérer auprès de l’employeur le montant de la majoration du capital ou de la rente d’accident du travail attribuée à la victime en raison de la faute inexcusable de l’employeur, son action ne peut s’exercer que dans les limites tenant à l’application du taux notifié à celui-ci conformément à l’article R. 434-32 du code de la sécurité sociale, soit en l’espèce 35 %.

La caisse primaire d’assurance maladie du Rhône, qui assure en outre l’avance des frais d’expertise et des indemnisations ci-dessus allouées à monsieur [U] [J], sous déduction de la provision de 5 000 euros précédemment accordée, pourra en poursuivre le recouvrement à l’encontre de la société [3] sur le fondement de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale.

3. Sur les dépens, les frais irrépétibles et l’exécution provisoire

Les dépens sont mis à la charge de la société [3].

En outre, l’équité commande d’allouer à monsieur [U] [J] une indemnité de 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Enfin, s’agissant des décisions rendues en matière de sécurité sociale, l’exécution provisoire est facultative, en application de l’article R.142-10-6 du code de la sécurité sociale.

En l’espèce, l’exécution provisoire, compatible avec la nature de la décision et l’ancienneté du litige, sera ordonnée à hauteur des deux tiers des sommes allouées au titre de l’indemnisation des préjudices et intégralement sur la somme allouée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort,

Vu le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Lyon du 7 juillet 2021,
Vu le rapport d’expertise du docteur [D] [T] du 24 février 2022,
Vu le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Lyon du 4 avril 2023 ;
Vu le rapport d’expertise du docteur [Z] [O] du 23 janvier 2024 ;

Déboute monsieur [U] [J] de sa demande indemnitaire formée au titre de la perte de revenus ;

Déboute monsieur [U] [J] de sa demande indemnitaire formée au titre de la perte de chance de promotion professionnelle ;

Déboute monsieur [U] [J] de ses demandes indemnitaires formées au titre des souffrances physiques et morales post consolidation ;

Fixe le montant des indemnités revenant à monsieur [U] [J] aux sommes suivantes :

– 10 100 euros au titre de l’assistance par une tierce personne ;
– 3 727,10 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
– 7 000 euros au titre des souffrances endurées ;
– 3 000 euros au titre du préjudice d’agrément ;
– 2 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;
– 4 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;
– 1 000 euros au titre du préjudice sexuel ;
– 80 550 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

Dit qu’il convient de déduire la provision allouée à hauteur de 5 000 euros, soit un solde à régler de 106 377,10 euros ;

Dit que la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône doit faire l’avance de la majoration de la rente, du solde des sommes revenant à la victime en réparation de ses préjudices, ainsi que des frais d’expertise et qu’elle dispose du droit d’en recouvrer le montant auprès de la société [3], dans les limites tenant à l’application du taux de 35 % concernant la majoration de la rente ;

Condamne la société [3] aux dépens de l’instance ;

Condamne la société [3] à payer à monsieur [U] [J] la somme de 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement à hauteur des deux tiers des sommes allouées au titre de l’indemnisation des préjudices et intégralement sur la somme allouée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ainsi jugé et mis à disposition au greffe du tribunal le 5 février 2025 et signé par le président et la greffière.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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