Responsabilité de l’agent immobilier dans la vérification des droits de vente

·

·

Responsabilité de l’agent immobilier dans la vérification des droits de vente

L’Essentiel : La SCI Mill’s a mandaté la SAS Propriétés Privées pour vendre une maison, signant un compromis de vente avec des acquéreurs en juin 2021. Après un refus de prêt, la SAS a déclaré le compromis caduc. En novembre, la SCI a mis en demeure l’agence pour un préjudice lié à une erreur d’identité dans le compromis. En avril 2022, la SCI a assigné la SAS en justice, réclamant des dommages. Le tribunal a jugé que la SCI n’avait pas vérifié correctement l’identité du vendeur, déboutant ainsi ses demandes et condamnant la SCI aux dépens.

Mandat de vente et compromis

La SCI Mill’s a mandaté la SAS Propriétés Privées le 30 décembre 2020 pour vendre une maison à usage d’habitation. Un compromis de vente a été signé le 10 juin 2021 entre la SCI Mill’s, représentée par son gérant, et des acquéreurs, Monsieur [G] [T] et Madame [W] [Z], pour un montant de 250 000 euros, avec des honoraires de 9 975 euros à la charge du vendeur. Le compromis incluait plusieurs conditions suspensives, notamment l’obtention d’un financement, ainsi qu’une clause pénale de 25 000 euros.

Refus de prêt et communication des refus

Le 2 juillet 2021, Monsieur [T] a informé l’agence immobilière que sa demande de prêt avait été refusée, sans attestation de refus fournie. Le 9 juillet, le gérant de la SCI Mill’s a demandé aux acquéreurs de communiquer les refus de prêt. Le 13 août, la SAS Propriétés Privées a transmis une attestation de refus de prêt, indiquant que le compromis était caduc en raison de la non-réalisation de la condition suspensive.

Mise en demeure et préjudice allégué

Le 25 novembre 2021, la SCI Mill’s a mis en demeure la SAS Propriétés Privées de verser 25 000 euros pour le préjudice subi, en raison d’une erreur sur l’identité du propriétaire dans le compromis. La SCI a soutenu que cette erreur l’empêchait de réclamer le paiement de la clause pénale. En réponse, l’assureur de la SAS a contesté le lien de causalité entre la faute alléguée et l’absence de recours contre les acquéreurs.

Assignation en justice

Le 8 avril 2022, la SCI Mill’s a assigné la SAS Propriétés Privées devant le tribunal judiciaire de Nantes, demandant le paiement de 73 225,80 euros, incluant la somme de 25 000 euros pour le préjudice. Elle a soutenu que l’agence immobilière avait commis une faute en ne vérifiant pas l’identité du propriétaire.

Arguments de la SAS Propriétés Privées

La SAS Propriétés Privées a demandé au tribunal de constater que la faute alléguée était due à la négligence de la SCI Mill’s, qui avait signé le compromis en indiquant incorrectement le vendeur. Elle a également soutenu que la condition suspensive de financement avait échoué en raison de l’incapacité des acquéreurs à obtenir un prêt. En cas de préjudice, elle a argué qu’il ne s’agissait que d’une perte de chance.

Responsabilité de l’agence immobilière

Le tribunal a rappelé que l’agent immobilier doit s’assurer de l’efficacité juridique des actes qu’il rédige et vérifier les droits de ses mandants. Dans ce cas, la confusion entre les deux sociétés gérées par Monsieur [C] [N] a été déterminante. Le tribunal a noté que la SCI Mill’s n’avait pas fourni les informations nécessaires pour identifier correctement le vendeur et n’avait pas alerté l’agence sur le risque de confusion.

Décision du tribunal

Le tribunal a débouté la SCI Mill’s de toutes ses demandes à l’égard de la SAS Propriétés Privées, considérant que la SCI n’avait pas rempli ses obligations de mandant. En conséquence, la SCI Mill’s a été condamnée aux dépens et à verser 3 000 euros à la SAS Propriétés Privées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la responsabilité de l’agence immobilière dans la rédaction du compromis de vente ?

L’agence immobilière, en tant que professionnelle de l’immobilier, a l’obligation de s’assurer de l’efficacité juridique des actes qu’elle rédige. Selon l’article 1103 du Code civil, « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ». Cela implique que l’agent immobilier doit vérifier les droits de ses mandants pour vendre le bien, sans se contenter des déclarations de ces derniers.

De plus, l’article 1112-1 du Code civil stipule que « celui qui négocie un contrat doit informer l’autre partie des éléments d’information dont il dispose et qui sont déterminants pour le consentement de celle-ci ». Ainsi, l’agent immobilier ne peut se décharger de son obligation d’information et de conseil, même si les parties sont assistées d’un conseil.

Dans cette affaire, la SAS Propriétés Privées a désigné la SCI Mill’s Paris comme vendeur, alors que le bien appartenait à la SCI Mill’s. Malgré les alertes du notaire concernant l’identité du propriétaire, l’agence n’a pas corrigé cette erreur. Cela constitue une négligence dans l’exécution de ses obligations.

En conséquence, la responsabilité de l’agence immobilière peut être engagée pour avoir manqué à ses obligations de vérification et d’information, ce qui a conduit à la nullité du compromis de vente.

Quelles sont les conséquences de l’erreur sur l’identité du propriétaire dans le compromis de vente ?

L’article 1599 du Code civil précise que « la vente est parfaite entre les parties, et elle leur est opposable, dès qu’il y a accord sur la chose et sur le prix ». Cependant, une erreur sur l’identité du vendeur peut entraîner la nullité du contrat. En effet, l’article 1130 du Code civil stipule que « le vice du consentement peut résulter de l’erreur ».

Dans le cas présent, la SCI Mill’s a soutenu que l’erreur sur l’identité du propriétaire a rendu le compromis caduc, l’empêchant de se prévaloir de la clause pénale. La nullité du compromis a été invoquée en raison de l’absence de consentement éclairé, puisque l’identité du cédant était incorrecte.

Il est important de noter que la SCI Mill’s, en tant que mandante, avait également une obligation de vigilance. L’article 1104 du Code civil impose que « les contrats doivent être exécutés de bonne foi ». La SCI Mill’s n’a pas alerté l’agence immobilière sur la confusion entre les deux sociétés, ce qui a contribué à l’erreur.

Ainsi, bien que l’erreur sur l’identité du propriétaire puisse entraîner la nullité du compromis, la responsabilité de la SCI Mill’s dans cette confusion ne peut être ignorée. Cela peut limiter sa capacité à revendiquer des dommages et intérêts.

Comment la clause pénale est-elle applicable en cas de nullité du contrat ?

La clause pénale est un mécanisme contractuel qui prévoit une indemnité en cas d’inexécution d’une obligation. Selon l’article 1231-1 du Code civil, « la partie qui ne s’exécute pas est tenue de réparer le préjudice causé par son inexécution ». Toutefois, si le contrat est déclaré nul, la clause pénale ne peut pas être appliquée.

Dans cette affaire, la SCI Mill’s a demandé le paiement de la clause pénale de 25 000 euros, arguant que si le compromis avait été valide, elle aurait pu l’exiger. Cependant, la nullité du compromis, due à l’erreur sur l’identité du propriétaire, empêche l’application de cette clause.

L’article 1231-5 du Code civil précise que « la clause pénale est réputée non écrite si elle est manifestement excessive ». Même si la clause pénale avait été valide, la SCI Mill’s aurait dû prouver l’existence d’un préjudice réel résultant de l’inexécution, ce qui est contesté par la SAS Propriétés Privées.

En conclusion, la nullité du contrat empêche la SCI Mill’s de revendiquer le paiement de la clause pénale, car celle-ci est intrinsèquement liée à la validité du contrat.

A.D

F.C

LE 16 JANVIER 2025

Minute n°25/11

N° RG 22/01718 – N° Portalis DBYS-W-B7G-LRTH

S.C.I. MILL’S

C/

S.A.S. PROPRIETES PRIVEES

Le 16/01/2025

copie exécutoire
copie certifiée conforme
délivrée à
Me LEPHILIBERT – CP348

copie certifiée conforme
délivrée à
Me LE GRATIET – CP184

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
———————————————-

PREMIERE CHAMBRE

Jugement du SEIZE JANVIER DEUX MIL VINGT CINQ

Composition du Tribunal lors des débats et du délibéré :

Président : Marie-Caroline PASQUIER, Vice-Présidente,
Assesseur : Florence CROIZE, Vice-présidente,
Assesseur : Nadine GAILLOU, Magistrate honoraire,

Greffier : Audrey DELOURME

Débats à l’audience publique du 12 NOVEMBRE 2024 devant Marie-Caroline PASQUIER, vice-présidente, siégeant en juge rapporteur, sans opposition des avocats, qui a rendu compte au Tribunal dans son délibéré.

Prononcé du jugement fixé au 16 JANVIER 2025, date indiquée à l’issue des débats.

Jugement Contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe.

—————

ENTRE :

S.C.I. MILL’S, dont le siège social est sis [Adresse 2]
Représentée par Maître Fabienne LE GRATIET de la SELARL MAITRE FABIENNE LE GRATIET, avocats au barreau de NANTES, avocate postulant
et par Maître Jérémy HANNARD, avocat au barreau d’AMIENS, avocat plaidant

DEMANDERESSE.

D’UNE PART

ET :

S.A.S. PROPRIETES PRIVEES, dont le siège social est sis [Adresse 4]
Représentée par Maître Garance LEPHILIBERT de la SARL MENSOLE AVOCATS, avocats au barreau de NANTES

DEFENDERESSE.

D’AUTRE PART

EXPOSE DU LITIGE

Par mandat du 30 décembre 2020 d’une durée de neuf mois, la SCI Mill’s a chargé la SAS Propriétés Privées de vendre une maison à usage d’habitation sise [Adresse 1], cadastrée section [Cadastre 5].

Suivant acte sous seing privé du 10 juin 2021 rédigé par la SAS Propriétés Privées, la SCI Mill’s Paris, représentée par son gérant, Monsieur [C] [N], a conclu un compromis de vente avec Monsieur [G] [T] et Madame [W] [Z], en vue de la vente de cette maison, moyennant le prix de 250 000 euros, outre les honoraires de négociation de l’agence immobilière, d’un montant de 9 975 euros à la charge du vendeur. Plusieurs conditions suspensives étaient prévues, dont celle d’obtention d’un financement. Il était stipulé à l’acte une clause pénale d’un montant de 25 000 euros.

Par courrier du 2 juillet 2021, M. [T] a informé l’agence immobilière que la demande de prêt qu’il avait présentée avec celle dont il est aujourd’hui en instance de séparation avait été refusée par leur agence immobilière. Il précisait que celle-ci refusait de leur fournir une attestation de refus de prêt, aucun dossier n’ayant été constitué.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 juillet 2021, le gérant de la SCI Mill’s, M. [C] [N], a sollicité auprès de M. [T] et de Mme [Z] la communication des refus de prêt.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 août 2021, la SAS Propriétés Privées a transmis à la SCI Mill’s Paris une attestation de refus de prêt. Elle indiquait que la condition suspensive d’obtention d’un prêt n’étant pas réalisée, le compromis est caduc. Elle rappelait que l’acquéreur n’avait pas versé le dépôt de garantie prévu dans le compromis.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 novembre 2021, la SCI Mill’s, par l’intermédiaire de son conseil, a mis en demeure la SAS Propriétés Privées de lui verser la somme de 25 000 euros, en réparation du préjudice subi du fait de l’impossibilité de réclamer à M. [T] et à Mme [Z] le paiement de la clause pénale, en raison de l’erreur qu’elle qualifie de grossière sur l’identité du propriétaire du bien immobilier dans le compromis. En effet, l’acte mentionne en qualité de cédant la SCI Mill’s Paris, alors que le bien est détenu par la SCI Mill’s.

Par courrier du 15 décembre 2021, la société de courtage d’assurance et de réassurance Gras Savoye, intervenant en qualité de courtier du contrat d’assurance responsabilité civile professionnelle des agents immobiliers adhérents à GALIAN et pour le compte de la société d’assurance MMA, assureur au titre de la police n° 120.137.405, a indiqué en réponse qu’à supposer qu’une faute aurait été commise, le lien de causalité entre cette prétendue faute et l’absence de recours contre les candidats acquéreurs pour obtenir le règlement de la clause pénale n’est pas établi, dès lors que ces derniers ont effectué des démarches auprès des établissements bancaires par l’intermédiaire de leur courtier. Elle rappelait par ailleurs que l’agence immobilière ne saurait être tenue au règlement de la clause pénale.

La SCI Mill’s a dès lors, par acte du 8 avril 2022, assigné la SAS Propriétés Privées devant le tribunal judiciaire de Nantes en paiement de la somme de 73 225,80 euros en paiement de la somme de 25 000 euros au titre de la réparation du préjudice découlant de la faute commise par l’agence immobilière dans la rédaction du compromis sur l’identification du propriétaire du bien.

En l’état de ses dernières conclusions signifiées par RPVA le 14 mars 2023, la SCI Mill’s demande au tribunal, sur le fondement des articles 1103, 1104 et 1231-1 du code civil,
de :

• Déclarer ses demandes recevables et bien fondées ;

Et en conséquence,
• Débouter la société Propriétés Privées de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
• Condamner la SAS Propriétés Privées à lui payer la somme de 25 000 euros ;
• Condamner la SAS Propriétés Privées aux dépens avec droit pour Maître Fabienne Le Gratier de se prévaloir des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
• Condamner la SAS Propriétés Privées à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
• Rappeler l’exécution provisoire de droit du jugement à intervenir.

Elle soutient qu’en sa qualité de professionnelle de l’immobilier et de rédacteur du compromis, il appartenait à la SAS Propriétés Privées de vérifier l’identité du propriétaire du bien immobilier cédé. Elle en conclut que la société défenderesse a commis une faute dans l’exécution de ses obligations, en ce que dans le compromis, elle a désigné la SCI Mill’s Paris, au lieu de la SCI Mill’s, comme propriétaire du bien. Elle fait observer que le notaire en charge du suivi juridique de la SCI Mill’s avait appelé l’attention de l’agence immobilière par courriel du 9 juin 2021 sur la véritable identité du propriétaire du bien dont la cession était envisagée et que lui ont été transmis les statuts ainsi que le procès-verbal de l’AG l’autorisant à signer le compromis de cession. Elle estime que la SAS Propriétés Privées avait ainsi tous les moyens pour accomplir sa mission. Elle expose que cette faute a pour conséquence la nullité du compromis de cession en application de l’article 1599 du code civil, de sorte qu’elle est aujourd’hui dans l’incapacité de se prévaloir du compromis à l’égard des acquéreurs, et en particulier de la clause pénale qui y est insérée.

Elle assure que si l’acte avait été valable, elle aurait été en droit de se prévaloir de ladite clause pénale et d’être indemnisée à hauteur de 25 000 euros. Elle fait valoir que les acquéreurs étaient triplement fautifs, pour ne pas avoir accompli de démarche concrète dans le délai d’un mois auprès des banques pour l’obtention d’un financement, pour disposer d’un dossier rendant impossible sa présentation auprès d’un établissement bancaire et ce, en contrariété avec leurs déclarations reprises dans le compromis et pour n’avoir transmis aucune offre ou refus de prêt dans le délai de 60 jours. Elle conteste que le courrier du courrier du 5 juillet 2021 puisse constituer un refus de prêt, en ce qu’il signifie qu’aucune demande de prêt n’a été présentée auprès des banques.

En réponse aux moyens articulés par la société défenderesse, la SCI Mill’s soutient que la SAS Propriétés Privées connaissait l’identité du détenteur du bien immobilier, de sorte qu’aucun grief ne peut lui être formulé sur le fondement de l’article 1112-1 du code civil. Elle reproche à la SAS Propriétés Privées, pourtant informée dans un courriel du 9 juin 2021, préalablement à la signature du compromis, par le notaire qu’elle avait commis une erreur d’identité s’agissant du cédant, d’avoir refusé de modifier le compromis. Elle entend rappeler enfin qu’elle est une société civile immobilière familiale, et non un professionnel de l’immobilier, de sorte qu’aucun devoir de procéder au contrôle des actes de la SAS Propriétés Privées ne saurait lui être imputé. Elle conteste par ailleurs que la SAS Propriétés Privées ait pu ignorer l’existence du courriel de l’étude notariale en charge de ses intérêts, dès lors que ce message a été adressé à Madame [O] [L], la seule interlocutrice connue et chargée de récolter les informations relatives à la rédaction du compromis.
Sur le préjudice, la SCI Mill’s conteste que la condition suspensive de financement aurait défailli, les acquéreurs s’étant bornés à communiquer un courriel de complaisance émanant d’un courtier, qui n’a pas vocation à se substituer à une décision de refus de financement émanant d’un organisme bancaire. Elle précise avoir engagé une procédure qu’elle a suspendue, après s’être aperçue de l’erreur de propriétaire affectant le compromis. Elle rappelle que la clause pénale doit être exécutée dans son intégralité, indépendamment du préjudice réellement subi par la victime de l’inexécution. Il importe dès lors peu selon elle qu’elle ait vendu le bien quelques mois plus tard, ce qu’elle ne conteste pas, de sorte que la production de l’acte de vente ne lui paraît pas utile. Elle estime que la SAS Propriétés Privées ne peut invoquer le caractère excessif de la clause pénale, qu’elle a elle-même proposé. Elle tient par ailleurs à préciser que le bien a finalement été vendu 237 500 euros, soit une différence de 2 525 euros, auquel s’ajoute le temps pour vendre le bien, qui était inoccupé et avait vocation à être loué. Elle entend rappeler qu’elle ne sollicite pas l’indemnisation du préjudice tiré d’une perte de chance, ayant été privée de la possibilité le bénéfice de la clause pénale stipulée, alors que l’insolvabilité des acquéreurs, qui ont versé une indemnité d’immobilisation d’un montant de 12 500 euros et qui ont tous les deux déclaré être fonctionnaires, ne peut être présumée. Elle fait observer que la SAS Propriétés Privées, qui prétend que le dépôt de garantie ne lui aurait jamais été versé, ne l’en a jamais avisé, ce qui démontrerait, si l’absence de versement était avérée, une nouvelle lacune.

*
* *

Dans le dernier état de ses conclusions communiquées par la voie électronique le 23 mai 2023, la SAS Propriétés Privées demande au tribunal, au visa des articles 1112-1 et 1231-5 du code civil, de :

Avant dire droit
• Enjoindre à la société Mill’s de produire l’acte de vente authentique du 11 septembre 2021, portant sur l’immeuble sis [Adresse 1] ;

A titre principal,
• Dire et juger que la supposée faute qu’elle aurait commise n’a été la résultante que de la négligence de la société Mill’s, laquelle a notamment apposé par deux fois sa signature sur un compromis de vente indiquant clairement que le vendeur était la SCI Mill’s Paris ;
• Constater au surplus que le compromis de vente était affecté d’une condition suspensive de financement, instaurée au profit des acquéreurs, laquelle condition a défailli faute pour ces derniers d’obtenir le moindre financement ;
• Débouter en conséquence la société Mill’s de l’intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire,
• Dire et juger que le préjudice invoqué par la société Mill’s ne constitue qu’une perte de chance d’obtenir le versement d’une indemnité d’immobilisation par les consorts [T] et [Z] ;
• Constater que cette perte de chance est affectée par l’ussue d’une procédure contentieuse que la SCI Mill’s aurait dû mener contre ces derniers, outre par l’état de fortune des consorts [T] et [Z] ;
• Dire et juger en conséquence que la perte de chance alléguée est inconsistante ;
• Débouter la SCI Mill’s de l’intégralité de ses demandes ;

En tout état de cause,
• Condamner la SCI Mill’s à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
• Condamner la même aux entiers dépens de l’instance.

Elle soutient en premier lieu que la situation dont la SCI Mill’s entend tirer un principe de préjudice n’est la résultante que de sa propre négligence. Elle fait tout d’abord observer que lors de la signature du compromis, le gérant de la SCI Mill’s ne pouvait ignorer l’erreur commise, dès lors que la désignation de la société était indiquée à plusieurs égards et qu’il a apposé par deux fois sa signature sous l’appellation « SCI Mill’s Paris ». Elle relève ensuite que les documents qui lui ont été remis par la SCI Mill’s ne laissent à aucun moment transparaître cette duplicité de personnes morales, ayant une dénomination sociale très proche, un siège social identique, des associés identiques et un gérant commun et que la SCI Mill’s ne lui a jamais fait part de ce risque de confusion. Elle conteste en outre avoir été alertée par le notaire de la société Mill’s de cette problématique, soulignant que, d’une part, le courrier a été adressé au seul négociateur immobilier, alors qu’il n’était pas chargé de la rédaction du compromis, et, d’autre part, ce courriel est daté du 9 juin après-midi, soit la veille de la date de signature du compromis, alors que les documents étaient sollicités depuis le mois de mai. Elle soutient au contraire que l’erreur a été entretenue par le notaire de la SCI Mill’s qui lui a transmis des documents concernant la SCI Mill’s Paris. Elle fait enfin valoir qu’il appartenait au gérant de la SCI Mill’s de lire attentivement le compromis soumis à son approbation et à sa signature. Elle précise que la venderesse est un professionnel de l’immobilier, au regard de son objet social. Elle en conclut que la faute commise n’a pu qu’être provoquée par le manque de diligences de la société Mill’s elle-même.

La SAS Propriétés Privées conteste en second lieu l’existence d’un préjudice réel. Elle estime, d’une part, que la condition suspensive était défaillie, faute de possibilité pour les acquéreurs d’obtenir un financement, compte tenu de leur taux d’endettement supérieur à 35%. Elle soutient, d’autre part, que la SCI Mill’s n’a jamais exprimé la moindre velléité d’obtenir le règlement d’une quelconque indemnité. Elle fait enfin valoir que le succès de la demande indemnitaire sur le fondement de la clause pénale stipulée dans le compromis supposait la démonstration de l’existence d’un préjudice consécutif à l’immobilisation du bien. Elle souligne que le bien n’a, dans les faits, été immobilisé qu’un mois.

A titre subsidiaire, la SAS Propriétés Privées soutient que le supposé préjudice subi n’est constitué que d’une perte de chance d’obtenir le versement d’une indemnité d’immobilisation. Elle soutient, d’une part, que l’issue d’une action menée à l’encontre des acquéreurs comprenait un aléa important, au regard de leur taux d’endettement important. Elle rappelle que l’indemnité d’immobilisation est réductible et qu’au regard de l’immobilisation limitée à un mois du bien, il est très probable que le montant de l’indemnité d’immobilisation aurait été réduit de manière significative. Elle fait observer que le bien a été vendu seulement trois mois après la signature du compromis de vente avec M. [T] et Mme [Z] et que l’acte de vente authentique a été signé le 11 septembre 2021, soit dix jours seulement après la date fixée pour la réitération de la promesse consentie à M. [T] et Mme [Z]. Elle fait valoir, d’autre part, que M. [T] et Mme [Z] sont dans l’impossibilité de régler une somme de 25 000 euros, au regard de leur taux d’endettement et de leur séparation.

*
* *

Au-delà de ce qui a été repris pour les besoins de la discussion et faisant application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs dernières conclusions susvisées.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 10 septembre 2024.

MOTIFS

Sur la responsabilité de l’agence immobilière

L’agent immobilier, négociateur et rédacteur d’un acte, est tenu de s’assurer l’efficacité juridique de ce dernier et doit s’assurer que se trouvent réunies toutes les conditions nécessaires à l’efficacité juridique de l’acte auquel il prête son concours.

Dès le stade du mandat, l’agence immobilière, en tant que professionnelle de l’immobilier, doit ainsi vérifier les droits de ses mandants pour vendre le bien, sans pouvoir se contenter des déclarations de ces derniers.

L’agent immobilier, rédacteur d’acte, n’est pas déchargé de son obligation d’information et de conseil à l’égard des parties par les compétences personnelles de celles-ci ou par le fait qu’elles soient assistées d’un conseil.

Force est de constater qu’en l’espèce le compromis régularisé le 10 juin 2021 rédigé par la SAS Propriétés Privées, désigne en qualité de vendeur du bien immobilier la SCI Mill’s Paris, dont le siège est [Adresse 2], identifiée au SIREN sous le numéro 4405699556 et immatriculée au RCS de Compiègne. Son gérant est Monsieur [C] [N].

Il est mentionné dans l’acte que ce dernier est présent lors de sa signature et qu’il a reçu pouvoir par une assemblée générale extraordinaire du 9 juin 2021, annexé à l’acte.

Dans le paragraphe relatif aux signatures, il est indiqué : « Signatures […] VENDEUR SCI Mill’s Paris représentée par Monsieur [C], [H] [N] ».

Or, il ressort du procès-verbal de l’assemblée générale de la SC Mill’s du 9 juin 2021, dont le siège social est [Adresse 2], immatriculée au RCS de Compiègne sous le numéro 433 764 289, dont le gérant est Monsieur [C] [N], que la maison d’habitation sise [Adresse 1], cadastrée section [Cadastre 5], lui appartient.

Par message électronique du 22 mai 2021, dont l’objet est « doosier SCI MILLS » (sic), Mme [O] [L], qui se présente comme animatrice et conseillère en immobilier au sein de la SAS Propriétés Privées, a sollicité auprès d’[B] [X], travaillant au sein de la SCP Cécile Martin-Bénard et Anne-Caroline Blaise, notaires à [Localité 3], des informations concernant la SCI Mills, notamment ses statuts, ses associés et ses coordonnées.

Par message du 5 juin 2021, Mme [O] [L] a relancé M. [B] [S] pour connaître l’imposition de la société.

Celui-ci lui a répondu le 9 juin 2021, soit la veille de la signature du compromis, en lui transmettant le procès-verbal de l’AG de la SC Mill’s ainsi que les statuts à jour. Il précisait : « Vous voudrez bien noter que le propriétaire est la SC Mill’s et non SCI Mill’s Paris ».

Toutefois, la SAS Propriétés Privées démontre que par message électronique du 27 mai 2021, l’étude notariale, en la personne de Mme [D] [K], avait transmis à Mme [L] les statuts de la SCI Mill’s, dont il s’avère qu’il s’agissait de ceux de la SC Mill’s Paris.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que M. [N] était le gérant de deux sociétés, dont la dénomination était proche et dont le siège social était identique. Il ne pouvait ignorer le risque de confusion existant entre les deux sociétés, qui a d’ailleurs induit en erreur son propre notaire, et ce d’autant plus qu’au vu des objets des deux sociétés dont il est gérant, à savoir l’acquisition, la gestion et l’exploitation d’immeubles, et plus généralement « toutes opérations quelconques de caractère mobilier ou immobilier », ces sociétés sont considérées comme des professionnels de l’immobilier et que M. [N] se présente dans les statuts des deux sociétés comme gérant de sociétés. Il s’ensuit qu’il se devait d’être particulièrement vigilant en apposant sa signature sur le compromis de vente, ce qu’il n’a pas fait, puisqu’à deux endroits, il est expressément mentionné qu’il intervient à l’acte en qualité gérant de la SCI Mill’s Paris, y compris juste avant sa signature.

Ainsi, la SCI Mill’s qui n’a pas fourni en temps utile les pièces nécessaires à l’identification exacte du vendeur, qui n’a pas appelé l’attention de l’agence immobilière sur l’existence de deux sociétés dont la dénomination pouvait entraîner une confusion et qui n’a pas fait preuve de vigilance lors de la signature du compromis, n’a pas rempli ses obligations de mandant, ce qui exclut la faute de l’agence immobilière. Elle ne démontre par ailleurs pas avoir demandé à l’agence immobilière, postérieurement à la signature du compromis, de modifier ledit acte.

En conséquence, elle sera déboutée de ses demandes à l’égard de la SAS Propriétés Privées.

Sur les autres demandes

Succombant, la SCI Mill’s sera condamnée aux dépens. Elle ne peut dès lors prétendre à l’octroi d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Il apparaît équitable qu’elle soit condamnée à prendre en charge les frais que la SAS Propriétés Privées a dû engager pour se défendre, évalués à 3 000 euros chacun.

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement mis à disposition, contradictoire, et en premier ressort,

REJETTE l’intégralité des demandes présentées par la SCI Mill’s, y compris sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SCI Mill’s à verser à la SAS Propriétés Privées la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SCI Mill’s aux dépens de la présente instance.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,

Audrey DELOURME Marie-Caroline PASQUIER


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon