Responsabilité contractuelle et caducité d’un engagement de vente immobilière

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Responsabilité contractuelle et caducité d’un engagement de vente immobilière

L’Essentiel : La société Financière Maestria, représentée par M. [T] [R], a signé un compromis de vente avec M. [G] [F] et Mme [B] [Y] pour un immeuble de bureaux. En raison de retards dans l’obtention du financement, la signature de l’acte authentique a été reportée. Après un refus de crédit, les époux ont renoncé à l’achat, entraînant une demande d’indemnité de 20 000 euros de la part de Maestria. Le tribunal a initialement condamné les époux à verser des dommages et intérêts, mais la cour d’appel a infirmé ce jugement, constatant la caducité de la vente due à la non-obtention du financement.

Contexte de l’affaire

La société Financière Maestria, dirigée par M. [T] [R], possédait un immeuble à usage de bureau situé à [Adresse 3]. Le 12 mai 2021, elle a signé un compromis de vente avec M. [G] [F] et son épouse, Mme [B] [Y], pour un montant total de 595 000 euros, incluant des frais d’agence et de notaire. La vente était conditionnée à l’obtention d’un financement d’au moins 850 000 euros avant le 12 juillet 2021, avec une réitération de la vente prévue au plus tard le 30 juillet 2021.

Retards et renoncements

En raison de retards dans l’obtention du financement, les parties ont convenu de reporter la signature de l’acte authentique au 31 août 2021, avec un dédommagement de 5 000 euros à verser par les époux [F]. Après un refus de crédit de la banque le 25 août 2021, les époux ont informé la société Financière Maestria le 23 septembre 2021 de leur renonciation à l’achat, invoquant l’annulation de la promesse de vente.

Demandes de la société Financière Maestria

La société Financière Maestria a alors réclamé une indemnité de 20 000 euros, puis a mis en demeure les époux de justifier leur demande de prêt ou de confirmer leur renonciation. En décembre 2021, elle a assigné les époux en justice pour obtenir des dommages et intérêts de 59 500 euros, correspondant à 10 % du prix de vente, en raison de la caducité du compromis.

Jugement du tribunal judiciaire

Le tribunal judiciaire de Reims a rendu son jugement le 28 novembre 2023, condamnant solidairement M. [G] [F] et Mme [B] [Y] à verser 59 500 euros à la société Financière Maestria, ainsi que 3 000 euros au titre de l’article 700 du CPC. Les époux ont contesté ce jugement, arguant de la caducité du compromis en raison de la non-obtention du financement.

Appel et décisions ultérieures

Les époux [F] ont interjeté appel le 19 décembre 2023, demandant la suspension de l’exécution provisoire, qui a été rejetée. Ils ont soutenu qu’ils n’avaient commis aucune faute et que la somme demandée était excessive. La société Financière Maestria a, quant à elle, demandé la confirmation du jugement initial.

Analyse des diligences des emprunteurs

La cour a examiné les diligences des époux [F] dans leur recherche de financement, notant qu’ils avaient contacté la banque avant la signature du compromis. Bien que la demande de prêt ait été déposée après le délai contractuel, la cour a estimé que les époux n’avaient pas fait preuve de négligence, car le retard dans la fourniture des documents nécessaires ne pouvait leur être imputé.

Conclusion de la cour d’appel

La cour a infirmé le jugement du tribunal judiciaire, constatant que la défaillance de la condition suspensive avait entraîné la caducité de la vente. Elle a conclu que les époux [F] n’avaient pas commis de faute empêchant la réalisation de la condition suspensive et a débouté la société Financière Maestria de sa demande de dommages et intérêts. La société a également été condamnée à verser 2 000 euros aux époux au titre des frais irrépétibles.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la nature de la condition suspensive dans le compromis de vente ?

La condition suspensive dans le compromis de vente est définie par l’article 1304-1 du Code civil, qui stipule que « la condition suspensive est celle qui suspend l’existence d’une obligation jusqu’à la réalisation d’un événement futur et incertain ».

Dans le cas présent, le compromis de vente signé le 12 mai 2021 entre la société Financière Maestria et les époux [F] était soumis à la condition suspensive de l’obtention d’un financement.

Cette condition stipule que les acquéreurs devaient obtenir une ou plusieurs offres de prêt d’un montant total minimum de 850 000 euros avant le 12 juillet 2021.

Le non-respect de cette condition a conduit à la caducité de la vente, conformément à l’article 1304-6 alinéa 3 du Code civil, qui précise que « la défaillance d’une condition suspensive a pour sanction la caducité de la vente ».

Ainsi, la vente est devenue caduque lorsque les époux [F] n’ont pas pu obtenir le financement requis dans le délai imparti.

Quelles sont les conséquences de la caducité du compromis de vente ?

La caducité du compromis de vente entraîne plusieurs conséquences juridiques, notamment en ce qui concerne les obligations des parties. Selon l’article 1304-3 du Code civil, « la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l’accomplissement ».

Dans le cas présent, la société Financière Maestria a invoqué la caducité du compromis de vente en raison du manquement des époux [F] à leurs obligations contractuelles.

Le compromis prévoyait que si l’acquéreur ne procédait pas au dépôt de fonds ou ne manifestait pas son intention de signer dans le délai convenu, le vendeur pouvait choisir de considérer la convention comme caduque.

Dans ce cas, l’acquéreur devait payer au vendeur une somme équivalente à 10 % du prix total convenu à titre de dommages et intérêts.

Cependant, le tribunal a constaté que les époux [F] n’avaient pas commis de faute de nature à empêcher la réalisation de la condition suspensive, ce qui a conduit à l’infirmation de la demande de la société Financière Maestria.

Comment la négligence des acquéreurs a-t-elle été évaluée par le tribunal ?

Le tribunal a évalué la négligence des acquéreurs en se basant sur les diligences qu’ils avaient entreprises pour obtenir le financement. Selon l’article 1304-3 du Code civil, la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l’accomplissement.

Dans cette affaire, la société Financière Maestria a reproché aux époux [F] de ne pas avoir déposé leur demande de prêt dans le délai contractuellement stipulé et d’avoir sollicité un seul établissement de crédit.

Cependant, le tribunal a constaté que M. [F] avait contacté le Crédit agricole dès le 5 mai 2021 et que le retard dans la fourniture des documents nécessaires à la banque ne pouvait pas être imputé à une négligence des époux.

De plus, le tribunal a noté qu’aucune disposition légale n’imposait aux acquéreurs de déposer une demande de crédit dans un certain délai, ce qui a conduit à conclure que les époux [F] avaient agi de manière diligente dans leurs démarches.

Ainsi, le tribunal a jugé qu’il n’y avait pas de faute de la part des acquéreurs, ce qui a conduit à l’infirmation de la demande de dommages et intérêts de la société Financière Maestria.

Quelles sont les implications de la clause pénale dans le compromis de vente ?

La clause pénale dans le compromis de vente est une disposition qui prévoit une sanction en cas de non-respect des obligations contractuelles. Selon l’article 1231-5 du Code civil, « la clause pénale est une stipulation par laquelle une partie s’engage à payer une somme d’argent déterminée en cas d’inexécution de son obligation ».

Dans le compromis de vente, il était stipulé que si l’acquéreur ne procédait pas à la réitération de l’acte notarié, il devait payer au vendeur une somme équivalente à 10 % du prix total convenu.

Cependant, le tribunal a jugé que la défaillance de la condition suspensive n’était pas due à une faute des époux [F], ce qui a conduit à l’inapplicabilité de la clause pénale.

Le tribunal a ainsi infirmé la demande de la société Financière Maestria de paiement de la somme de 59 500 euros, considérant que les époux [F] n’avaient pas empêché la réalisation de la condition suspensive et qu’ils avaient agi de manière diligente dans leurs démarches pour obtenir le financement.

Cette décision souligne l’importance de prouver la faute ou la négligence pour faire appliquer une clause pénale dans un contrat.

ARRET N°

du 26 novembre 2024

R.G : N° RG 23/01977 – N° Portalis DBVQ-V-B7H-FNUG

[F]

[Y]

c/

S.A.S.U. FINANCIERE MAESTRIA

Formule exécutoire le :

à :

la SELARL HBS

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 26 NOVEMBRE 2024

APPELANTS :

d’un jugement rendu le 28 novembre 2023 par le tribunal judiciaire de REIMS

Monsieur [G] [F]

Né le 18 août 1973 à [Localité 2]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Rudy LAQUILLE de la SELARL LAQUILLE ASSOCIÉS, avocat au barreau de REIMS

Madame [B] [Y] épouse [F]

Née le 26 mai 1971 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Rudy LAQUILLE de la SELARL LAQUILLE ASSOCIÉS, avocat au barreau de REIMS

INTIMEE :

La société FINANCIERE MAESTRIA, société par actions simplifiée à associé unique au capital de 1.752.920,00€, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de REIMS sous le n°539 772 335, dont le siège social est situé à [Adresse 3], prise en la personne de son président en exercice, domicilié de droit audit siège,

Représentée par Me Nicolas HÜBSCH de la SELARL HBS, avocat au barreau de REIMS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

Madame MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame PILON, conseillère, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées. Elles en ont rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre

Madame Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre

Madame Sandrine PILON, conseillère

GREFFIER :

Madame Jocelyne DRAPIER, greffière lors des débats

Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière lors de la mise à disposition

DEBATS :

A l’audience publique du 14 octobre 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 26 novembre 2024,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

La société Financière Maestria, ayant pour président M. [T] [R], était propriétaire d’un immeuble à usage de bureau sis [Adresse 3], composé d’un sous-sol à usage de cave, d’un rez-de-chaussée, d’un premier et deuxième étage, d’une cour à usage de jardin.

Le 12 mai 2021, la société Financière Maestria a signé un compromis de vente avec M. [G]

[F] et son épouse Mme [B] [Y] épouse [F] portant sur cet immeuble, aux fins d’y installer les bureaux de leur cabinet d’expertise comptable, moyennant le versement d’un prix en principal de 595 000 euros, outre 20 000 euros de frais d’agence et 42 000 euros de frais de notaire.

Le compromis a notamment été signé sous condition suspensive de l’obtention d’un financement au profit des époux [F], étant précisé que les acquéreurs devaient avoir obtenu une ou plusieurs offres de prêt d’un montant total minimum de 850 000 euros avant le 12 juillet 2021.

La réitération de la vente devait intervenir au plus tard le 30 juillet 2021.

Il était également prévu au compromis qu’au cas où l’acquéreur n’effectuerait pas le dépôt de fonds ou ne manifesterait pas son intention de signer dans le délai convenu, le vendeur pourrait à son choix :

– soit renoncer au bénéfice de la présente condition suspensive stipulée en sa faveur et poursuivre la réalisation de la vente dans les trois mois suivant la date limite prévue ci-dessus pour la réitération par acte authentique ;

– soit considérer la présente convention comme caduque, auquel cas l’acquéreur devra lui payer à titre de dommages et intérêts une somme équivalente à 10% du prix total convenu.

En raison d’un retard dans l’obtention du financement, les parties ont convenu de reporter la signature de l’acte authentique au plus tard au 31 août 2021 moyennant le versement par les époux [F] d’une indemnité de 5 000 euros au vendeur.

Après un refus de la banque d’octroyer le crédit, en date du 25 août 2021, et la recherche en vain d’un autre financement par M. et Mme [F], ces derniers ont finalement informé les vendeurs par courrier RAR du 23 septembre 2021 qu’ils renonçaient définitivement à acquérir le bien, et ont invoqué l’annulation subséquente de la promesse de vente.

Les parties ont échangé plusieurs courriers recommandés aux termes desquels la société Financière Maestria a :

– le 1er octobre 2021, sollicité amiablement le versement d’une indemnité de 20 000 euros, faute de quoi elle solliciterait l’exécution de la clause contractuelle mettant à la charge des acquéreurs une somme équivalente à 10% du prix de vente en l’absence de réitération de l’acte notarié,

– le 25 octobre 2021, mis en demeure les bénéficiaires de la promesse d’avoir à justifier de l’offre de prêt ou de faire part de leur renonciation à recourir à un prêt en exécution du compromis de vente ;

– par exploit d’huissier du 16 décembre 2021, enjoint aux consorts [F] de venir signer l’acte de vente le 22 décembre 2021 ;

– le 19 janvier 2022, mis en demeure M. et Mme [F] de lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 59 500 euros correspondant à 10% du prix de vente dans un délai de 8 jours.

Les époux [F] se sont opposés à l’ensemble de ces demandes en invoquant la caducité du compromis du 12 mai 2021 en raison de la non-obtention de leur financement.

La société Financière Maestria a finalement vendu son bien le 1er juin 2022.

C’est dans ce contexte que, suivant exploit d’huissier en date du 24 février 2023, la société Financière Maestria a assigné les consorts [F] en indemnisation de leur préjudice résultant de la caducité du compromis de vente du fait du manquement des acquéreurs à leurs obligations contractuelles.

Par jugement du 28 novembre 2023, le tribunal judiciaire de Reims a :

– condamné solidairement M. [G] [F] et Mme [B] [Y] épouse [F] à payer à la société Financière Maestria la somme de 59 500 euros correspondant à 10% du prix de vente du bien à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la caducité du compromis de vente signé entre les parties le 12 mai 2021 ;

– condamné in solidum M. [G] [F] et Mme [B] [Y] épouse [F] à payer à la société Financière Maestria la somme de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du CPC ;

– débouté M. [G] [F] et Mme [B] [Y] épouse [F] de l’ensemble de leurs fins, moyens et prétentions ;

– condamné in solidum M. [G] [F] et Mme [B] [Y] épouse [F] aux dépens comprenant le coût de la signification de la convocation par voie d’huissier à la réitération de l’acte notarié, dont distraction au profit de Me Nicolas Hübsch, membre de la SELARL HBS, conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC ;

– rappelé le caractère exécutoire de plein droit de la présente décision.

Le tribunal a constaté la caducité du compromis de vente signé entre les parties le 12 mai 2021 en considérant que les bénéficiaires de la promesse n’avaient pas souhaité réitérer les termes de leur engagement, qu’ils n’avaient pas déposé leur demande de prêt dans le délai contractuellement prévu, et qu’ils n’avaient informé le promettant de leur intention de ne plus acheter le bien que le 23 septembre 2021.

Il en a conclu que le vendeur était en droit de solliciter l’application des conditions contractuellement stipulées aux termes desquels l’acquéreur, compte tenu de la caducité de la convention, doit lui payer, à titre de dommages et intérêts, une somme équivalente à 10% du prix total convenu.

M. [G] [F] et Mme [B] [Y] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du 19 décembre 2023.

Saisi par ces derniers d’une demande de suspension de l’exécution provisoire aux motifs qu’elle aurait des conséquences manifestement excessives compte tenu de leur niveau de revenu et d’un risque d’une impossibilité pour la société Financière Maestria de restituer les fonds en cas d’infirmation, le premier président de la cour a, par décision du 13 mars 2024, rejeté cette demande et autorisé la consignation des sommes dues sur un compte CARPA.

Aux termes de leurs conclusions notifiées par RPVA le 15 mars 2024, les appelants demandent à la cour d’infirmer le jugement, et statuant à nouveau :

– juger que M. [F] et Mme [Y] épouse [F] n’ont commis aucune faute ni négligence de nature à remettre en cause la caducité du compromis de vente régularisé le 12 mai 2021 en raison de la non-obtention de leur financement ;

– débouté la société Financière Maestria de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

– jugé que la somme sollicitée par la société financière Maestria en application de la clause pénale à hauteur de 10 % du prix de vente, soit 59 500 euros est disproportionnée et excessive au regard du préjudice subi ;

Par conséquent,

– réduire cette somme à 1 000 euros au maximum ;

– débouter la société Financière Maestria de ses plus amples demandes ;

– condamner la société Financière Maestria à verser la somme de 4 000 euros aux épous [F]-[Y] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner ladite société aux entiers dépens de l’instance dont distraction requise au profit de Me Rudy Lauqille, membre de la SELARL Laquille Associés.

M. et Mme [F] font valoir qu’ils ont justifié du refus de prêt avant la date du 30 août 2021, date jusqu’à laquelle les parties avaient antérieurement convenu de reporter la signature de l’acte authentique, qu’ils avaient pris contact avec la banque avant même la signature du compromis le 12 mai 2021 mais que la demande de financement n’a été datée que du 14 juin en raison de l’attente du bilan de la société, que le retard pris dans la justification du refus du prêt n’est en réalité dû qu’au changement de règlementation concernant le taux d’endettement, en conséquence duquel l’endettement des époux [F] dépassait largement l’endettement validé par le système bancaire. Ils précisent que l’absence de mention du taux d’intérêt de prêt, fixé à 2% dans le compromis, non seulement est sans incidence sur le refus de prêt mais au surplus ne révèle aucune faute des époux [F].

Concernant l’application de la clause prévoyant des dommages et intérêts de 10 % du prix de vente du bien, ils estiment que cette somme n’est pas due dès lors qu’ils n’ont commis aucune faute ni négligence, et subsidiairement sollicitent la réduction de cette somme à 1 000 euros sur le fondement de l’article 1231-5 du code civil au motif qu’elle est manifestement disproportionnée, excessive et injustifiée au regard du préjudice effectivement subi par les époux [F] compte tenu du fait que le bien a été réellement immobilisé entre fin juillet, date initialement prévue pour la signature de l’acte authentique et fin septembre 2021, date à laquelle les bénéficiaires de la promesse informaient de l’impossibilité de poursuivre l’acquisition du bien.

Par conclusions du 17 avril 2024, la société Financière Maestria demande à la cour de :

– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Reims en date du 28 novembre 2023 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

– condamner solidairement M. [G] [F] et Mme [B] [Y] épouse [F] à payer à la société Financière Maestria la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d’appel ;

– débouter M. [G] [F] et Mme [B] [Y] épouse [F] de leur demande de condamnation aux frais irrépétibles et aux dépens ;

– condamner solidairement M. [G] [F] et Mme [B] [Y] épouse [F] aux entiers dépens d’appel comprenant le coût de la signification de la convocation par voie d’huissier à la réitération de l’acte notarié dont distraction est requise au profit de Me Nicolas Hübsch, membre de la SELARL HBS, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La société Financière Maestria fait valoir que les époux [F] n’ont pas respecté le délai qui leur était imparti pour obtenir une offre de prêt auprès de la banque puisque ce n’est que le 11 juillet, veille de la date butoir prévue au compromis, qu’ils ont informé la société Financière Maestria qu’ils n’auraient la réponse concernant leur demande de prêt qu’à la fin de mois de juillet, et que ce n’est que le 25 août 2021 qu’ils ont adressé le refus de la banque.

Elle estime qu’il n’y a eu aucun report de la condition suspensive dès lors qu’aucune demande à cette fin n’a été formulée par les époux [F], et qu’aucune régularisation n’est intervenue en ce sens.

Elle en conclut que faute d’avoir présenté un refus d’obtention du prêt dans le délai prévu par le compromis, à savoir au plus tard le 12 juillet 2021, les consorts [F] étaient définitivement engagés à acquérir le bien immobilier objet du compromis.

Elle reproche par ailleurs aux appelants d’avoir effectué une demande de prêt non conforme aux stipulations contractuelles en ne mentionnant pas un taux d’intérêt à 2% tel qu’expressément précisé dans le compromis.

Elle souligne que les consorts [F] n’ont pas déposé leur demande de prêt dans le délai de 20 jours (expirant le 1er juin 2021) prévu au compromis de vente pour effectuer toutes les démarches nécessaires à l’obtention du prêt mais qu’ils ont attendu le 14 juin 2021 pour déposer leur demande de prêt auprès de la banque.

Elle soutient que M. et Mme [F] ont encore fait preuve de négligence dans la recherche du financement en ne sollicitant qu’un seul établissement bancaire.

Elle considère par conséquent que la négligence des bénéficiaires de la promesse a empêché la réalisation de la condition suspensive, qu’ils ont commis une faute de nature à engager leur responsabilité.

Elle estime que la condition suspensive étant réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l’accomplissement, M. et Mme [F] étaient tenus de respecter leur engagement, que leur refus de réitérer la vente a entraîné la caducité du compromis de vente donnant lieu à l’application de la clause pénale de 10 % du prix de vente.

La société Financière Maestria s’oppose enfin à la réduction de la clause pénale, estimant que le bien a été immobilisé entre le 12 mai 2021, date de signature du compromis, au 16 décembre 2021, date pour laquelle les bénéficiaires ont été convoqués aux fins de réitération de la vente mais ne se sont pas présentés, et que pendant cette période elle a dû exposer des frais de remboursement d’emprunt, assurance, électricité, chauffage, entretien’

Elle précise qu’elle n’a finalement vendu son bien que le 1er juin 2022.

Elle invoque une perte financière de 5 000 euros par mois pendant 11 mois à laquelle s’ajoutent les frais de l’Atelier immo de 6 000 euros lors de la vente de l’immeuble, sans compter le préjudice moral.

MOTIFS

Sur la caducité de la vente

Selon l’article 1304-6 alinéa 3 du code civil, la défaillance d’une condition suspensive a pour sanction la caducité de la vente.

En l’espèce, un compromis de vente a été signé par les parties le 12 mai 2021, sous la condition suspensive,  » qu’au plus tard le 12 juillet 2021 (délai d’au moins 60 jours à compter de la signature), l’acquéreur ait obtenu une ou plusieurs offres de prêt d’un montant de 850 000 euros.  »

La date prévisionnelle de réitération de la vente par acte authentique était fixée au 30 juillet 2021.

Par emails des 11 et 12 juillet 2021, M. et Mme [F] ont proposé, et la Financière Maestria a accepté, de retarder la régularisation de la vente au plus tard au 31 août 2021 moyennant un dédommagement de 5 000 euros pour le mois supplémentaire lié au retard dans le processus financier.

Le Crédit agricole a fait connaître son refus de financement par courrier du 25 août 2021, transmis le 26 août au vendeur.

Ce dernier a accepté de laisser un mois de plus, le mois de septembre, aux bénéficiaires de la promesse, pour tenter d’obtenir un financement, moyennant un nouveau dédommagement de 5 000 euros.

Le 7 septembre par email, puis le 23 septembre par courrier RAR, les époux [F]-[Y] informaient la société Financière Maestria qu’ils renonçaient définitivement à l’achat du bien immobilier.

Il résulte ainsi des faits de l’espèce que la condition suspensive d’obtention du prêt est défaillante, la vente étant par conséquent caduque.

Sur la clause d’indemnisation

Le compromis prévoyait qu’au cas où l’acquéreur n’effectuerait pas de dépôt de fonds ou ne manifesterait pas son intention de signer dans le délai convenu, le vendeur pourrait à son choix :

 » Soit renoncer au bénéfice de la condition suspensive stipulée en sa faveur et poursuivre la réalisation de la vente en assignant l’acquéreur dans les trois mois suivant la date limite prévue pour la réitération de l’acte authentique ;

 » Soit considérer la convention comme caduque, auquel cas l’acquéreur devra lui payer, à titre de dommages et intérêts, une somme équivalente à dix pour cent (10 %) du prix total convenu.

Cette disposition est une application de l’article 1304-3 du code civil selon lequel la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l’accomplissement.

Sa mise en ‘uvre est dès lors subordonnée à une faute ou à tout le moins une négligence de l’acquéreur dans sa recherche de financement, ayant eu pour conséquence d’empêcher la réalisation de la condition suspensive.

Estimant que les époux [F] avaient manqué à leurs obligations contractuelles et fait preuve de négligence dans la recherche du financement, la Financière Maestria a, dans un premier temps, mis en demeure les acquéreurs, par exploit d’huissier du 16 décembre 2021, de venir signer l’acte de vente le 22 décembre 2021, puis dans un deuxième temps, devant le refus des époux [F], invoqué la caducité du compromis et sollicité le règlement de la somme de 10% du prix total convenu.

La caducité d’un acte n’affecte certes pas la clause pénale qui y est stipulée et qui doit précisément produire effet en cas de défaillance fautive de l’une des parties (Com. 22 mars 2011, no 09-16.660).

Encore faut-il que la défaillance soit fautive, à savoir que l’acquéreur ait, par sa négligence ou son défaut de diligences, empêché la réalisation de la condition suspensive.

Sur les diligences des emprunteurs

La société Financière Maestria reproche aux consorts [F] :

– de ne pas avoir déposé leur demande de prêt dans le délai contractuellement stipulé, le compromis de prêt du 12 mai 2021 prévoyant notamment que l’acquéreur s’obligeait à  » effectuer dans le délai de 20 jours toutes les démarches nécessaires à l’obtention de ce ou ces prêts  » ;

– de n’avoir sollicité qu’un seul établissement de crédit ;

– d’avoir obtenu une réponse, de surcroit négative, que postérieurement au délai prévu au compromis.

Il ressort en effet des pièces produites que la demande de prêt a été déposée en date du 14 juin 2021, 34 jours après la signature du compromis de vente.

Mais M. [F] avait contacté le Crédit agricole dès le 5 mai pour lui exposer les conditions du financement.

Il a par la suite tardé à fournir à la banque des documents comptables nécessaires, à savoir le BNC et le bilan de la SAS [F], société d’expertise comptable vouée à s’installer dans les locaux en cours d’acquisition, lesquels documents ont été transmis les 6 et 13 juin 2021.

Cependant, les comptes annuels des sociétés étant en général approuvés au mois de juin suivant l’année clôturée, le retard dans la communication de ces comptes ne peut être imputé à la négligence des époux [F].

Par ailleurs, aucune disposition légale ne permet d’imposer à l’acquéreur de déposer une demande de crédit dans un certain délai, cette obligation étant de nature à accroitre les exigences contractuelles. La solution retenue à propos des crédits immobiliers du code de la consommation (Civ. 3e, 12 févr. 2014, no 12-27.182) peut être transposée aux opérations de crédit souscrites dans le cadre de l’activité professionnelle. D’autant qu’à la date du 14 juin, il restait encore un mois avant la date butoir de remise des offres et un mois et demi avant la date prévisionnelle de réitération de la vente, délai raisonnable pour obtenir une offre de financement avant l’expiration des délais. Il ressort également d’un email du 24 juin que M. [F] s’est entretenu avec la banque le 24 juin puis le 9 juillet et ne s’est donc pas contenté d’attendre.

Par ailleurs, les diligences de l’emprunteur sont jugées suffisantes dès lors qu’il a déposé une demande d’emprunt conforme aux stipulations figurant dans l’avant-contrat, sans qu’il soit nécessaire de justifier du dépôt de plusieurs demandes.

L’avant-contrat faisait d’ailleurs référence à  » une ou plusieurs offres de prêt « .

Il ne peut dès lors être reproché aux acquéreurs d’avoir déposé une seule demande de financement auprès du Crédit agricole.

Aux termes du compromis, l’offre de prêt devait être :

. d’un montant total minimal de 850 000 euros,

. à un taux d’intérêts au plus égal de 2 % par an,

. pour une durée au plus égale à 20 ans.

Dans son email du 6 mai 2021, quelques jours avant la signature du compromis de vente, M. [F] faisait état d’un prêt de 800 000 euros sur 15 ans.

Devant la cour, les acquéreurs auxquels il incombe de justifier qu’ils ont sollicité un prêt conforme aux caractéristiques définies dans la promesse, ne produisent pas la demande qui a été officiellement déposée mais il ressort du courrier de refus de la banque du 25 août 2021 que le Crédit agricole n’a pas donné une suite favorable au financement  » d’un montant de 850 000 euros sur 20 ans « , sollicité pour l’achat des locaux professionnels.

Le taux d’intérêt envisagé n’y est pas mentionné.

Cependant, quand bien même les époux [F] auraient sollicité un prêt non conforme quant au taux d’intérêt, cet élément apparaît indifférent, le refus de financement de la banque étant fondé sur un endettement cumulé excessif des emprunteurs.

En effet, par email du 18 août 2021 (pièce 7 appelants), M. [F] précisait à la Financière Maestria que leur taux d’endettement cumulé (professionnel et personnel), qui était de 48 % hors emprunt immobilier en cause, et passerait à 60 % avec le financement des bureaux, dépassait largement l’endettement validé par le système bancaire

Dès lors, quelle que soit la demande de prêt déposée, la banque aurait de toute façon refusé le prêt, de sorte qu’aucune faute ne peut être retenue au titre d’une demande non conforme, qui n’est d’ailleurs pas démontrée.

M. et Mme [F] ont par la suite proposé d’augmenter leurs apports, en vain.

Puis suite au refus du Crédit agricole, il n’est pas contesté par les parties qu’ils ont entrepris différentes démarches, notamment auprès d’un courtier recommandé par le vendeur, aux termes desquelles ils se sont résolus, début septembre 2021, à l’impossibilité d’obtenir un financement.

La réponse de la banque est certes intervenue officiellement le 25 août 2021, 45 jours après le 12 juillet 2021, fixée comme date limite d’obtention d’une offre de prêt.

Toutefois, force est de constater que le vendeur, informé du retard, avait accepté, par email du 12 juillet 2021, de retarder d’un mois la régularisation de la vente, puis, le 31 août 2021, de laisser un mois de plus aux acquéreurs pour trouver une solution, moyennant deux dédommagements de 5 000 euros par mois.

Il ne peut donc se prévaloir d’un dépassement de date qu’il a lui-même accepté.

Il ne peut pas non plus reprocher aux bénéficiaires de la promesse à la fois d’avoir renoncé à obtenir un financement et à la fois d’avoir dépassé les délais convenus.

Il ressort en réalité des pièces du dossier une volonté commune des parties de parvenir à un financement, qui, malgré les démarches entreprises, n’a pas été obtenu.

Le fait que les époux [F] aient préjugé de leur capacité d’emprunt ne suffit pas à les rendre fautifs dans les démarches qu’ils ont entreprises pour obtenir le financement souhaité.

Dans ces circonstances, qui ne permettent pas de caractériser un défaut de diligence des acquéreurs dans les démarches entreprises aux fins d’obtention du financement, et compte tenu du fait que ces derniers n’auraient de toute façon pas obtenu leur financement en raison de leur endettement cumulé excessif, au titre de leurs différents emprunts personnels et professionnels, il ne peut être considéré que les époux [F] ont empêché la réalisation de la condition suspensive.

Il n’y a dès lors pas lieu de faire application de la clause pénale prévu au compromis de vente.

Sur les frais accessoires

Le tribunal judiciaire a condamné les époux [F] à payer à la société Financière Maestria la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC.

Le jugement doit être infirmé sur ce point.

La cour condamne la société Financière Maestria qui succombe à payer aux époux [F] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, et contradictoirement,

Infirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Reims le 28 novembre 2023 en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau,

Constate que la défaillance de la condition suspensive a entraîné la caducité de la vente ;

Dit que M. [G] et Mme [B] [Y] épouse [F] n’ont pas commis de faute de nature à empêcher la réalisation de la condition suspensive ;

Déboute en conséquence la société Financière Maestria de sa demande en paiement de la somme de 59 500 euros correspondant à 10 % du prix de vente du bien à titre de dommages et intérêts ;

Condamne la société Financière Maestria à payer aux époux [F] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Financière Maestria aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Rudy Laquille, membre de la SARL Laquille Associés

Le greffier La présidente


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