Résolution d’un contrat de vente en viager pour défaut de paiement des rentes

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Résolution d’un contrat de vente en viager pour défaut de paiement des rentes

L’Essentiel : Le 6 novembre 2013, Monsieur [E] a vendu en viager un appartement à Monsieur [S] et Madame [Y] pour 20.000 €, avec une rente annuelle de 4.800 €. En décembre 2022, Monsieur [E] a signifié un commandement de payer de 76.880 € pour rentes impayées. Le 20 octobre 2023, il a assigné les époux devant le tribunal pour obtenir la résolution de la vente. Madame [Y] a demandé le rejet de cette demande, tout en reconnaissant des retards. Le tribunal a constaté l’absence de paiement des rentes, entraînant la résolution du contrat et des restitutions réciproques.

Contexte de la vente en viager

Le 6 novembre 2013, Monsieur [B] [E] a vendu en viager un appartement, une cave et un emplacement de stationnement à Monsieur [D] [S] et Madame [O] [Y] pour un prix de 20.000 €, accompagné d’une rente viagère annuelle de 4.800 €.

Commandement de payer et assignation

En décembre 2022, Monsieur [E] a signifié un commandement de payer aux époux [S] pour un montant de 76.880 €, en raison de cinq années de rentes viagères impayées. Le 20 octobre 2023, il a assigné les époux devant le tribunal judiciaire de Bobigny pour obtenir la résolution de la vente.

Demandes de Monsieur [E]

Monsieur [E] a demandé la constatation de la résolution du contrat de vente, le paiement d’une indemnité contractuelle de 55.700 €, la restitution des biens dans un délai d’un mois, et l’expulsion des époux [S] en cas de non-restitution. Il a également demandé la publication du jugement et le remboursement de divers frais.

Réponse de Madame [Y]

Dans ses conclusions, Madame [Y] a demandé le rejet de la demande de résolution, un délai de paiement de deux ans, et des dommages et intérêts de 19.877 € pour faute contractuelle. Elle a reconnu des retards de paiement mais a affirmé avoir repris les versements.

Clôture de l’instruction et décision

L’instruction a été clôturée le 11 septembre 2024, et l’affaire a été renvoyée pour plaidoirie au 4 novembre 2024. La décision a été mise en délibéré pour le 13 janvier 2025.

Motifs de la décision

Le tribunal a constaté que les époux [S] n’avaient pas prouvé le paiement des rentes dues, entraînant la résolution de la vente au 21 janvier 2023. La résolution a entraîné l’anéantissement rétroactif du contrat, avec des restitutions réciproques.

Restitutions et pénalités

Monsieur [E] a été condamné à restituer 2.000 € aux époux [S], tandis que ces derniers ont été condamnés à payer 11.116 € en pénalités pour retard de paiement.

Demandes reconventionnelles de Madame [Y]

Les demandes de Madame [Y] pour un délai de paiement et des dommages et intérêts ont été rejetées, le tribunal n’ayant pas trouvé de preuves suffisantes pour justifier sa situation précaire ou un manquement contractuel de Monsieur [E].

Dépens et frais

Les époux [S] ont été condamnés aux dépens de la procédure, incluant les frais de commandement de payer et de publication. Ils ont également été condamnés à payer 2.805 € à Monsieur [E] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Exécution provisoire

Le tribunal a rappelé que l’exécution provisoire est de droit et n’a pas été écartée dans cette affaire.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de la résolution d’un contrat de vente en viager pour défaut de paiement des rentes viagères ?

La résolution d’un contrat de vente en viager pour défaut de paiement des rentes viagères est régie par plusieurs dispositions du Code civil.

Tout d’abord, l’article 1978 du Code civil stipule que :

« Le contrat de vente en viager est un contrat par lequel le vendeur cède un bien à l’acheteur, qui s’engage à verser une rente viagère. En cas de défaut de paiement des arrérages, la résolution du contrat n’est pas automatique. »

Cependant, l’article 1184 du même code précise que :

« La résolution d’un contrat peut être prononcée par le juge en cas d’inexécution d’une obligation, à condition que la partie qui demande la résolution ait préalablement mis en demeure l’autre partie de s’exécuter. »

Dans le cas présent, la clause résolutoire stipulée dans l’acte de vente du 6 novembre 2013 prévoit que :

« À défaut de paiement à son exacte échéance, d’un seul terme de la rente viagère, la présente vente sera de plein droit et sans mise en demeure préalable, purement et simplement résolue. »

Ainsi, la clause résolutoire doit être dénuée d’ambiguïté, invoquée de bonne foi et précédée d’une mise en demeure.

En l’espèce, le commandement de payer délivré aux époux [S] a été infructueux, ce qui justifie la résolution du contrat au 21 janvier 2023.

Quels sont les effets de la résolution d’un contrat de vente en viager ?

La résolution d’un contrat de vente en viager entraîne des effets juridiques précis, notamment en matière de restitution des biens et des sommes versées.

L’article 1184 du Code civil précise que :

« La résolution d’un contrat entraîne l’anéantissement rétroactif de celui-ci, avec restitutions réciproques. »

Cela signifie que les parties doivent se restituer ce qu’elles ont reçu dans le cadre du contrat.

En l’espèce, Monsieur [E] doit restituer aux époux [S] l’acompte de 2.000 € qu’il a reçu lors de la vente, tandis que les époux [S] doivent restituer les biens litigieux, à savoir l’appartement, la cave et l’emplacement de stationnement.

De plus, selon l’article 1315 du Code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Dans ce cas, Monsieur [E] a le droit de conserver les arrérages échus de la rente à titre de réparation du préjudice subi en raison de l’inexécution du contrat.

Quelles sont les conséquences d’une mise en location du bien vendu en viager par l’acheteur ?

La mise en location d’un bien vendu en viager par l’acheteur peut constituer une violation des obligations contractuelles, notamment si le vendeur a conservé un droit d’usage et d’habitation.

L’article 1978 du Code civil, bien qu’il ne traite pas directement de cette question, implique que le vendeur conserve certains droits sur le bien.

Dans le cas présent, il est stipulé que Monsieur [E] a conservé son droit d’usage et d’habitation.

Ainsi, la mise en location du bien par les époux [S] sans l’accord de Monsieur [E] constitue une violation de ses droits.

Cette situation justifie également la demande de résolution du contrat, car elle constitue un manquement grave aux obligations contractuelles.

Quels sont les recours possibles en cas de non-paiement des rentes viagères ?

En cas de non-paiement des rentes viagères, plusieurs recours sont possibles pour le crédirentier, conformément aux dispositions du Code civil.

L’article 1184 du Code civil permet au créancier de demander la résolution du contrat en cas d’inexécution des obligations par le débiteur.

De plus, la clause résolutoire prévue dans l’acte de vente permet au crédirentier de demander la résolution de plein droit, sans mise en demeure préalable, après un commandement de payer infructueux.

En l’espèce, Monsieur [E] a utilisé cette clause résolutoire après avoir délivré un commandement de payer qui est resté sans effet.

Il peut également demander des pénalités pour retard de paiement, conformément à la clause pénale stipulée dans l’acte de vente, qui prévoit une indemnité de dix euros par jour de retard.

Enfin, le crédirentier peut également demander des dommages et intérêts pour le préjudice subi en raison de l’inexécution du contrat, conformément à l’article 1147 du Code civil.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 13 JANVIER 2025

Chambre 6/Section 4
AFFAIRE: N° RG 23/10131 – N° Portalis DB3S-W-B7H-YEEX
N° de MINUTE : 25/00011

Monsieur [B] [E]
né le 17 Avril 1947 à [Localité 11]
[Adresse 4]
[Adresse 15]
[Localité 8]
représenté par Me Thomas POIRIER-ROSSI, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : PB 127
(bénéficie d’une aide juridictionnelle partielle 25% numéro 93008/2022/023420 du 30 /09/2022, accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de BOBIGNY)

DEMANDEUR

C/

Madame [O] [F] [F] [Y]
née le 29 Octobre 1975 à [Localité 14]
[Adresse 6],
[Localité 7]
représentée par Me Lucas MICHEL-BECHET, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : PB39

Monsieur [D] [P] [S]
né le 04 Avril 1973 à [Localité 10]
[Adresse 5],
[Localité 9]
non comparant

DEFENDEURS

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Charlotte THIBAUD, statuant en qualité de Juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du code de procédure civile, assistée aux débats de Madame Reine TCHICAYA, Greffier.

DÉBATS

Audience publique du 04 Novembre 2024, à cette date l’affaire a été mise en délibéré au 13 Janvier 2025.

JUGEMENT

Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort, par Madame Charlotte THIBAUD, assistée de Madame Reine TCHICAYA, Greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte notarié du 06 novembre 2013, Monsieur [B] [E] a vendu en viager à Monsieur [D] [S] et Madame [O] [Y] épouse [S] un appartement (lot n°28), une cave (lot n°7) et un emplacement de stationnement (lot n°207) au sein d’un ensemble immobilier sis [Adresse 2] à [Localité 7], moyennant le prix de 20.000€ outre le versement d’une rente viagère annuelle d’un montant de 4.800 €.

Suivant actes d’huissier signifiés les 15 et 21 décembre 2022, Monsieur [E] a fait délivrer aux époux [S] un commandement de payer la somme de 76.880 € visant la clause résolutoire précitée au titre de cinq années de rentes viagères impayées.

C’est dans ce contexte que, par acte de commissaire de justice en date du 20 octobre 2023, Monsieur [B] [E] a fait assigner les époux [S] devant le tribunal judiciaire de Bobigny, aux fins d’obtenir notamment la résolution de la vente en viager intervenue le 06 novembre 2013.

Aux termes de ses dernières conclusions, signifiées par RPVA le 02 mai 2024 et à Monsieur [S] par remise à étude le 17 octobre 2024, Monsieur [E] demande :
« – Constater la résolution du contrat de vente en viager conclue entre, d’une part, Monsieur [B] [E] et d’autre part, Monsieur [D] [P] [S] et Madame [O] [F] [Y] par acte authentique de Maître [R] [C], notaire à [Localité 16] le 6 novembre 2013, publié au Service de la Publicité Foncière de [Localité 12] le 26 novembre 2013 volume 9304P052013P4046, par l’effet de la clause résolutoire au 22 janvier 2023

Subsidiairement :

– Prononcer la résolution du contrat de vente en viager conclue entre, d’une part, Monsieur [B] [E] et d’autre part, Monsieur [D] [P] [S] et Madame [O] [F] [Y] par acte authentique de Maître [R] [C], notaire à [Localité 16] le 6 novembre 2013, publié au Service de la Publicité Foncière de [Localité 12] le 26 novembre 2013 volume 9304P052013P4046 ;

En tout état de cause :

– Condamner solidairement Monsieur [D] [P] [S] et Madame [O] [F] [Y] à payer à Monsieur [B] [E] la somme de 55 700,00 € au titre de l’indemnité contractuelle ;

– Condamner Monsieur [D] [P] [S] et Madame [O] [F] [Y] à restituer le bien litigieux dans le délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 500 € par jour de retard ;

– Ordonner, à défaut de restitution, l’expulsion de Monsieur [D] [P] [S] et Madame [O] [F] [Y], ainsi que de tous occupants de leur chef, des lieux litigieux, au besoin avec le concours de la force publique ;

– Juger que dans cette hypothèse les biens meubles meublant l’immeuble litigieux seront alors emportés dans un garde-meuble du choix du requérant, aux frais de Monsieur [D] [P] [S] et Madame [O] [F] [Y] ;

-Juger que la décision à intervenir vaudra titre de propriété pour Monsieur [B] [E], né le 17 avril 1947 à [Localité 11], célibataire, de nationalité française, retraité, demeurant [Adresse 4] des lots n°7, 28, 207 du règlement de copropriété d’un immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 7] correspondant respectivement à une cave-séchoir portant le numéro 7 de 6 m2 dans le bâtiment A au sous-sol, à un appartement situé dans le bâtiment A d’une superficie de 45,65 m2, au 2ème étage à droite de l’escalier comprenant une entrée, cuisine, salle de séjour, rangement, chambre, salle de bains, water-closets et un balcon de deux m2 attenant à la salle de séjour et un balcon de deux m2 attenant à la chambre et un emplacement de parking portant le numéro 7 de 11 m2 au rez-de-chaussée extérieur à la construction, le long à droite de l’ensemble immobilier figurant au cadastre de la manière suivante section CK n°[Cadastre 3] lieudit [Adresse 1] pour une surface de 00 ha 19 a 62 ca et ayant fait l’objet d’un règlement de copropriété et état descriptif de division suivant acte reçu par Maître [N], notaire à [Localité 13], le 19 septembre 1968 dont une copie authentique a été publiée au service de la publicité foncière de [Localité 12], le 18 décembre 1968 volume 8039 numéro 8663 ;

– Ordonner la publication du jugement à intervenir au Service de la Publicité Foncière de [Localité 12] ;

– Condamner solidairement Monsieur [D] [P] [S] et Madame [O] [F] [Y] à payer à Monsieur [B] [E] la somme de 2 805,00 (part contributive de l’état déduite) au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– Condamner solidairement Monsieur [D] [P] [S] et Madame [O] [F] [Y] en tous les dépens qui comprennent les frais des commandements de payer visant la clause résolutoire, le coût de la délivrance de l’assignation, la totalité des frais dus et à devoir pour l’enregistrement de l’acte et sa publication et des frais d’exécution de la décision à intervenir ;

– Débouter Madame [O] [F] [Y] de l’ensemble de ses demandes ;

– Rappeler que l’exécution provisoire est de droit. »

A l’appui de ses prétentions, il soutient qu’il y a lieu de faire application de la clause résolutoire stipulée à l’acte de vente pour défaut de paiement à échéance des rentes viagères, passé un mois suivant commandement de payer infructueux, ainsi que de la clause pénale en cas de résolution; que le commandement de payer délivré le 15 et 21 décembre 2022 n’a pas été suivi d’effet ; que par ailleurs, les époux [S] ont gravement manqué à leurs obligations contractuelles non seulement en ne payant ni la totalité du bouquet, ni les rentes viagères mais également en installant un locataire dans les lieux objet de la vente viagère alors que Monsieur [E] en a conservé le droit d’usage et d’habitation et en s’abstenant de régler les charges de copropriété ainsi que les taxes foncières, ce qui justifie le prononcé de la résolution judiciaire de la vente.

***
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 30 janvier 2024, Madame [Y] demande au tribunal de :
« -DÉBOUTTER Monsieur [E] de sa demande de résolution du contrat de vente viager,
– ACCORDER un délai de paiement à Madame [Y] sur une durée de deux ans,
– CONDAMNER Monsieur [E] au paiement de la somme de 19.877 euros à titre de
dommages et intérêt du fait de sa faute contractuelle,
– DÉBOUTTER Monsieur [E] de sa demande au titre de l’article 700 du CPC,
– DIRE que chacune des parties conservera la charge des dépens »

Au soutien de ses prétentions, Madame [Y] fait valoir qu’elle a payé le bouquet et reconnaît ne pas avoir payé les rentes viagères entre 2017 et 2022, mais affirme avoir repris les versements. Elle ajoute que Monsieur [E] a renoncé à son droit d’usage en donnant son accord pour la mise en location du bien. Elle indique avoir intégralement payé les taxes foncières et accuser un retard de paiement de 7.348 € s’agissant des charges de copropriété. Elle expose que l’appartement de Monsieur [E] était insalubre et qu’elle a été contrainte d’engager des frais importants pour le remettre en état dont elle est fondée à obtenir remboursement. Enfin elle sollicite des délais de paiement.

***

Assigné par remise à personne, Monsieur [S] n’a pas constitué avocat.

Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties, il sera renvoyé à la lecture des conclusions précitées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 11 septembre 2024 et l’affaire a été renvoyée pour être plaidée à l’audience du 04 novembre 2024.

La décision a été mise en délibéré au 13 janvier 2025.

Par message RPVA en date du 03 décembre 2024, le tribunal a sollicité la communication des pièces figurant au bordereau de communication de Madame [Y] pour le 6 décembre 2024 au plus tard.

Le tribunal a été destinataire des pièces de Madame [Y] le 12 décembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire

Aux termes de l’article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, et le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.

Aux termes de l’article 768 du code de procédure civile, le tribunal ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. Or ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir « constater », « dire », « juger » ou « donner acte », en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d’emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que le tribunal n’y répondra qu’à la condition qu’ils viennent au soutien de la prétention formulée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans son dispositif mais dans ses motifs, sauf à statuer sur les demandes des parties tendant à « dire et juger » lorsqu’elles constituent un élément substantiel et de fond susceptible de constituer une prétention (2ème Civ., 13 avril 2023, pourvoi n° 21-21.463).
Enfin, conformément aux dispositions de l’article 9 de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, le présent contrat ayant été conclu avant la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance, le 1er octobre 2016, il demeure soumis aux dispositions du Code civil antérieures à cette date.

Sur les demandes principales

En application de l’article 1134 du code civil dans sa version applicable au présent litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Sur le principe de la résolution

Si l’article 1978 du code civil exclut par principe la résolution du contrat conclu avec rente viagère pour défaut de paiement des arrérages de la rente, il en va autrement :
en cas de retards de paiement répétés, qui justifient alors la résolution judiciaire du contrat au sens de l’article 1184 du même code dans sa rédaction applicable au litige ; lorsque le contrat contient une clause résolutoire, l’article précité n’étant pas d’ordre public, à la condition que la clause soit dénuée d’ambiguïté, invoquée de bonne foi et précédée d’une mise en demeure.
Selon l’article 1315 du code civil dans sa version applicable au présent litige, que celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et, réciproquement celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

En l’espèce, l’acte authentique de vente en viager du 6 novembre 2013 stipule notamment (page 7) que :
« En outre, et par dérogation des dispositions de l’article 1978 du code civil, il est expressément convenu qu’à défaut de paiement à son exacte échéance, d’un seul terme de la rente viagère présentement constituée, la présente vente sera de plein droit et sans mise en demeure préalable, purement et simplement résolue sans qu’il soit besoin de remplir aucune formalité judiciaire, un mois après un simple commandement de payer demeuré infructueux contenant déclaration par le CREDIRENTIER de son intention d’user du bénéfice de la présente clause.
Dans ce cas, tous les arrérages perçus par le CREDIRENTIER et tous embellissements et améliorations apportés aux BIENS vendus seront de plein droit et définitivement acquis au CREDIRENTIER, sans recours ni répétition de la part du DEBIRENTIER défaillant, et ce à titre de dommages et intérêts et d’indemnités forfaitairement fixés.

La partie du prix payée comptant sera quant à sa destination, laissée à l’appréciation souveraine des tribunaux.

En outre, les parties conviennent que :
Tout retard dans le paiement des arrérages de la rente fera courir une indemnité de dix euros par jour de retard à titre de clause pénale et sans que cela puisse autoriser le débirentier à ne pas respecter ponctuellement les dates d’échéances et sans porter préjudice au droit pour le bénéficiaire de la rente de préférer la résolution du contrat. Cette astreinte courra à compter du septième jour suivant la date d’échéance et sera exigible jour par jour. »

Les époux [S] à qui incombe sur ce point la charge de la preuve, ne démontrent pas que

les rentes viagères annuelles dues à Monsieur [E] et visées dans le commandement de payer des 15 et 21 décembre 2022 précité, ont été payées dans le délai imparti – expirant le 21 janvier 2023-, à défaut qu’elles n’étaient pas exigibles.

Il y a donc lieu de constater la résolution de plein droit de l’acte de vente litigieux au 21 janvier 2023, par l’effet de la clause résolutoire susvisée.

Sur les effets de la résolution

La résolution entraîne l’anéantissement rétroactif du contrat, avec restitutions réciproques, sans préjudice de la possibilité, pour le crédirentier, de conserver les arrérages échus de la rente à titre de réparation du préjudice subi du fait de l’inexécution du contrat.

La restitution du prix étant une conséquence légale de la résolution, il y a lieu de condamner d’office le demandeur à restituer aux époux [S] l’acompte de 2.000 €, dont il a donné quittance à ces derniers aux termes de l’acte de vente, étant observé qu’aucune pièce versée aux débats ne permet d’établir que la somme de 18.000 €, qui aux termes de l’acte de vente devait être payée hors la comptabilité du notaire, a été effectivement versée à Monsieur [E].

En outre, le demandeur est en droit de réclamer les pénalités pour retard de paiement acquises entre le 1er janvier 2018 et jusqu’au jour de la résolution le 21 janvier 2023, soit 11.116 € (1116 jours x 10€), dont le caractère manifestement excessif n’est ni allégué ni démontré.

De plus, il résulte des propres énonciations de Madame [Y] ainsi que d’un mail du 12 décembre 2022 émanant de l’agence immobilière Immocity et de la sommation interpellative délivrée par huissier de justice le 6 février 2023, que les biens objet de la vente en viager du 6 novembre 2013 ont été loués par Madame [Y].

A cet égard, cette dernière affirme que Monsieur [E] aurait renoncé à son droit d’usage et d’habitation, toutefois, elle ne produit aucune pièce aux termes de laquelle Monsieur [E] renoncerait personnellement et expressément à son droit.

Dès lors, il apparaît nécessaire de condamner les époux [S] à restituer les biens litigieux, avec leurs embellissements et améliorations éventuels, étant précisé que la demande d’expulsion est sans objet compte tenu du droit d’usage et d’habitation réservé à Monsieur [E] et auquel il n’a pas renoncé.

En revanche, eu égard à l’anéantissement rétroactif de l’acte de vente en viager conclu le 06 novembre 2023, le présent jugement ne constitue pas un titre de propriété.

Sur les demandes reconventionnelles de Madame [Y]

Sur la demande de délais de paiement

Selon l’article 1345-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.

Il peut subordonner ces mesures à l’accomplissement par le débiteur d’actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.

La décision du juge suspend les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le créancier.
Les majorations d’intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

Toute stipulation contraire est réputée non écrite.

En l’espèce, Madame [Y] demande un délai eu égard à sa bonne foi, matérialisée par la reprise du paiement de la rente viagère et à sa situation personnelle précaire.

Elle produit la photographie de trois chèques d’un montant de 400 € chacun adressés à Monsieur [E], sans justifier que ces chèques ont été encaissés. En outre, force est de constater que ces chèques sont tous datés postérieurement à l’assignation délivrée le 22 septembre 2023, de sorte que ces paiements, si tant est qu’ils soient effectifs, n’ont pas été spontanés.

Par ailleurs, Madame [Y] verse aux débats :
– les copies incomplètes de ses avis d’imposition pour les années 2017, 2018 et 2019 ;
– les copies des avis d’imposition pour les années 2020, 2021 et 2022, ce dernier avis mentionne des revenus déclarés à hauteur de 16435 €.

Ces documents, qui ne sont complétés par aucun justificatif bancaire, ni fiche de paye, ni avis d’imposition pour l’année 2023, ne permettent pas d’établir que la situation actuelle de Madame [Y] est tellement précaire qu’elle justifie de l’octroi de délai de paiement.

Dans ces conditions la demande de Madame [Y] à ce titre sera rejetée.

Sur la demande de dommages et intérêts

Aux termes de l’article 1147 du code civil dans sa version applicable au présent litige, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

En l’espèce, ainsi qu’il a déjà été développé ci-dessus, Madame [Y] ne démontre pas que Monsieur [E] a renoncé à son droit d’usage et d’habitation de l’appartement litigieux.

En outre, elle ne produit aucun document tel qu’un état de lieux réalisé au moment de sa prise de possession de l’appartement, de sorte qu’elle ne démontre ni l’existence d’un manquement contractuel de Monsieur [E], ni celui d’un préjudice en découlant pour elle.

En conséquence, elle sera déboutée de ses demandes à ce titre.

Sur les demandes accessoires

Sur les dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Succombants, les époux [S] seront condamnés solidairement aux dépens de la présente instance, en ce compris en ce inclus le coût du commandement de payer, les frais de publication de l’assignation et du présent jugement, les frais nécessaires à l’exécution – sauf ceux qui restent à la charge du créancier.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 700 1° du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Par principe, le tribunal alloue à ce titre une somme correspondant aux frais réellement engagés, à partir des justificatifs produits par les parties, ou, en l’absence de justificatif, à partir des données objectives du litige (nombre de parties, durée de la procédure, nombre d’écritures échangées, complexité de l’affaire, incidents de mise en état, mesure d’instruction, etc.).

Par exception et de manière discrétionnaire, le tribunal peut, considération prise de l’équité ou de la situation économique des parties, allouer une somme moindre, voire dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

En l’espèce, l’équité commande de condamner solidairement les époux [S] à payer à Monsieur [E] la somme de 2805 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l’exécution provisoire
Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

En l’espèce, compte tenu des circonstances, de la nature de l’affaire et de l’issue du litige, il n’apparaît pas nécessaire d’écarter l’exécution provisoire de la présente décision.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe

CONSTATE la résolution, au 21 janvier 2023, de la vente en viager conclue le 06 novembre 2013 entre Monsieur [B] [E] d’une part, Monsieur [D] [S] et Madame [O] [Y] épouse [S] sur un appartement (lot n°28), une cave (lot n°7) et un emplacement de stationnement (lot n°207) au sein d’un ensemble immobilier sis [Adresse 2] à [Localité 7] ;

CONDAMNE Monsieur [B] [E] à restituer à Monsieur [D] [S] et Madame [O] [Y] épouse [S] la somme de 2.000 € (deux mille euros) au titre de la partie du prix déjà versée au jour de la résolution ;

CONDAMNE Monsieur [D] [S] et Madame [O] [Y] épouse [S] à payer à Monsieur [B] [E] la somme de 11.116 € (onze mille cent-seize euros) au titre des pénalités contractuelles ;

ORDONNE la publication du présent jugement par la partie la plus diligente auprès du service de la publicité foncière, aux frais Monsieur [D] [S] et Madame [O] [Y] épouse [S] ;

ORDONNE à Monsieur [D] [S] et Madame [O] [Y] épouse [S] de restituer à Monsieur [B] [E], les lots n°28, 7 et 207, correspondant à un appartement au 2ème étage du bâtiment A, à droit de l’escalier, une cave, au sous-sol du bâtiment A et un emplacement de parking, au rez-de-chaussée extérieur à la construction, au sein d’un ensemble immobilier sis [Adresse 2] à [Localité 7], avec ses embellissements et améliorations éventuels ;

DÉBOUTE Madame [O] [Y] épouse [S] de sa demande de délai de paiement ;

DÉBOUTE Madame [O] [Y] épouse [S] de sa demande de dommages et intérêts ;

CONDAMNE solidairement Monsieur [D] [S] et Madame [O] [Y] épouse [S] aux dépens, en ce inclus le coût du commandement de payer, les frais de publication de l’assignation et du présent jugement, les frais nécessaires à l’exécution – sauf ceux qui restent à la charge du créancier – qui seront recouvrés comme en matière d’aide juridictionnelle ;

CONDAMNE Monsieur [D] [S] et Madame [O] [Y] épouse [S] à payer à Monsieur [B] [E] la somme de 2.805 € (deux mille huit cent cinq euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit et DIT n’y avoir lieu à l’écarter ;

DÉBOUTE les parties de l’ensemble de leurs autres fins, moyens, demandes et prétentions.

La minute a été signée par Madame Charlotte THIBAUD, Vice-Présidente, et par Madame Reine TCHICAYA, Greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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