L’Essentiel : Le Bachelor de la deuxième édition de l’émission a été requalifié en contrat de travail à durée indéterminée. Les participants, soumis à des règles strictes, étaient sélectionnés par des castings rigoureux, démontrant que leur activité était encadrée par l’employeur. Les contraintes imposées, telles que l’isolement et les horaires fixés, indiquaient une relation de subordination. Bien que le Bachelor ait revendiqué le statut d’artiste interprète, cela n’a pas été retenu, car l’émission ne présentait pas les caractéristiques d’une œuvre de fiction. Enfin, les demandes de dommages-intérêts ont été limitées par la prescription quinquennale.
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Après les candidates, le Bachelor lui-même a obtenu la requalification de sa participation à l’émission du même nom, en contrat de travail à durée indéterminée. Steven S. a été le Bachelor de la deuxième édition de ce jeu, enregistrée pendant cinq semaines, à compter du 1er novembre 2003, puis diffusée, dans les semaines qui ont suivi, sur la chaîne de télévision M6. Qualification en Contrat de travail Le contrat de travail est le contrat par lequel une personne accomplit une prestation de travail, sous la subordination d’une autre, moyennant une rémunération. Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs. Sur la réalité de la prestation de travail, il était établi que les participants à cette émission présentée comme une émission de téléréalité, dans laquelle ils étaient censés montrer leur véritable personnalité et exposer au public, leurs sentiments les plus intimes, étaient sélectionnés par une série de castings, visant, notamment, à mieux connaître, au moyen de “screen tests” et autres tests leurs personnalités et à déterminer leurs capacités physiques et psychologiques. La sélection rigoureuse des candidats, les exigences qui étaient posées dans le règlement du jeu démontraient que la société W9 PRODUCTIONS attendait des personnes retenues, une prestation particulière très encadrée, contraignante où elles se trouvaient une large partie de leur temps sous le regard des caméras et qui était destinée à s’inscrire dans une activité à finalité économique. Les entraves apportées à leur liberté d’aller et venir, l’obligation de se rendre dans un lieu tenu secret, de ne pas quitter leur lieu de résidence, la privation de l’utilisation de leur téléphone portable, de l’accès à internet, à la radio et la télévision, l’interdiction d’entrer en contact avec des personnes extérieures à celles impliquées dans l’émission et l’existence d’un synopsis de tournage ou de consignes précises données aux participants pour organiser leurs activités, les rencontres entre les candidates et le Bachelor, leurs faits et gestes dans les moindres détails, les privant de toute spontanéité ne permettaient pas de considérer qu’il s’agissait d’une situation de réalité ou d’un divertissement mais bien d’un travail pour le compte d’un employeur. Sur le versement d’une rémunération (condition du contrat de travail), il ressortait clairement des éléments de l’espèce que la société W9 PRODUCTIONS a versé des gains à toutes les participantes, même aux “candidates remplaçantes”, qu’elle a également pris à sa charge tous les frais de déplacement et d’hébergement et assuré au “Bachelor” le paiement d’un voyage d’une valeur de 5 000 euros avec “l’élue de son coeur”. Plus particulièrement, s’agissant de Steven S., celui-ci a, en outre signé un avenant au contrat de participation, au terme duquel la société W9 PRODUCTIONS s’engageait à lui verser, à l’issue de chaque “Cérémonie de la Rose”, une somme de 872 euros, soit, au total, 7 014 euros. Il a bien, dans ces conditions, été versé une rémunération au Bachelor. Sur l’existence d’un lien de subordination, tant le règlement du jeu que les déclarations du Bachelor démontraient que l’employeur posait des exigences qui allaient au-delà du simple encadrement de toute activité humaine organisée, à but ludique. Il a été rappelé que les participants étaient privés de contacts avec l’extérieur, se voyaient fixer des horaires détaillés pour les repas et les activités, devaient porter des tenues imposées et avoir des comportements convenus lors d’un certain nombre de rencontres. De plus, le règlement de jeu prévoit qu’en cas d’infraction aux règles de confidentialité, le Bachelor pouvait être condamné à payer un dédommagement financier immédiat de 20 000 euros, sans préjudice d’une action en dommages et intérêts et de l’élimination du candidat ne respectant pas le règlement. Qualification en CDI En application de l’article L.1242-12 du code du travail, le contrat de travail du Bachelor était un contrat à durée indéterminée à temps complet, aucune indication précise n’étant portée sur les heures de travail et aucun motif de recours n’étant mentionné pouvant permettre de retenir l’existence d’un contrat de travail à durée déterminée. Le contrat ayant été rompu du fait de la fin du tournage de l’émission, donc du fait de l’employeur, la rupture du contrat de travail s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Salarié mais non artiste interprète Toutefois, le statut d’artiste interprète n’a pas été retenu, ni l’application de la Convention collective des artistes interprètes engagés pour la réalisation d’émissions télévisées. Le Bachelor revendiquait le statut d’artiste-interprète en estimant que l’émission était une oeuvre de fiction, scénarisée, faisant l’objet d’un montage précis, réalisé au sortir d’un casting drastique et utilisant les moyens traditionnels de la fiction, tels la voix off ou le flash back. Si le Bachelor avait pu faire preuve de beaucoup de spontanéité, avait dû suivre des directives précises, tant dans sa manière de se comporter que de s’habiller et que des scènes devaient être répétées, il ne pouvait pour autant être sérieusement soutenu que les règles posées pour le déroulement du jeu s’assimilaient à un scénario, faute d’intrigue, d’un cheminement vers un dénouement posé à l’avance et de dialogues vraiment construits. De surcroît le candidat n’a fait état d’aucune compétence ou formation pour exercer le métier d’artiste-interprète. Prescription acquise Le montant des dommages intérêts accordé au Bachelor a été limité en raison de la prescription quinquennale édictée par l’article L.3245-1 du code du travail. En effet, le contrat de participation au jeu indiquait un enregistrement devant débuter le 1er novembre 2003 pour une durée de cinq semaines et donc s’achevant, au plus tard, le 7 décembre 2003. Or, le Bachelor n’a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre que le 27 février 2009, soit passé un délai de cinq ans suivant la fin de la relation contractuelle, alors qu’il disposait en réalité de tous les éléments pour saisir la juridiction avant cette date. Les demandes relatives aux rappels de salaires, aux heures supplémentaires et au repos compensateur ont été jugées prescrites (tout comme l’indemnité compensatrice de préavis, qui a valeur de salaire, et des congés payés y afférents). Absence de travail dissimulé Le travail dissimulé n’a pas non plus été retenu : le caractère intentionnel du délit ne pouvant se déduire du seul recours à un contrat de travail inadapté. Pour rappel, le travail dissimulé recouvre trois situations. Est réputé être un travail dissimulé le fait pour tout employeur : 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement des formalités de déclarations sociales (DUE …) relatif à la déclaration préalable à l’embauche ; 2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité relative à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail ; 3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.
Mots clés : Audiovisuel et droit du travail Thème : Audiovisuel et droit du travail A propos de cette jurisprudence : juridiction : Cour d’appel de Versailles | Date. : 12 fevrier 2013 | Pays : France |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le contexte de la participation de Steven S. au Bachelor ?Steven S. a été le Bachelor de la deuxième édition de l’émission de téléréalité « Bachelor », enregistrée pendant cinq semaines à partir du 1er novembre 2003. Cette émission a été diffusée sur la chaîne M6. La participation de Steven S. a été requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée, ce qui a des implications juridiques importantes concernant ses droits en tant que participant. Cette requalification a été fondée sur plusieurs éléments, notamment la nature de la prestation de travail et le lien de subordination qui existait entre lui et la société W9 PRODUCTIONS, productrice de l’émission. Quelles sont les caractéristiques d’un contrat de travail selon le texte ?Un contrat de travail est défini comme un accord par lequel une personne effectue une prestation de travail sous la subordination d’une autre, en échange d’une rémunération. Le lien de subordination est essentiel et se manifeste par l’autorité de l’employeur, qui peut donner des ordres, contrôler l’exécution du travail et sanctionner les manquements. A noter que la qualification d’une relation de travail ne dépend pas de la volonté des parties ou de la dénomination de leur convention, mais des conditions réelles d’exercice de l’activité. Comment la société W9 PRODUCTIONS a-t-elle encadré la participation des candidats ?La société W9 PRODUCTIONS a mis en place un processus de sélection rigoureux pour les candidats, incluant des castings et des tests de personnalité. Les participants étaient soumis à des exigences strictes, telles que des restrictions sur leur liberté de mouvement, l’obligation de rester dans un lieu secret, et l’interdiction d’utiliser des téléphones portables ou d’accéder à Internet. Ces conditions démontrent que les candidats étaient en réalité engagés dans une activité de travail, plutôt que dans un simple divertissement. Quelles étaient les modalités de rémunération pour Steven S. ?Steven S. a reçu une rémunération pour sa participation, qui comprenait un avenant à son contrat de participation. Cet avenant stipulait qu’il serait payé 872 euros après chaque « Cérémonie de la Rose », totalisant 7 014 euros. De plus, la société a également pris en charge ses frais de déplacement et d’hébergement, ainsi qu’un voyage d’une valeur de 5 000 euros avec la candidate choisie. Quelles preuves indiquent l’existence d’un lien de subordination ?Le règlement du jeu et les déclarations de Steven S. montrent que l’employeur imposait des exigences strictes, dépassant le simple cadre d’une activité ludique. Les participants étaient soumis à des horaires précis pour les repas et les activités, devaient porter des tenues imposées et suivre des comportements convenus. En cas de non-respect des règles, des sanctions financières étaient prévues, ce qui renforce l’idée d’un lien de subordination. Pourquoi le Bachelor n’a-t-il pas été reconnu comme artiste interprète ?Le Bachelor a revendiqué le statut d’artiste interprète, arguant que l’émission était une œuvre de fiction scénarisée. Cependant, le tribunal a jugé que les règles du jeu ne constituaient pas un scénario, car il manquait d’intrigue et de dialogues construits. De plus, Steven S. n’a pas démontré de compétences ou de formation pour exercer le métier d’artiste interprète, ce qui a conduit à la non-reconnaissance de ce statut. Quelles sont les implications de la prescription quinquennale sur les demandes du Bachelor ?La prescription quinquennale a limité le montant des dommages-intérêts accordés au Bachelor, car il a saisi le conseil de prud’hommes plus de cinq ans après la fin de son contrat. Le contrat de participation a pris fin le 7 décembre 2003, tandis que la saisine a eu lieu le 27 février 2009, dépassant ainsi le délai légal. Les demandes relatives aux rappels de salaires et autres indemnités ont été jugées prescrites, ce qui a eu un impact significatif sur ses droits. Pourquoi le travail dissimulé n’a-t-il pas été retenu dans ce cas ?Le tribunal n’a pas retenu le travail dissimulé, car le caractère intentionnel du délit ne pouvait pas être déduit du simple recours à un contrat de travail inadapté. Le travail dissimulé est défini par des situations spécifiques, telles que la non-déclaration des formalités sociales ou la délivrance de bulletins de paie incorrects. Dans ce cas, il n’a pas été prouvé que la société W9 PRODUCTIONS avait intentionnellement cherché à se soustraire à ces obligations. |
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