L’Essentiel : La société HAUSSMANN ITALIENS, via la SCI CARAVELLE, a engagé un litige avec CAFE LE MARIVAUX concernant un bail commercial. Après plusieurs jugements, le tribunal a fixé le loyer à 80 000 euros en 2015, mais des arriérés ont conduit à des commandements de payer. En janvier 2022, un commandement de 117 890,64 euros a été contesté par CAFE LE MARIVAUX pour imprécision. Le tribunal a annulé ce commandement, rejetant les demandes de résiliation du bail et d’expulsion, et a condamné la SCI CARAVELLE aux dépens, offrant ainsi une victoire à CAFE LE MARIVAUX.
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Contexte du litigeLa société HAUSSMANN ITALIENS, représentée par la SCI CARAVELLE, a conclu un bail commercial avec la société CAFE LE MARIVAUX pour des locaux à usage de café-bar-brasserie, avec un loyer initial de 60 766,33 euros par an. Le bail a été renouvelé en 2007, mais un désaccord est survenu concernant le montant du loyer, la SCI CARAVELLE demandant une augmentation à 94 000 euros, tandis que CAFE LE MARIVAUX contestait cette hausse. Jugements successifsLe tribunal a fixé le loyer à 78 500 euros en 2012, puis à 80 000 euros en 2015. Malgré ces décisions, des arriérés de loyers ont conduit la SCI CARAVELLE à délivrer plusieurs commandements de payer, dont certains ont été contestés par CAFE LE MARIVAUX. En 2017, un nouveau commandement a été émis pour des loyers impayés, suivi d’une demande de délai de paiement par CAFE LE MARIVAUX, qui a été partiellement satisfaite par le tribunal. Commandements de payer et contestationsLa SCI CARAVELLE a délivré plusieurs commandements de payer, dont un en janvier 2022 pour un montant de 117 890,64 euros. CAFE LE MARIVAUX a contesté la validité de ce commandement, arguant qu’il était imprécis et ne respectait pas les obligations contractuelles. En réponse, la SCI CARAVELLE a soutenu que le commandement était fondé sur des arriérés de loyers et charges. Décisions judiciairesLe tribunal a déclaré le commandement de payer du 31 janvier 2022 de nul effet, en raison de l’absence de décompte annexé et d’une demande de paiement imprécise. Par conséquent, les demandes de la SCI CARAVELLE concernant l’acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail ont été rejetées. Le tribunal a également refusé les demandes d’expulsion et de paiement d’indemnités d’occupation. Demandes reconventionnelles et fraisLa SCI CARAVELLE a été condamnée aux dépens, et la société CAFE LE MARIVAUX a obtenu une indemnité de 5 000 euros pour couvrir ses frais de justice. Les demandes de CAFE LE MARIVAUX concernant la régularisation des charges et les dommages-intérêts pour procédure abusive ont également été rejetées. ConclusionLe tribunal a statué en faveur de CAFE LE MARIVAUX sur plusieurs points, notamment en annulant le commandement de payer et en rejetant les demandes de résiliation du bail et d’expulsion. La SCI CARAVELLE a été condamnée à payer les dépens et une somme pour frais de justice, marquant ainsi une victoire pour CAFE LE MARIVAUX dans ce litige complexe. |
Q/R juridiques soulevées :
1. Quelle est la validité du commandement de payer délivré le 31 janvier 2022 ?Le commandement de payer doit respecter certaines conditions de validité, notamment en vertu de l’article L. 145-41 du code de commerce. Cet article stipule que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit mentionner ce délai, ainsi que la nature et le montant de la créance. En l’espèce, le commandement du 31 janvier 2022 demandait le paiement d’une somme de 117 890,64 euros, mais aucun décompte n’était annexé à l’acte. De plus, le décompte produit par la société SCI CARAVELLE indiquait un solde inférieur à la créance réclamée. Par conséquent, le commandement ne permettait pas à la société CAFE LE MARIVAUX de déterminer si la somme était due, ce qui entraîne sa nullité. Ainsi, le tribunal a déclaré le commandement de payer de nul effet. 2. Quelles sont les conséquences de la nullité du commandement de payer sur la clause résolutoire ?La nullité du commandement de payer a des conséquences directes sur la clause résolutoire. En effet, l’article 1224 du code civil prévoit que la résolution d’un contrat peut résulter de l’application d’une clause résolutoire ou d’une notification du créancier au débiteur en cas d’inexécution suffisamment grave. Dans le cas présent, puisque le commandement du 31 janvier 2022 a été déclaré nul, les demandes de la société SCI CARAVELLE concernant l’acquisition de la clause résolutoire et la résolution de plein droit du contrat de bail ont été rejetées. Cela signifie que la société CAFE LE MARIVAUX n’a pas été considérée comme ayant manqué à ses obligations contractuelles de manière suffisamment grave pour justifier la résiliation du bail. 3. Quelles sont les obligations du preneur en matière de paiement des loyers et charges ?L’article 1728 du code civil précise que le preneur est tenu de l’obligation principale de payer le prix du bail aux termes convenus. Cela implique que le locataire doit s’acquitter des loyers et des charges selon les modalités prévues dans le contrat de bail. Dans cette affaire, la société SCI CARAVELLE a soutenu que la société CAFE LE MARIVAUX avait manqué à ses obligations en ne payant pas les loyers et charges dus. Cependant, le tribunal a constaté que la société SCI CARAVELLE n’avait pas produit de décompte précis justifiant les sommes réclamées, ce qui a conduit à l’absence de preuve d’un manquement de la part de la société CAFE LE MARIVAUX. Ainsi, le tribunal a rejeté les demandes de la société SCI CARAVELLE en paiement des loyers et charges. 4. Quelles sont les conséquences d’un manquement aux obligations contractuelles ?Selon l’article 1229 du code civil, la résolution d’un contrat prend effet soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge. Pour qu’un manquement justifie la résiliation du contrat, il doit être d’une gravité suffisante. Dans cette affaire, la société SCI CARAVELLE a tenté de prouver que la société CAFE LE MARIVAUX avait manqué à ses obligations en raison de plusieurs commandements de payer délivrés. Cependant, le tribunal a noté que ces commandements n’étaient pas fondés sur des créances justifiées, et que la société CAFE LE MARIVAUX avait contesté les montants dus. Par conséquent, le tribunal a rejeté la demande de résiliation judiciaire du bail, considérant qu’il n’y avait pas de manquement suffisamment grave. 5. Quelles sont les implications des frais de justice et des dépens dans cette affaire ?L’article 696 du code de procédure civile stipule que la partie perdante est condamnée aux dépens, sauf décision motivée du juge. En l’espèce, la société SCI CARAVELLE, ayant perdu son procès, a été condamnée aux dépens, y compris le coût du commandement de payer. De plus, l’article 700 du même code permet au juge d’accorder des frais irrépétibles à la partie gagnante. Dans ce cas, la société CAFE LE MARIVAUX a été condamnée à recevoir une somme de 5 000 euros en application de cet article, tandis que la demande de la société SCI CARAVELLE pour des frais de 6 000 euros a été rejetée. Ces décisions illustrent l’importance des frais de justice dans le cadre des litiges commerciaux et la nécessité pour les parties de justifier leurs demandes. |
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] C.C.C. + C.C.C.F.E.
délivrées le :
à Me JEANNOT (B0594)
C.C.C.
délivrée le :
à Me ROUCH (P0335)
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18° chambre
2ème section
N° RG 22/02581
N° Portalis 352J-W-B7G-CWGLO
N° MINUTE : 2
Assignation du :
24 Février 2022
JUGEMENT
rendu le 16 Janvier 2025
DEMANDERESSE
S.A.S. CAFE LE MARIVAUX (RCS de PARIS n°572 038 875)
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Caroline JEANNOT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #B0594
DÉFENDERESSE
S.C.I. SCI CARAVELLE (RCS de PARIS n°449 830 926)
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Maître Henri ROUCH de la SELARL WARN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0335
Décision du 16 Janvier 2025
18° chambre 2ème section
N° RG 22/02581 – N° Portalis 352J-W-B7G-CWGLO
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Sabine FORESTIER, Vice-présidente, Lucie FONTANELLA, Vice-présidente, Maïa ESCRIVE, Vice-présidente, assistées de Alice LEFAUCONNIER, Greffière, lors des débats et de Paulin MAGIS, Greffier, lors de la mise à disposition au greffe.
DÉBATS
A l’audience du 17 Octobre 2024, tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 16 Janvier 2025.
JUGEMENT
Rendu publiquement
Contradictoire
en premier ressort
Par acte sous seing privé en date du 16 août 2001, la société HAUSSMANN ITALIENS, aux droits de laquelle se trouve la société SCI CARAVELLE, a donné à bail commercial, en renouvellement, à la société CAFE LE MARIVAUX des locaux dépendant d’un immeuble sis à [Adresse 5], pour une durée de neuf années du 1er octobre 1998 au 30 septembre 2007, l’exercice de l’activité de « CAFE-BAR-BRASSERIE » et un loyer annuel de 60 766,33 euros, hors taxes et hors charges.
Par acte d’huissier de justice signifié le 30 mars 2007, la société SCI CARAVELLE a délivré à la société CAFE LE MARIVAUX un congé avec offre de renouvellement à compter du 1er octobre 2007, toutes clauses et conditions du bail restant identiques, à l’exception du montant du loyer dont elle a sollicité la fixation à la somme annuelle de 94 000 euros hors taxes et hors charges.
Aucun accord n’étant intervenu entre les parties, par un jugement rendu le 10 janvier 2012 le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris a fixé le montant du loyer annuel du bail renouvelé à la somme de 78 500 euros hors taxes et hors charges à compter du 1er octobre 2007.
Selon lettre recommandée avec accusé de réception en date du 20 mars 2012, la société SCI CARAVELLE a sollicité de la société CAFE LE MARIVAUX la révision du loyer à compter du 1er avril 2012 pour un montant de 92 046,21 euros.
En l’absence d’accord des parties, par un jugement du 1er avril 2015 le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris a fixé le montant du loyer révisé à la somme de 80 000 euros hors taxes et hors charges à compter du 1er avril 2012.
Par acte d’huissier de justice en date du 03 mars 2015, la société SCI CARAVELLE a fait délivrer à la société CAFE LE MARIVAUX un commandement, visant la clause résolutoire stipulée au contrat de bail, de lui payer une somme de 41 118,67 euros correspondant au montant des loyers et charges échus au 31 décembre 2014 inclus.
La société CAFE LE MARIVAUX n’ayant pas procédé au règlement des causes de ce commandement de payer dans le délai d’un mois qui lui était imparti, la société SCI CARAVELLE a alors saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris afin qu’il constatel’acquisition de la clause résolutoire insérée au bail.
Par ordonnance du 15 décembre 2015, le juge des référés a débouté les parties de leurs demandes au motif que la créance invoquée n’était pas justifiée.
Par acte d’huissier de justice du 14 juin 2016, la société SCI CARAVELLE a fait délivrer à la société CAFE LE MARIVAUX un second commandement de payer visant la clause résolutoire pour un montant de 25 176,03 euros correspondant au montant des loyers et charges du premier trimestre 2016.
La société CAFE LE MARIVAUX s’est alors acquittée de l’arriéré locatif dans le délai d’un mois qui lui était imparti.
Un troisième commandement de payer visant la clause résolutoire lui a été délivré par acte d’huissier de justice en date du 28 juillet 2016, pour un montant de 20 646,35 euros correspondant au montant des loyers et charges pour le deuxième trimestre 2016.
Ce commandement de payer étant resté infructueux, par assignation du 29 juillet 2016, la société CAFE LE MARIVAUX a saisi le juge des référés d’une demande de délai de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire.
Selon ordonnance de référé du 10 janvier 2017, le juge des référés a condamné la société CAFE LE MARIVAUX au paiement de la somme de 20 425 euros au titre des loyers et charges du 4e trimestre 2016, outre la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 10 février 2017 la société SCI CARAVELLE a fait délivrer à la société CAFE LE MARIVAUX un nouveau commandement de payer portant sur une créance principale de 20 425 euros selon décompte arrêté au 31 décembre 2016.
Selon lettre en date du 10 juillet 2017, la société SCI CARAVELLE a sollicité de la société CAFE LE MARIVAUX le paiement de la somme de 21 268,55 euros se décomposant comme suit :
– solde de charges pour 2015 : 253,05 euros,
– taxe d’ordures ménagères 2016 : 114,25 euros,
– solde de charges 2016 : 253,05 euros,
– loyers et charges du 2e trimestre 2017 : 20 425 euros,
– frais de procédure : 223,20 euros.
A défaut de règlement de la part de la société CAFE LE MARIVAUX, selon acte d’huissier de justice en date du 20 juillet 2017, la société SCI CARAVELLE lui a délivré un commandement, visant la clause résolutoire, de payer la somme de 21 500,88 euros.
Parallèlement à ce commandement, la société SCI CARAVELLE a réalisé une saisie-conservatoire sur le compte bancaire de la société CAFE LE MARIVAUX, laquelle a acquiescé à cette saisie.
Selon acte d’huissier de justice signifié le 07 septembre 2017, la société CAFE LE MARIVAUX a sollicité de la société SCI CARAVELLE le renouvellement du bail pour une durée de neuf ans à compter du 1er octobre 2017.
Par acte d’huissier de justice signifié le 19 octobre 2017, la société SCI CARAVELLE a accepté le renouvellement du bail à compter du 1er octobre 2017.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 27 décembre 2017, la société SCI CARAVELLE a sollicité de la société CAFE LE MARIVAUX le paiement des régularisations de charges pour une somme de 20 421,26 euros se décomposant comme suit :
– solde de charges année 2012 : 4 537,23 euros,
– solde de charges année 2013 : 3 862,17 euros,
– solde de charges année 2014 : 4 225,45 euros,
– solde de charges année 2015 : 3 546,97 euros,
– solde de charges année 2016 : 4 249,44 euros.
A défaut de règlement, par acte d’huissier de justice du 8 mars 2018, la société SCI CARAVELLE a fait délivrer à la société CAFE LE MARIVAUX un commandement de payer visant la clause résolutoire portant sur la somme principale de 26 073,59 euros.
Parallèlement, le 7 mars 2018, la société SCI CARAVELLE a fait pratiquer une saisie-conservatoire pour le paiement de la somme principale de 26 073,59 euros.
La société CAFE LE MARIVAUX a saisi le juge de l’exécution qui, selon jugement du 4 juin 2018, a ordonné la mainlevée de la saisie.
Par acte d’huissier de justice du 15 mars 2018, la société CAFE LE MARIVAUX a assigné la société SCI CARAVELLE à comparaître devant le tribunal judiciaire de PARIS notamment afin d’obtenir la nullité du commandement de payer signifié le 8 mars 2018 et, subsidiairement, la suspension des effets de la clause résolutoire.
Parallèlement, selon acte d’huissier de justice du 6 avril 2018, la société SCI CARAVELLE a assigné la société CAFE LE MARIVAUX à comparaître devant le tribunal judiciaire de PARIS afin qu’il constate l’acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du contrat de bail.
Les deux instances ont été jointes selon ordonnance du 26 novembre 2018 et par un jugement rendu le 17 septembre 2020 le tribunal a notamment :
– déclaré nul et de nul effet le commandement visant la clause résolutoire délivré le 8 mars 2018;
– débouté la société SCI CARAVELLE de sa demande de voir prononcer la résolution de plein droit du bail ;
– déclaré sans objet les demandes formées à titre subsidiaire par la société CAFE LE MARIVAUX en paiement de la somme de 26 073,59 euros à titre de dommages-intérêts et de suspension des effets de la clause résolutoire et d’octroi de délais de paiement ;
– débouté la société SCI CARAVELLE de sa demande en paiement de la somme de 26 073,59 euros au titre de l’arriéré locatif arrêté à la date du 16 janvier 2018 ;
– débouté la SCI CARAVELLE de sa demande de résiliation judiciaire du bail ainsi que de ses demandes subséquentes en expulsion, en paiement d’une indemnité d’occupation jusqu’à la libération des locaux et en conservation du dépôt de garantie.
– débouté la société CAFE LE MARIVAUX de sa demande en paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
– débouté la société CAFE LE MARIVAUX de ses demandes en prononcé d’une condamnation sous astreinte de la société SCI CARAVELLE à lui communiquer les avoirs correspondant aux montants des charges quittancées et aux frais de procédure et à ramener à la somme de 175 euros par trimestre le montant de la provision pour charges appelé depuis le 1er janvier 2018 ;
– condamné la société SCI CARAVELLE aux dépens, incluant le coût du commandement de payer en date du 8 mars 2018, avec recouvrement direct ;
– déclaré irrecevable la demande de la société SCI CARAVELLE en paiement du coût de la saisie-conservatoire ;
– condamné la société SCI CARAVELLE à payer à la société CAFE LE MARIVAUX la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
La société SCI CARAVELLE a interjeté appel de cette décision.
Selon acte d’huissier de justice en date du 31 janvier 2022, la société SCI CARAVELLE a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire portant sur la somme principale de 117 890,64 euros, selon décompte arrêté au 4e trimestre 2021 inclus.
C’est ainsi que par acte d’huissier de justice signifié le 24 février 2022 la société CAFE LE MARIVAUX a assigné la société SCI CARAVELLE à comparaître devant le tribunal judiciaire.
Par ailleurs, à la suite de la demande de renouvellement de bail commercial notifiée par la société CAFE LE MARIVAUX le 7 septembre 2017 et à défaut d’accord des parties quant au montant du loyer du bail renouvelé, selon jugement en date du 08 juillet 2022, le juge des loyers commerciaux a fixé le montant du loyer au 1er octobre 2017 à la somme de 87 562 euros hors taxes et hors charges.
Dans ses dernières conclusions (conclusions en réplique notifiées par RPVA le 08 février 2023), la société CAFE LE MARIVAUX demande au tribunal de :
« A TITRE PRINCIPAL :
CONSTATER que le commandement est imprécis et porte sur une assiette erronée ;
CONSTATER que la convention locative ne répercute pas sur la société locataire les charges afférentes à l’immeuble de sorte que les causes visées dans le commandement ne constituent pas une infraction au regard des clauses et conditions du bail susceptibles de permettre la mise en œuvre de la clause résolutoire ;
JUGER que la bonne foi doit présider à l’exécution des conventions et qu’à supposer qu’un commandement ait pu être délivré pour avoir paiement des loyers dus, le visa de la clause résolutoire apporte la démonstration de la volonté de la bailleresse de tirer parti d’une situation économique obéré pour obtenir un avantage injustifié sur son cocontractant ;
En conséquence :
DIRE ET JUGER que le commandement signifié le 31 janvier 2022 est nul et de nul effet ;
Si par extraordinaire, la présente juridiction écarte la nullité du commandement :
DIRE ET JUGER que la régularisation tardive des charges constitue un obstacle à la mise en œuvre de la clause résolutoire, faute de bonne foi ;
A TITRE RECONVENTIONNEL :
CONDAMNER la SCI CARAVELLE, sous astreinte de 500 € par jour à compter de la décision à intervenir, à :
– éditer des avoirs correspondants aux montants des charges irrégulièrement quittancées à la société CAFE LE MARIVAUX ;
– modifier le montant de la provision pour charges appelé depuis le 1er janvier 2018 pour le ramener à la somme de 175 €/trimestre ;
– éditer des avoirs pour les frais de procédure irrégulièrement perçus ;
CONDAMNER la SCI CARAVELLE à payer à la Société CAFE LE MARIVAUX la somme de HUIT MILLE EUROS (8.000 €) à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive;
A TITRE SUBSIDIAIRE :
Si le commandement était jugé valable et le Tribunal entrait en voie de condamnation :
CONSTATER que la SCI CARAVELLE a manqué à son obligation de régularisation annuelle, de modification en conséquence du montant de la provision pour charges et à son obligation de loyauté et de bonne foi dans l’exécution du contrat ;
En conséquence, CONDAMNER la SCI CARAVELLE à verser la somme de 50.000 € de dommages-intérêts à la société CAFE LE MARIVAUX ;
SUSPENDRE les effets de la clause résolutoire et OCTROYER à la Société CAFE LE MARIVAUX les plus larges délais pour s’acquitter des sommes dont elle pourrait être redevable envers la SCI CARAVELLE ;
EN TOUTE HYPOTHESE :
DEBOUTER la SCI CARAVELLE de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
CONDAMNER la SCI CARAVELLE au paiement d’une somme de HUIT MILLE EUROS (8.000 €) sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile;
CONDAMNER la même aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Caroline JEANNOT, aux offres de droit, sur son affirmation qu’elle en a fait l’avance sans en avoir reçu provision conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.»
En ce qui concerne la nullité du commandement de payer, la société CAFE LE MARIVAUX expose qu’il est imprécis et qu’il vise un prétendu manquement qui ne figure pas au nombre des obligations contractuelles du preneur. Elle soutient que le commandement est imprécis car il ne comporte aucun justificatif des charges dont la société SCI CARAVELLE sollicite le paiement et qu’en outre celle-ci réclame des soldes de charges entre 2012 et 2019 de montants différents et sans aucun détail ainsi qu’une provision pour charges de 1300 euros alors qu’elle était de 175 euros depuis de nombreuses années. Elle ajoute que le commandement encourt également la nullité faute de clause contractuelle mettant à sa charge les charges locatives réclamées. Sur le fondement des articles L.145-41 du code de commerce et 1103 du code civil, elle explique que le preneur ne peut en effet être tenu au paiement de charges en sus du loyer qu’en vertu d’une clause claire et précise du bail. Or, selon le bail, la société locataire n’est redevable envers le bailleur que de la taxe de balayage et d’enlèvement des ordures ménagères et la société SCI CARAVELLE ne saurait donc répercuter sur son locataire l’intégralité des charges de l’immeuble. Elle souligne que ce n’est que depuis 2017 que la société SCI CARAVELLE lui impute l’intégralité des charges afférentes à l’immeuble et que depuis le premier trimestre 2018, elle appelle en conséquence une provision trimestrielle de 1 300 euros au lieu de 175 euros.
De plus, sur le fondement de l’article 1135 ancien du code civil, elle prétend que la société SCI CARAVELLE a fait preuve de mauvaise foi en délivrant le commandement puisqu’elle a voulu exercer une pression sur elle alors que lors de l’épidémie de covid 19 elle lui a demandé une adaptation des modalités de paiement du loyer, que malgré ses difficultés durant cette période elle a réglé la moitié du loyer et qu’elle a commencé à apurer le solde de sa dette dès que les décisions de la Cour de cassation sur l’exigibilité des loyers ont été rendues.
La société CAFE LE MARIVAUX s’oppose à la résiliation judiciaire du bail en soutenant que les commandements délivrés par la société SCI CARAVELLE n’étant ni fondés ni justifiés, il n’existe aucun manquement grave permettant le prononcé de la résiliation.
La société CAFE LE MARIVAUX fait également valoir qu’elle est fondée à ne pas régler des charges qui ne sont pas contractuellement dues et sollicite en conséquence la remise d’avoirs correspondant aux montants des charges irrégulièrement quittancées, la modification du montant de la provision pour charges appelé depuis le 1 er janvier 2018 pour le ramener à la somme de 175 euros par trimestre et la remise d’avoirs pour les frais de procédure irrégulièrement perçus de manière à ce que son compte soit conforme aux sommes contractuellement dues.
S’agissant de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, la société CAFE LE MARIVAUX invoque un acharnement procédural afin de l’évincer du local et le refus de la société SCI CARAVELLE d’accepter les décisions rendues par le juge des référés et le tribunal.
Selon elle, la société SCI CARAVELLE a commis une faute en adressant un commandement de payer portant sur des sommes non justifiées, ce qui l’a obligée à initier une procédure et à se défendre une nouvelle fois devant le juge, ce qui lui cause un préjudice.
En ce qui concerne sa demande subsidiaire de dommages-intérêts, la société CAFE LE MARIVAUX considère que l’usage déloyal par le bailleur d’une prérogative contractuelle, qui constitue un manquement du bailleur à son obligation, prévue par l’article 1104 du code civil, d’exécuter le contrat de bonne foi, autorise le juge, s’il en est résulté un préjudice pour le locataire, à lui allouer des dommages-intérêts. Elle indique que la société SCI CARAVELLE a manqué à son obligation de régularisation annuelle des charges, de modification en conséquence du montant de la provision pour charges et à son obligation de loyauté et de bonne foi dans l’exécution du contrat.
La société CAFE LE MARIVAUX sollicite enfin un délai de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire compte tenu de sa bonne foi puisqu’elle a réglé les loyers des années 2020 et 2021 malgré les difficultés dues à l’épidémie de covid 19 et dès que sa trésorerie le lui permettait, et que par la suite elle a commencé à régler le solde de sa dette dès les décisions de la Cour de cassation rendues, outre le rappel dû à la suite du jugement fixant le montant du loyer du bail renouvelé. Elle souligne que le bail ne lui interdisait pas de donner son fonds de commerce en location-gérance et qu’elle n’a nullement cherché à créer une confusion entre deux sociétés.
Dans ses dernières conclusions (conclusions notifiées par RPVA le 03 octobre 2022), la société SCI CARAVELLE demande au tribunal de :
« – Déclarer le commandement de payer du 31 janvier 2022 parfaitement valable et fondé.
En conséquence,
– Débouter la société CAFE LE MARIVAUX de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.
– Faire droit aux demandes reconventionnelles de la SCI CARAVELLE.
En conséquence,
* A titre principal,
– Déclarer la clause résolutoire insérée au bail acquise à la date du 28 février 2022.
En conséquence,
– Prononcer la résolution de plein droit du bail.
* A titre subsidiaire,
– Déclarer que la société CAFE LE MARIVAUX n’a pas respecté ses engagements contractuels compte tenu des abstentions réitérées de paiement des loyers et charges à échéances ainsi que des retards répétés.
En conséquence,
– Ordonner la résiliation judiciaire du bail aux torts exclusifs de la société CAFE LE MARIVAUX.
* En tout état de cause,
– Condamner la société CAFE LE MARIVAUX à payer à la SCI CARAVELLE la somme de 145.760,64 Euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2022, date du commandement de payer, sur la somme de 117.890,64 Euros, et à compter de la décision à intervenir pour le surplus, les comptes étant arrêtés au 30 juin 2022 et à réactualiser,
– Ordonner l’expulsion immédiate et sans délai de la société CAFE LE MARIVAUX ainsi que celle de tout occupant de son chef des lieux occupés sis : * [Adresse 1] et ce avec l’assistance de la force publique et d’un serrurier s’il y a lieu.
– Ordonner le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux de la partie requise dans tel garde-meuble de son choix ou dans tel autre lieu au choix de la bailleresse, et ce en garantie de toute somme qui pourra être due.
– Condamner la société CAFE LE MARIVAUX à payer à la SCI CARAVELLE les sommes suivantes :
* 393,12 € au titre du coût du commandement de payer du 8 mars 2018,
* 6.000 € sur le fondement de dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
– Fixer l’indemnité d’occupation mensuelle due par la société CAFE LE MARIVAUX au montant du loyer conventionnel (loyers et accessoires), soit la somme mensuelle de 7.297 Euros hors taxes, charges en sus.
– Condamner la société CAFE LE MARIVAUX au paiement de ladite indemnité d’occupation mensuelle, et ce jusqu’à libération effective des lieux occupés.
– Déclarer que le montant du dépôt de garantie à hauteur 40.000 € sera acquis à la bailleresse.
– Condamner la société CAFE LE MARIVAUX aux entiers dépens, y compris le coût de la saisie-conservatoire.
– Débouter la société CAFE LE MARIVAUX de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires. »
La société SCI CARAVELLE expose que le commandement de payer ne saurait être annulé puisqu’il est parfaitement précis. Elle indique qu’il était annexé au commandement de payer un relevé de compte précis des loyers et charges dus au 31 décembre 2021, lequel montre qu’il était dû des charges mais également des loyers. Elle souligne que la société CAFE LE MARIVAUX reconnaît expressément qu’elle ne s’acquitte plus du montant des loyers courants depuis 2020, se bornant à réaliser des règlements partiels à sa guise.
La société SCI CARAVELLE ajoute qu’il y a bien eu de la part de la société CAFE LE MARIVAUX une violation expresse d’une clause du bail dans la mesure où aux termes du bail elle s’est obligée à régler le paiement de ses loyers à échéance alors que le commandement du 31 janvier 2022 vise principalement le défaut de paiement de loyers en principal. Elle ajoute qu’il y a eu également une violation expresse du bail en ce qui concerne le règlement des charges. Elle soutient à ce sujet que tous les renouvellements conclus ont repris les conditions et clauses originaires du bail de 1944, qui a donc été régularisé avant même la création du statut des baux commerciaux en 1953, et qui prévoit notamment que les charges et accessoires du bail seront exigibles par quart aux mêmes dates que celles prévues pour les loyers. Elle en conclut que le preneur s’oblige à payer les charges et accessoires du bail, ce qui selon elle suffit à rendre exigibles les remboursements de charges qu’elle sollicite, peu important que la liste des charges en question ne soit pas détaillée dans le bail originaire et ses renouvellements successifs. Elle souligne que la société CAFE LE MARIVAUX a d’ailleurs toujours été redevable de charges autres que les seules taxes d’ordures ménagères et de balayage et qu’elle s’en est acquittée depuis 1944 sans aucune contestation ainsi que le montrent les décomptes.
La société SCI CARAVELLE prétend de plus avoir délivré le commandement en étant de bonne foi. Elle explique que l’article 40 du décret 2021-699 du 1er juin 2021 a été modifié par le décret 2021-910 du 8 juillet 2021 mettant fin aux jauges et aux limitations horaires pour les activités de restauration, de sorte qu’à compter du 9 juillet 2021, l’activité de la société CAFE LE MARIVAUX n’était plus concernée par une mesure de police administrative et qu’il pouvait lui être délivré un commandement de payer à compter du 2 août 2021. Elle ajoute qu’en tout état de cause, l’état d’urgence sanitaire a pris fin au 1er juin 2021. Elle précise que l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 n’efface pas les loyers portant sur les périodes de fermeture administrative et n’interdit pas au bailleur de faire délivrer à son locataire un commandement de payer visant des loyers sur la période juridiquement protégée mais a seulement pour but de suspendre les effets du commandement de payer pendant la durée prescrite par la loi, soit à compter du 17 octobre 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la cessation des mesures de fermeture administrative, soit jusqu’au 31 juillet 2021. Elle en conclut que le commandement de payer délivré le 31 janvier 2022, soit plus de six mois après la fin de la période d’état d’urgence sanitaire, est parfaitement valable et ne peut être considéré comme avoir été délivré de mauvaise foi.
Par ailleurs, la société SCI CARAVELLE prétend qu’une condamnation sous astreinte à communiquer les avoirs correspondants aux montants des charges quittancées et aux frais de procédure mis à sa charge n’apparaît pas justifiée, un compte devant être uniquement effectué entre les parties. De plus, il n’y a pas lieu de lui ordonner de ramener à la somme de 175 euros par trimestre le montant de la provision pour charges car le montant de la provision résulte de l’accord des parties et son versement donne lieu à restitution en cas de trop-perçu
La société SCI CARAVELLE s’oppose également à la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formulée par la société CAFE LE MARIVAUX en exposant que c’est cette dernière qui a initié la présente procédure et qu’elle ne justifie ni d’une faute de sa part, ni d’un quelconque préjudice ainsi que l’exige l’article 32-1 du code de procédure civile. Elle invoque qu’au contraire il est parfaitement légitime qu’elle réclame le paiement des loyers et charges à échéance et fasse toutes diligences pour l’obtenir compte tenu du retard constant de la société CAFE LE MARIVAUX.
En outre, la société SCI CARAVELLE s’oppose à ce qu’il soit accordé un délai de paiement à la société CAFE LE MARIVAUX au motif qu’elle n’est pas une locataire de bonne foi. Elle indique en effet qu’en contravention aux clauses du bail, la société CAFE LE MARIVAUX a donné son fonds de commerce en location gérance à la société MARIVAUX ITALIENS, qui a le même président que la première et qui exploite l’activité, ce qui crée une confusion. La société CAFE LE MARIVAUX n’a donc aucune charge d’exploitation et ses recettes sont constituées exclusivement des redevances perçues au titre du contrat de location-gérance et censées correspondre au minimum au montant des loyers et charges appelés. La société CAFE LE MARIVAUX ne justifie ainsi d’aucune difficulté financière et, bien au contraire, a une activité est des plus stables et pérennes depuis plusieurs années.
Reconventionnellement, la société SCI CARAVELLE sollicite que l’acquisition de la clause résolutoire soit constatée car la somme en principal de 117 890,64 euros sur laquelle portait le commandement n’a pas été réglée par la société CAFE LE MARIVAUX dans le délai d’un mois qui lui était imparti.
Subsidiairement, en vertu de l’article 1728 du code civil, elle sollicite la résiliation judiciaire du bail aux torts exclusifs de la société CAFE LE MARIVAUX compte tenu du nombre de commandements de payer visant la clause résolutoire délivrés depuis près de quinze ans à son encontre ainsi que du retard apporté à chaque règlement de loyers et charges à son échéance. Selon elle, les décomptes produits montrent que la société CAFE LE MARIVAUX ne s’acquitte pas du montant de ses loyers et charges à échéance, y compris ses loyers courants, ni du rappel de loyer dû à la suite de la fixation du prix du loyer du bail renouvelé. Elle évalue sa créance à la somme de 145 760,64 euros au 30 juin 2022. Dans ces conditions elle estime que son comportement est constitutif d’un manquement grave et suffisant justifiant de la résiliation judiciaire du bail commercial à ses torts exclusifs.
Par ordonnance du 25 septembre 2023, le juge de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction de l’affaire, laquelle a été appelée à l’audience collégiale du 17 octobre 2024.
A cette audience, les parties ont confirmé au tribunal que la cour d’appel avait statué sur l’appel formé à l’encontre du jugement précité rendu par le tribunal le 17 septembre 2020. Par un arrêt rendu le 05 septembre 2024, la cour a notamment confirmé le jugement en toutes ses dispositions et débouté les parties de leurs autres demandes.
L’affaire a été mise en délibéré au 16 janvier 2025.
1- Sur la demande de nullité du commandement de payer du 31 janvier 2022
L’article L. 145-41 du code de commerce prévoit que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
En application de l’article 1353 du code civil, il appartient au bailleur d’apporter la preuve des obligations auxquelles il reproche au preneur d’avoir manqué tandis qu’il incombe à celui-ci de démontrer qu’il les a exécutées.
Il est acquis que pour produire valablement effet, le commandement de payer doit informer clairement le locataire du manquement qui lui est reproché, et notamment lorsqu’il s’agit du paiement des loyers et charges, préciser le montant, la cause, la nature et la date d’exigibilité de la somme réclamée. Un commandement de payer qui serait notifié pour une somme erronée et supérieure au montant de la créance réelle du bailleur au titre des loyers n’est pas nul mais ne produit ses effets qu’à due concurrence de la somme exigible.
En l’espèce, aux termes de son commandement du 31 janvier 2022, la société SCI CARAVELLE demande à la société CAFE LE MARIVAUX de lui régler la somme de 117 890,64 euros qui lui reste due selon « décompte annexé aux présentes et arrêté au 4e trimestre 2021 inclus, le loyer ayant été stipulé exigible à terme échu. ».
Cependant, aucun décompte n’est annexé à l’acte, chacune des parties produisant la photocopie d’un commandement qui ne comprend aucun décompte.
Si dans ses conclusions la société SCI CARAVELLE indique qu’un décompte était annexé à son commandement de payer, il s’avère que le décompte qu’elle produit à l’appui de cette indication (sa pièce n°32) fait état d’un solde dû de 95 189,71 euros au 13 avril 2021, soit un solde inférieur à la créance de 117 890,64 euros, arrêtée au 4e trimestre 2021, réclamée par le commandement.
En outre, si le rappel du litige et les déclarations de la société SCI CARAVELLE figurant dans le commandement confirment que cette dernière réclame à la société CAFE LE MARIVAUX le paiement d’un arriéré de loyer et charges, il est impossible d’établir précisément quelles sont les périodes de loyer et les charges qui n’auraient pas été payées.
A défaut de telles précisions, la société CAFE LE MARIVAUX ne pouvait déterminer si la somme de 117 890,64 euros qui lui était réclamée était due.
Par conséquent, le commandement du 31 janvier 2022 sera déclaré de nul effet.
2- Sur la demande d’acquisition de la clause résolutoire
Le commandement du 31 janvier 2022 devant être déclaré de nul effet, les demandes de la société SCI CARAVELLE d’acquisition de la clause résolutoire et de « résolution de plein droit » du contrat de bail à ce titre seront rejetées.
3- Sur la demande subsidiaire de résiliation du contrat de bail et les demandes subséquentes
L’article 1224 du code civil dispose que la résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice.
Selon l’article 1229 du même code, la résolution met fin au contrat.
La résolution prend effet, selon les cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l’assignation en justice.
Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation.
Les restitutions ont lieu dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9.
L’article 1728 prévoit que le preneur est tenu de l’obligation principale de payer le prix du bail aux termes convenus.
Il ressort de ces dispositions que le manquement par un cocontractant à ses obligations doit être d’une gravité suffisante pour justifier la résolution du contrat.
En l’espèce, la société SCI CARAVELLE fait valoir que la société CAFE LE MARIVAUX reste lui devoir une somme de 145 760,64 euros au 30 juin 2022 mais ne produit aucun décompte à l’appui de sa demande, le dernier décompte produit étant celui faisant apparaître un solde débiteur de 95 189,71 euros au 13 avril 2021 (sa pièce n°32). Elle ne justifie donc pas d’un défaut de paiement de la part de la société CAFE LE MARIVAUX.
Ainsi que l’a déjà relevé le tribunal dans son jugement du 17 janvier 2020, confirmé par la cour d’appel le 05 septembre 2024, il ne peut davantage être déduit de la délivrance de plusieurs commandements de payer une volonté de la société CAFE LE MARIVAUX de se soustraire à son obligation principale de payer le loyer dès lors que les demandes judiciaires de la société SCI CARAVELLE de résiliation du contrat de bail ou de paiement du loyer ont échoué en raison notamment de contestations quant à l’exigibilité des créances invoquées ou de paiements la désintéressant. Il apparaît qu’il existait entre les parties un conflit quant au montant des provisions sur charges réclamées et à l’exigibilité des régularisation de charges et que dans son jugement du 17 septembre 2020, confirmé par la cour d’appel le 05 septembre 2024, le tribunal a rejeté la demande de la société SCI CARAVELLE de condamnation de la société CAFE LE MARIVAUX à lui payer une somme de 20 168,21 euros au titre des charges en considérant que cette dernière n’était pas tenue de régler les charges d’entretien de la copropriété qui lui étaient réclamées par la société SCI CARAVELLE.
Enfin, comme le tribunal l’avait également relevé dans son jugement précité, en offrant le renouvellement du bail à la société CAFE LE MARIVAUX le 1er octobre 2007 puis le 1er octobre 2017, même si cela ne constituait pas une renonciation à poursuivre la résiliation du bail, la société SCI CARAVELLE a néanmoins montré qu’elle considérait que le comportement de celle-ci ne revêtait pas une gravité de nature à faire obstacle à la poursuite de leur relation contractuelle.
Dans ces conditions, la société SCI CARAVELLE ne justifie d’aucun motif suffisamment grave de nature à entraîner la résiliation du contrat de bail.
Sa demande de résiliation judiciaire du contrat de bail aux torts exclusifs de la société CAFE LE MARIVAUX et ses demandes subséquentes d’expulsion de la société CAFE LE MARIVAUX, de séquestration du mobilier, de condamnation de la société CAFE LE MARIVAUX au paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle de 7 297 euros hors taxes et de conservation du dépôt de garantie de 40 000 euros seront rejetées.
4- Sur les demandes en paiement de la société SCI CARAVELLE
a) Sur la demande en paiement de la somme de 145 760,64 euros
La société SCI CARAVELLE fait valoir que la société CAFE LE MARIVAUX reste lui devoir une somme de 145 760,64 euros au 30 juin 2022.
Elle ne produit toutefois aucun décompte au soutien de sa demande, se contentant de mentionner qu’à la date de délivrance du commandement de payer le 31 janvier 2022, la société CAFE LE MARIVAUX restait lui devoir la somme de 117 890,64 euros.
Le dernier décompte qu’elle produit est celui qu’elle invoque au soutien du commandement du 31 janvier 2022 de payer la somme de la somme de 117 890,64 euros et qui fait apparaître un solde débiteur différent de 95 189,71 euros au 13 avril 2021.
A défaut de justificatif de sa créance, la demande de la société SCI CARAVELLE de condamnation de la société CAFE LE MARIVAUX à lui payer la somme de 145 760,64 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2022, date du commandement de payer, sur la somme de 117 890,64 euros, et à compter de la décision à intervenir pour le surplus, les comptes étant arrêtés au 30 juin 2022 et à réactualiser, sera rejetée.
b) Sur la demande en paiement du coût du commandement de payer
La société SCI CARAVELLE sollicite la condamnation de la société CAFE LE MARIVAUX à lui payer la somme de 393,12 euros au titre du commandement de payer du 08 mars 2018.
Ainsi que cela ressort des développements précédents, le commandement de payer à l’origine de la présente instance a été signifié le 31 janvier 2022 et non le 08 mars 2018.
Le montant sollicité correspondant à celui du commandement du 31 janvier 2022, il convient de considérer que c’est par erreur que la société SCI CARAVELLE a mentionné la date du 08 mars 2018.
Le commandement de payer constituant un préalable indispensable à la demande de constatation de l’acquisition de la clause résolutoire, la demande en remboursement de son coût sera traitée ultérieurement au titre des dépens.
5- Sur la demande de la société SCI CARAVELLE de rectification des factures émises et de la provision sur charges appelée
Aucune créance n’ayant été retenue au bénéfice de la société SCI CARAVELLE, la demande de la société CAFE LE MARIVAUX de condamnation sous astreinte de la première à lui remettre des avoirs correspondant aux charges irrégulièrement quittancées et aux frais de procédure irrégulièrement perçus, ainsi que sa demande de modification du montant de la provision pour charges à la somme de 175 euros par trimestre, seront rejetées.
6- Sur la demande de dommages-intérêts de la société SCI CARAVELLE
Selon l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
La société CAFE LE MARIVAUX ne justifie d’aucune circonstance de nature à faire dégénérer en faute le droit de la société SCI CARAVELLE à agir en justice.
Il s’avère en effet qu’elle n’a pas toujours acquitté les loyers dus à l’échéance contractuellement fixée, ce qui a conduit la société SCI CARAVELLE à lui délivrer un commandement de payer.
Elle ne peut davantage reprocher à la société SCI CARAVELLE de ne pas avoir respecté le jugement du 17 septembre 2020 puisque celui-ci n’était pas soumis à l’exécution provisoire, qu’appel avait été formé et que le commandement du 31 janvier 2022 avait été délivré alors que la procédure d’appel était en cours.
En outre, elle ne rapporte la preuve d’aucun préjudice.
Dès lors, sa demande de condamnation de la société SCI CARAVELLE à lui payer la somme de 8 000 euros de dommages-intérêts sera rejetée.
7- Sur les demandes accessoires
a) Sur les dépens
Selon l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
L’article 699 du même code dispose que les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision. La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens.
La société SCI CARAVELLE, partie perdante, sera condamnée aux dépens qui comprendront le coût du commandement de payer du 31 janvier 2022 de 393,12 euros, avec recouvrement direct au profit de Me Caroline JEANNOT, avocat.
b) Sur les frais irrépétibles
Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 .
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
La somme allouée au titre du 2° ne peut être inférieure à la part contributive de l’Etat majorée de 50 %.
L’équité commande de condamner la société SCI CARAVELLE à payer à la société CAFE LE MARIVAUX la somme de 5 000 euros et de rejeter la demande de la société SCI CARAVELLE de condamnation de la société CAFE LE MARIVAUX à lui payer la somme de 6 000 euros.
le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort, rendu par mise à disposition au greffe,
Déclare de nul effet le commandement de payer signifié le 31 janvier 2022 par la société SCI CARAVELLE à la société CAFE LE MARIVAUX ;
Rejette la demande de la société SCI CARAVELLE de constatation de l’acquisition de la clause résolutoire au 28 février 2022 et de « résolution de plein droit » du contrat de bail ;
Rejette la demande de la société SCI CARAVELLE de résiliation judiciaire du contrat de bail;
Rejette la demande de la société SCI CARAVELLE d’expulsion immédiate et sans délai de la société CAFE LE MARIVAUX ainsi que celle de tout occupant de son chef des lieux loués, et ce avec l’assistance de la force publique et d’un serrurier ;
Rejette la demande de la société SCI CARAVELLE de transport et séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux loués dans tel garde-meuble ou autre lieux de son choix, et ce en garantie de toute somme qui pourra être due ;
Rejette la demande de la société SCI CARAVELLE de condamnation de la société CAFE LE MARIVAUX à lui payer une indemnité d’occupation mensuelle de 7 297 euros hors taxes, charges en sus, et ce jusqu’à libération effective des lieux occupés ;
Rejette la demande de la société SCI CARAVELLE de conservation du montant du dépôt de garantie de 40 000 euros ;
Rejette la demande de la société SCI CARAVELLE de condamnation de la société CAFE LE MARIVAUX à lui payer la somme de 145 760,64 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2022, date du commandement de payer, sur la somme de 117 890,64 euros, et à compter de la décision à intervenir pour le surplus, les comptes étant arrêtés au 30 juin 2022 et à réactualiser ;
Rejette la demande de la société CAFE LE MARIVAUX de condamnation de la société SCI CARAVELLE, sous astreinte de 500 euros par jour à compter de la décision, à :
– éditer des avoirs correspondant au montant des charges irrégulièrement quittancées,
– modifier le montant de la provision pour charges appelée depuis le 1er janvier 2018 pour le ramener à la somme de 175 euros par trimestre ;
– éditer des avoirs pour les frais de procédure irrégulièrement perçus ;
Rejette la demande de la société CAFE LE MARIVAUX de condamnation de la société SCI CARAVELLE à lui payer la somme de 8 000 euros de dommages-intérêts ;
Condamne la société SCI CARAVELLE aux dépens, avec recouvrement direct au profit de Me Caroline JEANNOT, avocat ;
Condamne la société SCI CARAVELLE à payer à la société CAFE LE MARIVAUX la somme de 5 000 euros (cinq mille euros) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande de la société SCI CARAVELLE de condamnation de la société CAFE LE MARIVAUX à lui payer la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris, le 16 Janvier 2025
Le Greffier Le Président
Paulin MAGIS Sabine FORESTIER
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