L’Essentiel : En mars 2016, M. [B] [U] a reconnu son fils, [K] [U], à [Localité 9]. Cependant, en septembre 2023, le procureur de la République a contesté cette reconnaissance, l’accusant de fraude pour permettre à Mme [N] [W] d’obtenir un titre de séjour. Le ministère public a mis en avant des incohérences dans les témoignages des parents et l’absence de vie commune. En réponse, Mme [N] [W] a défendu la légitimité de la reconnaissance, affirmant une relation amoureuse avec M. [U]. Le tribunal a finalement annulé la reconnaissance de paternité, ordonnant la transcription de cette annulation sur l’acte de naissance de l’enfant.
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Naissance et reconnaissance de paternité[K] [U] est né le [Date naissance 2] 2016 à [Localité 10] de Mme [N] [W] et de M. [B] [U], qui l’ont reconnu devant l’officier de l’état civil de [Localité 9] le 18 mars 2016. Action du procureur de la RépubliqueLe procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nanterre a assigné M. [B] [U] et Mme [N] [W] en date des 14 et 28 septembre 2023, demandant l’annulation de la reconnaissance de paternité. Il soutient que cette reconnaissance est frauduleuse, visant uniquement à permettre à Mme [N] [W] d’obtenir un titre de séjour en France. Arguments du ministère publicLe ministère public a été alerté par la préfecture de l’Essonne en 2020, après une demande de renouvellement de titre de séjour par Mme [N] [W]. Il souligne des incohérences dans les témoignages des deux parents, l’absence de communauté de vie, et le fait que M. [U] a reconnu plusieurs enfants de mères différentes. Réponse de Mme [N] [W]Dans ses conclusions du 6 juin 2024, Mme [N] [W] conteste les accusations de fraude, affirmant avoir rencontré M. [U] en 2014 et avoir eu une relation amoureuse avec lui. Elle soutient qu’il a voulu reconnaître l’enfant et a participé à son éducation jusqu’à un certain point, tout en réfutant les allégations du ministère public. Position de l’administrateur ad hocL’administrateur ad hoc de l’enfant, dans ses conclusions du 4 juin 2024, soutient que l’action du ministère public est recevable mais que les preuves de fraude ne sont pas établies. Il souligne l’absence d’enquête approfondie et considère que les éléments présentés ne suffisent pas à prouver l’intention frauduleuse de M. [U]. Procédure judiciaire et décisionM. [B] [U] n’a pas constitué avocat et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoiries du 24 septembre 2024. Le tribunal a rendu son jugement le 26 novembre 2024, déclarant recevable l’action du ministère public et annulant la reconnaissance de paternité de M. [B] [U]. Conséquences du jugementLe jugement ordonne la transcription de l’annulation sur l’acte de naissance de l’enfant, stipule que l’enfant portera le nom de sa mère, et précise que toute mention de l’annulation doit figurer sur les actes délivrés. Mme [N] [W] est déboutée de sa demande de dommages et intérêts, et M. [B] [U] est condamné aux dépens. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la recevabilité de l’action du ministère public en annulation de la reconnaissance de paternité ?L’action du ministère public en annulation de la reconnaissance de paternité est déclarée recevable par le tribunal. Cette recevabilité est fondée sur les dispositions de l’article 311-14 du Code civil, qui stipule que « la reconnaissance de paternité peut être contestée en justice par le ministère public lorsque celle-ci a été effectuée dans des conditions frauduleuses ». En l’espèce, le procureur de la République a agi dans le délai de dix ans prévu par l’article 336 du même code, qui précise que « l’action en contestation de la reconnaissance de paternité peut être exercée dans un délai de dix ans à compter de la reconnaissance ». Ainsi, le tribunal a jugé que l’action était non seulement recevable, mais également fondée sur des éléments qui laissent présager une fraude dans la reconnaissance de M. [B] [U]. Quelles sont les conséquences de l’annulation de la reconnaissance de paternité ?L’annulation de la reconnaissance de paternité a des conséquences juridiques significatives pour l’enfant et les parents concernés. Selon l’article 311-14 du Code civil, l’annulation de la reconnaissance entraîne la perte des droits et obligations qui en découlent. Cela signifie que l’enfant ne pourra plus revendiquer des droits successoraux ou d’autres droits liés à la filiation paternelle. De plus, le tribunal a ordonné la transcription de l’annulation sur l’acte de naissance de l’enfant, conformément à l’article 47 du Code civil, qui stipule que « tout changement d’état civil doit être mentionné sur l’acte de naissance ». L’enfant portera désormais le nom de sa mère, ce qui est également en accord avec l’article 311-21 du Code civil, qui précise que « l’enfant dont la filiation paternelle a été annulée porte le nom de sa mère ». Quelles sont les implications de l’article 700 du Code de procédure civile dans cette affaire ?L’article 700 du Code de procédure civile permet à une partie de demander le remboursement des frais engagés pour la défense de ses intérêts. Dans cette affaire, Mme [N] [W] a demandé au tribunal de condamner le procureur de la République à lui verser la somme de 1.000 euros sur ce fondement. Cependant, le tribunal a débouté Mme [N] [W] de sa demande, considérant que les circonstances de l’affaire ne justifiaient pas une telle condamnation. L’article 700 précise que « le juge peut, dans sa décision, condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés ». En l’espèce, le tribunal a estimé que le ministère public avait agi dans le cadre de ses prérogatives et que la demande de Mme [N] [W] n’était pas fondée. Quelles sont les implications de l’intérêt supérieur de l’enfant dans cette décision ?L’intérêt supérieur de l’enfant est un principe fondamental en droit de la famille, inscrit dans l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Dans cette affaire, le tribunal a pris en compte l’intérêt de l’enfant lors de sa décision d’annuler la reconnaissance de paternité. Il a été souligné que la connaissance de la réalité de la filiation est essentielle pour l’enfant, mais que cela doit être équilibré avec la nécessité de prouver la fraude alléguée. L’administrateur ad hoc a également fait valoir que l’intérêt de l’enfant est préservé par la possibilité pour celui-ci d’agir en contestation de paternité à sa majorité, conformément à l’article 334-1 du Code civil, qui permet à l’enfant de contester sa filiation à l’âge de 18 ans. Ainsi, bien que la reconnaissance ait été annulée, l’enfant conserve des droits et des possibilités d’action pour établir sa filiation à l’avenir. |
JUDICIAIRE
DE NANTERRE
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PÔLE CIVIL
Pôle Famille 2ème section
JUGEMENT RENDU LE
26 Novembre 2024
N° RG 23/07532
N° Portalis DB3R-W-B7H-YXHB
N° Minute : 24/
AFFAIRE
M. PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE
C/
[B], [O] [U],
[N] [W]
Copies délivrées le :
DEMANDEUR
Monsieur le Procureur de la République
Tribunal Judiciaire de Nanterre
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Madame Marie-Emilie DELFOSSE, substitut du Procureur de la République
DEFENDEURS
Monsieur [B], [O] [U]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Défaillant
Madame [N] [W]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Ayant pour avocat postulant Me Martial JEUGUE DOUNGUE, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 565, et pour avocat plaidant Me Ange RIDJA MALI, avocat au barreau d’ESSONNE
AUTRE PARTIE
[K] [U], né le [Date naissance 2] 2016 à [Localité 10] (93)
Ayant pour représentant légal Mme [F] [M], administratuer ad hoc et pour avocat Maître Laurence JARRET de la SCP LC2J, avocats au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : PN 752
L’affaire a été débattue le 24 Septembre 2024 en chambre du conseil devant le tribunal composé de :
Monia TALEB, Vice-Présidente,
Martine SERVAL, Magistrat à titre temporaire
magistrats chargés du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries au tribunal composé de :
Monia TALEB, Vice-Présidente
Cécile BAUDOT, Première Vice-Présidente Adjointe
Martine SERVAL, Magistrat à titre temporaire
qui en ont délibéré.
Albane SURVILLE, Greffier.
JUGEMENT
prononcé en premier ressort, par décision réputée contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.
[K] [U] est né le [Date naissance 2] 2016 à [Localité 10] de Mme [N] [W] et de M. [B] [U], qui l’ont reconnu devant l’officier de l’état civil de [Localité 9] le 18 mars 2016.
Par deux exploits en date des 14 septembre 2023 et 28 septembre 2023, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nanterre a respectivement fait assigner M. [B] [U] et Mme [N] [W], en personne et en qualité de représentante légale de l’enfant, devant le tribunal judiciaire de Nanterre. Aux termes de son assignation, le ministère public sollicite, au visa des articles 311-14, 336 du code civil, et 42 du code de procédure civile, l’annulation de la reconnaissance effectuée par ce dernier.
Il estime en effet que la reconnaissance faite par M. [B] [U], de nationalité française, est frauduleuse en ce qu’elle a eu pour seule finalité de permettre à Mme [N] [W], de nationalité nigériane, d’obtenir un titre de séjour en France. Il fait valoir que la situation lui a été signalée le 30 octobre 2020 par la préfecture de l’Essonne après que Mme [N] [W] a déposé une demande de renouvellement de son titre de séjour « parent d’enfant français ». Il soutient qu’il ressort des auditions de Mme [N] [W] et M. [B] [U], réalisées en 2017 et en 2018, que les intéressés n’ont pas la même version des circonstances de leur rencontre, qu’ils n’ont jamais eu de communauté de vie, que M. [U] n’entretient pas de relations avec l’enfant et qu’il n’est pas démontré qu’il verse une pension alimentaire. Il ajoute que M. [U] a reconnu onze enfants de mères différentes.
Par ordonnance du 9 janvier 2024, le juge de la mise en état a désigné un administrateur ad hoc pour représenter l’enfant.
Par conclusions signifiées par la voie électronique le 6 juin 2024, Mme [N] [W] demande au tribunal de :
déclarer l’action du procureur de la République recevable,rejeter les demandes du procureur de la République, condamner le procureur de la République à lui payer la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,le condamner aux dépens.
Elle expose qu’elle est arrivée en France le 10 février 2009 dans des conditions de grande précarité et qu’elle a fait l’objet pendant plusieurs années d’une exploitation sexuelle. Elle précise avoir formé une demande de titre de séjour en 2012, qui a été rejetée, puis avoir été prise en charge par le 115. Elle affirme avoir rencontré M. [U] en 2014, lors d’une fête de la musique à [Localité 8], et avoir entretenu avec celui-ci une relation amoureuse pendant plusieurs années, tout en le sachant marié. Elle soutient qu’à l’annonce de sa grossesse, M. [U] a souhaité reconnaître l’enfant et lui a indiqué qu’il entendait assumer ses responsabilités paternelles. Elle précise toutefois qu’il a ponctuellement participé à l’entretien et à l’éducation de l’enfant jusqu’à l’âge de cinq mois, puis qu’il l’a complètement abandonnée lorsqu’il a appris qu’elle était en couple. Elle réfute toute intention frauduleuse et reproche au ministère public d’occulter les convergences contenues dans les auditions.
Elle affirme que M. [U] est le père biologique de l’enfant et considère que les contradictions sur le lieu de la première rencontre, l’absence de vie de commune, l’absence de lien entre le père et son fils, ou la reconnaissance par M. [U] d’autres enfants, ne constituent pas des preuves de fraude.
Par conclusions signifiées par la voie électronique le 4 juin 2024, l’administrateur ad hoc de l’enfant demande au tribunal de :
dire l’action du ministère public recevable, débouter le procureur de la République de ses demandes,statuer ce que de droit sur les dépens.
Il fait valoir tout d’abord que l’action introduite dans le délai de dix ans est recevable et que la loi française est applicable en matière de fraude à la loi.
Sur le fond, il soutient que le ministère public ne rapporte pas la preuve de ce que la reconnaissance a pour objectif exclusif la fraude. Il souligne en effet que le dossier est composé des seules auditions des parties effectuées suite au signalement de la préfecture. Il note qu’aucune investigation n’a été faite afin de déterminer si les parties entretenaient effectivement une relation amoureuse ayant conduit à la grossesse de la mère. Il ajoute que l’absence de communauté de vie, tout comme la reconnaissance anticipée, est un fait courant, qui ne suffit à établir le caractère frauduleux de la reconnaissance. De même, il considère que le fait que M. [U] ait reconnu de nombreux enfants n’invalide pas pour autant la reconnaissance de l’enfant [K]. Il considère ainsi qu’en l’état d’une enquête sommaire et des déclarations des parties, qui s’accordent sur l’existence de relations intimes, il n’est pas démontré par le ministère public que la reconnaissance de M. [U] ait pour fondement exclusif la régularisation du droit au séjour de la mère, même s’il existe effectivement un doute. Il précise que si l’intérêt supérieur de l’enfant peut résider dans la connaissance de la réalité de sa filiation, la réalisation d’une expertise est en l’espèce impossible compte tenu de l’impossibilité de localiser le père. Il ajoute que l’intérêt de l’enfant reste préservé par la possibilité pour celui-ci d’agir en contestation de paternité à sa majorité.
Régulièrement cité selon les modalités prévues à l’article 659 du code de procédure civile, M. [B] [U] n’a pas constitué avocat.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 juillet 2024 et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoiries du 24 septembre 2024.
A l’issue de l’audience, l’affaire a été mise en délibéré au 26 novembre 2024 par mise à disposition au greffe.
Le Tribunal, statuant publiquement, en matière civile, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort, après débats en chambre du conseil,
DÉCLARE recevable l’action du ministère public en annulation de la reconnaissance de paternité souscrite par M. [B], [O] [U] le 18 mars 2016 à l’égard de l’enfant [K] [U],
ANNULE la reconnaissance de paternité effectuée par M. [B],[O] [U] le 18 mars 2016 devant l’officier de l’état-civil de [Localité 9] (Seine-Saint-Denis), à l’égard de l’enfant [K] [U], né le [Date naissance 2] 2016 à [Localité 10] (Seine-Saint-Denis),
ORDONNE la transcription du présent jugement sur l’acte de naissance n° 740 de l’enfant [K] [U], né le [Date naissance 2] 2016 à [Localité 10],
DIT que l’enfant portera le nom de sa mère [W],
DIT qu’aucun acte, extrait ou copie ne pourra être désormais délivré sans que la mention relative à l’annulation n’y figure
DEBOUTE Mme [N] [W] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [B] [U] aux entiers dépens,
DIT que la présente décision sera notifiée par voie de signification extrajudiciaire par la partie la plus diligente et qu’elle sera susceptible d’appel dans le mois de la signification auprès du greffe de la cour d’appel de Versailles ;
RAPPELLE qu’à défaut d’avoir été signifiée dans les six mois de sa date, la présente décision est réputée non avenue ;
signé le 26 novembre 2024 par Monia TALEB, Vice-Présidente et par Albane SURVILLE, Greffier présent lors du prononcé.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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