Reconnaissance des maladies professionnelles : enjeux de preuve et de responsabilité

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Reconnaissance des maladies professionnelles : enjeux de preuve et de responsabilité

L’Essentiel : La société [4] a contesté la prise en charge de la maladie professionnelle de son salarié, M. [E], par la CPAM. Après un jugement défavorable du tribunal des affaires de sécurité sociale, l’affaire a été portée en appel. La cour d’appel de Douai a saisi le CRRMP, qui a d’abord rendu un avis favorable, annulé par la cour en raison d’irrégularités. Un nouvel avis favorable a été émis, mais la société a persisté à contester le lien entre la pathologie de M. [E] et son travail. Finalement, la cour a déclaré la décision de prise en charge inopposable à la société.

Contexte de l’affaire

La société [4] a contesté la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de son salarié, M. [E], par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Le tribunal des affaires de sécurité sociale du Nord a rejeté cette contestation par un jugement du 18 janvier 2018, entraînant un appel de la société le 26 juin 2018.

Procédures judiciaires

L’affaire a été examinée par la cour d’appel de Douai, qui a ordonné la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) d’Île-de-France pour évaluer le lien entre la pathologie de M. [E] et son travail. Après plusieurs renvois, le CRRMP a rendu un avis favorable le 3 février 2021, mais cet avis a été annulé par la cour le 12 mai 2022 en raison d’irrégularités dans la composition du comité.

Évaluations des CRRMP

La cour a ensuite désigné le CRRMP de la région Pays de Loire, qui a rendu un nouvel avis favorable le 16 février 2024. La société [4] a continué à contester la décision de prise en charge, arguant qu’il n’existait pas de lien direct entre la pathologie de M. [E] et ses conditions de travail.

Arguments de la société [4]

La société a soutenu que la CPAM n’avait pas prouvé le lien entre la maladie de M. [E] et son travail, affirmant que le salarié n’avait pas subi de modifications de sa charge de travail et que les allégations de harcèlement moral étaient infondées. Elle a également contesté la motivation des avis des CRRMP, les qualifiant de non fondés.

Position de la CPAM

La CPAM a demandé à la cour de déclarer irrecevable la contestation de la société concernant le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 25% et a soutenu que les avis des CRRMP établissaient un lien direct entre la pathologie de M. [E] et son activité professionnelle. Elle a également demandé que la décision de prise en charge soit déclarée opposable à la société.

Constatations de la cour

La cour a examiné les éléments de preuve, y compris les témoignages et le rapport de l’agent enquêteur, concluant que les déclarations de M. [E] n’étaient pas corroborées par des éléments objectifs. Elle a noté que les faits allégués par M. [E] ne suffisaient pas à établir un lien direct et essentiel entre sa pathologie et son travail.

Décision finale

En conséquence, la cour a déclaré inopposable à la société [4] la décision de prise en charge de la maladie de M. [E]. Elle a également condamné la CPAM aux dépens et a débouté les parties de leurs demandes relatives aux frais irrépétibles.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la définition d’une maladie professionnelle selon le Code de la sécurité sociale ?

La définition d’une maladie professionnelle est précisée par l’article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale. Cet article stipule que :

« Peut être également reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’au moins 25 %.

Dans ce cas, la caisse primaire reconnait l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un CRRMP, lequel s’impose à elle. »

Ainsi, pour qu’une maladie soit reconnue comme professionnelle, il faut établir un lien direct et essentiel entre la pathologie et le travail habituel de la victime.

Quelle est la charge de la preuve dans le cadre d’un contentieux entre la caisse et l’employeur ?

Dans le cadre d’un contentieux entre la caisse et l’employeur, la charge de la preuve du caractère professionnel de la maladie incombe à la caisse, subrogée dans les droits de l’assuré.

Cela signifie que c’est à la caisse de prouver que la maladie de l’assuré est bien d’origine professionnelle. La cour n’est pas liée par les avis des CRRMP, et elle doit apprécier souverainement les éléments qui lui sont soumis.

Quels sont les éléments à prendre en compte pour établir un lien entre la pathologie et les conditions de travail ?

Pour établir un lien entre la pathologie et les conditions de travail, il est essentiel de prendre en compte les éléments factuels et les témoignages.

Les CRRMP doivent examiner les pièces du dossier, y compris les déclarations de la victime, les témoignages de collègues, ainsi que les rapports d’enquête.

Il est important que ces éléments soient corroborés par des preuves objectives. Dans le cas présent, les avis des CRRMP ont été critiqués pour ne pas avoir suffisamment pris en compte les éléments contradictoires présentés par l’employeur.

Quelles sont les conséquences d’une décision de prise en charge inopposable ?

Lorsqu’une décision de prise en charge est déclarée inopposable, cela signifie que l’employeur n’est pas tenu de respecter cette décision de la caisse primaire d’assurance maladie.

Dans le cas présent, la cour a déclaré inopposable la décision de prise en charge de la maladie de M. [E] à la société [4]. Cela implique que la société n’est pas responsable des conséquences financières liées à cette prise en charge.

Comment se prononce la cour sur les frais irrépétibles et les dépens ?

Concernant les frais irrépétibles et les dépens, la cour a décidé de laisser chaque partie à la charge de ses propres frais.

Elle a infirmé le jugement qui avait condamné la société [4] aux dépens de première instance. En conséquence, la CPAM des Flandres a été condamnée aux dépens de première instance et d’appel, tandis que les demandes fondées sur l’article 700 du Code de procédure civile ont été déboutées.

ARRET

S.A.S. [4]

C/

CPAM DES FLANDRES

Copie certifiée conforme délivrée à :

– SAS [4]

– CPAM DES FLANDRES

– Me Emmanuel LACHENY

– tribunal judiciaire

Copie exécutoire :

Me Emmanuel LACHENY

COUR D’APPEL D’AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 06 JANVIER 2025

*************************************************************

N° RG 19/01040 – N° Portalis DBV4-V-B7D-HGLB – N° registre 1ère instance :

Jugement du tribunal des affaires de securite sociale de Nord en date du 21 décembre 2017

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

SAS [4] [MP M. [D] [E]]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée et plaidant par Me Emmanuel LACHENY de la SARL COULON AVOCATS, avocat au barreau de LILLE

ET :

INTIME

CPAM DES FLANDRES

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée et plaidant par M. [N] [L], muni d’un pouvoir régulier

DEBATS :

A l’audience publique du 21 octobre 2024 devant Mme Jocelyne RUBANTEL, présidente, siégeant seule, sans opposition des avocats, en vertu de l’article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 06 janvier 2025.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Diane VIDECOQ-TYRAN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Jocelyne RUBANTEL en a rendu compte à la cour composée en outre de :

Mme Jocelyne RUBANTEL, présidente,

M. Pascal HAMON, président,

et Mme Véronique CORNILLE, conseillère,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 06 janvier 2025, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, présidente a signé la minute avec Mme Nathalie LEPEINGLE, greffier.

*

* *

DECISION

Saisi par la société [4] du rejet de sa contestation, par la commission de recours amiable, de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de son salarié, M. [E], le tribunal des affaires de sécurité sociale du Nord, par un jugement du 18 janvier 2018 auquel il convient de se référer pour un plus ample exposé des motifs et des faits, a débouté la société [4] de sa demande d’inopposabilité.

La société a interjeté appel le 26 juin 2018 de ce jugement qui lui a été notifié 18 juin précédent.  

La cour d’appel de Douai a transmis le dossier à la présente cour et l’affaire a été appelée à l’audience du 29 mars 2019 aux fins de procéder à sa mise en état puis plaidée à l’audience du 2 juillet 2019.

Par un arrêt du 31 octobre 2019, la cour a infirmé le jugement en toutes ses dispositions et, avant dire droit, ordonné la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (le CRRMP) d’Île-de-France pour qu’il se prononce sur le lien entre la pathologie de M. [E], soit des troubles dépressifs, et son travail habituel.

L’affaire a été renvoyée à l’audience du 1er février 2021 puis à celle du 9 novembre 2021.

Le CRRMP d’Île-de-France a rendu un avis favorable en date du 3 février 2021.

Par un arrêt du 12 mai 2022, la cour a annulé cet avis au motif que la composition du CRRMP était irrégulière et a, avant dire droit, désigné le CRRMP de la région Pays de Loire pour qu’il se prononce sur le lien entre la pathologie de M. [E] et son travail habituel. Elle a également jugé que le taux d’IPP prévisible de 25% était bien fondé.

L’affaire a été renvoyée à l’audience du 1er décembre 2022 puis à celles des 11 septembre 2023, 2 juillet 2024 et 21 octobre 2024.

Le CRRMP Pays de Loire a rendu un avis favorable en date du 16 février 2024.

Aux termes de ses dernières conclusions et de ses explications orales, la société [4], appelante, demande à la cour de :

– infirmer le jugement,

– dire et juger que la maladie de M. [E] ne relève pas de la réglementation sur les risques professionnels et que la décision de la CPAM de la prendre en charge lui est inopposable,

– condamner la CPAM à lui payer une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de sa demande, la société fait valoir que la caisse ne rapporte pas la preuve d’un lien direct et essentiel entre la pathologie de son salarié et ses conditions de travail.

La motivation du premier CRRMP est erronée, le salarié n’a jamais subi de modification de sa charge de travail ou une perte d’autonomie, son poste a été aménagé à sa demande et il invoque des faits remontant à vingt ans.

Par ailleurs, aucun élément du dossier ne corrobore les allégations de harcèlement moral. Aucune pression n’a été mise au salarié et l’objectif de quinze à vingt voitures par jour, pour un atelier de 10 mécaniciens, à raison de quatre à cinq voitures par mécanicien, est parfaitement réalisable et réaliste. Le fait que le salarié ait été démotivé et lassé de son travail n’est pas constitutif d’une situation de harcèlement moral.

Le chef d’atelier, M. [T], n’a pas eu de comportement désobligeant à l’égard du salarié et n’a fait que mener à bien ses missions pour assurer le bon fonctionnement de l’atelier.

Une seule journée où la cadence de travail était plus chargée que d’habitude, en raison de l’absence d’un collègue qui n’a pas été remplacé, n’est pas non plus constitutive d’un harcèlement moral, le salarié ayant d’ailleurs manqué à ses obligations en passant un coup de téléphone d’ordre personnel. Il en est de même s’agissant des quelques démissions survenues au sein du service, non caractéristiques d’une dégradation des conditions de travail.

L’agent enquêteur lui-même a relevé l’absence de situation de harcèlement moral, de sorte que l’avis du CRRMP n’est finalement pas motivé car il ne repose sur aucun élément.

La société ajoute enfin que le deuxième avis CRRMP se borne à confirmer le premier, sans plus, tout comme le troisième, qui n’est toujours pas motivé, le dernier comité saisi s’étant d’ailleurs octroyé un rôle de juge d’appel de l’avis du premier comité et n’a donc pas rempli la mission qui lui avait été confiée.

Par conclusions communiquées au greffe le 27 juin 2024, soutenues oralement à l’audience, la CPAM, intimée, demande à la cour de :

– déclarer irrecevable la contestation de la société [4] du taux d’IPP prévisible de 25%,

– dire et juger que c’est à bon droit que le dossier a été transmis au CRRMP du Nord Pas-de-Calais dont l’avis s’impose à elle,

– entériner les deux avis des CRRMP du Nord Pas-de-Calais et des Pays de Loire,

– dire que le lien direct et essentiel entre la pathologie de M. [E] et son activité professionnelle est établi,

– débouter la société [4] de sa demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie déclarée par M. [E],

– en conséquence, la lui déclarer opposable,

– condamner la société [4] aux dépens ainsi qu’à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la débouter de la demande qu’elle a formulée au même titre.

En premier lieu, la caisse soulève l’irrecevabilité de la contestation par la société du taux d’IPP prévisible de 25% attribué à M. [E] aux fins de savoir si son dossier pouvait être transmis au CRRMP.

En second lieu, elle explique démontrer, par les avis favorables et concordants des CRRMP saisis du dossier de M. [E], qu’il existe bien un lien direct et essentiel entre la pathologie de celui-ci et son activité professionnelle habituelle.

S’il a été annulé pour des raisons de pure forme, l’avis du CRRMP d’Île-de-France faisait également état de ce lien direct et essentiel.

Les deux avis des CRRMP Nord Pas-de-Calais et Pays de Loire sont motivés et appuyés sur l’ensemble des pièces du dossier d’instruction et ont été entendus le médecin rapporteur et l’ingénieur conseil du service de prévention de la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT).

Les déclarations de M. [E] ont été corroborées par un collègue et son épouse.

La CPAM des Flandres précise enfin que l’objet du litige n’est pas de caractériser une situation de harcèlement moral mais bien d’établir le lien entre la pathologie et les conditions de travail habituelles.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s’agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.

MOTIFS

A titre liminaire, il sera rappelé que, dans son arrêt du 12 mai 2022, la cour a déjà statué sur le bien-fondé du taux d’IPP prévisible de 25%, de sorte qu’il n’y a plus lieu de revenir sur ce point, longuement développé par la caisse dans ses conclusions.

Sur le caractère professionnel de la maladie de M. [E]

Le 11 février 2016, M. [E], salarié de la société [4] en qualité de mécanicien automobile depuis le 2 septembre 1985, a complété une déclaration de maladie professionnelle pour un « harcèlement moral dû à son travail », sur la base d’un certificat médical initial du 21 décembre 2015 mentionnant des « troubles dépressifs liés, selon le patient, à des pressions professionnelles excessives, qui [illisible] la mise en arrêt maladie et qui justifieraient éventuellement la maladie professionnelle ».

La caisse a diligenté une enquête puis, dès lors que la pathologie « troubles dépressifs » ne figure dans aucun tableau de maladies professionnelles, a transmis le dossier au CRRMP Nord Pas-de-Calais.

Par décision du 11 octobre 2016 notifiée à l’employeur, la caisse, suivant l’avis favorable du CRRMP, a pris en charge au titre de la législation professionnelle la pathologie déclarée par M. [E].

La société [4] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable puis le tribunal des affaires de sécurité sociale, lequel a statué comme exposé précédemment.

A l’issue de la procédure précédemment exposée, le CRRMP Pays de Loire a rendu un avis favorable en date du 14 février 2024.

La société appelante conclut à l’infirmation du jugement en toutes ses dispositions.

***

Aux termes de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, peut être également reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’au moins 25%.

Dans ce cas, la caisse primaire reconnait l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un CRRMP, lequel s’impose à elle.

Dans le cadre d’un contentieux caisse/employeur, la charge de la preuve du caractère professionnel de la maladie incombe à la caisse, subrogée dans les droits de l’assuré.

La cour n’est pas liée par les avis des CRRMP, les conditions exigées pour la reconnaissance d’une maladie professionnelle hors tableau relevant de son appréciation souveraine, laquelle doit se fonder sur les éléments qui lui sont soumis.

En l’espèce, les deux CRRMP saisis du dossier de M. [E] ont considéré que :

– « M. [E], né en 1962, travaille comme chef d’équipe mécanicien dans une entreprise automobile depuis 1978. Le dossier nous est soumis au titre du 4e alinéa pour épisode dépressif constaté le 9 juillet 2015.

Après avoir étudié les pièces du dossier communiqué, le CRRMP constate que la pathologie apparaît suite à une modification de hiérarchie et d’organisation du travail. L’étude du dossier retrouve des éléments factuels de modification de charge de travail et de perte d’autonomie. Ces éléments peuvent expliquer la pathologie présentée.

Pour toutes ces raisons, il convient de retenir un lien direct et essentiel entre l’affection présentée et l’exposition professionnelle » (avis du CRRMP Nord Pas-de-Calais du 5 octobre 2016),

– « le dossier nous est présenté au titre du 7e alinéa IP > 25% pour : troubles dépressifs liés, selon le patient, à des pressions professionnelles excessives avec une date de première constatation médicale fixée au 9 juillet 2015 (date de l’arrêt de travail en lien avec la pathologie). Il s’agit d’un homme de 53 ans à la date de la constatation médicale exerçant la profession de chef d’équipe atelier.

L’avis du médecin du travail a été consulté.

Après avoir étudié les pièces médico-administratives du dossier, le comité considère que les éléments apportés ne permettent pas d’avoir un avis contraire à celui donné par le premier CRRMP.

En conséquence, il y a lieu de retenir un lien direct et essentiel entre l’affection présentée et le travail habituel de la victime » (avis du CRRMP Pays de Loire du 16 février 2024).

Sur ce second avis, le constat de l’impossibilité d’adopter des conclusions contraires au premier avis rendu ne signifie pas, contrairement aux dires de la société, que le comité aurait joué un rôle d’instance d’appel du premier avis rendu sur le lien entre la pathologie de M. [E] et son travail.

Dans son rapport établi le 15 juin 2016, l’agent enquêteur assermenté, reprenant l’ensemble des procès-verbaux de constatation des entretiens qu’il a eus avec l’assuré, son épouse, l’employeur et des collègues de la victime, indique notamment que :

– M. [E] décrit une dégradation de ses conditions de travail à compter de 1998 dès l’arrivée d’un nouveau directeur de la concession, M. [W], lequel l’a rétrogradé au poste de chef d’équipe et non plus d’atelier, puis suite à celle d’un nouveau directeur d’atelier, le sixième, M. [T], à cause duquel le climat de l’atelier va changer et la cadence de travail s’intensifier (de 10 à 20 voitures par jour). Il estime depuis avoir subi une pression importante et un stress certain, notamment à cause des remarques désobligeantes de M. [T], lequel, le 8 juillet 2015, va lui ordonner, en lui mettant une très forte pression, de faire le travail de deux personnes, ce qu’il a fait jusqu’à l’heure de dépointage avant de rentrer et de s’effondrer chez lui devant son épouse. Il a été placé en arrêt de travail le lendemain ;

– Mme [E] a déclaré que quinze jours après les faits, elle a rencontré M. [W] et lui a demandé d’établir une rupture conventionnelle pour son mari, qu’il aurait refusé pour des raisons financières tout en dénigrant le travail de son salarié et qu’elle serait sortie en pleurant ;

– M. [W] a expliqué que M. [E] n’avait jamais été rétrogradé car il n’a jamais été chef d’atelier, qu’il n’a aucun grief envers lui, que c’est un très bon mécanicien sur les anciens modèles non électroniques, qu’il ne tenait pas la route pour la relation client et qu’il était, entre autres, dépassé par l’évolution des technologies automobiles. Les différents départs dans l’entreprise étaient uniquement liés à des fins de CDD ou des raisons personnelles. S’agissant du harcèlement qu’aurait commis M. [T], il n’a travaillé avec le salarié que 46 jours et n’a pas travaillé avec l’un des témoins cités par M. [E], M. [K]. Il déclare avoir bien reçu l’épouse de ce dernier, laquelle lui a fait part de leurs problèmes personnels et lui a demandé de licencier son mari, ce qu’il a refusé ;

– M. [T], chef d’atelier, M. [F], réceptionnaire atelier clientèle et M. [B], technicien diagnostic, ont confirmé que M. [E] était un bon mécanicien sur des modèles anciens mais qu’il n’avait pas su évoluer techniquement malgré des formations, que son gain de productivité était de 50% comparé à celui de 85% de ses collègues, qu’il semblait lassé et démotivé par son travail. M. [T] et M. [F], présents le 8 juillet 2015, ont expliqué qu’ils sont tous les deux allés voir M. [E] à l’atelier suite à l’appel d’un client, qu’ils l’ont trouvé en pleine conversation téléphonique personnelle qu’il a pris le temps de terminer alors qu’il avait deux véhicules de retard, que le rappel qui lui a été fait quant à l’interdiction d’utiliser un téléphone portable dans l’atelier n’était pas agressif et que sa réaction a été disproportionnée. Il a quitté son poste avant la fin de son horaire de travail et est, depuis, en arrêt.

Ont également été joints au dossier deux témoignages de collègues produits par la victime et résumés par l’agent enquêteur, de MM. [O] et [K], lesquels déclarent avoir démissionné et confirment les agissements du chef d’atelier vers l’ensemble du personnel. M. [K] précise que M. [E] et M. [U] étaient les plus visés en raison de leur âge et de la volonté de M. [W] de les pousser à la démission pour éviter de les licencier.

L’agent enquêteur, qui s’est rendu dans la concession automobile, a conclu son rapport en ces termes : « en résumé, on a deux versions, comme souvent, avec l’apport de témoignages des deux parties. M. [E] accuse de harcèlement son directeur et le nouveau chef d’atelier. L’enquête n’apporte pas la preuve formelle du harcèlement. La consultation de documents sur place, planning et livre des mouvements du personnel, contrent les deux témoignages de M. [E] sur les démissions en chaînes. Les auditions du directeur et des trois salariés prouvent le manque de productivité de M. [E], une attitude de laisser-aller, une démotivation, un écart important de sa technicité face à l’évolution technologique rapide dans le secteur de l’automobile malgré plusieurs formations suivies.

Le jour du 8 juillet 2015, veille de son arrêt de travail, les deux auditions du chef d’atelier et d’un technicien montrent que M. [E] pris en faute sur son temps de travail (coup de téléphone personnel, en retard avec deux véhicules dont celui du client au téléphone) va quitter son poste avant l’heure après avoir montré de l’agressivité envers le chef d’atelier, devant un témoin, M. [F]. De plus, l’enquête apporte l’éclairage de problèmes personnels dans sa vie courante.

Le médecin du travail, lors de sa venue dans l’entreprise, a porté à la connaissance du directeur l’existence de problèmes personnels de M. [E] ».

Il est constaté, vu ces éléments et à la lecture de leurs deux avis favorables, que les CRRMP semblent n’avoir pris en compte que les seules déclarations du salarié pour retenir l’existence d’un lien direct et essentiel entre la pathologie de la victime et son travail.

Or, s’il ressort du rapport de l’agent enquêteur, dont les constats font foi jusqu’à preuve du contraire, que si M. [E] semblait ne plus du tout s’épanouir dans l’exercice de son activité professionnelle, les faits qu’il décrit comme étant à l’origine de son trouble dépressif, notamment les remarques désobligeantes de son chef d’atelier ou le changement de rythme de travail, ne sont corroborés par aucun élément objectif ou témoignage qui n’aurait pas été remis en cause par des pièces consultées par l’agent enquêteur sur le site de l’entreprise.

Ainsi, rien ne permet d’établir concrètement qu’il aurait subi un harcèlement de la part de son chef d’atelier ou que ses conditions de travail se seraient progressivement détériorées.

L’évènement du 8 juillet 2015, dont les circonstances diffèrent nettement selon les déclarations de M. [E] et celles de MM [T], [F] et [B], ne justifie pas non plus les faits allégués par le salarié qui se seraient déroulés sur la durée, depuis 1998, et auraient causé sa pathologie.

Le rapport fait par ailleurs état de problèmes personnels, dont on ne sait pas dans quelle mesure ils ont pu contribuer à son état de santé.

En l’état de ces constatations, et sans qu’il ne soit question de remettre en cause les difficultés et souffrances ressenties par M. [E], il est impossible pour la cour d’établir l’existence d’un lien direct et essentiel entre sa pathologie et son travail, lien qui ne serait fondé que sur ses seules déclarations.

En conséquence, la décision de prise en charge de la maladie de M. [E] sera déclarée inopposable à la société [4].

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la société [4] aux dépens de première instance.

Succombant totalement, la CPAM des Flandres sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

L’équité commande de laisser aux parties la charge de leurs propres frais irrépétibles.

La société [4] et la CPAM des Flandres seront donc déboutées de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe, en dernier ressort,

Vu les arrêts des 31 octobre 2019, infirmant le jugement sur le fond, et 12 mai 2022,

Y ajoutant,

Infirme le jugement en ce qu’il a condamné la société [4] aux dépens de première instance,

Déclare inopposable à la société [4] la décision de prise en charge de la caisse primaire d’assurance maladie des Flandres de la pathologie déclarée par M. [E],

Condamne la caisse primaire d’assurance maladies des Flandres aux dépens de première instance et d’appel,

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, Le président,


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