Reconnaissance de la maladie professionnelle et contestations de prise en charge

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Reconnaissance de la maladie professionnelle et contestations de prise en charge

L’Essentiel : Un employé d’une société a déposé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour des douleurs aux épaules, accompagnée d’un certificat médical. La Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) a accepté la prise en charge, mais la société a contesté cette décision. Après un rejet par la commission de recours amiable, l’affaire a été transférée au tribunal judiciaire. La société a demandé la déclaration de la décision de la CPAM inopposable, tandis que la CPAM a soutenu la validité de sa décision. Le tribunal a finalement débouté la société de ses demandes, déclarant la décision de la CPAM opposable.

Contexte de la demande

Monsieur [D] [I], employé par la S.N.C. [5], a déposé le 4 mars 2016 une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour des douleurs aux épaules et a fourni un certificat médical du Docteur [N] daté du 16 février 2016. La CPAM de Seine-Maritime a accepté la prise en charge de la pathologie le 1er août 2016, ce qui a conduit la société [5] à contester cette décision.

Procédures de contestation

La société [5] a saisi la commission de recours amiable le 30 septembre 2016, mais celle-ci a rejeté le recours le 27 février 2017. Par la suite, la société a porté l’affaire devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Seine-Maritime, qui a déclaré son incompétence et a transféré le dossier au tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes.

Transfert au tribunal judiciaire

Suite à la loi n°2019-222 du 23 mars 2019, le contentieux a été transféré au tribunal judiciaire de Nantes, qui a reçu le dossier le 13 avril 2023. Les parties ont été convoquées à une audience le 4 décembre 2024.

Demandes de la S.N.C. [5]

La S.N.C. [5] a demandé au tribunal de déclarer la décision de la CPAM inopposable, de juger inopposables les arrêts de travail et soins, d’ordonner une expertise médicale, et de condamner la CPAM à payer des frais. Elle a soutenu que la CPAM n’avait pas respecté ses obligations d’information et que la pathologie déclarée ne correspondait pas à celle du tableau des maladies professionnelles.

Réponse de la CPAM

La CPAM a demandé le rejet des demandes de la S.N.C. [5], affirmant que la décision de prise en charge était opposable et que tous les documents nécessaires avaient été fournis. Elle a précisé que la pathologie déclarée correspondait bien à celle du tableau n°57 et que la date de première constatation médicale était conforme.

Arguments de la S.N.C. [5]

La société a contesté la validité de la décision de la CPAM, arguant que la consultation du dossier était incomplète et que la caisse n’avait pas respecté le principe du contradictoire. Elle a également mis en doute la concordance entre la pathologie déclarée et celle prise en charge, ainsi que la date de première constatation médicale.

Arguments de la CPAM

La CPAM a soutenu que la consultation du dossier avait été effectuée correctement et que la société avait eu accès à tous les documents pertinents. Elle a affirmé que la pathologie déclarée était bien couverte par le tableau n°57 et que toutes les conditions pour la prise en charge étaient remplies.

Décision du tribunal

Le tribunal a débouté la S.N.C. [5] de toutes ses demandes, déclarant la décision de prise en charge de la CPAM opposable. Il a également condamné la société aux dépens et à verser une somme de 1.500 € à la CPAM pour les frais engagés. La décision a été mise en délibéré au 31 janvier 2025.

Q/R juridiques soulevées :

Sur l’inopposabilité de la décision de prise en charge du 1er août 2016

La société [5] conteste la décision de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Seine-Maritime, arguant que celle-ci a manqué à ses obligations d’information et de consultation du dossier.

Selon l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, il est stipulé que « Dans les cas prévus au dernier alinéa de l’article R. 441-11, la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l’employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d’en déterminer la date de réception, l’information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l’article R. 441-13 ».

En l’espèce, la CPAM a informé la société [5] de la possibilité de consulter le dossier, et le préventeur de la société a attesté avoir consulté l’intégralité des pièces.

Ainsi, la société [5] a eu l’opportunité de prendre connaissance des éléments susceptibles de lui faire grief, et la caisse n’avait pas l’obligation de remettre des copies des pièces consultées.

Il n’y a donc pas de manquement à reprocher à la caisse sur ce point.

Sur la mise à disposition d’un dossier incomplet

La société [5] soutient que la CPAM n’a pas mis à sa disposition l’intégralité des certificats médicaux de prolongation d’arrêt de travail.

L’article R. 441-13 du code de la sécurité sociale précise que « Le dossier constitué par la caisse primaire doit comprendre : 1°) la déclaration d’accident ; 2°) les divers certificats médicaux détenus par la caisse ; 3°) les constats faits par la caisse primaire ; 4°) les informations parvenues à la caisse de chacune des parties ; 5°) les éléments communiqués par la caisse régionale ».

Il est établi que le préventeur a consulté plusieurs documents, y compris le certificat médical initial et d’autres certificats médicaux.

La société [5] ne peut donc pas prétendre que les certificats d’arrêts de travail n’ont pas été offerts à la consultation, car au moins un certificat a été consulté.

De plus, les certificats de prolongation ne sont pas nécessaires pour la reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie, ce qui rend cette absence indifférente.

Sur le recours à un délai complémentaire d’instruction

La société [5] affirme que la CPAM a mal utilisé le délai complémentaire d’instruction.

L’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale stipule que « Lorsqu’il y a nécessité d’examen ou d’enquête complémentaire, la caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l’employeur avant l’expiration du délai prévu au premier alinéa de l’article R. 441-10 par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ».

La CPAM a effectivement informé la société [5] qu’un délai complémentaire était nécessaire, mais a ensuite clôturé l’instruction sans mesures supplémentaires.

Cependant, le texte ne requiert pas qu’une mesure d’instruction complémentaire soit effectuée, mais permet simplement d’allonger le délai.

Ainsi, l’inobservation du délai n’entraîne pas l’inopposabilité de la décision à l’égard de l’employeur.

Sur la réunion des conditions de prise en charge au titre du tableau n°57

La société [5] conteste que la pathologie déclarée corresponde à celle du tableau n°57A.

Le tableau des maladies professionnelles n°57A prévoit des affections périarticulaires de l’épaule.

Le certificat médical initial mentionne des « scapulalgies bilatérales avec syndrome sous acromial et tendinopathie coiffe », ce qui est en concordance avec la pathologie prise en charge par la CPAM.

Le médecin conseil a confirmé que l’affection correspondait à la maladie professionnelle du tableau n°57, et la date de première constatation médicale a été fixée au 19 janvier 2016, respectant ainsi le délai de prise en charge.

Sur l’inopposabilité des arrêts et soins prescrits à monsieur [I]

La société [5] conteste la présomption d’imputabilité au travail de la pathologie déclarée par monsieur [I].

L’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale stipule que « La présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’étend à toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime ».

La CPAM a produit l’intégralité des arrêts de travail, et il est établi qu’un arrêt a été initialement prescrit le 16 février 2016, prolongé jusqu’au 17 avril 2018.

La société [5] n’a pas apporté d’éléments médicaux pour renverser cette présomption d’imputabilité, se contentant de doutes qui ne suffisent pas à remettre en cause la décision de la caisse.

Sur les dépens et les sommes réclamées au titre de l’article 700 du code de procédure civile

La société [5], ayant succombé dans ses demandes, sera condamnée aux dépens.

L’article 700 du code de procédure civile permet au tribunal de condamner la partie perdante à verser à l’autre partie une somme pour couvrir les frais engagés.

Il est jugé équitable que la société [5] verse à la CPAM la somme de 1.500 € pour les frais engagés en raison des arguments inopérants de la demanderesse.

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTES
POLE SOCIAL

Jugement du 31 Janvier 2025

N° RG 23/00486 – N° Portalis DBYS-W-B7H-MKIY
Code affaire : 89E

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Présidente : Frédérique PITEUX
Assesseur : Franck MEYER
Assesseur : Jérome GAUTIER
Greffière : Julie SOHIER

DEBATS

Le tribunal judiciaire de Nantes, pôle social, réuni en audience publique au palais de justice à Nantes le 04 Décembre 2024.

JUGEMENT

Prononcé par Frédérique PITEUX, par mise à disposition au Greffe le 31 Janvier 2025.

Demanderesse :

S.N.C [5]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Maître Antony VANHAECKE, avocat au barreau de LYON, substitué lors de l’audience par Maître Audrey MOYSAN, avocate au barreau de NANTES

Défenderesse :

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 7] [Localité 6] [Localité 4] – SEINE-MARITIME
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par Madame [R] [Z], audiencière munie à cet effet d’un pouvoir spécial

La Présidente et les assesseurs, après avoir entendu le QUATRE DECEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE les parties présentes, en leurs observations, les ont avisées, de la date à laquelle le jugement serait prononcé, ont délibéré conformément à la loi et ont statué le TRENTE ET UN JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ, dans les termes suivants :

EXPOSÉ DU LITIGE ET DES DEMANDES

Monsieur [D] [I], employé comme poseur de canalisations par la S.N.C. [5], a établi le 4 mars 2016 une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour « scapulalgies bilatérales, syndrome sous acromial, tendinopathie coiffe » et a fourni à l’appui, un certificat médical initial du Docteur [N] en date du 16 février 2016.

Après instruction, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Seine-Maritime a notifié à la société [5] le 1er août 2016 sa décision de prendre en charge la pathologie déclarée au titre du tableau n°57.

La société [5] a saisi le 30 septembre 2016 la commission de recours amiable aux fins de contester cette décision.

Le 27 février 2017, la CPAM de Seine-Maritime a notifié à la société [5] la décision de la CRA prise en sa séance du 23 février 2017, qui a rejeté son recours.

Le 25 avril 2017, la société [5] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Seine-Maritime aux fins de contester la décision de prise en charge de la pathologie de monsieur [I].

Par jugement du 13 février 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Seine Maritime s’est déclaré incompétent et a renvoyé l’affaire devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes, la société [5] étant domiciliée à [Localité 1].

En application de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019, le contentieux relevant initialement du tribunal des affaires de sécurité sociale a été transféré au tribunal de grande instance de Nantes devenu, le 1er janvier 2020, le tribunal judiciaire, spécialement désigné aux termes de l’article L.211-16 du code de l’organisation judiciaire.

Le dossier a été réceptionné par le tribunal judiciaire de Nantes le 13 avril 2023.

Les parties ont été convoquées à l’audience qui s’est tenue le 4 décembre 2024 devant le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes.

Aux termes de ses dernières conclusions développées oralement à l’audience, la S.N.C. [5] demande au tribunal de :
A titre principal,
– Juger la décision du 1er août 2016 de la CPAM de Seine6Maritime, de prise en charge au titre des risques professionnels, de la pathologie déclarée par monsieur [I], inopposable à la société [5] ;
A titre subsidiaire,
– Juger inopposables à l’égard de la société [5] les arrêts de travail et soins pris en charge au titre de la législation professionnelle, en lien direct avec la pathologie du 16 février 2016 déclarée par monsieur [I] ;
A titre infiniment subsidiaire,
– Ordonner une mesure d’expertise médicale judiciaire ;
– Condamner la CPAM de Seine-Maritime à faire l’avance des frais et honoraires engagés ;
En toute hypothèse,
– Débouter la partie adverse de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– Condamner la CPAM à payer à la société [5] la somme de 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle soutient tout d’abord que la caisse a commis des manquements dans le cadre de son instruction : la consultation opérée n’a pas permis à la société [5] de prendre pleinement connaissance des éléments susceptibles de lui faire grief puisqu’elle n’a pas eu la possibilité d’en prendre photocopie.
De plus, la caisse n’a pas transmis l’intégralité des arrêts de travail de prolongation puisque ceux prescrits à compter du 30 mars 2016 n’ont pas été offerts à la consultation.
Dès lors que la caisse n’a pas respecté son obligation d’information loyale et le principe du contradictoire, la décision de prise en charge du 1er août 2016 doit lui être déclarée inopposable.

Par ailleurs, la caisse a fait une utilisation dévoyée du délai complémentaire d’instruction puisqu’après avoir informé la société [5] le 4 juillet 2016 qu’elle recourait à un délai complémentaire d’instruction, elle a, dès le 11 juillet 2016, informé qu’elle clôturait l’instruction, sans qu’aucune mesure complémentaire n’ait manifestement été accomplie.

La société [5] reproche également à la caisse de ne pas justifier de la concordance entre la pathologie visée dans le tableau des maladies professionnelles et celle déclarée, en l’absence de production du colloque médico-administratif. Il n’est pas non plus justifié qu’une IRM a été réalisée qui confirmerait le diagnostic.
La maladie déclarée aurait donc dû faire l’objet d’une instruction hors tableau.

Elle affirme qu’elle n’est pas en mesure de vérifier le bien-fondé de la date de première constatation médicale de la maladie, étant observé que différentes dates apparaissent sur les documents versés au débat.
La caisse ne démontre donc pas que la condition relative au délai de prise en charge est vérifiée.

La société [5] indique enfin qu’à défaut pour la caisse de produire l’intégralité des certificats d’arrêts de travail dont monsieur [I] a bénéficié, notamment ceux couvrant la période du 30 mars au 14 avril 2016, il n’est pas démontré que les arrêts de travail, à compter de cette date, soient imputables à la maladie professionnelle, d’autant que monsieur [I] a alternativement fourni des arrêts de travail au titre du régime général et au titre des risques professionnels.

Si le tribunal s’estimait insuffisamment informé sur ce point, la société [5] sollicite la mise en œuvre d’une mesure d’expertise.

Par conclusions transmises le 14 octobre 2024, la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 7] [Localité 6] [Localité 4] – Seine-Maritime demande au tribunal de :
– Rejeter comme mal fondé le recours formé par la société [5] en toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– Dire opposable à la société [5] la décision du 1er août 2016, de prise en charge de la maladie déclarée par monsieur [I] au titre de la législation professionnelle ;
– Condamner la société [5] aux entiers dépens ;
– Condamner la société [5] à verser à la CPAM de [Localité 7] [Localité 6] [Localité 4] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle rappelle qu’elle a instruit deux dossiers, mais que le sinistre objet du présent litige est celui n°160216768 pour une tendinopathie chronique non rompue non calcifiante avec ou sans enthésopathie de la coiffe des rotateurs droite, objectivée par IRM.

Elle précise que l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale ne fait peser sur la caisse qu’une obligation d’information par la consultation du dossier et en aucun cas l’obligation de remettre copie des pièces consultées.
En l’espèce, monsieur [X], salarié de la société [5], est venu consulter le dossier le 28 juillet 2016 et a déclaré avoir pu consulter l’intégralité des pièces consultables.

Elle estime par ailleurs avoir mis à disposition un dossier complet au sens de l’article R. 441-13 du code de la sécurité sociale, qui n’a pas à comprendre les avis de prolongation d’arrêts de travail, lesquels ne sont pas contributifs à la décision de la caisse.

Elle soutient que l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale ne prévoit aucune sanction en cas de non-respect des délais d’instruction, et notamment pas l’inopposabilité de la décision de prise en charge à l’égard de l’employeur.

De plus, il importe peu que le certificat médical initial et la déclaration de maladie professionnelle aient fait mention de la pathologie dans les termes exacts du tableau puisque le service médical de la caisse a la charge de vérifier si la pathologie déclarée correspond à l’une des pathologies visées dans les tableaux de maladies professionnelles.
En l’espèce, le médecin conseil a confirmé que l’affection présentée par monsieur [I] correspondait à la maladie professionnelle du tableau n°57, ce qui figurait sur le colloque médico-administratif présent au dossier que l’employeur a consulté le 28 juillet 2016.
Ce document fait par ailleurs état d’une IRM du 12 avril 2016, ainsi que de radiographies et d’une échographie du 19 janvier 2016.

La caisse n’a pas à communiquer les éléments ayant permis d’établir la date de première constatation médicale de la maladie.

Sur le délai de prise en charge, la caisse fait valoir que le médecin conseil a fixé la date de la première constatation médicale au 19 janvier 2016, date à laquelle l’assuré a effectué des radiographies et une échographie.
Cette date figure sur le colloque médico-administratif dont la société [5] a eu connaissance, de sorte que la condition relative au délai de prise en charge de 6 mois prévue par le tableau est respectée.
Toutes les conditions mentionnées au tableau n°57A étant réunies, monsieur [I] doit bénéficier de la présomption d’imputabilité édictée par l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, sauf à démontrer que la maladie est due à une cause totalement étrangère, ce que ne fait pas l’employeur.
Il n’y avait donc aucune raison de poursuivre l’instruction du dossier en saisissant le CRRMP.

Concernant l’imputabilité de l’ensemble des soins et arrêts de travail prescrits, la caisse produit l’ensemble des documents relatifs à la maladie litigieuse et affirme que tous les arrêts et soins prescrits jusqu’au 17 avril 2018, date de consolidation de l’état de santé de monsieur [I], l’ont été au titre de la maladie professionnelle déclarée et que les lésions constatées sur l’ensemble des certificats de prolongation correspondent aux lésions constatées sur le certificat médical initial.
A ce titre, elle rappelle que l’établissement d’une continuité de symptômes et de soins n’est pas un préalable obligatoire pour pouvoir faire bénéficier de la présomption d’imputabilité à la maladie professionnelle les soins et arrêts de travail litigieux.
Pour renverser cette présomption d’imputabilité, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve que les lésions ayant donné lieu aux prescriptions d’arrêts de travail sont dues à une cause totalement étrangère au travail.
Or, la société [5] n’apporte aucun élément de preuve médical et objectif qui permettrait de justifier de l’existence d’une cause totalement étrangère au travail, ni d’un état pathologique préexistant et évoluant pour son propre compte.
Elle s’oppose à la demande d’expertise et rappelle qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve.

La décision a été mise en délibéré au 31 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’inopposabilité de la décision de prise en charge du 1er août 2016

• Sur la consultation du dossier

Il résulte de l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au présent litige, que « Dans les cas prévus au dernier alinéa de l’article R. 441-11, la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l’employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d’en déterminer la date de réception, l’information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l’article R. 441-13 ».

Cette obligation de communication n’est soumise à aucune forme particulière et peut s’effectuer par une consultation dans les locaux de la caisse.

En l’espèce, par courrier du 11 juillet 2016, la CPAM de Seine-Maritime a informé la société [5] de ce que l’instruction était terminée et qu’avant de prendre sa décision sur le caractère professionnel de la maladie « Tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite » inscrite au tableau n°57 qui interviendra le 1er août 2016, elle avait la possibilité de venir consulter les pièces constitutives du dossier.

Le 28 juillet 2016, monsieur [U] [X], préventeur pour le compte de la société [5], a rempli et signé une fiche de consultation, attestant de ce qu’il avait consulté l’intégralité des pièces consultables du sinistre 160216768 telles que définies à l’article R. 441-13 du code de la sécurité sociale, qu’il a listées en cochant les cases correspondantes.

La société [5] reproche à la caisse de n’avoir autorisé qu’une seule consultation sur écran, sans que monsieur [X] ait pu imprimer les pièces.

Néanmoins, par cette consultation, la société [5] a été mise en mesure de prendre connaissance des éléments susceptibles de lui faire grief et de faire valoir ses observations avant la décision, la caisse n’ayant aucune obligation de remettre copie des pièces consultées.

Aucun manquement ne peut donc être reproché à la caisse de ce chef.

• Sur la mise à disposition d’un dossier incomplet

L’article R. 441-13 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au présent litige, dispose que « Le dossier constitué par la caisse primaire doit comprendre :
1°) la déclaration d’accident ;
2°) les divers certificats médicaux détenus par la caisse ;
3°) les constats faits par la caisse primaire ;
4°) les informations parvenues à la caisse de chacune des parties ;
5°) les éléments communiqués par la caisse régionale. »

La société [5] reproche à la caisse de n’avoir pas eu connaissance de l’intégralité des certificats médicaux de prolongation d’arrêt de travail.
Il résulte de la fiche de consultation signée par monsieur [X] qu’il a pris connaissance de la déclaration de la maladie professionnelle du 4 mars 2016, du certificat médical initial, des certificats médicaux des « 14/4, 04/3, 15/3 », et des informations parvenues à la CPAM de chacune des parties.

La demanderesse ne peut donc pas dire que « …les certificats d’arrêts de travail prescrits à compter du 30 mars 2016 à Monsieur [I] n’ont pas été offerts à la consultation de la société [5] », puisqu’à tout le moins, celui du 14 avril 2016 a pu être consulté.

En tout état de cause, l’exigence de mise à disposition des certificats médicaux ne concerne que ceux susceptibles d’avoir une incidence sur la décision à venir de la caisse.
En l’espèce, la circonstance selon laquelle les certificats médicaux de prolongation ne figuraient pas au dossier de la caisse est indifférente dès lors que les dispositions sus mentionnées qui se rapportent à la procédure de reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, font référence aux documents médicaux nécessaires pour la reconnaissance de l’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie considérée, ce qui ne peut être le cas des certificats de prolongation qui ne peuvent concerner que les conséquences d’une éventuelle reconnaissance.

Aucun moyen d’inopposabilité ne peut donc être tiré de cette absence.

• Sur le recours à un délai complémentaire d’instruction

Le 1er alinéa de l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au présent litige, précise que « Lorsqu’il y a nécessité d’examen ou d’enquête complémentaire, la caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l’employeur avant l’expiration du délai prévu au premier alinéa de l’article R. 441-10 par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. A l’expiration d’un nouveau délai qui ne peut excéder deux mois en matière d’accidents du travail ou trois mois en matière de maladies professionnelles à compter de la date de cette notification et en l’absence de décision de la caisse, le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie est reconnu. »

La société [5] soutient qu’il a été fait une utilisation dévoyée de ce délai d’instruction complémentaire puisqu’en réalité, aucune mesure d’instruction supplémentaire n’a été accomplie.

Le 4 juillet 2016, la CPAM de Seine Maritime a effectivement informé la société [5] qu’un délai d’instruction complémentaire était nécessaire et qu’il ne pouvait excéder trois mois.
Le 11 juillet 2016, la caisse lui a notifié la clôture de l’instruction.

Il convient de remarquer que le texte n’exige aucunement qu’une « mesure d’instruction complémentaire » soit menée, mais offre seulement la possibilité d’allonger le délai de cette instruction.

En tout état de cause, l’inobservation du délai dans la limite duquel la caisse doit prendre sa décision n’entraîne pas l’inopposabilité de cette décision à l’égard de l’employeur, mais uniquement la reconnaissance implicite du caractère professionnel de la pathologie à l’égard de l’assuré, selon le texte visé ci-dessus.

La société [5] sera donc déboutée de sa demande d’inopposabilité à ce titre.

• Sur la réunion des conditions de prise en charge au titre du tableau n°57

Le tableau des maladies professionnelles n°57A relatif aux affections périarticulaires de l’épaule provoquées par certains gestes et postures de travail, prévoit :

Contrairement à ce que soutient la société [5], il existe une concordance entre la pathologie décrite dans le certificat médical initial et celle prise en charge par la caisse.

En effet, le certificat médical initial du 16 février 2016 fait état de « Scapulalgies bilatérales avec syndrome sous acromial et tendinopathie coiffe ».

Le colloque médico-administratif du 1er juillet 2016 versé au débat (pièce n°4 de la CPAM), dont la société [5] a eu connaissance puisque monsieur [X] a pris connaissance le 28 juillet 2016 de l’ « Avis du service du contrôle médical » qui correspond au même document, mentionne que le libellé du syndrome est « Coiffe des rotateurs : tendinopathie chronique non rompue non calcifiante objectivée par IRM droite » et que le code syndrome est « 057AAM96C ».
Par ailleurs, il est précisé qu’une IRM a été réalisée le 12 avril 2016.
Le médecin conseil de la caisse a donc vérifié, sur la base d’un élément extrinsèque, que la maladie déclarée correspondait à l’une de celles désignées dans un tableau des maladies professionnelles, à savoir en l’espèce le tableau n°57A.

L’exposition aux risques n’est pas discutée par la société [5] qui conteste néanmoins le délai de prise en charge, arguant de dates de première constatation médicale diverses figurant sur la déclaration de maladie professionnelle (28 décembre 2015), le certificat médical initial (9 février 2016), pour que soit finalement retenue la date du 19 janvier 2016.

Il est de jurisprudence constante que le médecin conseil peut fixer la date de première constatation médicale antérieurement à celle du certificat médical initial quand il dispose d’éléments médicaux.
En l’espèce, il ressort du colloque médico-administratif que le médecin conseil s’est appuyé sur des radiographies et une échographie réalisées le 19 janvier 2016.
Monsieur [I] ayant cessé d’être exposé au risque le 18 janvier 2016, le délai de 6 mois pour la prise en charge est respecté.

Toutes les conditions prévues par le tableau n°57A étant réunies, c’est à juste titre que la CPAM de Seine-Maritime a pris en charge la pathologie déclarée par monsieur [I], sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

Sur l’inopposabilité des arrêts et soins prescrits à monsieur [I]

Toutes les conditions prévues par le tableau n°57A étant réunies, monsieur [I] bénéficie de la présomption d’imputabilité au travail de la pathologie qu’il a déclarée le 4 mars 2016, en application de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale.

La présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d’accident du travail est assorti d’un arrêt de travail, s’étend à toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime.
L’absence de continuité des soins et symptômes est inopérante au regard des conditions d’application de cette présomption d’imputabilité.
Il appartient à l’employeur qui conteste cette présomption d’apporter la preuve contraire, à savoir celle de l’existence d’un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec la lésion initiale ou d’une cause postérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail.

La CPAM verse au débat l’intégralité des arrêts de travail prescrits et il apparaît en l’espèce qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit le 16 février 2016 et qu’il a été prolongé de manière ininterrompue jusqu’au 17 avril 2018, date de consolidation de l’état de santé de monsieur [I].
Ces certificats de prolongation font tous mention, soit de scapulalgies bilatérales, soit de tendinopathie épaule droite et épaule gauche, soit de conflit sous acromial des deux épaules, c’est-à-dire des mêmes lésions que celles évoquées dans le certificat médical initial.

Force est de constater que la société [5] n’apporte aucun élément médical permettant de renverser la présomption d’imputabilité, se contentant de « s’interroger » sur l’imputabilité des arrêts et soins dont l’assuré a bénéficié.
Il est, à ce titre, inexact d’affirmer que monsieur [I] a transmis des arrêts de travail établis, tantôt au titre du régime général et tantôt au titre des risques professionnels, le tribunal étant en mesure de vérifier que l’intégralité des certificats médicaux produits sont établis au titre accident du travail / maladie professionnelle.

De simples doutes ne peuvent ainsi suffire à remettre en cause le bien-fondé de la décision de la caisse.

L’ensemble des pièces produites par la caisse sont suffisantes pour trancher le litige soumis au tribunal et les explications de la société [5] ne sont pas de nature à renverser la présomption légale d’imputabilité, ni à justifier une mesure d’expertise qui n’est pas destinée à pallier la carence probatoire d’une partie.

La société [5] sera en conséquence déboutée de l’ensemble de ses prétentions.

Sur les dépens et les sommes réclamées au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Succombant, la société [5] sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.

Il apparaît par contre équitable que la société [5] verse à la CPAM de Seine Maritime la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais que cette dernière a dû engager inutilement pour répondre aux multiples arguments inopérants de la demanderesse.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par décision contradictoire, rendue publiquement, par mise à disposition au greffe et en premier ressort,

DÉBOUTE la S.N.C. [5] de l’ensemble de ses demandes ;

DÉCLARE opposables à la S.N.C. [5] la décision de prise en charge de la caisse d’assurance maladie de [Localité 7] [Localité 6] [Localité 4] – Seine-Maritime en date du 1er août 2016, de la maladie professionnelle présentée par monsieur [D] [I] le 19 janvier 2016, ainsi que l’ensemble des soins et arrêts de travail prescrits jusqu’à la consolidation le 17 avril 2018 ;

CONDAMNE la S.N.C. [5] aux dépens ;

DÉBOUTE la S.N.C. [5] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la S.N.C. [5] à payer à la caisse d’assurance maladie de [Localité 7] [Localité 6] [Localité 4] – Seine-Maritime la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que conformément aux dispositions des articles 34 et 538 du code de procédure civile et R. 211-3 du code de l’organisation judiciaire, les parties disposent d’un délai d’UN MOIS à compter de la notification de la présente décision pour en INTERJETER APPEL ;

AINSI JUGÉ ET PRONONCÉ par mise à disposition du jugement au greffe du tribunal le 31 janvier 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, la minute étant signée par Frédérique PITEUX, Présidente, et par Julie SOHIER, Greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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