Reconnaissance de maladie professionnelle : conditions d’application et interprétation des travaux concernés.

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Reconnaissance de maladie professionnelle : conditions d’application et interprétation des travaux concernés.

L’Essentiel : La SASU a contesté la décision de la Caisse primaire d’assurance maladie concernant la reconnaissance d’une maladie professionnelle. Le tribunal a rejeté son recours, confirmant que les tâches de la salariée étaient conformes au tableau n° 98 des maladies professionnelles. En appel, la SAS [6] a soutenu que l’activité de tri de déchets ne relevait pas des travaux énumérés dans ce tableau. La Caisse a défendu que la manutention de charges lourdes était impliquée. La cour a finalement infirmé le jugement initial, déclarant inopposable la prise en charge de la maladie, car le travail de l’assurée ne correspondait pas aux critères requis.

Contexte de l’affaire

La SASU [5] a introduit un recours devant une juridiction spécialisée en matière de sécurité sociale contre la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable de la Caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne. Cette décision concernait la demande de la SASU de déclarer inopposable la reconnaissance d’une maladie professionnelle, une sciatique par hernie discale, déclarée par Mme [P] [L] [U] le 9 avril 2019.

Décision du tribunal

Le tribunal a rendu son jugement le 25 octobre 2021, déboutant la SASU [5] de son recours et déclarant opposable la décision de prise en charge de la maladie professionnelle. Il a également ordonné l’exécution provisoire de cette décision et condamné la SASU aux dépens. Le tribunal a conclu que les tâches effectuées par la salariée étaient conformes aux conditions du tableau n° 98 des maladies professionnelles.

Appel de la SAS [6]

La SAS [6], successeur de la SASU [5], a interjeté appel le 24 novembre 2021. Elle a demandé à la cour d’infirmer le jugement du tribunal, arguant que Mme [P] [L] [U] n’était pas exposée aux risques mentionnés dans le tableau 98 et que la Caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne n’avait pas prouvé que les conditions de ce tableau étaient remplies.

Arguments de la SAS [6]

La SAS [6] a soutenu que le tableau n° 98 ne s’appliquait qu’aux ports de charges lourdes dans le cadre de travaux spécifiquement énumérés, et que l’activité de tri de déchets réalisée par l’assurée ne figurait pas dans cette liste. Elle a également affirmé qu’aucun élément du dossier ne prouvait que des ports de charges lourdes avaient eu lieu.

Arguments de la Caisse primaire d’assurance maladie

De son côté, la Caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne a demandé à la cour de confirmer le jugement du tribunal. Elle a fait valoir que la durée d’exposition de l’assurée était conforme aux exigences du tableau 98 et que son travail de tri de déchets impliquait une manutention habituelle de charges lourdes, même si cela ne relevait pas directement du ramassage des ordures.

Analyse juridique

Selon l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles est présumée d’origine professionnelle si les conditions de ce tableau sont remplies. Le tableau n° 98 stipule que la sciatique par hernie discale est couverte si la maladie est contractée dans le cadre de travaux de manutention manuelle habituelle de charges lourdes, spécifiquement dans le ramassage d’ordures ménagères et de déchets industriels.

Conclusion de la cour

La cour a conclu que l’assurée ne travaillait pas dans le ramassage d’ordures, mais dans le tri de déchets, ce qui ne correspondait pas aux travaux limitativement énumérés dans le tableau n° 98. En conséquence, la cour a infirmé le jugement du tribunal et a déclaré inopposable à la SAS [6] la décision de prise en charge de la maladie. La Caisse primaire d’assurance maladie a été condamnée aux dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de prise en charge d’une maladie professionnelle selon le tableau n° 98 ?

La prise en charge d’une maladie professionnelle est régie par l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale. Cet article stipule que :

« Est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions prévues à ce tableau. »

Dans le cas du tableau n° 98, les conditions spécifiques pour la prise en charge d’une sciatique par hernie discale sont les suivantes :

– Délai de prise en charge : 6 mois (sous réserve d’une durée d’exposition de 5 ans).

– Liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies :
– Travaux de manutention manuelle habituelle de charges lourdes effectués dans le ramassage d’ordures ménagères et de déchets industriels.

Il est donc essentiel que la maladie soit contractée dans le cadre des travaux spécifiquement énumérés dans le tableau pour que la prise en charge soit reconnue.

Quel est le rôle de la Caisse primaire d’assurance maladie dans la reconnaissance d’une maladie professionnelle ?

Selon l’article L. 461-1, alinéa 3, du code de la sécurité sociale, il incombe à l’organisme social qui a décidé d’une prise en charge de rapporter la preuve de la réunion des conditions exigées par le tableau.

Cela signifie que la Caisse primaire d’assurance maladie doit démontrer que :

– La maladie désignée par le certificat médical initial coïncide avec celle mentionnée par le tableau.

– Les conditions spécifiques du tableau, y compris la nature des travaux effectués et la durée d’exposition, sont remplies.

En cas de recours de l’employeur, le juge doit vérifier ces éléments sans se limiter à une analyse littérale du certificat médical.

Quelles sont les conséquences si les conditions du tableau n° 98 ne sont pas remplies ?

Si les conditions du tableau n° 98 ne sont pas remplies, la prise en charge de la maladie professionnelle est déclarée inopposable à l’employeur.

Cela signifie que :

– La décision de reconnaissance de la maladie professionnelle ne peut pas être appliquée à l’employeur, qui n’est pas tenu de supporter les conséquences financières liées à cette reconnaissance.

– L’employeur peut contester la décision de la Caisse primaire d’assurance maladie, et le tribunal peut infirmer la décision initiale si les preuves ne sont pas suffisantes.

Dans le cas présent, la cour a jugé que l’assurée ne travaillait pas dans le cadre des activités de ramassage d’ordures ménagères et de déchets industriels, ce qui a conduit à l’inopposabilité de la décision de prise en charge.

Comment la jurisprudence interprète-t-elle les activités de l’assurée par rapport au tableau n° 98 ?

La jurisprudence a précisé que les tâches effectuées par l’assurée doivent correspondre strictement aux activités énumérées dans le tableau n° 98.

Dans cette affaire, il a été établi que :

– L’assurée était agent de tri-manutentionnaire dans un centre de tri de déchets, ce qui ne correspond pas à la définition du ramassage d’ordures ménagères et de déchets industriels.

– Les travaux désignés dans le tableau n° 98 sont limitatifs, et toute interprétation extensive de ces travaux n’est pas conforme à la législation.

Ainsi, la cour a conclu que la Caisse n’avait pas démontré que l’assurée était exposée aux risques spécifiés dans le tableau, entraînant l’inopposabilité de la décision de prise en charge.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 13

ARRÊT DU 31 Janvier 2025

(n° , 4 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 21/09907 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEX7C

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Octobre 2021 par le Pole social du TJ de PARIS RG n° 20/01325

APPELANTE

S.A.S. [6] anciennement appelée la société [5]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Grégory KUZMA, avocat au barreau de LYON, toque : 1309 substitué par Me Pierre HAMOUMOU, avocat au barreau de LYON, toque : 2376

INTIMEE

CPAM DE LA DORDOGNE

[Adresse 2]

[Localité 1]

non comparante, non représentée, ayant pour conseil Me Françoise PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 Décembre 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. Raoul CARBONARO, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M Raoul CARBONARO, président de chambre

M Gilles REVELLES, conseiller

Mme Sophie COUPET, conseillère

Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

-signé par M. Raoul CARBONARO, président de chambre et par Mme Fatma DEVECI, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l’appel interjeté par la SAS [6] (la société) d’un jugement rendu le 25 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris dans un litige l’opposant à la Caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne (la caisse).

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de préciser que la SASU [5] a formé un recours devant une juridiction en charge du contentieux de la sécurité sociale à l’encontre de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable de la Caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne de sa demande de lui voir déclarer inopposable la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle déclarée par Mme [P] [L] [U] (l’assurée) le 9 avril 2019, à savoir une sciatique par hernie discale.

Par jugement en date du 25 octobre 2021, le tribunal :

déboute la SASU [5] de son recours ;

déclare opposable la décision de prise en charge de la maladie professionnelle (T 98) 24 septembre 2019 concernant Mme [P] [L] [U] ;

ordonne l’exécution provisoire de la décision ;

condamne la SASU [5] aux dépens.

Le tribunal a retenu que les tâches effectuées par la salariée rentraient dans la liste limitative des travaux du tableau n° 98 et que dès lors, l’ensemble des conditions étaient remplies.

Le jugement a été notifié par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception remise le 3 novembre 2021 à la SASU [5], devenue la SAS [6], qui en a interjeté appel par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception adressée le 24 novembre 2021.

Par conclusions écrites visées et développées oralement à l’audience par son avocat, la SAS [6] demande à la cour de :

infirmer le jugement rendu le 26 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris ;

juger que Mme [P] [L] [U] n’est pas exposée au risque du tableau 98 des maladies professionnelles ;

juger, en tout état de cause, que la Caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne n’en rapporte pas la preuve ;

juger, par conséquent, que la Caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne ne démontre pas que l’ensemble des conditions du tableau 98 des maladies professionnelles, dont un invoque l’application, sont remplies ;

en conséquence :

juger inopposable à la SAS [6] la décision de prise en charge du 24 septembre 2019 de la maladie du 18 janvier 2019 déclarée par Mme [P] [L] [U].

La SAS [6] expose que le tableau n° 98 des maladies professionnelles prévoit que seuls les ports de charges lourdes réalisés dans le cadre de travaux limitativement énumérés peuvent être considérés comme relevant du tableau ; que l’assurée réalisait ses missions dans le cadre bien précis d’activités de tri de déchets ; que cette activité n’est pas listée dans le tableau n° 98 précité ; que l’assurée ne s’occupe pas de la collecte de déchets ; qu’aucun élément du dossier ne démontre cette affirmation de la caisse ; qu’aucun port de charges lourdes n’est en outre démontré.

Par conclusions écrites visées et développées oralement à l’audience par son avocat, la Caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne demande à la cour de :

recevoir la Caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne en ses demandes, fins et conclusions et de l’en déclarer bien fondée ;

confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire ;

débouter la SAS [6] de l’ensemble de ses demandes non fondées, ni justifiées ;

condamner la SAS [6] aux entiers dépens.

La Caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne expose que le tableau 98 des maladies professionnelles impose une durée d’exposition de 5 ans ; que l’assurée a été embauchée par la société en 2005 ; que la condition relative à la durée d’exposition est donc bien respectée ; que la société a, notamment, pour objet social l’enlèvement des traitements de déchets et ordures et la récupération et l’enlèvement de déchets industriels ; que l’assurée est agent de tri-manutentionnaire dans un centre de tri de déchets ; qu’elle travaille à la chaîne, en 2×8, en qualité de trieur ; que son travail consiste à trier et récupérer manuellement des déchets valorisables sur un tapis puis à les jeter dans des trémies situées de chaque côté du poste de tri ; que le fait que l’activité de l’assurée ne soit pas directement rattachée au ramassage des ordures n’exclut pas que la salariée soit exposée à de la manutention habituelle de charge lourdes, alors même que l’activité de la société entre bien dans le champ d’activité du tableau 98 ; que le caractère habituel des travaux visés dans un tableau n’implique pas qu’ils constituent une part prépondérante de l’activité ; que le bénéfice de la présomption légale n’exige pas une exposition continue et permanente du salarié au risque pendant son activité professionnelle ; qu’il ressort de manière concordante des réponses aux questionnaires que la manutention des produits a un caractère habituel et manuel et que le tonnage global des produits manipulés est très élevé ; que les travaux désignés au tableau 98 sont donc bien réalisés ; que l’employeur ne démontre pas l’absence de lien de la maladie avec le travail.

SUR CE

Aux termes de l’article L. 461-1, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions prévues à ce tableau.

Dans sa rédaction applicable au litige, le tableau n° 98 des maladies professionnelles mentionne les conditions suivantes :

DÉSIGNATION DES MALADIES

DÉLAI de prise en charge

LISTE LIMITATIVE DES TRAVAUX SUSCEPTIBLES de provoquer ces maladies

Sciatique par hernie discale L4-L5 ou L5-S1 avec atteinte radiculaire de topographie concordante. Radiculalgie crurale par hernie discale L2-L3 ou L3-L4 ou L4-L5, avec atteinte radiculaire de topographie concordante.

6 mois (sous réserve d’une durée d’exposition de 5 ans)

travaux de manutention manuelle habituelle de charges lourdes effectués :

(‘)

– dans le ramassage d’ordures ménagères et de déchets industriels ;

(‘)

En cas de recours de l’employeur, il incombe à l’organisme social qui a décidé d’une prise en charge de rapporter la preuve de la réunion des conditions exigées par le tableau. Il appartient au juge de vérifier que la maladie désignée par le certificat médical initial coïncide avec celle mentionnée par le tableau, sans s’arrêter à une analyse littérale de ce certificat.

A défaut d’avoir été objectivée dans les conditions prévues au tableau qui désigne la maladie professionnelle, la prise en charge de celle-ci au titre de la législation professionnelle est inopposable à l’employeur.

En la présente espèce, l’assurée ne travaille pas dans le ramassage d’ordures ménagères et de déchets industriels, puisqu’elle assure le tri de ces derniers. Les tâches citées dans le tableau n° 98 des maladies professionnelles sont limitatives, de telle sorte que l’interprétation donnée par la caisse, extensive, ne se rapporte pas à ces dernières. Le ramassage d’ordures ménagères et de déchets industriels tel que défini par le texte renvoie au métier de gerbeur, qui n’est pas celui de l’assurée.

Il appartenait dès lors à la caisse d’instruire le dossier au visa de l’alinéa trois de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale.

Faute de l’avoir fait, et les conditions du tableau n’étant pas toutes remplies, la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle doit être déclarée inopposable à la SAS [6].

Le jugement déféré sera donc infirmé.

La Caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne, qui succombe, sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

DÉCLARE recevable l’appel de la SAS [6] ;

INFIRME le jugement rendu le 25 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en ses dispositions soumises à la cour ;

STATUANT À NOUVEAU,

DÉCLARE inopposable à la SAS [6] la décision de prise en charge du 24 septembre 2019 de la maladie du 18 janvier 2019 déclarée par Mme [P] [L] [U] ;

CONDAMNE la Caisse primaire d’assurance maladie de la Dordogne aux dépens.

La greffière Le président


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