Reconnaissance de nationalité : enjeux d’état civil et de légalité des documents

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Reconnaissance de nationalité : enjeux d’état civil et de légalité des documents

L’Essentiel : La directrice des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire de Rouen a refusé d’enregistrer la déclaration de nationalité française de Monsieur [R] en raison de l’irrégularité de son acte de naissance. En réponse, Monsieur [R] a assigné le procureur de la République devant le tribunal judiciaire de Lille, demandant la reconnaissance de sa nationalité française. Le ministère public a contesté cette demande, arguant que les documents fournis n’étaient pas conformes. Cependant, le tribunal a finalement statué en faveur de Monsieur [R], déclarant sa nationalité française et ordonnant l’enregistrement de sa déclaration.

Refus d’enregistrement de la nationalité française

La directrice des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire de Rouen a, par décision du 14 juin 2021, refusé d’enregistrer la déclaration de nationalité française de Monsieur [V] [R]. Ce refus est fondé sur le fait que l’acte de naissance présenté n’était pas conforme au code civil guinéen, le rendant non probant selon l’article 47 du code civil.

Assignation devant le tribunal judiciaire de Lille

En réponse à ce refus, Monsieur [R] a assigné le procureur de la République devant le tribunal judiciaire de Lille par acte d’huissier en date du 1er juin 2022, demandant à être reconnu comme de nationalité française. Un récépissé a été délivré par le ministère de la justice, et les parties ont échangé leurs écritures. L’instruction a été clôturée le 9 novembre 2023, avec une audience fixée au 8 octobre 2024, suivie d’un délibéré prévu pour le 10 janvier 2025.

Demandes de Monsieur [R]

Dans ses dernières écritures signifiées le 27 juin 2023, Monsieur [R] a demandé au tribunal de déclarer sa nationalité française, d’ordonner l’enregistrement de sa déclaration de nationalité souscrite le 14 avril 2021, et de laisser les dépens à la charge du Trésor Public. Il soutient que les actes d’état civil qu’il produit sont incontestables et que la Cour de cassation reconnaît l’effet rétroactif des jugements supplétifs.

Position du ministère public

Le ministère public, dans ses écritures du 17 mai 2023, a demandé au tribunal de déclarer la procédure régulière et de débouter Monsieur [R] de toutes ses demandes. Il a affirmé que Monsieur [R] n’est pas français et a requis l’application des mentions prévues par l’article 28 du code civil, tout en statuant sur les dépens.

Arguments du ministère public

Le ministère public a souligné que le premier acte de naissance n’était pas légalisé et n’était pas conforme à la loi guinéenne. Il a également contesté la validité des jugements et actes de naissance produits après la déclaration de nationalité, arguant qu’ils ne pouvaient pas régulariser la situation de Monsieur [R] au moment de sa déclaration, car celle-ci était « cristallisée » à cette date.

Décision du tribunal

Le tribunal, après avoir examiné les arguments des deux parties, a statué publiquement et a déclaré que Monsieur [R] est de nationalité française. Il a ordonné l’enregistrement de sa déclaration de nationalité et a prévu les mentions nécessaires selon l’article 28 du code civil, tout en condamnant le Trésor public aux dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de l’article 21-12 du Code civil concernant la nationalité française ?

L’article 21-12 du Code civil stipule que « la déclaration de nationalité française peut être souscrite par tout étranger qui justifie d’un lien de filiation avec un parent français ».

Cet article établit donc les conditions dans lesquelles une personne peut acquérir la nationalité française par déclaration.

Il est essentiel que le demandeur puisse prouver son état civil et son lien de filiation avec un parent français.

Dans le cas de Monsieur [R], la question de la validité de son acte de naissance est cruciale, car le refus d’enregistrement de sa déclaration de nationalité repose sur le fait que cet acte n’est pas conforme au droit guinéen.

Ainsi, la conformité de l’acte de naissance est un élément déterminant pour l’application de l’article 21-12.

Quelles sont les implications de l’article 47 du Code civil dans le cadre de la preuve de l’état civil ?

L’article 47 du Code civil précise que « les actes de l’état civil, dressés conformément aux lois, font foi jusqu’à preuve du contraire ».

Cela signifie que les actes d’état civil, lorsqu’ils sont établis selon les règles en vigueur, sont présumés authentiques et peuvent être utilisés comme preuve.

Dans le litige, le tribunal a jugé que l’acte de naissance produit par Monsieur [R] n’était pas probant, car il n’était pas dressé conformément au code civil guinéen.

Cette décision souligne l’importance de la légalité et de la conformité des actes d’état civil pour établir la nationalité.

En conséquence, l’absence de conformité de l’acte de naissance a conduit à un refus d’enregistrement de la déclaration de nationalité.

Comment l’article 28 du Code civil s’applique-t-il dans le cadre de la mention de nationalité ?

L’article 28 du Code civil stipule que « la mention de la nationalité est portée en marge de l’acte de naissance ».

Cet article est pertinent dans le cadre de la procédure de nationalité, car il prévoit que la nationalité d’une personne doit être inscrite dans son acte d’état civil.

Dans le cas de Monsieur [R], le tribunal a ordonné l’enregistrement de sa nationalité française, ce qui implique que cette mention sera ajoutée à son acte de naissance.

Cela permet de formaliser et de rendre officielle sa nationalité française, en conformité avec les dispositions légales.

Ainsi, l’article 28 joue un rôle clé dans la régularisation de l’état civil et la reconnaissance de la nationalité.

Quelles sont les conséquences de la décision du tribunal sur les dépens selon l’article 1043 du Code de procédure civile ?

L’article 1043 du Code de procédure civile dispose que « les dépens sont à la charge de la partie perdante ».

Dans cette affaire, le tribunal a condamné le Trésor public aux dépens, ce qui signifie que les frais de justice seront pris en charge par l’État.

Cette décision est importante car elle reflète le principe selon lequel la partie qui succombe dans ses prétentions doit supporter les frais engagés par la procédure.

En l’occurrence, le ministère public a été débouté de ses demandes, ce qui a conduit à cette condamnation.

Ainsi, l’article 1043 assure une certaine équité dans la répartition des frais de justice entre les parties.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 01
N° RG 22/03597 – N° Portalis DBZS-W-B7G-WGV7

JUGEMENT DU 10 JANVIER 2025

DEMANDEUR:

M. [V] [R]
né le 2 juillet 2003 à [Localité 5] en Guinée
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Eurielle RIVIERE, avocat au barreau de LILLE
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/14590 du 09/12/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de LILLE)

DÉFENDERESSE:

MADAME LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE
[Adresse 1]
[Localité 3]

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Marie TERRIER,
Assesseur : Juliette BEUSCHAERT,
Assesseur : Nicolas VERMEULEN,

Greffier : Benjamin LAPLUME,

DÉBATS

Vu l’ordonnance de clôture en date du 09 Novembre 2023.

A l’audience en chambre du conseil du 08 Octobre 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les parties ont été avisées que le jugement serait rendu le 10 Janvier 2025.

Vu l’article 804 du Code de procédure civile, Juliette BEUSCHAERT, juge préalablement désigné par le Président, entendu en son rapport oral, et qui, ayant entendu la plaidoirie, en a rendu compte au Tribunal.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 10 Janvier 2025 par Marie TERRIER, Présidente, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par décision du 14 juin 2021, la directrice des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire de Rouen a refusé d’enregistrer la déclaration de nationalité française souscrite par Monsieur [V] [R], né le 2 juillet 2003 à [Localité 5], en application de l’article 21-12 du Code civil, au motif que “l’ acte de naissance produit par l’intéressé n’a pas été dressé conformément au code civil guinéen. Il n’est donc pas probant au sens de l’article 47 du code civil”.

Par acte d’huissier en date du 1er juin 2022, M. [R] a fait assigner Madame le procureur de la République devant le tribunal judiciaire de Lille pour voir juger qu’il est de nationalité française.

Récépissé en a été délivré par le ministère de la justice.

Les parties ont échangé leurs écritures. La clôture de l’instruction a été ordonnée à la date du 09 novembre 2023 et l’affaire fixée à plaider à l’audience du 8 octobre 2024 prise à juge rapporteur. Elle a été mise en délibéré au 10 janvier 2025.

Aux termes de ses dernières écritures signifiées par la voie électronique le 27 juin 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé plus complet de ses moyens, M. [R] demande au tribunal de :

Vu les dispositions des articles 21-12, 21-27, 26, et 47 du Code Civil,

DIRE que Monsieur [R] [V] né le 2 juillet 2003 à [Localité 5] (Guinée) est de nationalité française ;
D’ORDONNER l’enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite le 14 avril 2021 par devant le greffier en chef du Tribunal de proximité de Rouen Monsieur [R] [V] né le 2 juillet 2003 à [Localité 5] (Guinée);
LAISSER les dépens à la charge du Trésor Public.
Il fait valoir que les actes d’état civil qu’il produit désormais et en original, ne souffrent aucune contestation et font la preuve de son état civil ; que la Cour de cassation reconnaît l’effet rétroactif attaché aux jugements supplétifs en tant qu’ils ne font que constater une situation existante antérieurement à la déclaration de nationalité ; que les autres conditions de l’article 21-12 du Code civil sont réunies.

Aux termes de ses dernières écritures signifiées par la voie électronique le 17 mai 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé plus complet de ses moyens, le ministère public demande au tribunal de :

DIRE la procédure régulière au regard des dispositions de l’article 1043 du code de procédure civile ;
DEBOUTER Monsieur [V] [R] de l’ensemble de ses demandes ;
JUGER que Monsieur [V] [R], se disant né le 2 juillet 2003 à [Localité 5] (Guinée), n’est pas français ;
ORDONNER la mention prévue par l’article 28 du code civil ;
STATUER ce que de droit quant aux dépens.

Après avoir souligné que le premier acte de naissance est non légalisé et non établi conformément à la loi guinéenne, il fait valoir que le jugement n°184 du 20/02/2023 n’est pas produit en expédition conforme (à la différence du jugement d’annulation) mais en simple copie signée par le président du tribunal et par le greffier qui a tenu la plume à l’audience ; que cette simple photocopie du jugement, non datée et non revêtue du cachet de la juridiction au sein de laquelle est conservé l’original de la décision, ne peut être acceptée car elle n’offre aucune garantie d’intégrité et d’authenticité ; que dès lors, cette copie de jugement ne peut être valablement légalisée le 03/04/23 ; qu’en tout état de cause, l’ensemble de ces jugements et acte de naissance, établis à compter du 21/02/2023 sont impuissants à régulariser l’état civil du demandeur au jour de la souscription de sa déclaration de nationalité française, puisqu’intervenus après la souscription de sa déclaration le 14/04/2021 alors que la situation du déclarant est “cristallisée” au jour de la souscription de sa déclaration, date à laquelle il manifeste la volonté d’acquérir la nationalité française; qu’à la date de cette déclaration, il n’avait pas d’état civil certain.

[DÉBATS NON PUBLICS – Motivation de la décision occultée]
PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, après débats en chambre du conseil, par jugement contradictoire et en premier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe,

DIT que Monsieur [R] [V] né le 2 juillet 2003 à [Localité 5] en Guinée est de nationalité française ;

ORDONNE l’enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite le 14 avril 2021 par devant le greffier en chef du Tribunal de proximité de Rouen Monsieur [R] [V] né le 2 juillet 2003 à [Localité 5] en Guinée ;

ORDONNE en tant que de besoin les mentions prévues à l’article 28 du code civil ;

CONDAMNE le Trésor public aux dépens.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

Benjamin LAPLUME Marie TERRIER


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