L’Essentiel : Le recours a été formé contre la décision de l’Autorité de la concurrence n° 22-D-18 du 14 octobre 2022, suite à une demande de mesures conservatoires du barreau de Provence et de la Méditerranée-Eutopia (BPME). L’Autorité a déclaré la saisine irrecevable, considérant que la lettre du bâtonnier de Marseille relevait de ses prérogatives de puissance publique. Le BPME a contesté cette décision, arguant d’une insuffisance de motivation et d’une incompétence de l’Autorité à examiner les pratiques anticoncurrentielles. Cependant, la Cour a confirmé la décision de l’Autorité, estimant que les faits invoqués n’entraient pas dans son champ de compétence.
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FAITS ET PROCÉDURELe recours a été formé contre la décision de l’Autorité de la concurrence n° 22-D-18 du 14 octobre 2022, suite à une demande de mesures conservatoires du barreau de Provence et de la Méditerranée-Eutopia (BPME). Ce barreau a été créé le 21 janvier 2020 par deux avocats de Marseille, Maîtres [C] et [S]. Le bâtonnier de Marseille a ordonné la dissolution du BPME, menaçant de poursuites disciplinaires et pénales. En réponse, Maître [C] a saisi l’Autorité de la concurrence, arguant d’un abus de position dominante et d’une entente anticoncurrentielle. L’Autorité a déclaré le recours irrecevable et a rejeté la demande de mesures conservatoires. MOTIVATIONI. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA SAISINE DE L’AUTORITÉL’Autorité a considéré que la lettre du bâtonnier de Marseille était un acte relevant de ses prérogatives de puissance publique, et non une action sur le marché. Elle a donc déclaré la saisine irrecevable, estimant que les agissements du bâtonnier ne traduisaient pas une volonté de détourner ses pouvoirs. Le BPME a contesté cette décision, soutenant que l’Autorité était compétente pour examiner les pratiques anticoncurrentielles. II. SUR L’INSUFFISANCE DE MOTIVATIONLe BPME a demandé l’annulation de la décision pour insuffisance de motivation, arguant que l’Autorité n’avait pas correctement défini le marché des services juridiques. L’Autorité a répondu qu’elle n’était pas tenue de se prononcer sur la délimitation du marché en raison de son incompétence. Le ministre chargé de l’économie a soutenu cette position. III. SUR LA DEMANDE DE MESURES PROVISOIRESLe BPME a demandé des mesures conservatoires contre le barreau de Marseille, mais l’Autorité a rejeté cette demande, considérant qu’elle n’avait pas compétence pour statuer sur les faits invoqués. IV. SUR LES DÉPENSLes dépens liés à la procédure ont été abordés, mais la décision finale de la Cour n’a pas été précisée dans le texte fourni. PAR CES MOTIFSLa Cour a confirmé la décision de l’Autorité, estimant que les faits invoqués par le BPME n’entraient pas dans le champ de sa compétence, et a déclaré la saisine irrecevable. |
Q/R juridiques soulevées :
Sur la recevabilité de la saisine de l’AutoritéLa question de la recevabilité de la saisine de l’Autorité de la concurrence est centrale dans cette affaire. L’Autorité a déclaré le recours du BPME irrecevable en se fondant sur l’article L. 462-8 du code de commerce, qui stipule que « L’Autorité de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable si elle estime que les faits invoqués n’entrent pas dans le champ de sa compétence. » Dans cette décision, l’Autorité a considéré que les agissements du bâtonnier de Marseille, qui a adressé une injonction à Maître [C] de dissoudre le BPME, relevaient de l’exercice de prérogatives de puissance publique. En effet, selon l’article 1er du décret du 27 novembre 1991, les avocats établis près de chaque tribunal judiciaire forment un barreau, et chaque barreau est administré par un conseil de l’ordre présidé par un bâtonnier, conformément à l’article 15 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. Ainsi, l’Autorité a conclu que les actes du bâtonnier ne constituaient pas des pratiques anticoncurrentielles, mais s’inscrivaient dans le cadre de ses missions de service public. Par conséquent, l’Autorité n’était pas compétente pour examiner la saisine du BPME, ce qui a conduit à la déclaration d’irrecevabilité. Sur l’insuffisance de motivationLe BPME conteste la décision de l’Autorité pour insuffisance de motivation, arguant que l’Autorité a appréhendé la profession d’avocat uniquement sous un angle déontologique. Selon l’article L. 462-8 du code de commerce, l’Autorité doit motiver ses décisions, mais elle n’est pas tenue de répondre à tous les arguments soulevés. L’Autorité a précisé qu’elle n’avait pas à se prononcer sur la délimitation du marché pertinent, car cela n’était pas nécessaire au regard de son incompétence. En effet, l’absence de compétence pour examiner les faits invoqués par le BPME a conduit à une décision qui ne nécessitait pas une analyse approfondie du marché des services juridiques. Le ministre chargé de l’économie et le ministère public ont soutenu que l’Autorité avait correctement analysé la situation et que la motivation de sa décision était suffisante, compte tenu de l’irrecevabilité de la saisine. Ainsi, la question de l’insuffisance de motivation est étroitement liée à la compétence de l’Autorité et à la nature des actes du bâtonnier de Marseille. Sur la demande de mesures provisoiresLa demande de mesures provisoires formulée par le BPME a été rejetée par l’Autorité, qui a considéré que les conditions d’urgence et de nécessité n’étaient pas remplies. L’article L. 464-1 du code de commerce permet à l’Autorité de prendre des mesures conservatoires, mais celles-ci doivent être justifiées par des éléments concrets. Dans le cas présent, l’Autorité a estimé que la situation ne justifiait pas l’adoption de mesures provisoires, car les actes du bâtonnier de Marseille relevaient de l’exercice de prérogatives de puissance publique. Par conséquent, la demande de mesures conservatoires, qui visait à interdire les poursuites disciplinaires et pénales à l’encontre de Maître [C], a été jugée irrecevable. Le BPME a soutenu que l’Autorité aurait dû prendre en compte l’urgence de la situation, mais l’Autorité a maintenu que les éléments présentés ne justifiaient pas une intervention immédiate. Ainsi, la question des mesures provisoires est étroitement liée à l’appréciation de la compétence de l’Autorité et à la nature des actes en cause. Sur les dépensLa question des dépens se pose en raison des recours formés par le BPME contre la décision de l’Autorité. Selon l’article 696 du code de procédure civile, les dépens comprennent les frais de justice exposés par les parties, y compris les frais d’expertise et d’huissier. Dans cette affaire, le BPME a sollicité l’annulation de la décision de l’Autorité, ce qui implique des frais de procédure. Toutefois, étant donné que l’Autorité a déclaré la saisine irrecevable, il est probable que les dépens soient mis à la charge du BPME, conformément à l’article 700 du code de procédure civile, qui prévoit que la partie perdante peut être condamnée à payer les dépens. Le ministre chargé de l’économie et le ministère public ont également souligné que les dépens devraient être supportés par la partie qui a succombé dans ses prétentions. Ainsi, la question des dépens est directement liée à l’issue du recours et à la décision de la Cour concernant la recevabilité de la saisine. |
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 7
ARRÊT DU 16 JANVIER 2025
(n° 2, 13 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 22/17546 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGRD5
Décision déférée à la Cour : Décision de l’Autorité de la concurrence n° 22-D-18 rendue le 14 octobre 2022
REQUÉRANT :
LE BARREAU DE PROVENCE ET DE LA MÉDITERRANÉE – EUTOPIA (BPME)
Pris en la personne de « son bâtonnier statutaire » dont le siège est sis au cabinet de Me Philippe KRIKORIAN, avocat à la Cour,
[Adresse 3]
[Localité 2]
Élisant domicile au cabinet de la SCP GRAPPOTTE-BENETREAU
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représenté par Me Philippe KRIKORIAN, avocat au barreau de MARSEILLE,
Ayant pour avocat postulant Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque K0111
EN PRÉSENCE DE :
L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Prise en la personne de son président
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par M. [K] [P] et Mme [R] [F], dûment mandatés
LE MINISTRE CHARGÉ DE L’ÉCONOMIE
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 7]
Représenté par M. [U] [N], dûment mandaté
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 26 septembre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
‘ M. Gildas BARBIER, président de chambre, président,
‘ Mme Isabelle FENAYROU, présidente de chambre,
‘ Mme Françoise JOLLEC, présidente de chambre,
qui en ont délibéré.
GREFFIER, lors des débats : M. Valentin HALLOT
MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée et représenté par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocate générale
ARRÊT PUBLIC :
‘ contradictoire,
‘ prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
‘ signé par M. Gildas BARBIER, président de chambre et par M. Valentin HALLOT, greffier à qui la minute a été remise par le magistrat signataire.
Vu la décision de l’Autorité de la concurrence n° 22-D-18 en date du 14 octobre 2022 relative à des mesures conservatoires sollicitées par le barreau de Provence et de la Méditerranée-Eutopia ;
Vu la déclaration de recours déposée au greffe de la cour d’appel de Paris le 26 octobre 2022 par le barreau de Provence et de la Méditerranée-Eutopia ;
Vu son exposé des moyens déposé au greffe le 20 décembre 2022 ;
Vu ses dernières écritures déposées au greffe le 20 février 2024 ;
Vu les observations de l’Autorité de la concurrence du 24 octobre 2023 ;
Vu les observations du ministre chargé l’économie du 24 octobre 2023 ;
Vu l’avis du ministère public du 20 septembre 2024 communiqué le même jour au requérant, à l’Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l’économie ;
Après avoir entendu à l’audience publique du 26 septembre 2024, en leurs observations orales le conseil du barreau de Provence et de la Méditerranée-Eutopia, le représentant de l’Autorité, le ministre chargé de l’économie et le ministère public, le requérant ayant été mis en mesure de répliquer.
SOMMAIRE
§ 1
§ 13
I. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA SAISINE DE L’AUTORITÉ
§ 13
II. SUR L’INSUFFISANCE DE MOTIVATION
§ 59
III. SUR LA DEMANDE DE MESURES PROVISOIRES
§ 63
IV. SUR LES DÉPENS
§ 69
§ 69
FAITS ET PROCÉDURE
1.La Cour est saisie d’un recours formé contre la décision de l’Autorité de la concurrence n° 22-D-18 en date du 14 octobre 2022 relative à des mesures conservatoires sollicitées par le barreau de Provence et de la Méditerranée-Eutopia.
2.Le barreau de Provence et de la Méditerranée-Eutopia (ci-après « le BPME ») a été créé le 21 janvier 2020, à la suite de la déclaration de sa constitution auprès du tribunal judiciaire de Marseille, à l’initiative de deux avocats inscrits au barreau de Marseille, Maîtres [C] et [S].
3.Maître [C] se présente comme le bâtonnier « statutaire » du BPME.
4.Le 19 avril 2022, le bâtonnier de Marseille a adressé à Maître [C] une lettre lui faisant injonction de dissoudre le BPME et l’informant qu’à défaut des poursuites, disciplinaires et pénales, ces dernières sur initiative du parquet général, pourraient être engagées à son encontre.
5.Le 30 mai 2022, affirmant que plusieurs barreaux peuvent être institués auprès d’un même tribunal judiciaire et ainsi entrer en concurrence, Maître [C] a saisi l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») en soutenant que cette lettre constituait une man’uvre visant à exclure le BPME du marché des services juridiques et juridictionnels offerts par les barreaux aux consommateurs de droit, et était, à ce titre, constitutif d’un abus de position dominante, ainsi que d’une entente anticoncurrentielle s’il s’avérait que le bâtonnier avait reçu le concours du parquet général.
6.Maître [C] a également demandé, sur le fondement de l’article L. 464-1 du code de commerce, des mesures conservatoires faisant obligation au barreau de Marseille, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, de :
‘ s’abstenir de toutes poursuites disciplinaires et pénales à son encontre ;
‘ porter la mesure conservatoire prise par l’Autorité à la connaissance du Garde des Sceaux, du Conseil national des barreaux, de la procureure générale près la cour d’appel d’Aix-en-Provence et de la procureure du tribunal de Marseille ;
‘ justifier auprès de l’Autorité de l’exécution de l’injonction prononcée.
7.Parallèlement, M. [C] a saisi le Conseil d’État d’une demande d’annulation d’un refus implicite du Premier ministre d’annuler l’article 1er du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. Cette demande a été rejetée par un arrêt du 10 janvier 2024 (CE 10 janvier 2024, [C]/Premier ministre, n° 453729) (pièce n° 44).
8.Par une décision n° 22-D-18 rendue le 14 octobre 2022, notifiée le 21 octobre 2022, l’Autorité a déclaré, sur le fondement de l’article L. 462-8 du code de commerce, le recours du BPME irrecevable et a rejeté la demande de mesures conservatoires.
9.Le 26 octobre 2022, le BPME a formé un recours en annulation et, subsidiairement, en réformation contre cette décision (ci-après « la décision attaquée »).
10.Aux termes de ses dernières écritures, le BPME sollicite, à titre principal, l’annulation de la décision attaquée, et demande à la Cour, statuant à nouveau, de :
‘ Dire et juger que l’Autorité est compétente pour connaître des pratiques anticoncurrentielles du barreau de Marseille mises en ‘uvre au préjudice du BPME ;
‘ Dire et juger que le barreau de Marseille a, dans le secteur des services offerts par les barreaux aux justiciables et autres consommateurs de droit, adopté une décision d’association d’entreprises ayant un objet et un effet anticoncurrentiel, matérialisée par les lettres de son bâtonnier en exercice en date des 12 janvier, 19 avril et 18 novembre 2022, adressées au bâtonnier statutaire du BPME et consistant en la diffusion d’une interprétation manifestement erronée du droit positif relatif à la liberté d’établissement des barreaux auprès d’un tribunal judiciaire, d’une critique abusive de la création du BPME et, au-delà, d’une prise de position quant à sa prétendue illicéité ;
‘Dire et juger que le barreau de Marseille a, en menaçant de poursuites disciplinaires et pénales le bâtonnier statutaire en exercice du BPME du seul fait de la création de ce barreau le 21 janvier 2020, en tant que son concurrent direct, abusé de la position dominante que son ancien monopole légal, perdu en 1971 (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques), lui a procurée sur le marché des services offerts par les barreaux aux justiciables et autres consommateurs de droit ;
‘ Enjoindre au barreau de Marseille et à son bâtonnier en exercice, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et/ou par infraction constatée, à compter de la décision à intervenir, de s’abstenir de toutes poursuites disciplinaires et pénales et, le cas échéant, se désister sans délai de telles poursuites, à l’encontre de Maître [C], des chefs compris dans la lettre du 19 avril 2022, par laquelle le bâtonnier du barreau de Marseille prétend exiger la dissolution du BPME, sous la menace de poursuites pénales et disciplinaires de son bâtonnier statutaire en exercice, de porter la mesure prise par la cour d’appel de Paris, dans le délai de quarante-huit heures à compter de la décision à intervenir, à la connaissance du Garde des sceaux, ministre de la justice, du Conseil national des barreaux, du premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, de la procureure générale près cette cour, du président du tribunal judiciaire de Marseille et de la procureure près ce tribunal, de justifier auprès du BPME de l’exécution de l’injonction prononcée, d’ordonner, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, dans le délai de quarante-huit heures à compter de la décision adoptant les mesures à intervenir visées supra au 4°, aux frais avancés du barreau de Marseille, la publication de son dispositif sur le site internet du Conseil national des barreaux, le site internet du barreau de Marseille, ainsi que sur les plateformes www.dalloz.fr et www.lexisnexis.fr et dans les quotidiens suivants (version papier et édition en ligne) : Le Monde, Le Figaro et La Provence, éditions de Marseille, Aix-en-Provence, Avignon et Alpes.
À titre subsidiaire, le BPME sollicite, après annulation, en toutes ses dispositions, de la décision attaquée, d’ordonner le renvoi de l’affaire à l’Autorité pour complément d’instruction et examen au fond.
11.Par observations du 24 octobre 2023, l’Autorité demande, à titre principal, le rejet de l’ensemble des demandes et, à titre subsidiaire, si la Cour décidait que l’Autorité était compétente, de lui renvoyer le dossier pour examen au fond.
12.Le ministre chargé de l’économie et le ministère public considèrent que les recours doivent être rejetés.
MOTIVATION
I. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA SAISINE DE L’AUTORITÉ
13.Dans la décision attaquée, l’Autorité a envisagé le secteur concerné comme celui de la profession d’avocat telle qu’encadrée par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat.
14.Elle a énoncé que, s’agissant d’organismes investis d’une mission de service public et dotés de prérogatives de puissance publique, seul l’exercice dans une mesure manifestement inappropriée de ces dernières, rendant l’acte qui en est issu détachable de la mission de service public, emporte l’application du droit de la concurrence et partant, sa compétence.
15.Appliquant ces principes, elle a considéré que la lettre envoyée par le bâtonnier de Marseille l’avait été au nom du conseil de l’ordre des avocats et que l’invitation à dissoudre le BPME sous peine de poursuites traduisait l’exercice de prérogatives de puissance publique dans une mesure non manifestement inappropriée.
16.Elle en a conclu que les agissements du bâtonnier n’excédaient pas les missions lui étant dévolues et ne traduisaient pas de volonté de détourner les pouvoirs lui ayant été confiés.
17.Elle en a déduit qu’elle n’était pas compétente pour en connaître et a déclaré la saisine irrecevable en application de l’alinéa 1er de l’article L. 462-8 du code de commerce.
18.Le BPME soutient que l’Autorité est compétente.
19.Il expose, en premier lieu, que la Cour de justice des communautés européennes (ci-après « la Cour de justice ») a jugé que l’exercice du pouvoir de régulation par l’organe représentant une profession, comme l’ordre néerlandais des avocats, constituait une activité économique et ne manifestait pas des prérogatives de puissance publique (CJCE, arrêt du 19 février 2002, [Z], C-309/99, points 58-59). Appliquant une jurisprudence du Conseil d’État (CE, 19 mars 2010, n° 318549) aux termes de laquelle l’exercice du pouvoir disciplinaire par une association à l’égard de ses membres est inhérent à l’organisation de cette association et ne traduit pas, par lui-même, l’exercice de prérogatives de puissance publique qui nécessairement auraient été conférées à cette association pour l’accomplissement d’une mission de service public, il en déduit l’absence d’exercice de prérogatives de puissance publique.
20.Il soutient, en deuxième lieu, que l’exercice par un organisme privé chargé d’une mission de service public, tel un barreau, de son pouvoir disciplinaire ne se rattache pas à l’exercice d’une prérogative de puissance publique lorsque cet exercice est manifestement inapproprié. Il cite à cet égard les décisions du Tribunal de l’Union européenne du 10 décembre 2014 (Ordre national des pharmaciens/Commission européenne, T- 90/11) et de la cour d’appel de Paris du 15 octobre 2020 (RG n° 19/186327). Il considère, sur le fondement de l’article 1141 du code civil, que la menace d’une voie de droit constitue une violence lorsqu’elle est détournée de son but ou invoquée pour obtenir un avantage manifestement excessif, ce qui est le cas en l’espèce.
21.Il soutient, en troisième lieu, que la lettre du 19 avril 2022, précitée, a été adressée au représentant du BPME, et non à l’avocat (Maître [C] inscrit au barreau de Marseille), en raison de l’objet de cette lettre portant sur la dissolution du BPME, que seul le représentant du BPME pouvait ordonner. Se fondant sur l’article 4 du code de procédure civile, lu à la lumière des articles 30, 31, 32 et 122 du même code, il affirme que la qualité procède du droit substantiel et qu’en l’espèce, l’objet de la lettre détermine la qualité du destinataire de la lettre. Il observe par ailleurs que la lettre en réponse du 27 avril 2022 au bâtonnier de Marseille émane du représentant statutaire du BPME, et que le président de l’Autorité était en copie de cette lettre. Il en déduit que le bâtonnier de Marseille n’avait donc pas qualité pour poursuivre Maître [C], qu’il aurait dû considérer comme le bâtonnier statutaire du BPME et non comme avocat membre du barreau de Marseille ; le bâtonnier ne pouvait donc pas menacer de poursuites disciplinaires un membre d’un barreau tiers conformément aux articles 22 et 23 de la loi de 1971, de sorte qu’il a agi hors de toute mission de service public et en tout état de cause de manière inappropriée.
22.Il soutient, en quatrième lieu, que la création du BPME n’est pas constitutive d’une faute. Il invoque le principe de la liberté rappelé aux articles 4 et 5 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il fait valoir que la création de plusieurs barreaux par tribunal est possible depuis la suppression des ordres par l’article 73 de la loi du 31 décembre 1971. À cet égard, il indique que la disparition des ordres entraîne la suppression de leur monopole et que les barreaux sont soumis à la libre concurrence. Il expose que l’article 1er du décret du 27 novembre 1991 ne s’interprète pas comme créant un monopole pour le premier établi et que cela porterait atteinte à la liberté d’entreprendre. Il prétend encore que l’article 15, alinéa 1er, de la loi de 1971 autorise la création de plusieurs barreaux. Il s’appuie sur le pluriel du terme barreau employé par l’article 15 qui dispose que les avocats font partie de barreaux. Il affirme que le Conseil d’État a confirmé cette interprétation dans une décision du 20 novembre 2019 (CE, 20 novembre 2019, Association du Grand Barreau de France, n° 420772) et que sa décision du 10 janvier 2024 (CE, 10 janvier 2024, [C]/ Premier ministre, n° 453729), relative à l’annulation du refus d’abrogation de l’article 1er du décret du 27 novembre 1991 n’a pas remis en cause cette interprétation. Enfin, il conteste les avis rendus par la Conférence des bâtonniers, le Conseil national des barreaux, la bâtonnière du barreau de Paris, la procureure générale près la cour d’appel d’Aix-en-Provence, le président du tribunal judiciaire de Marseille et la direction des affaires civiles et du sceau, qui concluent à l’existence d’un seul barreau par tribunal.
23.Il soutient, en dernier lieu, que la menace ou l’exercice effectif du pouvoir disciplinaire par le barreau de Marseille ne caractérise pas l’exercice de prérogatives de puissance publique, le bâtonnier d’un barreau ne disposant d’aucun pouvoir d’injonction lui permettant d’exiger la dissolution d’un barreau concurrent.
24.L’Autorité fait valoir en réponse, d’une part, que l’ordre des avocats comme tout ordre professionnel est une personne morale de droit privé chargée d’une mission de service public et dotée de prérogatives de puissance publique dévolues par la loi du 31 décembre 1971. Elle en déduit que l’action du bâtonnier de Marseille s’inscrit dans le cadre de ces missions et ne constitue pas une action sur le marché.
25.Elle fait valoir, d’autre part, que le bâtonnier de Marseille s’est adressé à Maître [C] en sa qualité d’avocat inscrit au barreau de Marseille et à ce titre soumis à des obligations déontologiques, et non en sa qualité de bâtonnier statutaire de la BPME.
26.Elle soutient, par ailleurs, que l’article 1er du décret du 27 novembre 1991 rappelle que les avocats établis auprès de chaque tribunal judiciaire forment un barreau, que le barreau comprend les avocats inscrits au tableau et qu’il n’existe qu’un seul barreau par tribunal.
27.Elle considère, enfin, que c’est donc dans le cadre de sa mission de service public et de ses prérogatives de puissance publique que le bâtonnier de Marseille a enjoint à Maître [C] de dissoudre le BPME.
28.Elle conclut, dès lors, au rejet des demandes du BPME.
29.Le ministre chargé de l’économie fait valoir que l’Autorité a correctement analysé le courrier du bâtonnier du barreau de Marseille, en ce qu’il traduit l’usage de son pouvoir disciplinaire et s’inscrit dans le cadre de ses prérogatives de puissance publique, et de manière non inappropriée, puisqu’il s’adressait à l’avocat inscrit au barreau de Marseille et donc soumis aux obligations déontologiques et non au bâtonnier statutaire et le mettait en garde contre d’éventuelles poursuites.
30.Le ministère public rappelle que le Conseil d’État a jugé qu’un barreau était une personne privée chargée d’une mission de service public (CE, 20 novembre 2019, n° 420772). Il expose que la menace de l’exercice, et in fine, l’exercice effectif du pouvoir disciplinaire par le barreau de Marseille à l’encontre de l’un de ses membres Maître [C], caractérisent l’emploi/l’exercice d’une prérogative de puissance publique ne ressortant pas comme telle, de la compétence de l’Autorité, sans qu’il ne soit nécessaire de s’interroger sur le point de savoir si cet exercice n’est pas manifestement inapproprié depuis un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 1er février 2023.
31.Il soutient que l’argumentation du BPME repose sur un postulat erroné selon lequel plusieurs barreaux peuvent être créés au sein d’un même tribunal judiciaire, alors que l’article 1er du décret du 27 novembre 1991 ne prévoit qu’un seul barreau par tribunal judiciaire.
32.Il soutient qu’il n’est pas contestable que l’exercice par le bâtonnier à l’encontre de l’un de ses membres d’une action disciplinaire procède de l’exercice de prérogatives de puissance publique et que l’injonction s’analyse comme un rappel à la loi et l’obligation de s’y conformer, le bâtonnier étant alors dans son rôle statutaire.
33.Il en conclut que la lettre du 19 avril 2022 traduit l’exercice par un bâtonnier de prérogatives de puissance publique et que l’Autorité n’est donc pas compétente.
Sur ce, la Cour :
34.L’article L. 462-8, alinéa 1er, du code de commerce dispose que « L’Autorité de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable [‘] si elle estime que les faits invoqués n’entrent pas dans le champ de sa compétence. ».
35.Selon l’article L. 410-1 du code de commerce, les règles relatives à la liberté des prix et de la concurrence « s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services y compris celles qui sont le fait des personnes publiques ».
36.Dans le prolongement de son arrêt du 18 octobre 1999 (TC, 18 octobre 1999, Aéroport de Paris, n° 3174), le Tribunal des conflits a jugé, dans un arrêt du 4 mai 2009 (TC, 4 mai 2009, Sociétés Éditions Jean-Paul Gisserot, n° 3714), que l’Autorité n’était pas, pour autant, compétente pour sanctionner la méconnaissance des règles prohibant les pratiques anticoncurrentielles « en ce qui concerne les décisions ou actes portant sur l’organisation du service public ou mettant en ‘uvre des prérogatives de puissance publique ».
37.De la même manière, la Cour de justice, dans son arrêt du 19 février 2002 (affaire [Z], C-309/99), a dit pour droit qu’une activité, qui, par sa nature, les règles auxquelles elle est soumise et son objet, est étrangère à la sphère des échanges économiques ou se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique, échappe à l’application des règles de concurrence du traité. La Cour de justice a notamment considéré que lorsqu’une organisation comme un ordre professionnel n’exerce pas de prérogatives typiques de puissance publique, elle apparaît comme l’organe de régulation d’une profession dont l’exercice constitue, par ailleurs, une activité économique entrant dans le champ d’application du traité.
38.Mettant en ‘uvre cette jurisprudence européenne, la Cour de cassation a jugé que si les décisions par lesquelles les personnes publiques ou les personnes privées chargées d’un service public exercent la mission qui leur est confiée et mettent en ‘uvre des prérogatives de puissance publique, et qui peuvent constituer des actes de production, de distribution ou de services au sens de l’article L. 410-1 du code de commerce, entrant dans son champ d’application, ne relèvent pas de la compétence de l’Autorité, il en est autrement lorsque ces organismes interviennent par leur décision hors de cette mission ou ne mettent en ‘uvre aucune prérogative de puissance publique (en ce sens, Cass. Com. 1er février 2023, pourvoi n° 20-21.844).
39.Il est constant qu’un barreau établi auprès d’un tribunal judiciaire est une personne privée chargée d’une mission de service public formée de tous les avocats inscrits au tableau près de ce tribunal (voir en ce sens CE, 20 novembre 2019, Association grand barreau de France, n° 420772).
40.Si la Cour de justice a jugé, comme le soutient le BPME, qu’un ordre professionnel des avocats pouvait être une association d’entreprises, au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité (point 38 de l’arrêt [Z] de la CJCE, précité), elle s’est fondée sur la nature de l’acte pris par cet ordre des avocats, à savoir, dans cette affaire, un règlement relatif à la collaboration entre les avocats et d’autres professions libérales, ce qui n’est pas le cas des faits de l’espèce qui concernent une lettre d’un bâtonnier à un avocat portant une injonction sous peine de poursuites disciplinaires. L’invocation de l’arrêt précité, pour soutenir qu’un barreau est une association d’entreprises, qui exclurait l’exercice de prérogatives de puissance publique, est donc inopérante.
41.Pour retenir ou non la compétence de l’Autorité, la question est donc, d’abord, celle de déterminer si le bâtonnier de Marseille a exercé des prérogatives de puissance publique en enjoignant dans la lettre du 19 avril 2022 à Maître [C] de dissoudre le BPME, sous peine de poursuites disciplinaires, ou à défaut en l’absence d’exercice de prérogatives de puissance publique, celle de savoir, ensuite, si le bâtonnier est intervenu par cette lettre hors de sa mission de service public.
42.La Cour n’a pas à répondre aux moyens relatifs au caractère inapproprié des prérogatives de puissance publique, en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour de cassation rappelée au paragraphe 38 du présent arrêt. Ainsi, le seul constat de l’exercice de prérogatives de puissance publique est désormais à lui seul suffisant pour écarter la compétence de l’Autorité.
43.Il n’y a pas lieu non plus pour la Cour de dire si la constitution d’un barreau concurrent au barreau de Marseille était autorisée par la législation en vigueur ou constituait une faute, la réponse à ce moyen étant sans incidence sur la caractérisation de l’exercice de prérogatives de puissance publique par le bâtonnier.
44.La Cour rappelle que le secteur de la profession d’avocat est principalement régi par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat.
45.L’article 1er du décret du 27 novembre 1991 dispose que les avocats établis près de chaque tribunal judiciaire forment un barreau. Le barreau comprend les avocats inscrits au tableau.
46.Selon l’article 15 de la loi du 31 décembre 1971, chaque barreau est administré par un conseil de l’ordre lequel est présidé par un bâtonnier.
47.L’article 17 de la même loi dispose notamment que le conseil de l’ordre a pour tâche de concourir à la discipline dans les conditions prévues par les articles 22 à 25 de ladite loi et par les décrets visés à l’article 53 (2°), de maintenir les principes de probité, de désintéressement, de modération et de confraternité sur lesquels repose la profession et d’exercer la surveillance que l’honneur et l’intérêt de ses membres rendent nécessaire (3°) et de traiter toute question intéressant l’exercice de la profession, la défense des droits des avocats et la stricte observation de leurs devoirs (5°).
48.L’article 22, alinéa 1er, de la même loi dispose également, à l’exception de Paris, qu’ « un conseil de discipline institué dans le ressort de chaque cour d’appel connaît des infractions et fautes commises par les avocats relevant des barreaux qui s’y trouvent établis ». L’article 23 précise que « l’instance disciplinaire compétente en application de l’article 22 est saisie par le procureur général près la cour d’appel dans le ressort de laquelle elle est instituée ou le bâtonnier dont relève l’avocat mis en cause.».
49.Il résulte de ces textes que le bâtonnier qui préside le conseil de l’ordre dispose du pouvoir de saisir la commission de discipline, à l’égard des seuls avocats inscrits à son barreau.
50.En l’espèce, en premier lieu, l’examen de la lettre précitée fait apparaître qu’elle a bien été adressée par le bâtonnier de Marseille à Maître [C], en sa qualité d’avocat inscrit au barreau de Marseille, et non à Maître [C], en sa qualité de bâtonnier statutaire du BPME.
51.En effet, après un entête mentionnant « Me [C], cc Me [I] [S] », la lettre mentionne « Vous et Maître [S] appartenez à ce barreau puisque vous êtes inscrits au tableau respectivement depuis le 18 janvier 1993 et le 5 janvier 1997… ». Elle ajoute « compte tenu de l’existence de ce barreau de Marseille regroupant 2 400 avocats dont vous-même… » ainsi que l’indication « vous êtes inscrit depuis 1993 et vous n’avez pas démissionné… ».
52.Le fait que Maître [C], en sa qualité de bâtonnier du BPME, ait adressé une lettre en réponse le 27 avril 2022 au bâtonnier de Marseille (pièce n° 13), n’est pas susceptible de modifier la qualité du destinataire de la lettre du 19 avril 2022 adressée à Maître [C], en sa qualité d’avocat inscrit au barreau de Marseille. Il en est de même de l’objet de la lettre du 19 avril 2022 relative à la dissolution du BPME laquelle, contrairement à ce que soutient le BPME, n’induit pas que le bâtonnier de Marseille se soit adressé au bâtonnier statutaire du BPME au motif que ce dernier serait le seul à pouvoir le dissoudre. L’objet d’une lettre ne peut pas, en effet, influer sur la qualité du destinataire auquel l’expéditeur a choisi de s’adresser. Quant à l’article 4 du code de procédure civile, selon lequel « l’objet du litige est déterminé par les prétentions des parties », il ne fait aucune référence à la qualité des parties et est sans lien avec les articles 30, 31, 32 et 122 du code de procédure civile relatifs à l’intérêt à agir et aux fins de non-recevoir. Ces textes sont donc sans influence sur la question de la qualité du destinataire de la lettre du 19 avril 2022.
53.Il en résulte que les termes dénués d’équivoque de la lettre du 19 avril 2022 précitée, rappelant à plusieurs reprises la qualité d’avocat inscrit au barreau de Marseille de Maître [C], excluent que le bâtonnier se soit adressé à ce dernier en sa qualité de représentant du BPME. Il n’a ainsi pas exercé des prérogatives de puissance publique sur un membre extérieur à son barreau.
54.En second lieu, ladite lettre du 19 avril 2022, adressée par le bâtonnier de Marseille à Maître [C] (pièce n° 9), contient les paragraphes ainsi rédigés :
« [….] Si en dépit de ce qui ce précède vous envisagiez de ne pas procéder à la dissolution du BPME comme cela vous est demandé, cette situation vous exposerait d’abord à des poursuites pénales que le parquet général pourrait décider d’initier, ensuite à de lourdes conséquences professionnelles ainsi qu’à des poursuites disciplinaires.
[…]
3/ Votre attitude à l’égard de votre barreau, de votre bâtonnier et de son conseil de l’ordre traduit une atteinte évidente aux principes de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie auxquels vous êtes tenu en application de l’article 3 du décret n° 2005-790 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat.
Vous avez en effet décidé de dénier votre appartenance au barreau de Marseille pour adhérer à un barreau qui n’a pas d’existence légale ; vous déniez du même coup l’autorité de votre Bâtonnier et de son conseil de l’ordre qui ont été régulièrement et légitimement élus, le conseil de l’ordre ayant, je vous le rappelle, attribution de veiller à l’observation des devoirs de l’avocat (article 17 de la loi du 31 décembre 1971).
Fort de ces constats et selon l’attitude que vous déciderez d’adopter, je n’hésiterai pas à initier à votre encontre une procédure disciplinaire pour que vous répondiez des fautes déontologiques que vous commettez depuis le mois de janvier 2002.
En l’état, je réitère donc l’injonction qui vous est faite de dissoudre le BPME dans les plus brefs délais […]. ».
55.Ces termes, qui rappellent certains devoirs des avocats et envisagent une poursuite disciplinaire en l’absence de respect de l’injonction, sont l’expression de prérogatives de puissance publique exercées par un bâtonnier, qui préside le conseil de l’ordre et peut saisir la commission de discipline en application de la loi du 31 décembre 1971 précitée. Tant l’expression d’une menace d’engager des poursuites disciplinaires que l’engagement effectif d’une procédure disciplinaire caractérisent l’exercice de prérogatives de puissance publique. Quant à l’injonction délivrée par le bâtonnier préalablement à l’engagement des poursuites disciplinaires, que ni la loi du 31 décembre 1971, ni le décret du 27 novembre 1991 n’interdisent, elle est également l’expression de prérogatives de puissance publique exercées par le bâtonnier présidant le conseil de l’ordre, qui peut décider de rappeler, avant toute saisine de la commission de discipline, les devoirs et obligations d’un avocat inscrit à son barreau et de l’enjoindre de cesser un comportement, sous peine de saisir la commission de discipline.
56.L’Autorité a donc exactement retenu que « par ce courrier, le bâtonnier agit au nom du conseil de l’ordre des avocats au barreau de Marseille, qu’il préside. Le fait d’inviter le saisissant, à abandonner son projet à dissoudre la structure qu’il a créée sous peine de sanction disciplinaire en raison […] du manquement aux devoirs déontologiques des avocats, traduit bien, partant, l’exercice des prérogatives de puissance publique qui lui sont dévolues par la loi du 31 décembre 1971 et le décret du 27 novembre 1991 » (paragraphe 29 de la décision attaquée).
57.Ce seul motif qui caractérise l’exercice de prérogatives de puissance publique suffit à écarter la compétence de l’Autorité.
58.Il résulte de ces développements que c’est à juste titre que l’Autorité a estimé que les faits invoqués par le BPME n’entraient pas dans le champ de sa compétence et qu’elle a déclaré la saisine irrecevable en application de l’article L. 462-8, alinéa 1er, du code de commerce.
II. SUR L’INSUFFISANCE DE MOTIVATION
59.Le BPME demande l’annulation de la décision de l’Autorité pour insuffisance de motivation. Il lui fait grief d’appréhender la profession d’avocat uniquement sous un angle déontologique et de ne pas dire en quoi le marché pertinent n’est pas celui des « services juridiques et juridictionnels offerts par les barreaux aux consommateurs de droit » qu’il a défini dans ses écritures. Il ajoute que l’Autorité, en soutenant qu’elle n’était pas tenue de se prononcer sur la délimitation du marché qu’il invoque, nie l’existence d’un marché concurrentiel des barreaux, alors même que leur création serait laissée à l’initiative privée. Enfin, il expose que l’appréciation du caractère manifestement inapproprié de l’exercice par le barreau de Marseille de prérogatives de puissance publique aurait dû être réalisée en considération du marché en cause, puisque la définition du marché constitue un préalable à l’établissement d’un abus de position dominante.
60.L’Autorité rappelle que son obligation de motivation lui impose d’énoncer les considérations de droit et de fait fondant ses décisions mais qu’elle n’a pas à répondre à l’intégralité des arguments invoqués. Elle expose que compte tenu de l’incompétence de l’Autorité, il n’y avait pas lieu de se prononcer sur la délimitation du marché.
61.Le ministre chargé de l’économie et le ministère public partagent la position de l’Autorité.
Sur ce, la Cour :
62.Compte tenu de la décision d’irrecevabilité, le moyen tiré d’une insuffisance de motivation relati
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