Publicité cosmétique : quand les grands crus s’invitent

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Publicité cosmétique : quand les grands crus s’invitent

L’Essentiel : Le syndicat des Grands Crus Classés a été débouté dans sa demande contre Caudalie, qui utilise les termes « Premier Cru » pour ses produits cosmétiques. Les juges ont estimé que ces produits, bien que contenant des extraits de raisin, sont distincts du vin. L’utilisation de ces mentions ne constitue pas une confusion, car elles ne sont pas réservées aux produits viticoles. De plus, le terme « cru » est employé dans d’autres contextes, comme le café ou le cacao, sans lien direct avec le vin. Ainsi, Caudalie peut légitimement faire référence à la qualité sans induire en erreur le consommateur.

Affaire Caudalie

Le syndicat professionnel du Conseil des Grands Crus Classés en 1855 a de nouveau été débouté de sa demande de condamnation de la société Caudalie, au titre de l’usage des termes publicitaires « Premier Cru » pour désigner certains soins et produits cosmétiques.

Absence de parasitisme

Le parasitisme consiste, pour une personne physique ou morale, à se placer dans le sillage d’autrui en profitant indûment de sa notoriété ou de ses investissements et ce sans bourse délier, indépendamment de tout risque de confusion. Cette notion, qui doit être appréciée à l’aune du principe de la liberté du commerce, est essentiellement utilisée lorsqu’une entreprise reproche à un autre opérateur économique de se placer dans son sillage et de profiter ainsi volontairement ou de façon déloyale de ses investissements, de son savoir-faire ou de son travail intellectuel -produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel-.

Les juges ont considéré que les produits cosmétiques, y compris à base de pépins de raisin, demeurent très distincts du vin. La société Caudalie était en droit d’utiliser les signes « premier grand cru » et « premier cru » pour désigner des produits cosmétiques. Le dispositif légal concernant les appellations protégées ne sanctionne la reprise d’une mention traditionnelle que lorsqu’elle est utilisée pour des produits similaires aux vins.   Le syndicat professionnel n’a pu non plus invoquer le grief de concurrence déloyale faute de situation de concurrence avec la société Codalie.

Tolérance légale

Par ailleurs, l’usage des mentions « premier grand cru » est toléré pour des produits agricoles autres que viticoles, et associés à un terroir spécifique. Ainsi, le terme « cru » est utilisé pour d’autres notions que du vin ; il existe ainsi des « cafés grand cru » voire des « cafés premier cru » : les signes « grand cru » et « premier cru » sont aussi utilisés pour désigner du cacao. Ces signes font référence, s’agissant de vin, à la qualité des produits et non à leur provenance, ne constituant pas une indication géographique. La société Caudalie ne laisse pas croire au consommateur à la présence de vin dans la composition de ses produits cosmétiques ; les  produits en cause sont juste issus d’extraits de raisins, sans référence expresse au vin.

Si la société Caudalie a axé sa communication sur l’univers de la vigne et du vin, le recours à un vocabulaire lié à l’œnologie lors du lancement de produits de nature très différente des vins, n’est pas fautif si le consommateur n’est pas incité à penser que du vin entre dans la composition desdits produits cosmétiques.

Protection des indications et mentions traditionnelles

Pour rappel, l’article 13 du décret du 19 août 1921 portant application de l’article L412-1 du code de la consommation interdit l’emploi, en toute circonstance et sous quelque forme que ce soit, en ce qui concerne les vins, vins mousseux et eaux-de-vie :

1° De toute indication, de tout mode de présentation (dessin, illustration, image ou signe quelconque) susceptible de créer une confusion dans l’esprit de l’acheteur sur la nature, l’origine, les qualités substantielles, la composition des produits, ou la capacité des récipients les contenant;

2° Des mots  » grand cru  » ou  » premier cru « , sauf lorsqu’il est fait de ces mots un usage collectif conformément aux dispositions des cahiers des charges des appellations d’origine protégées pouvant en bénéficier.

3° Des mots cru classé précédés ou non d’une indication hiérarchique ou de tout autre mot évoquant une hiérarchie de mérite entre les vins provenant de domaines viticoles particuliers, sauf […] Lorsqu’il s’agit de vins de Bordeaux provenant de domaines viticoles figurant dans le classement de 1855. Pour l’étiquetage de ces vins, les termes « cru classé » ou « grand cru classé » peuvent être utilisés, précédés ou non de l’indication de leur ordre de classement et suivis ou non de la référence à l’année de classement « 1855 ».

L’article 112 du règlement 1308/2013 indique qu’on entend par « mention traditionnelle », une mention employée de manière traditionnelle dans un État membre pour les produits visés à l’article 92, paragraphe 1: (dont le vin)

a) pour indiquer que le produit bénéficie d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée en vertu du droit de l’Union ou du droit national; ou b) pour désigner la méthode de production ou de vieillissement ou la qualité, la couleur, le type de lieu ou un événement particulier lié à l’histoire du produit bénéficiant d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée. Les mentions traditionnelles sont protégées contre toute utilisation illicite.

Le règlement 607/2009, en son article 40, précise que les mentions traditionnelles figurant à l’annexe XII (dont les appellations d’origine contrôlées) sont protégées, uniquement dans la langue et pour les catégories de produits de la vigne indiquées dans la demande, contre toute usurpation, même si la mention protégée est accompagnée d’une expression telle que « genre », « type », « méthode », »façon », « imitation », « goût », « manière » ou d’une expression similaire; toute autre indication fausse ou trompeuse quant à la nature, aux caractéristiques ou aux qualités essentielles du produit figurant sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné; toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur et notamment de donner l’impression que le vin bénéficie de la mention traditionnelle protégée.

Pas d’atteinte aux AOC

Si les produits cosmétiques en cause contenaient des polyphénols issus du raisin, les produits cosmétiques n’étant pas des produits viticoles ni des produits alimentaires, ils ne sauraient être soumis aux exigences fixées pour que ces derniers puissent utiliser les mentions « grand cru », ce alors que l’utilisation de ces signes pour les cosmétiques – si elle induit les idées de qualité et de supériorité- ne relève pas de l’évocation d’une provenance géographique. Le qualificatif « premier cru » ne correspond pas à une AOC.

Au sens de l’article L643-1 du code rural et de la pêche maritime, le nom qui constitue l’appellation d’origine ou toute autre mention l’évoquant ne peut être employé pour aucun produit similaire. Or, les cosmétiques ne sont pas des produits similaires au vin. Aussi, il ne peut être déduit, en l’absence de référence à une appellation d’origine, que l’utilisation de la mention « premier cru » sur des produits cosmétiques constitue une évocation répréhensible d’une appellation d’origine de vin.

Publicité en faveur de l’alcool ?

Dans son élan, le syndicat professionnel a également plaidé la violation de l’article L3323 du code de la santé publique qui fixe les conditions dans lesquelles sont exclusivement autorisées la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques.

Au sens du Code de la santé publique, est considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou publicité en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article autre qu’une boisson alcoolique qui, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une dénomination, d’une marque, d’un emblème publicitaire ou d’un autre signe distinctif, rappelle une boisson alcoolique.

L’utilisation de la mention « premier cru », même si elle fait référence à l’univers de la vigne et de la production viticole, n’est pas en soi évocatrice d’une boisson alcoolique identifiée, ce d’autant qu’elle évoque également les idées de qualité et de supériorité.  L’affiliation des produits porteurs de cette mention, dans le cadre de leur promotion et pour des raisons historiques à la marque, à l’univers de la vigne et à un château du bordelais, ne saurait caractériser une publicité illicite en faveur des boissons alcooliques.

Télécharger la décision

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est l’affaire Caudalie et quel est le contexte juridique ?

L’affaire Caudalie concerne une décision judiciaire où le syndicat professionnel du Conseil des Grands Crus Classés en 1855 a été débouté de sa demande de condamnation de la société Caudalie.

Cette demande portait sur l’utilisation des termes publicitaires « Premier Cru » pour désigner certains soins et produits cosmétiques. Le contexte juridique se base sur la protection des appellations et des mentions traditionnelles, notamment dans le secteur viticole.

Les juges ont statué que les produits cosmétiques de Caudalie, bien qu’inspirés par l’univers du vin, ne créent pas de confusion avec les vins eux-mêmes, permettant ainsi à la société d’utiliser ces termes.

Qu’est-ce que le parasitisme dans le contexte commercial ?

Le parasitisme est défini comme le fait pour une entreprise ou une personne de tirer profit de la notoriété ou des investissements d’une autre entité sans compensation, en se plaçant dans son sillage.

Cette notion est souvent invoquée lorsque l’on soupçonne une concurrence déloyale, où une entreprise utilise les efforts d’une autre pour générer un avantage concurrentiel. Dans le cas de Caudalie, les juges ont estimé qu’il n’y avait pas de parasitisme, car les produits cosmétiques sont distincts des vins.

Ainsi, la société Caudalie a été jugée en droit d’utiliser les termes « premier grand cru » et « premier cru » pour ses produits cosmétiques, sans que cela ne constitue une atteinte à la réputation des vins.

Quelles sont les tolérances légales concernant l’utilisation des termes « grand cru » et « premier cru » ?

L’usage des termes « premier grand cru » et « premier cru » est toléré pour des produits agricoles autres que viticoles, tant qu’ils sont associés à un terroir spécifique.

Ces termes ne sont pas exclusivement réservés au vin et peuvent également désigner des produits comme le café ou le cacao. Dans le cas de Caudalie, les produits cosmétiques ne contiennent pas de vin, mais des extraits de raisins, ce qui permet l’utilisation de ces termes sans induire en erreur le consommateur.

La société a veillé à ne pas faire croire à une présence de vin dans ses produits, ce qui a été un élément clé dans la décision judiciaire.

Quelles protections existent pour les indications et mentions traditionnelles ?

Les indications et mentions traditionnelles, comme « grand cru » et « premier cru », sont protégées par des réglementations spécifiques, notamment l’article 13 du décret du 19 août 1921 et le règlement 1308/2013.

Ces textes interdisent l’utilisation de ces termes pour des produits similaires aux vins, sauf dans des cas très précis. Les juges ont déterminé que les cosmétiques ne sont pas des produits viticoles, ce qui signifie que l’utilisation de « premier cru » par Caudalie ne constitue pas une violation des protections en place.

Les mentions traditionnelles sont donc protégées contre toute usurpation, mais dans le cas de Caudalie, l’absence de confusion avec des produits viticoles a été déterminante.

Y a-t-il eu atteinte aux appellations d’origine contrôlée (AOC) dans cette affaire ?

Non, il n’y a pas eu d’atteinte aux appellations d’origine contrôlée (AOC) dans cette affaire. Les produits cosmétiques de Caudalie, bien qu’ils contiennent des polyphénols issus du raisin, ne sont pas considérés comme des produits viticoles ou alimentaires.

L’article L643-1 du code rural stipule que les appellations d’origine ne peuvent être utilisées que pour des produits similaires. Les juges ont donc conclu que l’utilisation de « premier cru » sur des cosmétiques ne constitue pas une évocation répréhensible d’une appellation d’origine de vin.

Cette distinction a été déterminante pour la décision en faveur de Caudalie.

La mention « premier cru » constitue-t-elle une publicité en faveur de l’alcool ?

La mention « premier cru » n’est pas considérée comme une publicité en faveur des boissons alcooliques. Selon le Code de la santé publique, la propagande ou la publicité indirecte doit évoquer spécifiquement une boisson alcoolique identifiable.

Dans le cas de Caudalie, bien que la mention fasse référence à l’univers de la vigne, elle ne désigne pas directement un produit alcoolisé. Les juges ont noté que cette mention évoque également des idées de qualité et de supériorité, ce qui ne constitue pas une infraction.

Ainsi, l’affiliation des produits à l’univers viticole ne suffit pas à caractériser une publicité illicite pour des boissons alcooliques.


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