L’Essentiel : Le 13 juin 2022, Mme [U] [K]-[Y] et M. [D] [Y] ont porté plainte pour diffamation suite à un reportage diffusé le 24 mai 2022, qui les présentait comme proches d’un oligarque russe. Le 28 février 2023, des avis préalables à mise en examen ont été envoyés à la directrice de publication et à l’auteur du reportage. Le 28 avril 2023, ils ont été mis en examen, mais ont contesté la procédure, arguant du non-respect de leur droit au silence. La Cour a finalement annulé les avis, confirmant que le droit au silence n’avait pas été respecté.
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Contexte de l’affaireLe 13 juin 2022, Mme [U] [K]-[Y] et M. [D] [Y] ont déposé une plainte pour diffamation publique envers un particulier, suite à un reportage télévisé diffusé le 24 mai 2022. Ce reportage, intitulé « polémique – un oligarque russe propriétaire près de [Localité 1] », présentait M. [Y] et son épouse comme des proches de M. [P] [Z]. Procédure judiciaireLe 28 février 2023, des avis préalables à une mise en examen ont été envoyés à Mme [G] [V], directrice de publication, et à M. [W] [O], auteur du reportage. Le juge d’instruction leur a posé des questions sur le caractère public des propos et leur qualité par rapport aux faits. Les deux ont répondu par écrit, reconnaissant le caractère public des propos et leur rôle respectif dans l’affaire. Mise en examen et contestationLe 28 avril 2023, des avis de mise en examen ont été adressés à Mme [V] et M. [O]. Le 7 juillet 2023, le juge d’instruction a ordonné leur renvoi devant le tribunal correctionnel pour diffamation publique pour Mme [V] et complicité pour M. [O]. Le 17 juillet 2023, ils ont déposé une requête en nullité des avis préalables à la mise en examen. Arguments de la requêteLa requête contestait la recevabilité des avis préalables à la mise en examen, arguant que le juge d’instruction n’avait pas informé les mis en examen de leur droit au silence. Il était soutenu que les questions posées ne respectaient pas les limitations imposées par la loi sur la liberté de la presse, et que la reconnaissance de l’infraction ne pouvait être débattue que devant le tribunal. Réponse de la CourLa Cour a affirmé que la personne dont la mise en examen est envisagée doit être informée de son droit de se taire, conformément aux articles de la Convention européenne des droits de l’homme et du Code de procédure pénale. Elle a constaté que les avis préalables à la mise en examen, bien qu’ils respectent certaines dispositions, étaient nuls car ils comportaient des questions auxquelles les mis en examen avaient répondu. Conclusion de la CourLa Cour a conclu que la nullité des avis préalables à la mise en examen et des actes subséquents était justifiée, car le droit au silence n’avait pas été respecté. Elle a ainsi écarté le moyen soulevé par les mis en examen et a confirmé la régularité de l’arrêt en la forme. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les obligations du juge d’instruction en matière de droit au silence selon l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 ?L’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 stipule que le juge d’instruction peut « solliciter » des personnes dont la mise en examen est envisagée qu’elles répondent à certaines questions. Cependant, il est important de noter que le juge ne peut pas contraindre ces personnes à répondre. La personne concernée doit être informée qu’elle a le droit de demander à être entendue par le juge d’instruction, qui doit alors l’aviser de son droit de se taire. Cela signifie que le droit au silence est un principe fondamental qui doit être respecté, même si l’article ne le mentionne pas explicitement. En cas de non-respect de cette obligation, cela peut entraîner la nullité des actes subséquents, car la personne pourrait être amenée à s’auto-incriminer sans avoir été informée de ses droits. Comment la Cour d’appel a-t-elle interprété le droit au silence dans le cadre de la procédure pénale ?La Cour d’appel a interprété le droit au silence comme étant garanti par plusieurs textes, notamment l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article préliminaire du Code de procédure pénale. Ces articles stipulent que toute personne suspectée ou poursuivie pour un crime ou un délit a le droit de ne pas s’auto-incriminer. La méconnaissance de cette obligation d’informer la personne de son droit au silence est considérée comme un grief, surtout si cette personne formule des observations écrites ou répond aux questions posées par le juge d’instruction. Ainsi, même si les avis préalables à la mise en examen respectent les dispositions de l’article 51-1, leur nullité peut être encourue si ces avis comportent des questions auxquelles les personnes mises en examen ont répondu. Quelles sont les conséquences de la violation du droit au silence dans le cadre de la procédure pénale ?La violation du droit au silence entraîne des conséquences significatives dans le cadre de la procédure pénale. En effet, le défaut de notification de ce droit est sanctionné par la nullité des actes qui en découlent. Cela signifie que si une personne n’est pas informée de son droit de se taire et qu’elle répond aux questions du juge d’instruction, les réponses qu’elle a fournies peuvent être considérées comme nulles. Cette nullité s’applique également à tous les actes subséquents qui reposent sur ces réponses. Ainsi, la protection du droit au silence est essentielle pour garantir un procès équitable, conformément aux principes énoncés dans l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. En conclusion, la méconnaissance de l’obligation d’informer de ce droit fait nécessairement grief à la personne concernée. |
N° 00015
LR
7 JANVIER 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 JANVIER 2025
Mme [U] [K]-[Y] et M. [D] [Y], parties civiles, ont formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Poitiers, en date du 19 septembre 2023, qui, dans la procédure suivie contre Mme [G] [V] et M.[W] [O] des chefs, respectivement, de diffamation publique envers un particulier et complicité, a prononcé sur leur demande d’annulation de pièces de la procédure.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [U] [K]-[Y] et M. [D] [Y], les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [G] [V] et M. [W] [O], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l’audience publique du 26 novembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 13 juin 2022, Mme [U] [K]-[Y] et M. [D] [Y] ont porté plainte et se sont constitués partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier, à la suite d’un reportage diffusé à la télévision le 24 mai précédent, sous le titre « polémique – un oligarque russe propriétaire près de [Localité 1] », présentant M. [Y] et son épouse comme des proches de M. [P] [Z].
3. Le 28 février 2023, des avis préalables à une mise en examen ont été adressés par courrier à Mme [G] [V], directrice de publication, et à M. [W] [O], auteur du reportage, le juge d’instruction leur posant deux questions relatives au caractère public des propos et à leur qualité au regard des faits.
4. Mme [V] et M. [O] y ont répondu par courriers reçus par le magistrat instructeur, respectivement les 24 et 27 mars 2023, reconnaissant le caractère public des propos et être, pour la première, la directrice de publication et, pour le second, l’auteur de deux des quatre propos litigieux visés dans la plainte.
5. Des avis de mise en examen leur ont été adressés par lettre recommandée avec demande d’avis de réception le 28 avril 2023.
6. Par ordonnance du 7 juillet 2023, le juge d’instruction a ordonné leur renvoi devant le tribunal correctionnel des chefs de diffamation publique envers un particulier, s’agissant de Mme [V], et complicité, s’agissant de M. [O].
7. Le 17 juillet 2023, Mme [V] et M. [O] ont déposé une requête en nullité des avis préalables à la mise en examen.
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré recevable la requête en annulation des personnes mises en examen, a prononcé l’annulation des avis préalables à la mise en examen ainsi que des avis de mise en examen et des actes d’information cotés D. 35 à D. 44 inclus, et a également constaté la prescription de l’action publique alors « que l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 permet seulement, en son deuxième alinéa, au juge d’instruction de « solliciter » de la personne dont la mise en examen est envisagée qu’elle réponde à certaines questions, sans qu’il puisse l’y contraindre ; que la personne est informée qu’elle peut choisir de répondre auxdites questions directement en demandant à être entendue par le juge d’instruction, lequel devra alors l’aviser de son droit de se taire ; qu’en raison des limitations posées par le troisième alinéa de l’article 51-1 susvisé aux pouvoirs du juge d’instruction les questions ne peuvent porter que sur l’imputabilité de faits et non sur la reconnaissance de l’infraction, laquelle ne pourra être débattue que devant le Tribunal correctionnel ; qu’à réception du courrier de mise en examen, la personne peut demander à être entendue par le juge d’instruction qui devra alors, de nouveau, l’aviser de son droit de se taire ; qu’en cet état le droit de la personne poursuivie de ne pas s’auto-incriminer est suffisamment protégé, même si le courrier par lequel le juge d’instruction sollicite de la personne dont la mise en examen est envisagée qu’elle réponde à des questions ne comporte pas de rappel de son droit au silence ; qu’en affirmant, pour juger nuls les avis préalables à la mise en examen adressés à Madame [V] et à Monsieur [O], que « ces avis n’indiquaient pas à ces derniers leur droit au silence alors même que ces avis comportaient des questions posées aux mis en examen (sic), questions auxquelles ils ont répondu par courriers adressés en réponse au juge d’instruction », la Cour d’appel a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
9. Il se déduit des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et préliminaire du code de procédure pénale que la personne dont la mise en examen est envisagée selon la procédure prévue à l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse doit être informée de son droit de se taire, la méconnaissance de cette obligation lui faisant nécessairement grief dès lors qu’elle formule des observations écrites ou répond aux questions que lui a posées le juge d’instruction.
10. En l’espèce, pour faire droit à la requête en nullité des personnes mises en examen qui invoquaient la violation de leur droit de se taire, l’arrêt attaqué énonce que le droit au silence n’est pas spécifiquement prévu par les dispositions de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 alors que le juge d’instruction, dont les prérogatives sont limitées par les dispositions dérogatoires du droit de la presse, doit néanmoins notamment établir l’imputabilité des propos aux personnes pouvant faire l’objet de poursuites comme auteur ou complice et, si nécessaire, instruire sur la tenue des propos reprochés, sur leur caractère public ainsi que sur l’identité et l’adresse des personnes mises en cause par le plaignant.
11. Les juges ajoutent que les dispositions spécifiques de la loi du 29 juillet 1881 précitée ne peuvent déroger aux principes directeurs de la procédure pénale énoncés à l’article préliminaire du code de procédure pénale, tel que modifié par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, qui prévoit expressément le droit au silence au profit de la personne suspectée ou poursuivie pour un crime ou un délit.
12. Ils observent enfin que le droit au silence est garanti au niveau conventionnel par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et au niveau constitutionnel par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et que le défaut de notification de ce droit est sanctionné, de façon constante, par la nullité, la méconnaissance de l’obligation d’informer de ce droit faisant nécessairement grief.
13. Ils en concluent que, si les avis préalables à la mise en examen adressés à Mme [V] et M. [O] respectent les dispositions de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, la nullité desdits avis, ainsi que de tous les actes subséquents dont ils sont le support nécessaire, est encourue, dès lors qu’ils comportaient des questions auxquelles ces derniers ont répondu par courriers adressés au juge d’instruction.
14. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a fait l’exacte application des textes visés au moyen.
15. Ainsi, le moyen doit être écarté.
16. Par ailleurs, l’arrêt est régulier en la forme.
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