Propriété publique et droits d’occupation : enjeux de requalification et d’indemnisation.

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Propriété publique et droits d’occupation : enjeux de requalification et d’indemnisation.

L’Essentiel : L’Etat possède une parcelle cadastrée DH [Cadastre 5] à [Localité 6] (93), gérée par l’EPIC Grand Paris Aménagement depuis 2001. Le 15 janvier 2016, BOUNORD LOGISTIQUE obtient une autorisation d’occupation précaire pour cinq ans. En 2017, la parcelle est affectée au domaine privé de l’Etat. En avril 2018, BOUNORD LOGISTIQUE manifeste son intérêt pour l’achat, mais la ville exerce son droit de priorité. En 2020, sa demande de renouvellement est refusée, entraînant son expulsion en 2022. En décembre 2023, BOUNORD LOGISTIQUE assigne l’Etat, demandant la requalification de son occupation en bail commercial.

Propriété et gestion de la parcelle

L’Etat possède une parcelle de terrain cadastrée DH [Cadastre 5] sur la commune d'[Localité 6] (93). L’établissement public Grand Paris Aménagement (EPIC Grand Paris Aménagement) gère cette parcelle en tant que mandataire de l’Etat, suite à une convention signée le 27 décembre 2001.

Autorisation d’occupation par BOUNORD LOGISTIQUE

Le 15 janvier 2016, la DRIEA IDF a accordé à la S.A.R.L. BOUNORD LOGISTIQUE une autorisation d’occupation précaire de la parcelle pour cinq ans, avec la possibilité de renouvellement. Cette autorisation stipulait que l’Etat reprendrait la libre disposition du bien à l’échéance sans indemnité pour le bénéficiaire.

Affectation de la parcelle au domaine privé de l’Etat

Le 14 novembre 2017, la parcelle a été affectée au domaine privé de l’Etat, et sa gestion a été transférée à l’EPIC Grand Paris Aménagement.

Intérêt de BOUNORD LOGISTIQUE pour l’acquisition

Le 17 avril 2018, l’EPIC Grand Paris Aménagement a informé BOUNORD LOGISTIQUE d’une cession envisagée de la parcelle pour 456.500 euros. BOUNORD LOGISTIQUE a exprimé son intérêt pour l’achat le 25 avril 2018.

Droit de priorité de la ville

Le 3 août 2018, l’EPIC Grand Paris Aménagement a notifié à BOUNORD LOGISTIQUE que la ville d'[Localité 6] souhaitait exercer son droit de priorité sur la parcelle.

Demande de renouvellement de l’occupation

Le 17 juin 2020, BOUNORD LOGISTIQUE a demandé le renouvellement de son autorisation d’occupation pour cinq ans. Cependant, le 14 octobre 2020, l’EPIC Grand Paris Aménagement a refusé cette demande, mettant fin à l’occupation au 15 janvier 2021.

Procédure d’expulsion

Le 4 février 2022, l’EPIC Grand Paris Aménagement a assigné BOUNORD LOGISTIQUE pour faire constater son occupation sans droit ni titre et obtenir son expulsion. Le juge des référés a ordonné l’expulsion le 15 avril 2022, décision confirmée par la cour d’appel le 12 septembre 2023.

Assignation de l’Etat et demandes de BOUNORD LOGISTIQUE

Le 21 décembre 2023, BOUNORD LOGISTIQUE a assigné l’Etat, l’Agent Judiciaire de l’Etat et l’EPIC Grand Paris Aménagement, demandant la requalification de son occupation en bail commercial, la reconnaissance d’une vente ferme, et sa réintégration sur la parcelle.

Arguments de l’Agent Judiciaire de l’Etat

L’Agent Judiciaire de l’Etat a demandé la déclaration d’irrecevabilité des demandes de BOUNORD LOGISTIQUE, arguant qu’elle ne justifiait pas d’un intérêt à agir, étant donné qu’elle avait été expulsée et que son autorisation d’occupation avait pris fin.

Arguments de l’EPIC Grand Paris Aménagement

L’EPIC Grand Paris Aménagement a également demandé l’irrecevabilité des demandes, soutenant que BOUNORD LOGISTIQUE ne justifiait pas d’un intérêt à agir et avait renoncé à tout recours en réparation.

Décision du juge de la mise en état

Le juge a rejeté les fins de non-recevoir pour défaut d’intérêt à agir et de qualité à agir, déclarant recevables les demandes de BOUNORD LOGISTIQUE contre l’Agent Judiciaire de l’Etat et l’EPIC Grand Paris Aménagement, mais irrecevables contre l’Etat. L’affaire a été renvoyée pour conclusions au fond.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la qualification juridique de la convention d’occupation consentie à la société BOUNORD LOGISTIQUE

La société BOUNORD LOGISTIQUE conteste la qualification de l’autorisation d’occupation temporaire qui lui a été accordée par la DRIEA IDF le 15 janvier 2016, souhaitant la requalifier en bail commercial.

L’article L. 145-1 du Code de commerce stipule que « le bail commercial est un contrat par lequel une personne, le bailleur, donne à une autre, le preneur, la jouissance d’un local à usage commercial ou artisanal pour une durée déterminée, moyennant un loyer. »

En l’espèce, la convention d’occupation consentie à la société BOUNORD LOGISTIQUE était à titre précaire et révocable, ce qui ne correspond pas à la définition d’un bail commercial.

De plus, l’article 9 de la convention précise que le bénéficiaire renonce à tout recours, ce qui renforce l’idée que la nature de l’occupation était temporaire et non commerciale.

Ainsi, la demande de requalification en bail commercial ne peut être accueillie, car les conditions d’un bail commercial ne sont pas remplies.

Sur l’existence d’une vente ferme portant sur le terrain donné en location

La société BOUNORD LOGISTIQUE soutient qu’un contrat de vente a été conclu suite à l’échange de lettres des 17 et 25 avril 2018, où un accord sur le prix de cession a été établi.

L’article 1582 du Code civil définit le contrat de vente comme « un contrat par lequel l’un s’oblige à livrer une chose et l’autre à en payer le prix en argent. »

Cependant, pour qu’un contrat de vente soit parfait, il faut un accord sur la chose et le prix, mais également la capacité des parties à contracter.

En l’espèce, bien que les lettres échangées montrent un intérêt pour l’acquisition, elles ne constituent pas un contrat de vente ferme, car l’EPIC Grand Paris Aménagement n’a pas donné son accord définitif pour la vente.

De plus, l’article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955 impose que toute action contre l’Etat pour des causes étrangères à l’impôt doit être intentée par l’Agent Judiciaire de l’Etat, ce qui rend la demande de la société BOUNORD LOGISTIQUE irrecevable.

Sur la demande de réintégration de la société BOUNORD LOGISTIQUE sur le terrain

La société BOUNORD LOGISTIQUE demande sa réintégration sur le terrain dont elle a été expulsée, arguant d’une éviction irrégulière.

L’article 544 du Code civil dispose que « la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu que l’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

Cependant, la société BOUNORD LOGISTIQUE a été expulsée suite à une décision de justice confirmée par la cour d’appel, ce qui rend son occupation sans droit ni titre.

L’ordonnance du 15 avril 2022 a ordonné son expulsion, et cette décision a été exécutée le 5 décembre 2023.

Ainsi, la demande de réintégration ne peut être accueillie, car la société BOUNORD LOGISTIQUE ne justifie pas d’un droit d’occupation légitime sur le terrain.

Sur la fin de non-recevoir tirée d’un défaut d’intérêt à agir

L’Agent Judiciaire de l’Etat a soulevé une fin de non-recevoir pour défaut d’intérêt à agir, en se basant sur l’article 31 du Code de procédure civile.

Cet article stipule que « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention. »

En l’espèce, la société BOUNORD LOGISTIQUE a été expulsée le 5 décembre 2023, et a introduit son action le 21 décembre 2023, ce qui montre qu’elle a un intérêt actuel à contester son expulsion.

La cour a donc rejeté la fin de non-recevoir tirée d’un défaut d’intérêt à agir, considérant que la société BOUNORD LOGISTIQUE justifiait d’un intérêt légitime à agir.

Sur la fin de non-recevoir tirée d’un défaut de qualité à agir

L’Agent Judiciaire de l’Etat a également soulevé une fin de non-recevoir pour défaut de qualité à agir, en se fondant sur l’article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955.

Cet article impose que toute action contre l’Etat pour des causes étrangères à l’impôt doit être intentée par l’Agent Judiciaire de l’Etat.

En l’espèce, bien que la société BOUNORD LOGISTIQUE ait assigné l’Etat, elle ne pouvait pas le faire directement, car la gestion de la parcelle avait été confiée à l’EPIC Grand Paris Aménagement.

Ainsi, les demandes formées à l’encontre de l’Etat doivent être déclarées irrecevables pour défaut de qualité à agir, car seule l’Agent Judiciaire de l’Etat est habilité à représenter l’Etat devant les tribunaux.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE BOBIGNY
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
DU 08 JANVIER 2025

Chambre 5/Section 1

Affaire : N° RG 24/00241 – N° Portalis DB3S-W-B7I-YSDA
N° de Minute : 25/00040

DEMANDEUR

S.A.R.L. BOUNORD LOGISTIQUE
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Salah GUERROUF, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1952

C/

DEFENDEURS

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[Adresse 7]
[Localité 4]
représentée par Maître Anne-laure ARCHAMBAULT de la SELAS MATHIEU ET ASSOCIE, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : R079

L’ETAT FRANÇAIS (MINISTÈRE DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES)
[Adresse 2]
[Localité 4]
non représenté

Etablissement public L’EPIC GRAND PARIS AMENAGEMENT, représenté par le Président de son conseil d’administration légalement domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Makarem HAJAJI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1792

JUGE DE LA MISE EN ÉTAT :

Madame Charlotte THINAT, Présidente,
assistée aux débats de Madame Zahra AIT, Greffier.

DÉBATS :

Audience publique du 20 novembre 2024.

Tribunal judiciaire de Bobigny
Chambre 5/Section 1
AFFAIRE N° RG : N° RG 24/00241 – N° Portalis DB3S-W-B7I-YSDA
Ordonnance du juge de la mise en état
du 08 Janvier 2025

ORDONNANCE :

Prononcée en audience publique, par ordonnance réputée contradictoire et en premier ressort, par Madame Charlotte THINAT, juge de la mise en état, assistée de Madame Zahra AIT, greffier.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

L’Etat est propriétaire d’une parcelle de terrain cadastrée DH [Cadastre 5] située sur la commune d'[Localité 6] (93). L’établissement public Grand Paris Amenagement (ci-après l’EPIC Grand Paris Aménagement), mandataire de l’Etat en vertu d’une convention du 27 décembre 2001, est gestionnaire de cette parcelle après en avoir reçu délégation.

Par acte du 15 janvier 2016, la Direction Régionale et Interdépartementale de l’Equipement et de l’Aménagement d’Ile de France (DRIEA IDF) a consenti à la S.A.R.L. BOUNORD LOGISTIQUE, représentée par son gérant Monsieur [Y] [M], l’autorisation d’occuper cette parcelle « à titre précaire et révocable » et ce, pour une durée de cinq ans à compter de la signature de l’arrêté. Cette autorisation stipulait que le bénéficiaire avait la possibilité de solliciter le renouvellement de son titre, au plus tard six mois avant l’échéance du terme, par lettre recommandée avec accusé de réception, mais également qu’à la fin de l’autorisation, par l’arrivée du terme ou retrait, l’Etat reprendrait la libre disposition du bien sans que le bénéficiaire ne puisse prétendre à une quelconque indemnité pour quelque cause que ce soit.

Par convention du 14 novembre 2017, la parcelle DH [Cadastre 5], relevant initialement du domaine public, a été affectée au domaine privé de l’Etat, dont la gestion a été transférée à l’EPIC Grand Paris Aménagement.

Par lettre du 17 avril 2018, la société BOUNORD LOGISTIQUE a été informée par l’EPIC Grand Paris Aménagement que la cession de la parcelle au profit d’un tiers était envisagée et que le prix de vente s’élevait à somme de 456.500 euros. Il lui était demandé si ce prix était susceptible de recevoir son agrément.

Par lettre du 25 avril 2018, la société BOUNORD LOGISTIQUE a fait part de son intérêt pour l’acquisition de la parcelle DH [Cadastre 5] et a sollicité de connaître les modalités de la procédure d’achat.

Toutefois, aux termes d’un courriel du 03 août 2018, l’EPIC Grand Paris Aménagement a informé la société BOUNORD LOGISTIQUE de la volonté de la ville d'[Localité 6] (93) d’exercer son droit de priorité à l’égard de la parcelle DH [Cadastre 5].

Par lettre recommandée avec avis de réception du 17 juin 2020, la société BOUNORD LOGISTIQUE a sollicité le renouvellement de la convention d’occupation précaire pour une durée de cinq années.

Par lettre recommandée du 14 octobre 2020, l’EPIC Grand Paris Aménagement a notifié à la société BOUNORD LOGISTIQUE son refus du renouvellement du titre d’occupation et, par conséquent, la fin de l’occupation au 15 janvier 2021.

Par exploit du 04 février 2022, l’EPIC Grand Paris Aménagement a fait assigner la société BOUNORD LOGISTIQUE devant le président du tribunal judiciaire de Bobigny statuant en référé aux fins, à titre principal, de faire constater sa qualité d’occupante sans droit ni titre et d’obtenir son expulsion.

Par ordonnance du 15 avril 2022, le juge des référés a ordonné l’expulsion de la société BOUNORD LOGISTIQUE et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard pendant deux mois. La société BOUNORD LOGISTIQUE a interjeté appel de cette décision. Par arrêt du 12 septembre 2023, la cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance de référé du 15 avril 2022.

Par exploits d’huissier délivrés le 21 décembre 2023, la société BOUNORD LOGISTIQUE a fait assigner l’Etat Français (Ministère de la cohésion des territoires), l’Agent Judiciaire de l’Etat et l’EPIC Grand Paris Aménagement devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de :

A titre liminaire, sur la qualification juridique de bail commercial à donner à la 1°) convention d’occupation consentie à la société BOUNORD LOGISTIQUE :
– Requalifier la convention conclue le 15 janvier 2016 entre la Direction Régionale et lnterdépartementale de I’Equipement et de l’Aménagement d’IIe-de-France (DRIEA IDF) et la société BOUNORD LOGISTIQUE en bail commercial soumis aux dispositions des articles L-145-1 et suivantes du Code de commerce d’une durée de neuf années à compter de cette dernière date expirant en conséquence le 15 janvier 2025,
– Juger que ce bail se poursuit à ce jour faute de résiliation régulière de celui-ci jusqu’au 15 janvier 2025, terme contractuel,
– Ordonner sa réintégration dans le terrain duquel elle a été expulsée le 5 décembre 2023 à la requête de l’EPIC Grand Paris Aménagement, ès-qualité de gestionnaire de l’Etat, avec astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir.

2°) Sur l’existence d’une vente ferme portant sur le terrain donné en location au profit de la société BOUNORD LOGISTIQUE par suite de l’échange de lettre survenu les 17 e 25 avril 2018 entre cette dernière et I’EPIC GRAND PARIS AMENAGEMENT, agissant pour le compte de l’Etat
– Juger qu’un contrat de vente a été conclu entre I’EPIC GRAND PARIS AMENAGEMENT, ès-qualité de gestionnaire de l’Etat, et la société BOUNORD LOGISTIQUE en conséquence de leur échange de lettres des 17 et 25 avril 2018 comportant accord respective de leur part sur la chose (terrain) et le prix de cession de celui-ci (456.500 €),
– Juger que, compte tenu de cet accord la vente est parfaite nonobstant le refus du l’EPIC Grand Paris Aménagement, ès-qualité de gestionnaire de l’Etat, vendeur de signer l’acte de vente,
– Condamner sous astreinte l’Etat, vendeur du terrain précédemment donné en location à la société BOUNORG LOGISTIQUE, à signer l’acte de vente sur celui-ci au prix de 456.500 € et s’il ne s’exécute pas que le jugement vaille acte de vente.

3°) Sur la demande de réintégration de la société BOUNORD LOGISTIQUE sur le terrain dont elle a été expulsée irrégulièrement à l’initiative de l’EPIC Grand Paris Aménagement, ès-qualité de gestionnaire de l’Etat, et la condamnation de ce dernier a réparer son entier préjudice
– Juger que la société BOUNORD LOGISTIQUE a subi un préjudice financier important à la suite de son éviction irrégulière du terrain qu’elle occupait le 5 décembre 2023 à l’initiative de l’EPlC GRAND PARIS AMENAGEMENT, ès-qualité de gestionnaire de l’Etat, dont elle est fondée à demander réparation.

En conséquence :
– Ordonner sa réintégration sur le terrain qui lui a été précédemment donné en location par l’EPIC Grand Paris Aménagement, ès-qualité de gestionnaire de l’Etat, avec astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,
– Condamner l’Etat, propriétaire du terrain précédemment donné en location à la société BOUNORD LOGISTIQUE, à réparer le préjudice subi par cette dernière et à lui payer en conséquence la somme mensuelle de 7.451,19 € à titre de perte de chiffre d’affaires sur le traitement de bennes à compter du mois de décembre 2023 jusqu’au jour de sa réintégration sur son terrain.

En toute hypothèse :
– Condamner I’Etat à payer à la société BOUNORD LOGISTIQUE la somme de 8.000 € par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
– Condamner I’Etat aux entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés par Maitre Salah GUERROUF, avocat à la Cour, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Il est expressément renvoyé à cette assignation, valant conclusions, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’Agent Judiciaire de l’Etat a constitué avocat. Par conclusions d’incident, notifiées par RPVA le 12 juin 2024, il a demandé au juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bobigny de :

– DECLARER les demandes de la société BOUNORD LOGISTIQUE irrecevables ;
– CONDAMNER la société BOUNORD LOGISTIQUE au paiement de la somme de 1.000
euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, il invoque les articles 31, 32, 122 et 789 du code de procédure civile, et fait principalement valoir que :
la société BOUNORD LOGISTIQUE est irrecevable à solliciter la requalification de l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public routier de l’Etat en bail commercial, celle-ci ne justifiant d’aucun intérêt actuel puisque l’autorisation d’occupation dont elle bénéficiait a pris fin en 2021 suite à la décision de non renouvellement de l’autorisation par la DRIEAT et qu’elle a été expulsé de la parcelle qu’elle occupait à ce titre,l’autorité de la chose jugée de l’arrêt du 16 novembre 2022 et la force exécutoire de cette décision rendent inpérante son action,de surcroît, les demandes sont également irrecevables à raison du défaut de qualité à agir de l’Etat, qui a confié la gestion de la parcelle litigieuse à l’EPIC Grand Paris Aménagement et ce, aux termes de l’article 6.2 de la convention d’utilisation du 14 novembre 2017, et ne peut donc être condamné à la vente de ladite parcelle ni à la réparation d’un préjudice résultant de celle-ci.
Il est expressément renvoyé à ces conclusions pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’EPIC Grand Paris Aménagement a constitué avocat. Aux termes de ses conclusions en réplique sur incident, notifiées par RPVA le 20 septembre 2024, il a demandé au juge de la mise en état de :

– DECLARER les demandes de la société BOUNORD LOGISTIQUE irrecevables,

– CONDAMNER la société BOUNORD LOGISTIQUE à régler au Grand Paris Aménagement la somme de 1.000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile,

– DÉBOUTER la société BOUNORD LOGISTIQUE de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions.

Au soutien de ses prétentions, il invoque les articles 32, 122 et 789 du code de procédure civile, et fait principalement valoir que la société BOUNORD LOGISTIQUE ne justifie pas d’un intérêt à agir actuel, ayant fait l’objet d’une procédure d’expulsion de la parcelle DH [Cadastre 5], dont elle était occupante sans droit ni titre et ce, depuis la fin en 2021 de l’autorisation d’occupation précaire qui lui avait été accordée. De surcroît, l’EPIC Grand Paris Aménagement rappelle qu’en application de l’article 9 de ladite convention d’occupation précaire du 15 janvier 2016, la société BOUNORD LOGISTIQUE a renoncé à tout recours aux fins de réparation. Il en déduit que faute de justifier d’un intérêt à agir, les demandes de la société BOUNORD LOGISTIQUE doivent être déclarées irrecevables.

Il est expressément renvoyé à ces conclusions pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

La société BOUNORD LOGISTIQUE n’a pas régularisé de conclusions en réplique sur l’incident.

L’affaire a été appelée à l’audience de plaidoiries sur incident du 20 novembre 2024. Elle a été mise en délibéré au 08 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

1 – Sur la fin de non recevoir tirée d’un défaut d’intérêt à agir

L’article 789 du code de procédure civile dispose que « lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : 6° Statuer sur les fins de non-recevoir (…) ».

L’article 122 du même code dispose quant à lui que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

Selon l’article 31 du code de procédure civile, « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé. »

En l’espèce, le caractère actuel de l’intérêt à agir d’une partie doit s’apprécier à la date d’introduction de son action.

Il ressort des éléments versés en procédure que la société BOUNORD LOGISTIQUE s’est vue notifier le 14 octobre 2020 par l’EPIC Grand Paris Aménagement, le refus du renouvellement de son titre d’occupation et, par conséquent, la nécessité de libérer la parcelle DH [Cadastre 5] au plus tard au 15 janvier 2021, terme de la convention du 15 janvier 2016. La société BOUNORD LOGISTIQUE ayant refusé de quitter les lieux, l’EPIC Grand Aménagement Paris a fait constater par le juge des référés près le tribunal judiciaire de Bobigny l’occupation sans droit ni titre de la parcelle DH [Cadastre 5] par cette dernière. Son expulsion a ainsi été ordonné par ordonnance du 15 avril 2022. Par arrêt du 16 novembre 2022, la cour d’appel de Paris a rejeté la demande d’arrêt de l’exécution provisoire formée par la société BOUNORD LOGISTIQUE à l’encontre de cette expulsion. Par un arrêt du 12 septembre 2023, la cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance rendue le 15 avril 2022. L’exécution de ladite ordonnance a conduit à la restitution de la parcelle DH [Cadastre 5] à l’EPIC Grand Paris Aménagement le 05 décembre 2023.

La société BOUNORD LOGISTIQUE a introduit la présente instance par une assignation signifiée le 21 décembre 2023, soit dans la continuité immédiate de son départ des lieux. Il ne peut dès lors être considéré qu’elle ne justifiait pas d’un intérêt actuel au 21 décembre 2023 pour contester son expulsion ainsi que la vente de la parcelle litigieuse à la commune d'[Localité 6] (93). De surcroît, l’appréciation du caractère actuel de l’intérêt à agir de la demanderesse ne peut se confondre avec le bien-fondé de son action. Ainsi les dispositions contenues dans la convention du 15 janvier 2016 ne peuvent fonder l’irrecevabilité des demandes formées par la société BOUNORD LOGISTIQUE.

Au regard de ces éléments, il y a lieu de rejeter la fin de non recevoir tirée d’un défaut d’intérêt à agir.

2 – Sur la fin de non recevoir tirée d’un défaut de qualité à agir

L’article 789 du code de procédure civile dispose que « lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : 6° Statuer sur les fins de non-recevoir (…) ».

L’article 122 du même code dispose quant à lui que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

Aux termes de l’article 32 du code de procédure civile, « est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir. »

En application des dispositions de l’article 38 de la loi n°55-366 du 3 avril 1955, toute action portée devant les tribunaux de l’ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l’Etat créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l’impôt et au domaine doit, sauf exception prévue par la loi, être intentée à peine de nullité par ou contre l’agent judiciaire de l’Etat.

En l’espèce, si par convention du 14 novembre 2017, la parcelle DH [Cadastre 5] litigieuse a été transférée au domaine privé de l’Etat dont la gestion était confiée à l’EPIC Grand Paris Aménagement, et que l’article 8 de celle-ci prévoit que celui-ci assume « sous le contrôle du propriétaire, l’ensemble des responsabilités afférentes à l’immeuble désigné à l’article 2 pour la durée de la convention. », il n’en demeure pas moins que le propriétaire de ladite parcelle lors de la conclusion de la convention d’occupation précaire demeure l’Etat et que, par conséquent, c’est à juste titre que la société BOUNORD assigne ce dernier devant la juridiction de céans aux fins de contester le non renouvellement de celle-ci, la vente de la parcelle ainsi que son expulsion. L’état ne peut en effet écarter sa responsabilité au motif d’une convention confiant la gestion de l’un de ses biens à un tiers.

En revanche, en application des dispositions de l’article 38 de la loi du 3 avril 1955 susvisée, l’Agent Judiciaire de l’Etat détient un monopole légal dans la représentation de l’Etat devant les tribunaux judiciaires pour assurer la défense de ses intérêts pécuniaires. Cette compétence est d’ordre public. La société BOUNORD LOGISTIQUE ne pouvait en conséquence poursuivre, d’une part, l’Etat et, d’autre part, l’Agent Judiciaire de L’Etat. Les demandes formées à l’encontre de l’Etat Français (Ministère de la cohésion des territoires) doivent par conséquent être déclarées irrecevables pour défaut de qualité à agir.

3 – Sur les demandes accessoires

Au regard des circonstances de l’espèce, il n’y a lieu ni de distinguer les dépens de l’incident des dépens de l’instance, dont ils suivront dès lors le sort, ni de condamner les défendeurs à indemniser, dès à présent, la société BOUNORD LOGISTIQUE des frais irrépétibles liés à l’incident.

Les dépens et les demandes formulées en application de l’article 700 du code de procédure civile resteront donc réservés.

PAR CES MOTIFS,

Le juge de la mise en état,

Rejette la fin de non recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir formée par l’Agent Judiciaire de l’Etat et l’Etablissement Public Grand Paris Amenagement ;

Rejette la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir formée par l’Agent Judiciaire de l’Etat ;

Déclare recevables les demandes de la S.A.R.L. BOUNORD LOGISTIQUE à l’encontre de l’Agent Judiciaire de l’Etat et de l’Etablissement Public Grand Paris Amenagement ;

Déclare irrecevables les demandes de la S.A.R.L. BOUNORD LOGISTIQUE à l’encontre de l’Etat Français (Ministère de la cohésion des territoires) ;

Réserve les dépens et les demandes en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Renvoie l’affaire à l’audience de mise en état de la section 1 du 20 février 2025 à 10h00 pour conclusions au fond actualisées du demandeur. A défaut, la radiation sera prononcée.

Fait au Palais de Justice, le 08 janvier 2025

La minute de la présente décision a été signée par Madame Charlotte THINAT, Juge de la mise en état, assistée de Madame Zahra AIT, greffière.

LA GREFFIERE LA JUGE DE LA MISE EN ETAT

Madame AIT Madame THINAT


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