Propriété immobilière et opposabilité des droits : enjeux de la publication des actes

·

·

Propriété immobilière et opposabilité des droits : enjeux de la publication des actes

L’Essentiel : Le 6 octobre 1981, [T] [V] a promis de vendre à [O] [A] deux parcelles cadastrées, option levée le 4 octobre 1982. Après le décès de [T] [V] en 1998, ses héritiers ont tenté d’annuler la promesse de vente, mais leurs demandes ont été rejetées. En 2007, M. et Mme [F] ont créé la SCI L’Estagnet, apportant les parcelles litigieuses. En 2015, les héritiers de [O] [A] ont assigné les héritiers de [T] [V] pour faire valoir leurs droits. La cour a statué que la promesse valait vente, rejetant les arguments des SCI concernant la publication de leur droit de propriété.

Promesse de vente initiale

Le 6 octobre 1981, [T] [V] a promis de vendre à [O] [A] deux parcelles cadastrées. [O] [A] a levé l’option le 4 octobre 1982 en versant le prix convenu.

Décès de [T] [V] et héritiers

[T] [V] est décédé le 18 juillet 1998, laissant derrière lui M. et Mme [F] ainsi que M. [D] [Y] comme héritiers.

Rejet des demandes de nullité

Les demandes de [T] [V] et de ses héritiers visant à annuler la promesse de vente pour vices du consentement et à obtenir une rescision pour lésion ont été rejetées par des arrêts des 24 mai 1994 et 18 avril 2002.

Création de la SCI L’Estagnet

En 2007, M. et Mme [F] ont fondé la société civile immobilière L’Estagnet, en y apportant les parcelles litigieuses, qui ont ensuite été transférées à une autre société civile immobilière, la SCI [Localité 6] l’Estagnet.

Assignation des héritiers de [T] [V]

Après le décès de [O] [A] en 2015, ses héritiers, M. [C] [A] et Mme [G] [A], ont assigné les héritiers de [T] [V] ainsi que les deux SCI et la société Immolab pour obtenir la perfection de la vente et la publication à la conservation des hypothèques.

Décision de la cour d’appel

Le 24 novembre 2015, la cour a statué que la promesse de vente valait vente depuis la levée d’option, considérant que les cessions postérieures au 4 octobre 1982 étaient inopposables aux droits de [O] [A] et de ses héritiers.

Demande de la SCI [Localité 6] l’Estagnet

La SCI [Localité 6] l’Estagnet a assigné les consorts [A] pour faire valoir l’antériorité de la publication de son droit de propriété, soutenant que le droit résultant de l’arrêt de la cour d’appel lui était inopposable.

Arguments des SCI

Les SCI ont contesté le rejet de leurs demandes, arguant que les actes non publiés étaient inopposables aux tiers et que la SCI L’Estagnet devait être considérée comme un tiers par rapport aux héritiers de [T] [V].

Réponse de la Cour

La cour a constaté que M. et Mme [F] avaient agi en méconnaissance des engagements pris et des décisions de justice antérieures, concluant que la publication par la SCI L’Estagnet était en fraude des droits de l’acquéreur, justifiant ainsi le rejet des demandes des deux SCI.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de la promesse de vente en matière de droits de propriété ?

La promesse de vente, en vertu de l’article 1589 du Code civil, est un contrat par lequel une personne s’engage à vendre un bien à une autre, qui s’engage à l’acheter.

Cette promesse, lorsqu’elle est acceptée, produit des effets de vente, ce qui signifie que le vendeur est tenu de transférer la propriété du bien à l’acheteur.

Dans le cas présent, la promesse de vente du 6 octobre 1981 a été levée par [O] [A] le 4 octobre 1982, ce qui a fait naître un contrat de vente.

Ainsi, l’arrêt du 24 novembre 2015 a confirmé que cette promesse valait vente, et que [O] [A] était devenu propriétaire des parcelles litigieuses.

La cour a également souligné que les cessions postérieures à cette date étaient inopposables aux droits de [O] [A], renforçant ainsi la sécurité juridique des transactions immobilières.

Quels sont les effets de la publication des actes en matière de droits immobiliers ?

L’article 28 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 stipule que les actes et décisions judiciaires soumis à publicité sont inopposables aux tiers s’ils n’ont pas été publiés.

Cela signifie que la publication est essentielle pour garantir la sécurité des transactions immobilières.

Dans cette affaire, la cour a noté que la SCI L’Estagnet avait publié son acte d’apport en 2007, mais que cette publication était intervenue en fraude des droits de [O] [A].

En effet, les héritiers de [T] [V] avaient déjà été jugés tenus par la promesse de vente, et la SCI L’Estagnet ne pouvait ignorer cette situation.

Ainsi, la cour a rejeté les demandes des SCI, considérant que la publication de leur acte ne pouvait pas prévaloir sur les droits déjà établis de [O] [A].

Comment la personnalité morale des sociétés influence-t-elle les droits de propriété ?

L’article 1842 du Code civil précise que les sociétés autres que les sociétés en participation jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation.

Cela signifie qu’une société a une existence juridique distincte de celle de ses associés.

Dans cette affaire, la SCI L’Estagnet, créée par les héritiers de [T] [V], a tenté de faire valoir ses droits en tant que tiers.

Cependant, la cour a jugé que, bien qu’elle ait une personnalité juridique distincte, elle ne pouvait pas ignorer les obligations de son auteur, [T] [V].

Ainsi, la cour a conclu que la SCI L’Estagnet ne pouvait pas revendiquer des droits sur les parcelles litigieuses, car elle avait agi en méconnaissance des engagements pris par [T] [V].

Quelles sont les conséquences de la mauvaise foi dans les transactions immobilières ?

La mauvaise foi dans les transactions immobilières peut avoir des conséquences significatives, notamment en ce qui concerne la validité des actes et la protection des droits des tiers.

Dans le cas présent, la cour a noté que la SCI L’Estagnet avait agi en connaissance de cause, en publiant un acte d’apport des parcelles litigieuses, malgré les décisions de justice antérieures.

Cela a été considéré comme une fraude aux droits de [O] [A], ce qui a conduit à la décision de la cour de rejeter les demandes des SCI.

L’article 30, 1° du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, qui traite de l’opposabilité des actes, souligne également que la bonne foi est un élément essentiel pour revendiquer des droits sur un bien.

En l’absence de bonne foi, les droits des tiers, comme ceux de [O] [A], prévalent sur les revendications des SCI.

CIV. 3

JL

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 21 novembre 2024

Rejet

Mme TEILLER, président

Arrêt n° 622 F-D

Pourvoi n° H 23-15.255

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 NOVEMBRE 2024

1°/ la société [Localité 6] l’Estagnet, société civile immobilière,

2°/ la société L’Estagnet, société civile immobilière,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 5],

ont formé le pourvoi n° H 23-15.255 contre l’arrêt rendu le 2 février 2023 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [C] [A], domicilié [Adresse 3],

2°/ à Mme [G] [A], domiciliée [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l’appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat des sociétés civiles immobilières [Localité 6] l’Estagnet et L’Estagnet, de Me Bouthors, avocat de M. [C] [A] et de Mme [G] [A], après débats en l’audience publique du 15 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 février 2023), le 6 octobre 1981, [T] [V] a promis de vendre à [O] [A] deux parcelles cadastrées section BD n° [Cadastre 2] et [Cadastre 4]. [O] [A] a levé l’option le 4 octobre 1982, en versant le prix.

2. [T] [V] est décédé le 18 juillet 1998, laissant pour lui succéder M. et Mme [F] et M. [D] [Y].

3. Par arrêts des 24 mai 1994 et 18 avril 2002, les demandes de [T] [V], et de ses héritiers, en nullité de la promesse de vente pour vices du consentement et en rescision pour lésion ont été rejetées.

4. En 2007, M. et Mme [F] ont créé la société civile immobilière L’Estagnet (la SCI L’Estagnet), avec apport des parcelles cadastrées section BD n° [Cadastre 2] et [Cadastre 4]. Cette société les a, à son tour, apportées à la société civile immobilière [Localité 6] l’Estagnet (la SCI [Localité 6] l’Estagnet).

5. [O] [A], aux droits duquel sont venus, après son décès en 2015, M. [C] [A] et Mme [G] [A] (les consorts [A]), a assigné les héritiers de [T] [V], la SCI L’Estagnet, la SCI [Localité 6] l’Estagnet et la société Immolab, acquéreurs successifs des parcelles litigieuses, en perfection de la vente et en publication à la conservation des hypothèques.

6. Par arrêt du 24 novembre 2015, il a été jugé que la promesse de vente du 6 octobre 1981 valait vente depuis la levée d’option, que l’arrêt valait titre de propriété et que les cessions postérieures au 4 octobre 1982 se heurtaient aux droits de [O] [A] et lui étaient inopposables ainsi qu’à ses héritiers, la décision étant commune aux SCI L’Estagnet et [Localité 6] l’Estagnet et à la société Immolab.

7. La SCI [Localité 6] l’Estagnet a assigné les consorts [A] pour qu’il soit jugé qu’elle bénéficie de l’antériorité de la publication de son droit de propriété et que le droit de propriété résultant de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 24 novembre 2015 lui est inopposable. La SCI L’Estagnet est intervenue volontairement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

8. Les SCI [Localité 6] l’Estagnet et L’Estagnet font grief à l’arrêt de rejeter toutes leurs demandes, alors :

« 1°/ que les actes et décisions judiciaires soumis à publicité par application du 1° de l’article 28 sont, s’ils n’ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble, ont acquis, du même auteur, des droits concurrents en vertu d’actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité ; que les sociétés autres que les sociétés en participation jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation ; qu’en considérant, pour refuser de faire prévaloir l’antériorité de la publication du titre de la SCI L’Estagnet sur les droits non publiés revendiqués par les consorts [A], que la SCI L’Estagnet, créée par les époux [F], héritiers de [T] [V], ne pouvait recevoir la qualité de tiers, cependant que la société ayant une personnalité juridique distincte de celle de ses associés, elle devait recevoir la qualité de tiers par rapport aux époux [F] et à [T] [V], auteur commun des droits en concurrence, la cour d’appel a violé l’article 1842 du code civil et les articles 28 et 30, 1°, du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 ;

2°/ que les actes et décisions judiciaires soumis à publicité par application du 1° de l’article 28 sont, s’ils n’ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble, ont acquis, du même auteur, des droits concurrents en vertu d’actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité ; qu’en considérant, pour refuser de faire prévaloir l’antériorité de la publication du titre de la SCI L’Estagnet sur les droits non publiés revendiqués par les consorts [A], que la SCI L’Estagnet tenait ses droits des héritiers de [T] [V], qui n’avaient pas respecté les obligations de leur auteur, cependant que cette circonstance était inopérante à exclure la prévalence du premier acte publié, la cour d’appel a violé les articles 28 et 30, 1°, du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 ;

3°/ que, en tout état de cause, les actes et décisions judiciaires soumis à publicité par application du 1° de l’article 28 sont, s’ils n’ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble, ont acquis, du même auteur, des droits concurrents en vertu d’actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité ; qu’en considérant, pour refuser de faire prévaloir l’antériorité de la publication du titre de la SCI L’Estagnet sur les droits non publiés revendiqués par les consorts [A], que la SCI L’Estagnet tenait ses droits des héritiers de [T] [V], qui n’avaient pas respecté les obligations de leur auteur, sans constater que la SCI L’Estagnet ait été elle-même de mauvaise foi, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 28 et 30, 1°, du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 ;

4°/ que les actes et décisions judiciaires soumis à publicité par application du 1° de l’article 28 sont, s’ils n’ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble, ont acquis, du même auteur, des droits concurrents en vertu d’actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité ; qu’à l’égard des tiers, le sous-acquéreur bénéfice de l’antériorité de la publication de son auteur, même s’il n’a pas lui-même procédé à la publication de son titre ; qu’en considérant, pour débouter les SCI L’Estagnet et [Localité 6] l’Estagnet de leurs demandes, que la SCI L’Estagnet n’était plus propriétaire du terrain pour l’avoir cédé à la SCI [Localité 6] l’Estagnet et que celle-ci n’avait pas publié son titre, de sorte qu’elle ne pouvait se prévaloir d’aucune antériorité de la publication de son titre, cependant qu’à l’égard des consorts [A], en sa qualité d’ayant-cause de la SCI L’Estagnet, la SCI [Localité 6] l’Estagnet devait bénéficier de l’antériorité de la publication du titre de cette dernière, la cour d’appel a violé les articles 28 et 30, 1°, du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955. »

Réponse de la Cour

9. Ayant relevé que M. et Mme [F], qui, ayant accepté la succession de [T] [V], étaient tenus de toutes les obligations qui incombaient à celui-ci à l’égard du premier acquéreur, avaient créé la SCI L’Estagnet et lui avaient apporté les parcelles litigieuses en méconnaissance des engagements pris et en faisant fi des décisions de justice ayant notamment rejeté, par un jugement du 7 mars 1986, confirmé par arrêt du 24 mars 1994, la demande de nullité de la promesse de vente consentie à [O] [A], faisant ainsi ressortir que la publication par la SCI L’Estagnet, intervenue en 2007, de l’acte d’apport des parcelles dont elle ne pouvait ignorer qu’elles avaient été antérieurement vendues au bénéficiaire de la promesse, l’avait été en fraude aux droits de l’acquéreur, la cour d’appel en a exactement déduit, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les première et quatrième branches, que ni la SCI L’Estagnet ni la SCI [Localité 6] l’Estagnet, qui tenait ses droits de celle-ci, n’étaient fondées à se prévaloir du défaut d’antériorité de publication du titre des consorts [A] et a pu, en conséquence, rejeter les demandes des deux SCI.

10. Elle a ainsi, légalement justifié sa décision.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon