Propriété contestée et restitution d’un bien immobilier : enjeux et conséquences.

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Propriété contestée et restitution d’un bien immobilier : enjeux et conséquences.

L’Essentiel : M. [A] [P] et M. [V] [P] sont propriétaires d’une cave devenue inaccessible suite à la condamnation de sa porte. Après avoir constaté l’impossibilité d’accès, ils ont mis en demeure leur voisin, M. [H] [R], d’évacuer la cave. Suite à son décès, ils ont assigné ses ayants-droit devant le tribunal. Le tribunal a finalement prononcé la résiliation du bail, ordonné la restitution de la cave et imposé des indemnités pour occupation. Le jugement, rendu le 10 janvier 2025, inclut des mesures d’exécution provisoire en cas de non-respect des obligations.

Contexte de l’affaire

M. [A] [P] et M. [V] [P] sont propriétaires d’un appartement et d’une cave dans un immeuble situé à [Adresse 9] à [Localité 10]. Leur cave, désignée comme le lot n°10 bis, est devenue inaccessible en raison de la condamnation de sa porte d’entrée.

Constatation et mise en demeure

Le 27 juin 2019, M. [A] [P] et M. [V] [P] ont fait constater par un huissier que l’accès à leur cave était impossible. Par la suite, le 19 juillet 2019, ils ont envoyé une lettre recommandée à leur voisin, M. [H] [R], pour dénoncer l’occupation illicite de la cave et lui ont demandé de la restituer sous quinze jours.

Procédures judiciaires

Le 5 décembre 2019, M. [A] [P] et M. [V] [P] ont assigné M. [H] [R] devant le tribunal de grande instance de Paris. Un médiateur a été désigné, mais les parties n’ont pas réussi à trouver un accord, et l’affaire a été radiée en février 2022. Elle a été rétablie au rôle en mars 2022, après le décès de M. [H] [R] le 23 mars 2022.

Assignation des ayants-droit

Après le décès de M. [H] [R], M. [A] [P] et M. [V] [P] ont assigné ses ayants-droit, Mme [U] [B], Mme [Z] [B] et M. [L] [M], devant le tribunal judiciaire de Paris. Les deux instances ont été jointes par le juge de la mise en état en juin 2023.

Demandes des parties

M. [A] [P] et M. [V] [P] ont demandé la jonction des instances, la nullité ou la résiliation du contrat de bail du 10 octobre 1980, ainsi que la restitution de la cave. Ils ont également réclamé des indemnités pour occupation et immobilisation. En réponse, les ayants-droit ont contesté la validité des demandes, arguant qu’ils n’étaient pas liés par le bail.

Décision du tribunal

Le tribunal a déclaré M. [A] [P] et M. [V] [P] recevables dans leurs demandes. Il a prononcé la résiliation du bail et ordonné la restitution de la cave, ainsi que la réalisation de travaux pour rétablir l’accès. Les ayants-droit ont été condamnés à payer une indemnité d’occupation et à couvrir les dépens de l’instance.

Conclusion

Le jugement a été rendu le 10 janvier 2025, avec des mesures d’exécution provisoire et des astreintes en cas de non-respect des obligations de restitution et de travaux.

Q/R juridiques soulevées :

1. Quelle est la recevabilité des demandes en annulation et résiliation du bail du 10 octobre 1980 ?

La recevabilité des demandes en annulation et résiliation du bail est régie par l’article 122 du Code de procédure civile, qui stipule que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

Dans cette affaire, M. [A] [P] et M. [V] [P] soutiennent qu’ils sont propriétaires de la cave n°10 bis et qu’elle est occupée sans droit ni titre par les ayants-droit de M. [H] [R].

Les défendeurs, quant à eux, contestent la recevabilité des demandes en annulation et résiliation du bail, arguant que ce dernier a été cédé à la SCI Heurtebise, dont ils sont associés.

Cependant, le tribunal a constaté que le droit au bail n’a pas été transféré avec la vente du lot de copropriété, car l’acte notarié ne mentionne pas explicitement la cession du droit au bail.

Ainsi, les demandes en annulation et résiliation du bail sont déclarées recevables, car M. [A] [P] et M. [V] [P] justifient de leur qualité de propriétaires.

2. Quelles sont les conditions de la demande en restitution de la cave n°10 bis ?

Les conditions de la demande en restitution sont fondées sur les articles 544 et 545 du Code civil, qui stipulent que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ».

En vertu de ces dispositions, tout propriétaire peut agir en revendication contre celui qui détient son bien sans droit ni titre.

Dans cette affaire, M. [A] [P] et M. [V] [P] ont produit des preuves de leur propriété, notamment l’acte authentique d’acquisition et les justificatifs de paiement de la taxe foncière.

Les défendeurs reconnaissent également que la cave n°10 bis appartient à M. [A] [P] et M. [V] [P].

Ainsi, les demandeurs sont en droit de demander la restitution de la cave, ainsi que sa remise en état initial, car ils justifient de leur qualité de propriétaires et de l’occupation sans droit ni titre par les défendeurs.

3. Quelles sont les conséquences de la résiliation du bail du 10 octobre 1980 ?

La résiliation du bail est régie par les articles 1728 et suivants du Code civil, qui précisent les obligations du preneur, notamment l’obligation d’user de la chose louée raisonnablement et de payer le prix du bail aux termes convenus.

Dans cette affaire, le tribunal a constaté que les défendeurs n’ont pas respecté leurs obligations contractuelles, notamment en ne justifiant pas du paiement du loyer, même symbolique, et en ayant modifié la destination des lieux.

La résiliation du bail entraîne l’obligation pour les locataires de restituer les locaux et d’effectuer les travaux nécessaires pour permettre l’accès aux propriétaires.

Les défendeurs doivent également exécuter ces obligations sous astreinte, et en cas de non-restitution, une expulsion sera ordonnée.

En conséquence, les défendeurs seront condamnés à restituer la cave n°10 bis et à effectuer les travaux nécessaires pour rétablir l’accès, sous peine d’astreinte.

4. Quelles sont les implications financières de la décision pour les défendeurs ?

Les implications financières pour les défendeurs sont régies par l’article 696 du Code de procédure civile, qui stipule que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge n’en mette une fraction à la charge d’une autre partie.

Dans cette affaire, les défendeurs, ayant perdu le procès, sont condamnés in solidum au paiement des entiers dépens de l’instance.

De plus, en application de l’article 700 du Code de procédure civile, ils sont également condamnés à payer une somme de 2 000 euros chacun à M. [A] [P] et M. [V] [P] au titre des frais irrépétibles.

Enfin, ils devront payer une indemnité d’occupation mensuelle d’un montant d’un euro à compter du prononcé de la décision jusqu’à la restitution effective des locaux.

Ces condamnations financières s’ajoutent à l’obligation de restituer la cave et d’effectuer les travaux nécessaires, ce qui représente un coût significatif pour les défendeurs.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le:
à Me CERTIN
Copies certifiées
conformes délivrées le:
à Me MENESGUEN

8ème chambre
3ème section

N° RG 22/03543
N° Portalis 352J-W-B7G-CWO4G

N° MINUTE :

Assignation du :
5 décembre 2019

JUGEMENT

rendu le 10 janvier 2025
DEMANDEURS

Monsieur [A] [P]
[Adresse 1]
[Localité 10]

Monsieur [V] [P]
[Adresse 7]
[Localité 6] (ALLEMAGNE)

représentés par Maître Thomas CERTIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0091

DÉFENDEURS

Madame [U] [R] veuve [B]
[Adresse 11]
[Adresse 11]
[Localité 8]

Madame [Z] [M] épouse [B]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Monsieur [L] [M]
[Adresse 3]
[Localité 4]

en leur qualité d’ayants-droit de Monsieur [H] [R], décédé

représentés par Maître Elizabeth MENESGUEN, avocate au barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire #PC186
Décision du 10 janvier 2025
8ème chambre 3ème section
N° RG 22/03543 – N° Portalis 352J-W-B7G-CWO4G

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Marie-Charlotte DREUX, première vice-présidente adjointe
Madame Céline CHAMPAGNE, juge
Monsieur Cyril JEANNINGROS, juge

assistés de Madame Léa GALLIEN, greffière,

DÉBATS

A l’audience du 18 octobre 2024, tenue en audience publique devant Cyril JEANNINGROS, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
Premier ressort

_____________________________

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [A] [P] et M. [V] [P] sont propriétaires d’un appartement et d’une cave dans un immeuble sis [Adresse 9] à [Localité 10], qui constitue le lot de copropriété n°3.

Le 27 juin 2019, M. [A] [P] et M. [V] [P] ont fait constater par huissier de justice le fait que l’accès à leur cave (n°10 bis) est impossible en raison de la condamnation de sa porte d’entrée.

Par lettre recommandée avec avis de réception datée du 19 juillet 2019, M. [A] [P] et M. [V] [P] ont dénoncé l’occupation illicite de la cave n°10 bis et mis en demeure leur voisin M. [H] [R] de la leur restituer sous quinze jours.

Par exploit d’huissier signifié le 5 décembre 2019, M. [A] [P] et M. [V] [P] ont fait assigner M. [H] [R] devant le tribunal de grande instance de Paris. Un médiateur judiciaire a été désigné par ordonnance du 12 février 2021, et sa mission a pris fin le 1er février 2022 sans que les parties ne soient parvenues à un accord. L’affaire a été radiée par ordonnance du 11 février 2022, puis rétablie au rôle le 18 mars 2022 à la demande de M. [A] [P] et M. [V] [P].

M. [H] [R] est décédé le 23 mars 2022.

Par exploits d’huissier signifiés les 20, 23 et 28 septembre 2022, M. [A] [P] et M. [V] [P] ont fait assigner ses ayants-droit Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] devant le tribunal judiciaire de Paris.
Décision du 10 janvier 2025
8ème chambre 3ème section
N° RG 22/03543 – N° Portalis 352J-W-B7G-CWO4G

Les deux instances (n°22/03543 et n°22/12133) ont été jointes par le juge de la mise en état le 14 juin 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 12 juin 2023, et au visa des articles 1709, 1728, 1729 et 1731 du code civil, et L. 131-1, L. 411-1 et suivants du code des procédures d’exécution, M. [A] [P] et M. [V] [P] demandent au tribunal de :

– prononcer la jonction des instances pendantes devant la 8ème Chambre – 3 ème Section du Tribunal Judiciaire de PARIS, enregistrée sous les numéros RG 22/12133 et 22/03543 ;

A titre principal :
– prononcer la nullité du contrat de bail du 10 octobre 1980 ;

A titre subsidiaire :
– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de bail du 10 octobre 1980 ;

En conséquence :
– condamner Madame [U] [B], Madame [Z] [B] et Monsieur [L] [M], en leur qualité d’héritiers de Monsieur [R], à restituer aux consorts [P] la cave constituant le lot n°10bis de l’immeuble situé [Adresse 9] à [Localité 10], en leur remettant les clés dans le mois qui suit la signification du jugement à intervenir ; à défaut de restitution dans ce délai, ordonner l’expulsion pure et simple de Madame [U] [B], Madame [Z] [B] et Monsieur [L] [M] et de tout occupant de leur chef des lieux, et ce sous astreinte définitive journalière de 200,00 euros à compter de l’expiration de ce délai.
– condamner in solidum Madame [U] [B], Madame [Z] [B] et Monsieur [L] [M], en leur qualité d’héritiers de Monsieur [R], à payer aux consorts [P] la somme de 23.328,00 euros à titre d’indemnité d’occupation ;
– condamner in solidum Madame [U] [B], Madame [Z] [B] et Monsieur [L] [M], en leur qualité d’héritiers de Monsieur [R], à payer aux consorts [P] la somme de 108,00 euros par mois à titre d’indemnité d’occupation à venir, à compter de la signification du jugement à intervenir et jusqu’à la restitution effective de la cave ;
– condamner in solidum Madame [U] [B], Madame [Z] [B] et Monsieur [L] [M], en leur qualité d’héritiers de Monsieur [R], à payer aux consorts [P] la somme de 10.000,00 euros à titre d’indemnité d’immobilisation ;
– condamner Madame [U] [B], Madame [Z] [B] et Monsieur [L] [M], en leur qualité d’héritiers de Monsieur [R], à remettre la cave n°10 bis dans l’état d’origine, à savoir indépendante et accessible par une porte depuis les parties communes du sous-sol de l’immeuble, dans le mois qui suit la signification du jugement à intervenir et ce sous astreinte définitive journalière de 200,00 euros à compter de l’expiration de ce délai.
Décision du 10 janvier 2025
8ème chambre 3ème section
N° RG 22/03543 – N° Portalis 352J-W-B7G-CWO4G

– condamner in solidum Madame [U] [B], Madame [Z] [B] et Monsieur [L] [M], en leur qualité d’héritiers de Monsieur [R], à payer aux consorts [P] la somme de 5.000,00 euros chacun au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamner in solidum Madame [U] [B], Madame [Z] [B] et Monsieur [L] [M], en leur qualité d’héritiers de Monsieur [R], aux entiers dépens qui comprendront notamment les frais de constat de Commissaire de Justice ;
– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir ;

*

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 19 septembre 2023 par voie électronique, Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] demandent au tribunal de :

– dire sans objet la demande en revendication de la cave n°10 bis de Messieurs [A] [P] et [V] [P] à l’endroit des consorts [R]-[M].
– dire inopposables aux consorts [R]-[M] les demandes de Messieurs [A] [P] et [V] [P] tendant tant à l’annulation du bail emphytéotique qu’à sa résiliation, ces derniers n’étant que porteurs de parts de la SCI HEURTEBISE à qui le bail a été cédé.
– en conséquence, les débouter de toutes leurs prétentions pécuniaires.
– subsidiairement, s’agissant de leur demande en paiement d’une indemnité d’occupation, faire application de la prescription quinquennale.
– dans tous les cas condamner solidairement Monsieur [A] [P] et Monsieur [V] [P] à payer à chacun des concluants la somme de 2.000 euros au visa de l’article 700 du Code de procédure civile.
– les condamner enfin aux entiers dépens.

* * *

Le juge de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction le 4 octobre 2023, et l’affaire a été appelée à l’audience de plaidoiries (juge rapporteur à la collégialité) du 18 octobre 2024. A l’issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 10 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il est relevé que la demande de jonction formée par M. [A] [P] et M. [V] [P] est aujourd’hui sans objet, dès lors que celle-ci a été ordonnée par le juge de la mise en état le 14 juin 2023.

1 – Sur la recevabilité

L’article 122 du code de procédure civile dispose que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».
Décision du 10 janvier 2025
8ème chambre 3ème section
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*

En l’espèce, M. [A] [P] et M. [V] [P] agissent en revendication de la cave n°10 bis, dont ils s’estiment propriétaires et dont ils soutiennent qu’elle serait occupée sans droit ni titre par Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M], ayants-droit de M. [H] [R].

Au soutien de leurs demandes tendant à la restitution du bien et sa remise en l’état initial, les demandeurs font principalement valoir qu’ils justifient de leur qualité de propriétaire de la cave n°10 bis, en produisant l’acte authentique par lequel leurs parents l’ont acquise, ainsi que les justificatifs de la taxe foncière acquittée ; que leur qualité de propriétaire est désormais reconnue par les défendeurs, aux termes de leurs dernières conclusions ; que toutefois, leur cave leur est désormais inaccessible car elle a été occupée par M. [H] [R], qui en a muré la porte et l’a annexée à sa propre cave ; que les défendeurs se prévalent à tort d’un bail emphytéotique conclu sur ce bien, dans la mesure où l’authenticité de ce document est douteuse, et où il encourt en toute hypothèse l’annulation ou la résiliation.

En défense, Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] font principalement valoir qu’il n’est pas contesté que la cave n°10 bis est la propriété de la famille [P], mais qu’un bail emphytéotique d’une durée de 99 ans a été conclu à compter du 1er novembre 1980 sur ce bien entre M. [H] [R] et les parents de MM. [A] et [V] [P] ; que ce bail a cependant été cédé à la SCI Heurtebise – dont ils sont les associés – par acte notarié du 24 janvier 2013, si bien que les demandeurs ne sont pas recevables à agir en annulation ou résiliation d’un bail auxquels ils sont tiers.

Sur ce,

Les défendeurs contestent la recevabilité des demandes en annulation et résiliation du bail conclu le 10 octobre 1980 et à compter du 1er novembre 1980 sur la cave n°10 bis, entre M. [H] [R] (preneur) et les parents de M. [A] [P] et M. [V] [P] (bailleurs), en faisant valoir que ce contrat a été cédé à la SCI Heurtebise.

A l’examen de l’acte notarié du 4 janvier 2013 versé aux débats, il apparaît en effet que M. [H] [R] a vendu le lot de copropriété n°1 de l’immeuble sis [Adresse 9] à [Localité 10] à la SCI Heurtebise, dont il est le gérant. Ce lot consiste en « une grande boutique en façade sur la [Adresse 12] avec water-closets particuliers au rez-de-chaussée à gauche de la porte d’entrée de l’immeuble ; au sous-sol, une cave portant le numéro 10 ».

C’est cependant à tort que les défendeurs soutiennent que le droit au bail dont bénéficiait M. [H] [R] aurait été transféré à la SCI Heurtebise en même temps que la propriété du lot n°1.

Premièrement, il doit être relevé qu’il n’est pas fait mention expresse, dans l’acte notarié du 4 janvier 2013, de la volonté de céder un droit au bail, alors qu’il s’agit d’un bien incorporel distinct du lot n°1 et non de l’un de ses accessoires.

Décision du 10 janvier 2025
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Par ailleurs, la stipulation dont se prévalent les défendeurs au soutien de leur fin de non-recevoir (« Précision étant faite ici par le vendeur qu’il est en outre preneur d’un bail sous seing privé portant sur la cave n°10 bis pour une durée de 99 ans à compter du 1er novembre 1980, ladite cave faisant juridiquement partie du lot n°3 ») indique justement que contrairement à ce qu’ils soutiennent, c’est bien le seul vendeur qui bénéficie du droit au bail sur la cave n°10 bis et non le futur acquéreur.

Il apparaît ainsi que la SCI Heurtebise n’a jamais été titulaire d’un droit au bail sur la cave n°10 bis, mais que les titulaires de ce droit étaient M. [H] [R] et sont désormais ses ayants-droit Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M].

Les demandes en annulation et résiliation du bail conclu le 10 octobre 1980 formée à l’encontre de ces derniers seront par conséquent déclarées recevables.

2 – Sur la demande en restitution

Les articles 544 et 545 du code civil disposent que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ».

Il résulte de ces dispositions que tout propriétaire d’un bien peut agir en revendication à l’encontre de celui qui en est en possession, et solliciter ainsi la restitution de la chose détenue sans droit ni titre, ainsi que sa remise en l’état initial et l’indemnisation du préjudice subi. L’action en revendication est imprescriptible, en raison du caractère perpétuel du droit de propriété (Cass. Civ. 3e, 16 avr. 1973, n° 72-13.758).

L’article 1709 du code civil dispose que « le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer ». Il est de jurisprudence constante, au visa de cet article, que la mise à disposition de la chose louée ne peut s’effectuer qu’en contrepartie du paiement d’un prix, et que ce dernier doit être d’un montant suffisant pour ne pouvoir être considéré comme fictif.

L’article 1728 du même code dispose quant à lui que « le preneur est tenu de deux obligations principales :
1° D’user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d’après les circonstances, à défaut de convention ;
2° De payer le prix du bail aux termes convenus ».

*

En l’espèce, il est établi et non contesté en défense que M. [A] [P] et M. [V] [P] sont propriétaires de la cave portant le numéro 10 bis, dans la mesure où elle fait partie du lot de copropriété n°3 qui leur appartient. Ceux-ci versent au débat l’acte authentique du 23 mai 1963 par lequel leurs parents ont acquis ce bien, et justifient s’être acquittés des charges de copropriété et du montant de la taxe foncière y afférent. Les défendeurs reconnaissent par ailleurs, aux termes de leurs dernières conclusions, que la cave n°10 bis est la propriété de M. [A] [P] et M. [V] [P].
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Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] soutiennent cependant qu’un bail portant sur cette cave a été conclu le 10 octobre 1980 et à compter du 1er novembre 1980 entre M. [H] [R] (preneur) et les parents de M. [A] [P] et M. [V] [P] (bailleurs).

– Sur la demande en annulation

* En premier lieu, M. [A] [P] et M. [V] [P] demandent au tribunal de prononcer l’annulation de ce contrat au motif que son authenticité ne serait pas établie.

Sur ce point, il doit être rappelé que sauf à renverser la charge de la preuve, c’est à la partie qui conteste l’authenticité d’un acte de démontrer sa fausseté, et non à la partie qui le produit aux débats de justifier de son authenticité et de sa validité.

Le simple fait que la signature de Mme [P] différerait entre ce document signé le 10 octobre 1980 et l’attestation de propriété du 25 avril 1985 ne démontre pas à lui seul que le contrat de bail produit aux débats constituerait un faux.

En effet, outre qu’il est courant de posséder deux signatures voire plus (formes longue et abrégée, par exemple), il est relevé que le contrat signé le 10 octobre 1980 comprend en son en-tête des mentions relatives à l’état civil des parents de M. [A] [P] et M. [V] [P] (âge, lieu de naissance, profession, régime matrimonial). Ces informations personnelles n’étant pas censées être connues de M. [H] [R], il apparaît ainsi que M. [V] [P] père et son épouse Mme [W] [K] ont bien été parties à cet acte sous seing privé.

En outre, le fait qu’il soit fait mention de ce bail dans l’acte notarié du 4 janvier 2013 démontre qu’il n’a matériellement pu être établi pour les besoins de la cause, dans la mesure où M. [A] [P] et M. [V] [P] ont dénoncé l’occupation de leur cave pour la première fois en juillet 2019.

Il apparaît ainsi que le contrat signé le 10 octobre 1980 n’est pas un faux.

* Par ailleurs, M. [A] [P] et M. [V] [P] invoquent les dispositions de l’article 1709 du code civil et contestent la validité de ce contrat en faisant valoir que le loyer fixé d’un franc par mois serait purement symbolique et donc dépourvu de caractère sérieux.

L’examen du contrat signé le 10 octobre 1980 révèle en effet que « la présente location est consentie et acceptée moyennant un loyer symbolique de un franc par mois, ce qui est accepté de part et d’autre. La révision de ce loyer devant être modifiée chaque semestre sur l’indice du coût de la construction ».

Si le loyer contractuel est en effet d’un montant symbolique, les demandeurs effectuent cependant une confusion entre la notion de loyer et celle de prix – le loyer n’étant pas nécessairement la seule composante du prix du bail au sens de l’article 1709 du code civil.

Décision du 10 janvier 2025
8ème chambre 3ème section
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En l’espèce, il est relevé que le contrat prévoit le versement lors de la signature d’une « indemnité » d’un montant de 10 000 francs, et que les bailleurs ont donné quittance au preneur du paiement de cette somme. Le prix du bail, qui se compose donc du paiement d’un forfait en début de contrat puis d’un loyer mensuel d’un montant symbolique, n’est ainsi pas fictif ou dépourvu de caractère sérieux.

Pour les motifs qui précèdent, il apparaît que le contrat du 10 octobre 1980 portant sur la cave n°10 bis a été valablement conclu et n’encourt donc pas l’annulation.

– Sur la demande en résiliation

A titre subsidiaire, M. [A] [P] et M. [V] [P] invoquent les dispositions des articles 1728 et suivants du code civil et soutiennent que les locataires successifs ont manqué à leurs obligations contractuelles, ce qui justifierait la résiliation du bail. Ils font ainsi valoir que les défendeurs auraient modifié la destination contractuelle des locaux, et qu’ils auraient en outre omis de payer le loyer fixé.

* Sur la modification de la destination des lieux, il apparaît tout d’abord à l’examen du bail du 10 octobre 1980 que les parties n’ont aucunement prévu de donner expressément à la cave n°10 bis une quelconque destination contractuelle, si bien qu’en application de l’article 1728 du code civil, il convient de la présumer d’après les circonstances.

En l’espèce, dans la mesure où il est constant que M. [H] [R] exploitait un fonds de commerce de bar/night-club dans la cave voisine dont il est propriétaire, il apparaît manifeste que ces locaux étaient destinés à permettre à celui-ci d’agrandir sa surface d’exploitation – ce qui a d’ailleurs été le cas dans les faits.

Les défendeurs ont donc affecté la cave louée à un usage conforme à la destination des lieux.

* Sur le défaut de paiement des loyers, il est tout d’abord rappelé que les dispositions de l’article 1353 du code civil font peser sur le preneur à bail la charge de la preuve du paiement du montant du loyer.

En l’espèce, Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] ne justifient pas du paiement du montant du loyer contractuel par eux-mêmes ou M. [H] [R], ce qui constitue une inexécution d’une obligation essentielle du preneur à bail, et ce bien que le loyer soit d’un montant symbolique.

Ce manquement justifie que soit prononcée la résiliation du bail conclu le 10 octobre 1980 à propos de la cave n°10 bis, et qui lie aujourd’hui M. [A] [P] et M. [V] [P] d’une part, et Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] d’autre part.

La résiliation judiciaire n’emportant d’effets que pour l’avenir, Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] n’ont pas occupé le bien des demandeurs sans droit ni titre jusqu’à la date du prononcé du jugement. M. [A] [P] et M. [V] [P] seront ainsi déboutés de leurs demandes tendant au paiement d’une indemnité au titre de l’immobilisation de leur bien ainsi que de l’occupation de ce dernier pendant une durée de dix-huit ans.

En revanche, il résulte de la résiliation du bail une obligation pour les locataires de restituer les locaux et d’effectuer les travaux nécessaires pour en permettre l’accès à leurs propriétaires, laquelle devra être exécutée dans les conditions précisées au dispositif de la décision.

Par ailleurs, il apparaît que durant la période comprise entre le prononcé de la résiliation du bail et la restitution effective des locaux, Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] seront amenés à occuper les locaux sans droit ni titre. Il conviendra ainsi de les condamner au paiement d’une indemnité d’occupation à compter du prononcé de la décision et jusqu’à la restitution effective des locaux.

M. [A] [P] et M. [V] [P] font valoir que cette indemnité devrait être fixée à partir de la valeur locative de marché des locaux, qui serait selon eux de 108,00 euros par mois. Toutefois, conformément à l’usage en matière d’expulsions locatives, et dans la mesure où les bailleurs n’auraient en toute hypothèse pu prétendre à une somme supérieure en cas de poursuite du bail, il conviendra de fixer le montant de cette indemnité à celui du loyer contractuel.

3 – Sur les demandes accessoires

– Sur les dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M], parties perdant le procès, seront condamnés in solidum au paiement des entiers dépens de l’instance.

Contrairement à ce que sollicitent les demandeurs, les frais de constat de commissaire de justice ne constituent pas des dépens mais des frais irrépétibles (Cass., Civ. 2e, 12 janv. 2017, n°16-10123, publié au bulletin).

– Sur les frais non compris dans les dépens

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

Tenus aux dépens, Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] seront condamnés in solidum à payer à M. [A] [P] et M. [V] [P] la somme de 2 000,00 euros chacun au titre des frais irrépétibles. Ils seront en conséquence déboutés de leur demande à ce titre.

– Sur l’exécution provisoire

Aux termes de l’article 515 du code de procédure civile, hors les cas où elle est de droit, l’exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d’office, chaque fois que le juge l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, à condition qu’elle ne soit pas interdite par la loi.

En l’espèce, la nature des condamnations prononcées et la particulière ancienneté du litige justifient qu’il soit dérogé à l’effet suspensif des voies de recours.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant par un jugement contradictoire, en premier ressort, après débats en audience publique et par mise à disposition au greffe,

DÉCLARE M. [A] [P] et M. [V] [P] recevables en leurs demandes ;

PRONONCE la résiliation judiciaire du bail conclu le 10 octobre 1980 à propos des locaux au sous-sol de l’immeuble sis [Adresse 9] à [Localité 10] constituant la cave n°10 bis, et liant M. [A] [P] et M. [V] [P] d’une part, et Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] d’autre part ;

CONDAMNE Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] à restituer à M. [A] [P] et M. [V] [P] les locaux au sous-sol de l’immeuble sis [Adresse 9] à [Localité 10] constituant la cave n°10 bis ;

CONDAMNE en outre Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] à effectuer à leurs frais tous travaux propres à rétablir un accès à ces locaux depuis les parties communes, et à supprimer l’accès existant depuis la cave mitoyenne (n°10) ;

CONDAMNE Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] à exécuter ces obligations sous astreinte de cent (100) euros par jour de retard, à compter d’un délai de quatre-vingt-dix (90) jours débutant à partir de la signification de la présente décision ;

DIT que cette astreinte provisoire courra pendant un délai maximum de six (6) mois, à charge pour M. [A] [P] et M. [V] [P], à défaut d’exécution à l’expiration de ce délai, de solliciter du juge de l’exécution la liquidation de l’astreinte provisoire et le prononcé de l’astreinte définitive ;

ORDONNE, à défaut de restitution des locaux dans le délai imparti, l’expulsion de Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] ainsi que de tout occupant de leur chef ;

CONDAMNE Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] à payer à M. [A] [P] et M. [V] [P] une indemnité d’occupation mensuelle d’un montant de un (1) euro, à compter du prononcé de la décision et jusqu’à la restitution effective des locaux ;

DÉBOUTE M. [A] [P] et M. [V] [P] de leurs demandes en paiement d’indemnités au titre de l’immobilisation et de l’occupation de leur bien avant le prononcé de la présente décision ;

CONDAMNE in solidum Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] au paiement des entiers dépens de l’instance ;

CONDAMNE in solidum Mme [U] [B] (née [R]), Mme [Z] [B] (née [M]) et M. [L] [M] à payer à M. [A] [P] et M. [V] [P] la somme de 2 000,00 euros chacun au titre des frais irrépétibles, et les DÉBOUTE en conséquence de leur demande à ce titre ;

ORDONNE l’exécution provisoire de la décision.

Fait et jugé à Paris, le 10 janvier 2025.

La greffière La présidente


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