L’Essentiel : La chaîne Cnews a été mise en demeure par L’ARCOM en raison de propos tenus par Eric Zemmour, jugés incitant à la haine et discriminatoires. Lors d’un débat, Zemmour a amalgamé immigration, islam et islamisme, affirmant que des « mesures radicales » étaient nécessaires pour « arrêter le flux » migratoire. Il a également exprimé son soutien au général Bugeaud, responsable de massacres en Algérie. L’ARCOM a estimé que ces déclarations légitimaient des violences envers des populations en raison de leurs croyances, justifiant ainsi la mise en demeure pour non-respect des obligations légales et de la maîtrise de l’antenne. |
La chaîne Cnews a de nouveau été mise en demeure au titre de propos incitant à la haine et discriminatoires tenus par Eric Zemmour. Celui-ci avait affirmé à plusieurs reprises, au cours d’un débat d’actualité sur les banlieues, l’intégration des personnes d’origine étrangère et la place de l’islam et des musulmans en France : « l’immigration, l’islam et l’islamisme » constituent « le même sujet », des « mesures radicales » doivent être prises pour « arrêter le flux », les personnes immigrées en France doivent « voir l’histoire en fonction des intérêts de la France » et, indiqué avoir adopté lui-même ce point de vue sur l’histoire de France, a également affirmé que « quand le général Bugeaud arrive en Algérie, il commence à massacrer les musulmans, et même certains juifs. Eh bien moi je suis, aujourd’hui, du côté du général Bugeaud ». Violences commises à l’égard de populationsEn estimant que de tels propos, qui légitimaient, dans le contexte d’un débat d’actualité, des violences commises à l’égard de populations définies par leurs croyances religieuses et qui procédaient à un amalgame entre l’immigration, l’islam et l’islamisme, revêtaient le caractère de propos discriminatoires et incitant à la haine, dont la tenue sur ce service d’information en continu justifiait que soit adressée à la société requérante une mise en demeure de respecter à l’avenir les obligations que lui imposent les règles rappelées au point précédent, l’ARCOM n’a pas fait une inexacte application des pouvoirs qu’il tient des articles 42 de la loi du 30 septembre 1986 et 4-2-1 de la convention du 19 juillet 2005. Pas d’atteinte disproportionnée à la libre communicationIl n’a pas plus porté une atteinte disproportionnée à la libre communication des pensées et des opinions garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ni, en tout état de cause, méconnu l’objectif de valeur constitutionnelle du pluralisme des courants de pensée et d’opinion. Obligation de maitriser l’antenneCes propos n’ont fait l’objet d’aucune réaction de la journaliste en charge de modérer le débat. Le fait que ces propos soient tenus lors d’une émission diffusée en direct et au moment où elle prenait fin, ces circonstances ne sont pas de nature à exonérer le journaliste de l’obligation de maîtrise de son antenne, la circonstance qu’un programme est diffusé en direct devant conduire, à cet égard, à une vigilance particulière. ______________________________________________________________ REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Conseil d’État 5ème – 6ème chambres réunies 16 juin 2021 N° 438000, Inédit au recueil Lebon Vu la procédure suivante : Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 27 janvier, 15 juin et 11 décembre 2020 et le 9 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société d’exploitation d’un service d’information demande au Conseil d’Etat : 1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du ARCOM (ARCOM) du 27 novembre 2019 la mettant en demeure de respecter à l’avenir les dispositions du dernier alinéa de l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986 et les stipulations du quatrième alinéa de l’article 2-3-3 et de l’article 2-2-1 de la convention du 19 juillet 2005 ; 2°) de mettre à la charge de l’ARCOM la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : – la Constitution, notamment son Préambule ; – la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; – la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ; – le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : — le rapport de M. Joachim Bendavid, auditeur, — les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteure publique. Considérant ce qui suit : 1. Il ressort des pièces du dossier que la société d’exploitation d’un service d’information a été autorisée, sur le fondement de l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, à exploiter le service de télévision « CNEWS », dans les conditions prévues par une convention passée le 19 juillet 2005 avec l’ARCOM (ARCOM). Elle demande l’annulation de la décision du 27 novembre 2019 par laquelle l’ARCOM, à la suite de la diffusion de l’émission « Face à l’info » du 14 octobre 2019, l’a mise en demeure de respecter à l’avenir les dispositions du dernier alinéa de l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986 et les stipulations du quatrième alinéa de l’article 2-3-3 et de l’article 2-2-1 de cette convention. 2. Aux termes du premier alinéa de l’article 42 de la loi du 30 septembre 1986 : « Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 ». Aux termes de l’article 4-2-1 de la convention du 19 juillet 2005 conclue par l’ARCOM avec la société d’exploitation d’un service d’information concernant le service de télévision dénommé « CNEWS » : « l’ARCOM peut mettre en demeure l’éditeur de respecter les stipulations figurant dans la convention (…) ». Sur la légalité externe de la décision attaquée : 3. Les décisions administratives n’ayant, en l’absence de texte le prévoyant, pas à faire par elles-mêmes la preuve de leur régularité, le moyen tiré de ce que la mise en demeure attaquée ne comporte pas les mentions permettant d’établir que l’ARCOM l’a adoptée dans une composition régulière ne peut qu’être écarté. 4. Par ailleurs, la mise en demeure attaquée mentionne les textes dont elle fait application et indique de façon suffisamment précise les faits constatés par l’ARCOM et les obligations qui ont été méconnues. Le moyen tiré de ce qu’elle serait insuffisamment motivée ne peut, par suite, qu’être également écarté. Sur la légalité interne de la décision attaquée : 5. Aux termes du dernier alinéa de l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986, dans sa rédaction applicable à la date de la décision litigieuse, l’ARCOM « veille (…) à ce que les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle ne contiennent aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de moeurs, de religion ou de nationalité (…) ». Aux termes du quatrième alinéa de l’article 2-3-3 de la convention du 19 juillet 2005, la société d’exploitation d’un service d’information veille dans ses programmes « à ne pas encourager des comportements discriminatoires en raison de la race, du sexe, de la religion ou de la nationalité » et aux termes de l’article 2-2-1 de cette convention : « L’éditeur est responsable du contenu des émissions qu’il diffuse. / Il conserve en toutes circonstances la maîtrise de son antenne ». 6. Il ressort des pièces du dossier que la mise en demeure litigieuse se fonde, d’une part, sur la méconnaissance par le service « CNEWS » des dispositions de l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986 et des stipulations de l’article 2-3-3 de la convention du 19 juillet 2005 qui prohibent les propos incitant à la haine et discriminatoires et, d’autre part, sur la méconnaissance par ce même service des stipulations de l’article 2-2-1 de la convention relatives à la maîtrise de l’antenne. 7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu’au cours de la séquence litigieuse de l’émission « Face à l’info » dont M. A… est un participant permanent, celui-ci a, alors que cette séquence était consacrée à un débat d’actualité sur les banlieues, l’intégration des personnes d’origine étrangère et la place de l’islam et des musulmans en France, affirmé à plusieurs reprises que « l’immigration, l’islam et l’islamisme » constituaient « le même sujet », que des « mesures radicales » devaient être prises pour « arrêter le flux », que les personnes immigrées en France devaient « voir l’histoire en fonction des intérêts de la France » et, indiquant avoir adopté lui-même ce point de vue sur l’histoire de France, a également affirmé que « quand le général Bugeaud arrive en Algérie, il commence à massacrer les musulmans, et même certains juifs. Eh bien moi je suis, aujourd’hui, du côté du général Bugeaud ». En estimant que de tels propos, qui légitimaient, dans le contexte d’un débat d’actualité, des violences commises à l’égard de populations définies par leurs croyances religieuses et qui procédaient à un amalgame entre l’immigration, l’islam et l’islamisme, revêtaient le caractère de propos discriminatoires et incitant à la haine, dont la tenue sur ce service d’information en continu justifiait que soit adressée à la société requérante une mise en demeure de respecter à l’avenir les obligations que lui imposent les règles rappelées au point précédent, l’ARCOM n’a pas fait une inexacte application des pouvoirs qu’il tient des articles 42 de la loi du 30 septembre 1986 et 4-2-1 de la convention du 19 juillet 2005. Il n’a pas plus porté une atteinte disproportionnée à la libre communication des pensées et des opinions garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ni, en tout état de cause, méconnu l’objectif de valeur constitutionnelle du pluralisme des courants de pensée et d’opinion. 8. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que ces propos tenus par M. A… n’ont fait l’objet d’aucune réaction de la journaliste en charge de modérer le débat, sinon le constat qu’il existait un désaccord entre leur auteur et l’autre participant de cette émission. Si, pour l’expliquer, la société requérante fait valoir que M. A… a tenu ses propos lors d’une émission diffusée en direct et au moment où elle prenait fin, ces circonstances ne sont pas de nature à l’exonérer de l’obligation de maîtrise de son antenne, la circonstance qu’un programme est diffusé en direct devant conduire, à cet égard, à une vigilance particulière. Par suite, en estimant que les prescriptions de l’article 2-2-1 de la convention du 19 juillet 2005 relatives à la maîtrise de l’antenne avaient été méconnues et en mettant en demeure la société requérante de s’y conformer à l’avenir, l’ARCOM n’a pas commis d’erreur de droit et n’a pas non plus fait une inexacte application des pouvoirs qu’il tient des articles 42 de la loi du 30 septembre 1986 et 4-2-1 de la convention du 19 juillet 2005. 9. Il résulte de tout ce qui précède que la société d’exploitation d’un service d’information n’est pas fondée à demander l’annulation de la mise en demeure qu’elle attaque. Sa requête doit par suite être rejetée, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. D E C I D E : Article 1er : La requête de la société d’exploitation d’un service d’information est rejetée. Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société d’exploitation d’un service d’information et au ARCOM. Copie en sera adressée à la ministre de la culture. |
Q/R juridiques soulevées : Quels propos d’Eric Zemmour ont conduit à la mise en demeure de Cnews ?Les propos d’Eric Zemmour, tenus lors d’un débat sur l’immigration et l’islam, ont été jugés incitatifs à la haine et discriminatoires. Il a affirmé que « l’immigration, l’islam et l’islamisme » constituaient « le même sujet » et a appelé à des « mesures radicales » pour « arrêter le flux » d’immigration. Zemmour a également déclaré que les immigrés devaient « voir l’histoire en fonction des intérêts de la France » et a exprimé son soutien au général Bugeaud, qui a mené des actions violentes en Algérie. Ces déclarations ont été perçues comme légitimant des violences à l’égard de populations basées sur leurs croyances religieuses, ce qui a conduit l’ARCOM à intervenir.Comment l’ARCOM a-t-il justifié la mise en demeure ?l’ARCOM a justifié la mise en demeure en se basant sur la législation française qui interdit les propos incitant à la haine et à la violence. Selon l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986, les programmes de communication audiovisuelle ne doivent pas contenir d’incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité. De plus, l’ARCOM a souligné que les propos de Zemmour constituaient un amalgame entre l’immigration, l’islam et l’islamisme, ce qui était problématique dans le contexte d’un débat d’actualité. La mise en demeure visait à rappeler à Cnews ses obligations légales et à prévenir de futurs manquements.La mise en demeure a-t-elle porté atteinte à la liberté d’expression ?l’ARCOM a estimé que la mise en demeure n’a pas porté atteinte de manière disproportionnée à la liberté d’expression. Il a affirmé que les droits garantis par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ne sont pas absolus et peuvent être limités pour protéger d’autres droits, comme la lutte contre la haine. l’ARCOM a également précisé que la préservation du pluralisme des opinions et des courants de pensée est un objectif constitutionnel, et que les propos incitant à la haine ne peuvent être justifiés au nom de la liberté d’expression.Quelles étaient les responsabilités de la journaliste modératrice ?La journaliste en charge de modérer le débat avait la responsabilité de maîtriser le contenu diffusé, même si l’émission était en direct. l’ARCOM a noté qu’aucune réaction n’a été apportée aux propos de Zemmour, ce qui a été considéré comme une négligence de sa part. La situation a été jugée d’autant plus préoccupante que les propos tenus étaient particulièrement sensibles et susceptibles d’inciter à la violence. l’ARCOM a donc insisté sur l’importance d’une vigilance accrue lors de la diffusion en direct, soulignant que cela ne devait pas exonérer le journaliste de ses obligations.Quelle a été la décision finale du Conseil d’État concernant la requête de Cnews ?Le Conseil d’État a rejeté la requête de la société d’exploitation de Cnews, confirmant la légalité de la mise en demeure émise par l’ARCOM. Il a conclu que la mise en demeure était justifiée par les violations des obligations légales et conventionnelles en matière de contenu audiovisuel. Le Conseil a également noté que la société n’avait pas réussi à prouver que la décision de l’ARCOM était irrégulière ou insuffisamment motivée. Par conséquent, la requête a été rejetée, et Cnews a été tenue de respecter les obligations imposées par la législation en vigueur. |
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