Prolongation de la rétention administrative : enjeux de procédure et de droits fondamentaux.

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Prolongation de la rétention administrative : enjeux de procédure et de droits fondamentaux.

L’Essentiel : M. [I] [N], ressortissant tunisien, a été placé en rétention administrative après un arrêté d’obligation de quitter le territoire français. Le juge du tribunal judiciaire de Rouen a autorisé la prolongation de sa rétention, confirmée par un magistrat suppléant. M. [I] [N] a interjeté appel, soulevant des irrégularités concernant l’audience en visioconférence et l’insuffisance des diligences administratives pour son éloignement. La cour a jugé l’appel recevable et a examiné la légalité de la visioconférence, concluant à un procès équitable. Finalement, l’ordonnance de prolongation a été confirmée pour trente jours supplémentaires.

Identité et situation de M. [I] [N]

M. [I] [N] est un ressortissant tunisien qui a fait l’objet d’un arrêté d’obligation de quitter le territoire français le 23 octobre 2024. Suite à cela, il a été placé en rétention administrative le 28 novembre 2024, après sa levée d’écrou, avec notification le 30 novembre 2024.

Prolongation de la rétention administrative

Le 4 décembre 2024, le juge du tribunal judiciaire de Rouen a autorisé la prolongation de la rétention administrative de M. [I] [N]. Cette décision a été confirmée le 6 décembre 2024 par un magistrat suppléant. Une seconde prolongation a été accordée le 30 décembre 2024, ce qui a conduit M. [I] [N] à interjeter appel de cette décision.

Arguments de l’appel

Dans son appel, M. [I] [N] a soulevé deux principaux moyens : l’irrégularité du recours à la visioconférence lors de l’audience et l’insuffisance des diligences de l’administration française concernant son éloignement.

Observations des parties

Le dossier a été transmis au parquet général, qui a requis la confirmation de l’ordonnance sans motivation. Le préfet de la Seine-Maritime a également communiqué ses observations écrites. Lors de l’audience, le conseil de M. [I] [N] a réitéré les arguments présentés dans l’acte d’appel, et M. [I] [N] a été entendu.

Recevabilité de l’appel

L’appel interjeté par M. [I] [N] contre l’ordonnance du 30 décembre 2024 a été jugé recevable par la cour.

Analyse du recours à la visioconférence

La cour a examiné la légalité du recours à la visioconférence, en se basant sur l’article L.743-7 du CESEDA. Elle a conclu que les conditions de confidentialité et d’accessibilité au public étaient respectées, permettant ainsi de garantir un procès équitable. La salle d’audience était indépendante du centre de rétention, accessible au public, et l’entretien avec l’avocat était confidentiel.

Diligences de l’administration française

Concernant les diligences de l’administration française, il a été noté que M. [I] [N] ne disposait pas de passeport ni de documents d’identité. Les autorités tunisiennes avaient été contactées à plusieurs reprises avant son placement en rétention, et l’administration française avait satisfait à son obligation de diligences. L’absence de perspectives d’éloignement n’a pas été établie, le processus d’identification étant toujours en cours.

Confirmation de l’ordonnance

En conséquence, la cour a confirmé l’ordonnance de prolongation de la rétention administrative de M. [I] [N] pour une durée supplémentaire de trente jours, statuant publiquement et en dernier ressort.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la recevabilité de l’appel interjeté par M. [I] [N] ?

L’appel interjeté par M. [I] [N] à l’encontre de l’ordonnance rendue le 30 décembre 2024 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rouen est déclaré recevable.

Cette recevabilité est fondée sur le principe général du droit d’appel, qui permet à une partie de contester une décision rendue par une juridiction inférieure.

En effet, selon l’article 500 du Code de procédure civile, « toute décision rendue en premier ressort peut faire l’objet d’un appel, sauf disposition contraire ».

Dans le cas présent, aucune disposition ne s’oppose à la recevabilité de l’appel, ce qui justifie la décision de la cour.

Le recours à la visioconférence est-il conforme aux exigences légales ?

L’article L.743-7 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) précise les conditions dans lesquelles une audience peut se tenir par visioconférence.

Il dispose que : « Afin d’assurer une bonne administration de la justice et de permettre à l’étranger de présenter ses explications, l’audience se tient dans la salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention.

Le juge peut toutefois siéger au tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe le lieu de rétention. Les deux salles d’audience sont alors ouvertes au public et reliées entre elles en direct par un moyen de communication audiovisuelle garantissant la confidentialité et la qualité de la transmission.

Dans le cas présent, la cour a constaté que l’audience s’est tenue dans une salle ouverte au public, spécialement aménagée et attribuée au ministère de la justice, respectant ainsi les exigences de l’article précité.

De plus, la confidentialité des échanges entre M. [I] [N] et son avocat a été assurée, ce qui est essentiel pour garantir le droit à un procès équitable, conformément à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Les diligences de l’administration française sont-elles suffisantes ?

L’administration française a été diligentée pour obtenir les documents nécessaires à l’éloignement de M. [I] [N], qui se trouve démuni de passeport et de documents d’identité.

Les autorités tunisiennes ont été saisies le 18 juillet 2024 et relancées à trois reprises.

L’article L. 511-1 du CESEDA stipule que « l’étranger qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement doit être en mesure de justifier de son identité et de sa nationalité ».

Dans ce contexte, l’administration française a satisfait à son obligation de diligences, car elle a entrepris des démarches auprès des autorités tunisiennes, qui sont les seules compétentes pour délivrer les documents nécessaires.

Il est également important de noter que l’absence de perspectives d’éloignement n’est pas établie, le processus d’identification étant toujours en cours, ce qui justifie le rejet du moyen soulevé par M. [I] [N].

Ainsi, la cour a confirmé que les diligences de l’administration étaient suffisantes et conformes aux exigences légales.

N° RG 24/04445 – N° Portalis DBV2-V-B7I-J27C

COUR D’APPEL DE ROUEN

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 31 DECEMBRE 2024

Brigitte HOUZET, conseillère à la cour d’appel de Rouen, spécialement désignée par ordonnance de la première présidente de ladite cour pour la suppléer dans les fonctions qui lui sont spécialement attribuées,

Assistée de Mme VESPIER, greffière ;

Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu la requête du préfet de la Seine-Maritime tendant à voir prolonger pour une durée supplémentaire de trente jours la mesure de rétention administrative qu’il a prise le 28 novembre 2024 à l’égard de M. [I] [N], né le 24 Juin 2001 à [Localité 2] (TUNISIE) ;

Vu l’ordonnance rendue le 30 décembre 2024 à 13h35 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rouen autorisant le maintien en rétention de M. [I] [N] pour une durée supplémentaire de trente jours à compter du 30 décembre 2024 à 10h33 jusqu’au 29 janvier 2025 à la même heure ;

Vu l’appel interjeté par M. [I] [N], parvenu au greffe de la cour d’appel de Rouen le 30 décembre 2024 à 17h41 ;

Vu l’avis de la date de l’audience donné par le greffier de la cour d’appel de Rouen :

– aux services du directeur du centre de rétention de [Localité 1],

– à l’intéressé,

– au préfet de la Seine-Maritime,

– à Me Bilal YOUSFI, avocat au barreau de ROUEN, de permanence,

Vu les dispositions des articles L 743-8 et R 743-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu la décision prise de tenir l’audience grâce à un moyen de télécommunication audiovisuelle et d’entendre la personne retenue par visioconférence depuis les locaux dédiés à proximité du centre de rétention administrative de [Localité 1] ;

Vu la demande de comparution présentée par M. [I] [N] ;

Vu l’avis au ministère public ;

Vu les débats en audience publique, en l’absence du préfet de la Seine-Maritime et du ministère public ;

Vu la comparution de M. [I] [N] par visioconférence depuis les locaux dédiés à proximité du centre de rétention administrative de [Localité 1] ;

Me Bilal YOUSFI, avocat au barreau de ROUEN étant présent au palais de justice ;

Vu les réquisitions écrites du ministère public ;

Vu les conclusions écrites du préfet de la Seine-Maritime parvenues au greffe de la cour d’appel de Rouen le 31 décembre 2024 ;

Les réquisitions et les conclusions ont été mises à la disposition des parties ;

L’appelant et son conseil ayant été entendus ;

****

Décision prononcée par mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

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FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS

M. [I] [N] déclare être ressortissant tunisien.

M. [I] [N] a fait l’objet d’un arrêté portant obligation de quitter le territoire français le 23 octobre 2024.

Il a été placé en rétention administrative selon arrêté du 28 novembre 2024, notifié le 30 novembre 2024, à l’issue de sa levée d’écrou.

Par ordonnance du 4 décembre 2024, le juge du tribunal judiciaire de Rouen a autorisé la prolongation de la rétention adminsitrative de M. [I] [N], décision confirmée par le magistrat désigné par la première présidente de la cour d’appel de Rouen pour la suppléer le 6 décembre 2024.

Par ordonnance du 30 décembre 2024, le juge du tribunal judiciaire de Rouen a autorisé une seconde prolongation de la rétention administrative de M. [I] [N].

M. [I] [N] a interjeté appel de cette décision.

Au soutien de son appel, il fait valoir:

– l’irrégularité du recours à la visioconférence

– l’insuffisance des diligences de l’administration française

Le dossier a été communiqué au parquet général qui, par conclusions écrites non motivées du 31 décembre 2024, a requis la confirmation de l’ordonnance.

Le préfet de la Seine-Maritime a communiqué ses observations écrites.

A l’audience, le conseil de M. [I] [N] a réitéré les moyens développés dans l’acte d’appel.

M. [I] [N] a été entendu en ses observations.

MOTIVATION DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l’appel

Il résulte des énonciations qui précédent que l’appel interjeté par M. [I] [N] à l’encontre de l’ordonnance rendue le 30 Décembre 2024 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rouen est recevable.

Sur le fond

*sur le recours à la visioconférence :

L’article L.743-7 du CESEDA, dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2024, dispose : « Afin d’assurer une bonne administration de la justice et de permettre à l’étranger de présenter ses explications, l’audience se tient dans la salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention.

Le juge peut toutefois siéger au tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe le lieu de rétention. Les deux salles d’audience sont alors ouvertes au public et reliées entre elles en direct par un moyen de communication audiovisuelle garantissant la confidentialité et la qualité de la transmission.

Dans le cas mentionné au deuxième alinéa, le conseil de l’étranger, de même que le représentant de l’administration, peuvent assister à l’audience dans l’une ou l’autre salle. Il a le droit de s’entretenir avec son client de manière confidentielle. Une copie de l’intégralité du dossier est mise à la disposition du requérant. Un procès-verbal attestant de la conformité des opérations effectuées au présent article est établi dans chacune des salles d’audience.

Le juge peut, de sa propre initiative ou sur demande des parties, suspendre l’audience lorsqu’il constate que la qualité de la retransmission ne permet pas à l’étranger ou à son conseil de présenter ses explications dans des conditions garantissant une bonne administration de la justice.

Par dérogation au premier alinéa, lorsqu’aucune salle n’a été spécialement aménagée à proximité immédiate ou en cas d’indisponibilité de la salle, l’audience se tient au siège du tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe le lieu de rétention.Par dérogation au présent article, lorsqu’est prévue une compétence territoriale dérogatoire à celle fixée par voie réglementaire, l’audience se tient au siège du tribunal judiciaire auquel appartient le juge compétent. Le juge peut toutefois décider que l’audience se déroule avec l’utilisation de moyens de communication audiovisuelle, dans les conditions prévues aux deuxième et troisième alinéas. »

Tant le Conseil d’Etat (18 novembre 2011) que la Cour de cassation (notamment 12 octobre 2011) ont estimé que si la salle d’audience était autonome et hors de l’enceinte du centre de rétention administrative, qu’elle était accessible au public par une porte autonome donnant sur la voie publique, que la ou les salles d’audience n’étaient pas reliées aux bâtiments composant le centre, qu’une clôture la séparait du centre de rétention, ces conditions permettent au juge de statuer publiquement, dans le respect de l’indépendance des magistrats et de la liberté des parties.

Il est par ailleurs acquis que l’utilisation de la visioconférence lors de l’audience devant le juge des libertés et de la détention ne contrevient pas aux dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit à un procès équitable.

Il en résulte que le recours à la visioconférence est subordonné à la condition que soit assurée la confidentialité de la transmission entre le tribunal et la salle d’audience spécialement aménagée à cet effet, ouverte au public et située dans les locaux attribués au ministère de la justice (décision n°2018-770 DC du 6 septembre 2018, §28) à proximité immédiate et non à l’intérieur du centre de rétention ou dans des locaux relevant du Ministère de l’Intérieur, étant précisé que le fait que cette salle soit éventuellement gérée par le ministère de l’intérieur n’est pas de nature à remettre en cause son attribution au ministère de la justice.

En l’espèce, sur le caractère adapté ou non de la salle d’audience aménagée, la cour relève que ladite salle, la salle de télévision où se trouve la personne retenue et la salle réservée aux entretiens confidentiels avec l’avocat, sont situées dans l’enceinte territoriale de l’Ecole de Police de [Localité 1], comme le centre de rétention administrative lui-même, mais dans des locaux totalement indépendants du centre, en ce qu’elle n’est pas reliée aux bâtiments composant le centre, qu’elle est accessible au public par une porte autonome donnant sur la voie publique, une clôture séparant son accès du centre de rétention. En tout état de cause, il n’est pas soutenu, et a fortiori justifié de ce que des personnes se seraient présentées pour assister à l’audience depuis la salle située à [Localité 1] et en auraient été empêchées.

La confidentialité de l’entretien avec l’avocat est assurée par la clôture de la salle durant l’entretien.

L’audience devant le juge des libertés et de la détention de Rouen s’est donc tenue, conformément au deuxième alinéa de l’article précité, dans une salle ouverte au public au tribunal judiciaire située à proximité immédiate des locaux du centre de rétention, spécialement aménagée à cet effet et attribuée au ministère de la justice, par un moyen de communication audiovisuelle garantissant, la clarté, la sincérité et la publicité des débats, la confidentialité et la qualité de la transmission, un procès-verbal de l’audience en visio-conférence ayant été établi à cet effet.

En conséquence, le moyen sera rejeté.

*sur les diligences entreprises par l’administration française et les perspectives d’éloignement :

M. [I] [N] est démuni de passeport et de documents d’identité. Les autorités tunisiennes ont été saisies antérieurement à son placement en rétention, le 18 juillet 2024 et relancées à trois reprises. L’administration française, qui n’a aucun pouvoir de coercition sur l’autorité étrangère a ainsi satisfait à son obligation de diligences.

Par ailleurs, l’absence de perspectives d’éloignement n’apparaît pas établie, le processus d’identification étant toujours en cours.

Le moyen sera donc rejeté.

En conséquence, l’ordonnance entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, par ordonnance réputée contradictoire et en dernier ressort,

Déclare recevable l’appel interjeté par M. [I] [N] à l’encontre de l’ordonnance rendue le 30 Décembre 2024 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rouen, prolongeant la mesure de rétention administrative le concernant pour une durée supplémentaire de trente jours ;

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions.

Fait à Rouen, le 31 Décembre 2024 à xxxxxxxxxxxxxxxx.

LE GREFFIER, LA CONSEILLERE,

NOTIFICATION

La présente ordonnance est immédiatement notifiée contre récépissé à toutes les parties qui en reçoivent une expédition et sont informées de leur droit de former un pourvoi en cassation dans les deux mois de la présente notification et dans les conditions fixées par les articles 973 et suivants du code de procédure civile.


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