Prolongation de rétention : absence de justification légale et de menace à l’ordre public.

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Prolongation de rétention : absence de justification légale et de menace à l’ordre public.

L’Essentiel : M. [X] [Z], né le 13 avril 2001 à [Localité 2], de nationalité marocaine, est retenu au centre de rétention de [Localité 1]. Il conteste la prolongation de sa rétention, arguant que les critères de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers ne sont pas remplis. La cour rappelle que la prolongation doit être justifiée par des éléments concrets et que la menace à l’ordre public doit être appréciée sur des indices objectifs. En l’absence de justification adéquate, la cour infirme l’ordonnance précédente et rejette la requête du préfet.

Identité de l’Appelant

M. [X] [Z], né le 13 avril 2001 à [Localité 2], de nationalité marocaine, est retenu au centre de rétention de [Localité 1]. Il est assisté par Me Christophe Livet-Lafourcade, avocat de permanence, et M. [V] [T] [L], interprète en arabe.

Parties en Présence

L’intimé dans cette affaire est le Préfet des Hauts-de-Seine, représenté par Me Bruno Mathieu du cabinet Mathieu & Associés. Le ministère public a également été avisé de la date et de l’heure de l’audience.

Contexte de la Rétention

M. [X] [Z] a été placé en rétention administrative par un arrêté préfectoral en date du 27 octobre 2024, fondé sur un arrêté portant obligation de quitter le territoire français (OQTF) daté du 23 janvier 2024. La mesure a été prolongée pour la quatrième fois par le magistrat du siège le 10 janvier 2025.

Motif de l’Appel

L’appel interjeté par M. [X] [Z] le 11 janvier 2025 conteste la prolongation de sa rétention, arguant que les critères de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers ne sont pas remplis.

Réponse de la Cour

La cour rappelle que le magistrat doit vérifier les diligences de l’administration pour que la rétention ne dure que le temps nécessaire à l’éloignement. Cependant, l’administration n’a pas de pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires, et le juge ne peut imposer des actes sans effectivité.

Critères de Prolongation de la Rétention

Selon l’article L.742-5, le magistrat peut prolonger la rétention si certaines conditions sont remplies, notamment en cas d’obstruction à l’éloignement ou de défaut de délivrance de documents de voyage par le consulat. La prolongation doit être justifiée par des éléments concrets.

Évaluation de la Menace à l’Ordre Public

La cour souligne que la menace à l’ordre public doit être appréciée sur la base d’indices objectifs. La simple commission d’infractions pénales ne suffit pas à établir une menace. L’administration doit démontrer des éléments concrets pour justifier la prolongation.

Décision de la Cour

La cour constate que l’administration a obtenu un laissez-passer consulaire le 7 janvier 2025, mais que la prolongation de la rétention ne peut être justifiée par l’attente d’un vol. De plus, aucune preuve d’une menace à l’ordre public n’a été fournie.

Conclusion de l’Ordonnance

En l’absence de critères établis pour la prolongation de la rétention, la cour infirme l’ordonnance précédente et rejette la requête du préfet. M. [X] [Z] est rappelé à son obligation de quitter le territoire français, et une expédition de l’ordonnance est ordonnée au procureur général.

Q/R juridiques soulevées :

Quels sont les critères de prolongation de la rétention administrative selon l’article L.742-5 ?

L’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction en vigueur depuis le 28 janvier 2024, énonce les conditions dans lesquelles un magistrat peut être saisi pour prolonger la rétention administrative d’un étranger.

Cet article stipule :

« À titre exceptionnel, le magistrat du siège peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public. »

Il est important de noter que ces critères ne sont pas cumulatifs, ce qui signifie que l’administration n’a besoin d’établir qu’un seul de ces critères pour justifier une prolongation de la rétention.

Quelles sont les obligations de l’administration en matière de rétention administrative ?

L’article L.741-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile impose à l’administration des obligations précises concernant la rétention administrative.

Cet article stipule :

« Il appartient au magistrat du siège de rechercher concrètement les diligences accomplies par l’administration pour permettre que l’étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. »

Cela implique que dès le placement en rétention, l’administration doit saisir effectivement les services compétents pour rendre possible le retour de l’étranger.

Il est également précisé que l’administration française ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires, ce qui signifie que le juge ne peut pas imposer à l’administration de réaliser des actes sans véritable effectivité.

Comment la menace pour l’ordre public est-elle appréciée dans le cadre de la rétention ?

La menace pour l’ordre public, qui peut justifier une prolongation de la rétention, doit être appréciée in concreto, c’est-à-dire en tenant compte des circonstances spécifiques de chaque cas.

La jurisprudence indique que :

« La menace pour l’ordre public doit faire l’objet d’une appréciation in concreto, au regard d’un faisceau d’indices permettant, ou non, d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace selon le comportement de l’intéressé. »

Il est également précisé que la commission d’une infraction pénale, à elle seule, ne suffit pas à établir que le comportement de l’intéressé présente une menace pour l’ordre public.

Ainsi, l’administration doit fournir des éléments positifs, objectifs et démontrés pour justifier la qualification de menace à l’ordre public.

Quelles sont les conséquences d’une décision de prolongation de la rétention administrative ?

Lorsqu’une décision de prolongation de la rétention administrative est ordonnée, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

L’article L.742-5 précise :

« Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours. »

De plus, si l’une des circonstances mentionnées dans cet article survient au cours de la prolongation exceptionnelle, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions, mais la durée maximale de la rétention ne doit pas excéder quatre-vingt-dix jours.

Il est donc crucial pour l’administration de justifier la nécessité de cette prolongation, en se basant sur les critères établis par la loi.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

L. 742-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour

des étrangers et du droit d’asile

ORDONNANCE DU 13 JANVIER 2025

(1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général et de décision : B N° RG 25/00163 – N° Portalis 35L7-V-B7J-CKTDA

Décision déférée : ordonnance rendue le 10 janvier 2025, à 10h48, par le magistrat du siège du tribunal judiciaire d’Evry

Nous, Elise Thevenin-Scott, conseillère à la cour d’appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Roxanne Therasse, greffière aux débats et au prononcé de l’ordonnance,

APPELANT :

M. [X] [Z]

né le 13 avril 2001 à [Localité 2], de nationalité marocaine

RETENU au centre de rétention : [Localité 1]

assisté de Me Christophe Livet-Lafourcade, avocat de permanence au barreau de Paris et de M. [V] [T] [L] (Interprète en arabe) tout au long de la procédure devant la cour et lors de la notification de la présente ordonnance, serment préalablement prêté

INTIMÉ :

LE PREFET DES HAUTS-DE-SEINE

représenté par Me Bruno Mathieu du cabinet Mathieu & Associés, avocat au barreau de Paris

MINISTÈRE PUBLIC, avisé de la date et de l’heure de l’audience

ORDONNANCE :

– contradictoire

– prononcée en audience publique

– Vu l’ordonnance du 10 janvier 2025 du magistrat du siège du tribunal judiciaire d’Evry ordonnant la prolongation pour une durée de 15 jours supplémentaires à compter du 10 janvier 2025 de la rétention du nommé M. [X] [Z], au centre d’hébergement du CRA de [Localité 1] ou dans tout autre centre d’hébergement ne dépendant pas de l’administration pénitentiaire ;

– Vu le décret n° 2024-799 du 2 juillet 2024 pris pour l’application du titre VII de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, relatif à la simplification des règles du contentieux ;

Constatant qu’aucune salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n’est disponible pour l’audience de ce jour ;

– Vu l’appel motivé interjeté le 11 janvier 2025, à 16h17, par M. [X] [Z] ;

– Après avoir entendu les observations :

– de M. [X] [Z], assisté de son avocat, qui demande l’infirmation de l’ordonnance ;

– du conseil du préfet des Hauts-de-Seine tendant à la confirmation de l’ordonnance ;

SUR QUOI,

Monsieur [X] [Z], né le 13 avril 2001 à [Localité 2] (Maroc), a été placé en rétention administrative par arrêté préfectoral en date du 27 octobre 2024, sur le fondement d’un arrêté préfectoral portant OQTF en date du 23 janvier 2024.

La mesure a été prolongée pour la quatrième fois par le magistrat du siège en charge du contrôle des mesures restrictives et privatives de liberté de Evry-Courcouronnes le 10 janvier 2025.

Monsieur [X] [Z] a interjeté appel de cette décision au motif que, selon lui, aucun des critères de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne serait rempli.

Réponse de la cour :

S’il appartient au magistrat du siège, en application de l’article L. 741-3 du même code, de rechercher concrètement les diligences accomplies par l’administration pour permettre que l’étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, ce qui requiert dès le placement en rétention, une saisine effective des services compétents pour rendre possible le retour, en revanche, l’administration française ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires (1re Civ., 9 juin 2010, pourvoi n° 09-12.165) et le juge ne saurait imposer à l’administration la réalisation d’acte sans véritable effectivité.

En application de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans sa rédaction en vigueur depuis le 28 janvier 2024 :

« A titre exceptionnel, le magistrat du siège peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparait dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours. »

Les critères énoncés ci-dessus n’étant pas cumulatifs, il suffit à l’administration d’établir l’un d’eux pour justifier d’une prolongation de la rétention.

Pour l’application du dernier alinéa de l’article précité à la requête en quatrième prolongation, créé par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, il appartient à l’administration de caractériser l’urgence absolue ou la menace pour l’ordre public établie dans les 15 jours qui précèdent la saisine du juge.

S’agissant de la menace à l’ordre public, critère pouvant être mobilisé par l’administration à l’occasion des troisième et quatrième prolongations de la mesure de rétention elle impose, compte tenu du caractère dérogatoire et exceptionnel de ces ultimes prolongations, une vigilance particulière sur les conditions retenues pour qualifier ladite menace qui doit se fonder sur des éléments positifs, objectifs et démontrés par l’administration. Elle a pour objectif manifeste de prévenir, pour l’avenir, les agissements dangereux commis par des personnes en situation irrégulière sur le territoire national.

La menace pour l’ordre public doit faire l’objet d’une appréciation in concreto, au regard d’un faisceau d’indices permettant, ou non, d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace selon le comportement de l’intéressé.

La commission d’une infraction pénale n’est pas de nature, à elle seule, à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public (CE, 16 mars 2005, n° 269313, Mme X., A ; CE, 12 février 2014, ministre de l’intérieur, n° 365644, A).

L’appréciation de cette menace doit prendre en considération les risques objectifs que l’étranger en situation irrégulière fait peser sur l’ordre public (CE, Réf. N°389959, 7 mai 2015, ministre de l’intérieur, B).

En l’espèce, l’administration s’est vue délivrer un laissez-passer consulaire le 07 janvier 2025, et saisit aux fins de prolongation de la mesure de rétention administrative de Monsieur [X] [Z] au motif pris de l’attente d’un vol prévu le 25 janvier 2025. Toutefois, une prolongation ne peut être envisagée, aux termes de l’article L.742-5 3° précité que dans l’hypothèse où la décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai, et non parce que la préfecture est dans l’attente d’un vol.

S’agissant de la menace à l’ordre public, si Monsieur [X] [Z] a fait l’objet de signalements au FAED, il n’est justifié d’aucune suite donnée à ces mesures de garde à vue et d’aucune condamnation pénale susceptible de permettre de qualifier une menace à l’ordre public, a fortiori perdurant au cours des quinze derniers jours. S’agissant des derniers faits ayant entrainé un placement en garde à vue immédiatement avant la mesure de rétention, si l’enquête semble toujours en cours, force est de constater que durant toute la mesure de rétention aucune nouvelle garde à vue aux fins d’audition du retenu n’a été ordonnée et aucune poursuite n’a été diligentée.

Enfin, la cour observe que l’administration s’abstient de la production d’un bulletin n°2 du casier judiciaire alors même qu’elle a la possibilité d’en solliciter un en application des article 776 et R.79-1° du code de procédure pénale, pièce qui serait de nature à établir avec certitude les antécédents pénaux du retenu, et donc à apprécier la menace à l’ordre public alléguée.

En définitive, aucun de critères de l’article 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’étant établi, aucune obstruction n’étant démontrée, c’est à tort que le premier juge à fait droit à la demande de quatrième prolongation. La décision sera donc infirmée et la requête de la préfecture rejetée.

PAR CES MOTIFS

INFIRMONS l’ordonnance

Statuant à nouveau,

REJETONS la requête du préfet

DISONS n’y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de M. [X] [Z] ,

RAPPELONS à M. [X] [Z] qu’il a l’obligation de quitter le territoire français,

ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d’une expédition de la présente ordonnance.

Fait à Paris le 13 janvier 2025 à

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

REÇU NOTIFICATION DE L’ORDONNANCE ET DE L’EXERCICE DES VOIES DE RECOURS : Pour information : L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention et au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.

Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Le préfet ou son représentant L’intéressé L’interprète L’avocat de l’intéressé


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