Prolongation de rétention : absence de justification légale et de menace avérée.

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Prolongation de rétention : absence de justification légale et de menace avérée.

L’Essentiel : M. [I] [S], né le 1er février 1990 à [Localité 1], conteste la prolongation de sa rétention administrative, initialement décidée le 26 octobre 2024. Il soutient que les critères de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers ne sont pas remplis. La cour rappelle que la prolongation doit être justifiée par des éléments concrets et que la menace à l’ordre public ne peut être établie uniquement par des infractions pénales. En l’absence de preuves suffisantes, la cour infirme l’ordonnance de prolongation et ordonne la remise immédiate de M. [I] [S] au procureur général.

Identification des Parties

M. [I] [S], né le 1er février 1990 à [Localité 1] et de nationalité somalienne, est l’appelant dans cette affaire. Il est assisté par Me Hervé Boukobza, avocat de permanence au barreau de Paris, et par Mme [C] [K], interprète en langue somali. L’intimé est le Préfet de Police, représenté par Me Nicolas Suarez Pedroza de la Selarl Actis avocats.

Contexte de la Rétention

M. [I] [S] a été placé en rétention administrative par un arrêté préfectoral en date du 26 octobre 2024, fondé sur un arrêté portant Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) daté du 23 décembre 2023. La mesure de rétention a été prolongée pour la quatrième fois par un magistrat du siège le 10 janvier 2025.

Motif de l’Appel

L’appel interjeté par M. [I] [S] le 10 janvier 2025, complété le 11 janvier 2025, conteste la prolongation de sa rétention, arguant que les critères de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne sont pas remplis.

Réponse de la Cour

La cour rappelle que le magistrat doit vérifier les diligences de l’administration pour limiter la rétention au temps strictement nécessaire. Elle souligne que l’administration n’a pas de pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires et que le juge ne peut imposer des actes sans effectivité.

Critères de Prolongation de la Rétention

Selon l’article L.742-5, le magistrat peut prolonger la rétention dans certaines situations, notamment si l’étranger a fait obstruction à l’éloignement ou si la décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage. La prolongation doit être justifiée par des éléments concrets.

Évaluation de la Menace à l’Ordre Public

La cour précise que la menace pour l’ordre public doit être évaluée sur la base d’indices concrets et ne peut être établie uniquement par la commission d’infractions pénales. Les antécédents de M. [I] [S] n’ont pas été suffisamment documentés par l’administration.

Conclusion de la Cour

La cour conclut qu’aucun des critères de prolongation de la rétention n’est établi. Elle infirme donc l’ordonnance de prolongation et rejette la requête du préfet, ordonnant la remise immédiate de l’ordonnance au procureur général. M. [I] [S] est rappelé à son obligation de quitter le territoire français.

Q/R juridiques soulevées :

Quels sont les critères de prolongation de la rétention administrative selon l’article L.742-5 ?

L’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction en vigueur depuis le 28 janvier 2024, énonce les conditions dans lesquelles un magistrat peut être saisi pour prolonger le maintien en rétention d’un étranger au-delà de la durée maximale prévue.

Cet article stipule :

« À titre exceptionnel, le magistrat du siège peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public. »

Il est important de noter que ces critères ne sont pas cumulatifs, ce qui signifie qu’il suffit à l’administration d’établir l’un d’eux pour justifier une prolongation de la rétention.

Quelle est la portée de l’appréciation de la menace pour l’ordre public dans le cadre de la rétention ?

L’appréciation de la menace pour l’ordre public, qui peut justifier une prolongation de la rétention, doit être effectuée de manière concrète et fondée sur des éléments objectifs.

La jurisprudence a établi que :

« La menace pour l’ordre public doit faire l’objet d’une appréciation in concreto, au regard d’un faisceau d’indices permettant, ou non, d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace selon le comportement de l’intéressé. »

Il est également précisé que :

« La commission d’une infraction pénale n’est pas de nature, à elle seule, à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public. »

Ainsi, l’administration doit démontrer que le comportement de l’étranger en situation irrégulière constitue un risque objectif pour l’ordre public, en tenant compte des antécédents et des comportements récents.

Quelles sont les obligations de l’administration en matière de documents de voyage pour la rétention ?

L’article L.742-5 mentionne que la décision d’éloignement ne peut être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat.

Il est précisé que :

« … il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai. »

Cela signifie que l’administration doit démontrer qu’elle a entrepris des démarches actives pour obtenir les documents nécessaires à l’éloignement de l’étranger.

En l’espèce, la cour a noté qu’il n’était pas établi que la préfecture serait en mesure de disposer de documents de voyage à bref délai, ce qui a conduit à l’infirmation de la prolongation de la rétention.

Quels recours sont ouverts à l’étranger en matière de rétention administrative ?

L’ordonnance précise que le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention, ainsi qu’au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification de l’ordonnance.

Le pourvoi doit être formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Cela garantit à l’étranger le droit de contester la décision de prolongation de sa rétention, en lui permettant d’exercer un recours devant une juridiction supérieure.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

L. 742-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour

des étrangers et du droit d’asile

ORDONNANCE DU 13 JANVIER 2025

(1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général et de décision : B N° RG 25/00161 – N° Portalis 35L7-V-B7J-CKTC6

Décision déférée : ordonnance rendue le 10 janvier 2025, à 11h20, par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Paris

Nous, Elise Thevenin-Scott, conseillère à la cour d’appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Roxanne Therasse, greffière aux débats et au prononcé de l’ordonnance,

APPELANT :

M. [I] [S]

né le 01 février 1990 à [Localité 1], de nationalité somalienne

RETENU au centre de rétention : [2] 1

assisté de Me Hervé Boukobza, avocat de permanence au barreau de Paris et de Mme [C] [K] (Interprète en langue somali) tout au long de la procédure devant la cour et lors de la notification de la présente ordonnance, serment préalablement prêté

INTIMÉ :

LE PREFET DE POLICE

représenté par Me Nicolas Suarez Pedroza de la Selarl Actis avocats, avocats au barreau de Val-de-Marne

MINISTÈRE PUBLIC, avisé de la date et de l’heure de l’audience

ORDONNANCE :

– contradictoire

– prononcée en audience publique

– Vu l’ordonnance du 10 janvier 2025 du magistratr du siège du tribunal judiciaire de Paris ordonnant la prolongation du maintien de M. [I] [S], dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée maximale de 15 jours, à compter du 09 janvier 2025 soit jusqu’au 24 janvier 2025 et invitant l’administration dans un délai de 72 heures à faire examiner l’intéressé par le responsable du service médical du centre de rétention ou par tel praticien désigné par ce dernier afin de déterminer si son état de santé est compatible avec la mesure de rétention et d’éloignement ;

– Vu l’appel motivé interjeté le 10 janvier 2025, à 15h57, par M. [I] [S] complété le 11 janvier 2025 à 16h13 ;

– Après avoir entendu les observations :

– de M. [I] [S], assisté de son avocat, qui demande l’infirmation de l’ordonnance ;

– du conseil du préfet de police tendant à la confirmation de l’ordonnance ;

SUR QUOI,

Monsieur [I] [S], né le 1er février 1990 à [Localité 1] (Somalie), a été placé en rétention administrative par arrêté préfectoral en date du 26 octobre 2024, sur le fondement d’un arrêté préfectoral portant OQTF en date du 23 décembre 2023.

La mesure a été prolongée pour la quatrième fois par le magistrat du siège en charge du contrôle des mesures restrictives et privatives de liberté de Paris le 10 janvier 2025.

Monsieur [I] [S] a interjeté appel de cette décision au motif que, selon lui, aucun des critères de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne serait rempli.

Réponse de la cour :

S’il appartient au magistrat du siège, en application de l’article L. 741-3 du même code, de rechercher concrètement les diligences accomplies par l’administration pour permettre que l’étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, ce qui requiert dès le placement en rétention, une saisine effective des services compétents pour rendre possible le retour, en revanche, l’administration française ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires (1re Civ., 9 juin 2010, pourvoi n° 09-12.165) et le juge ne saurait imposer à l’administration la réalisation d’acte sans véritable effectivité.

En application de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans sa rédaction en vigueur depuis le 28 janvier 2024 :

« A titre exceptionnel, le magistrat du siège peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparait dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours. »

Les critères énoncés ci-dessus n’étant pas cumulatifs, il suffit à l’administration d’établir l’un d’eux pour justifier d’une prolongation de la rétention.

Pour l’application du dernier alinéa de l’article précité à la requête en quatrième prolongation, créé par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, il appartient à l’administration de caractériser l’urgence absolue ou la menace pour l’ordre public établie dans les 15 jours qui précèdent la saisine du juge.

S’agissant de la menace à l’ordre public, critère pouvant être mobilisé par l’administration à l’occasion des troisième et quatrième prolongations de la mesure de rétention elle impose, compte tenu du caractère dérogatoire et exceptionnel de ces ultimes prolongations, une vigilance particulière sur les conditions retenues pour qualifier ladite menace qui doit se fonder sur des éléments positifs, objectifs et démontrés par l’administration. Elle a pour objectif manifeste de prévenir, pour l’avenir, les agissements dangereux commis par des personnes en situation irrégulière sur le territoire national.

La menace pour l’ordre public doit faire l’objet d’une appréciation in concreto, au regard d’un faisceau d’indices permettant, ou non, d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace selon le comportement de l’intéressé.

La commission d’une infraction pénale n’est pas de nature, à elle seule, à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public (CE, 16 mars 2005, n° 269313, Mme X., A ; CE, 12 février 2014, ministre de l’intérieur, n° 365644, A).

L’appréciation de cette menace doit prendre en considération les risques objectifs que l’étranger en situation irrégulière fait peser sur l’ordre public (CE, Réf. N°389959, 7 mai 2015, ministre de l’intérieur, B).

En l’espèce, en l’absence de réponse des autorités consulaires somaliennes saisies depuis le début du placement en rétention de Monsieur [I] [S], et alors que la mesure prendra fin dans quinze jours, il n’est pas établi par la préfecture qu’elle sera en mesure de disposer de documents de voyage à bref délai.

S’agissant de la menace à l’ordre public, si Monsieur [I] [S] a fait l’objet de signalements au FAED à plusieurs reprises, il n’est justifié d’aucune suite donné à ces mesures de garde à vue et d’aucune condamnation pénale susceptible de permettre de qualifier une menace à l’ordre public, a fortiori perdurant au cours des quinze derniers jours.

Enfin, la cour observe que l’administration s’abstient de la production d’un bulletin n°2 du casier judiciaire alors même qu’elle a la possibilité d’en solliciter un en application des article 776 et R.79-1° du code de procédure pénale, pièce qui serait de nature à établir avec certitude les antécédents pénaux du retenu, et donc à apprécier la menace à l’ordre public alléguée.

En définitive, aucun de critères de l’article 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’étant établi, aucune obstruction n’étant démontrée, c’est à tort que le premier juge à fait droit à la demande de quatrième prolongation. La décision sera donc infirmée et la requête de la préfecture rejetée.

PAR CES MOTIFS

INFIRMONS l’ordonnance

Statuant à nouveau,

REJETONS la requête du préfet

DISONS n’y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de M. [I] [S],

RAPPELONS à M. [I] [S] qu’il a l’obligation de quitter le territoire français,

ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d’une expédition de la présente ordonnance.

Fait à Paris le 13 janvier 2025 à

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

REÇU NOTIFICATION DE L’ORDONNANCE ET DE L’EXERCICE DES VOIES DE RECOURS : Pour information : L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention et au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.

Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Le préfet ou son représentant L’intéressé L’interprète L’avocat de l’intéressé


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