Prolongation de rétention : absence de justification légale et de menace avérée.

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Prolongation de rétention : absence de justification légale et de menace avérée.

L’Essentiel : M. [F] [U] [D], de nationalité sénégalaise, a été placé en rétention administrative suite à un arrêté préfectoral du 26 octobre 2024. Son appel, interjeté le 10 janvier 2025, contestait la prolongation de sa rétention, arguant que les critères de l’article L.742-5 n’étaient pas remplis. La cour a souligné que la menace à l’ordre public doit être évaluée objectivement et a noté l’absence de réponse des autorités consulaires. En conclusion, elle a infirmé la prolongation de la rétention, déclarant qu’il n’y avait pas lieu à cette mesure et rappelant à M. [F] [U] [D] son obligation de quitter le territoire.

Identité de l’Appelant

M. [F] [U] [D], né le 03 avril 1996 à [Localité 1] et de nationalité sénégalaise, a été retenu au centre de rétention administrative. Il a été assisté par Me Hervé Boukobza, avocat de permanence au barreau de Paris, et par Mme [I] [S] [N], interprète en woloff, tout au long de la procédure.

Contexte de la Rétention

M. [F] [U] [D] a été placé en rétention administrative par un arrêté préfectoral en date du 26 octobre 2024, en raison d’un arrêté portant Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) émis le même jour. Cette mesure a été prolongée pour la quatrième fois par un magistrat du tribunal judiciaire de Paris le 09 janvier 2025.

Appel de la Décision

Le 10 janvier 2025, M. [F] [U] [D] a interjeté appel de la décision de prolongation de sa rétention, arguant que les critères de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’étaient pas remplis.

Arguments de la Cour

La cour a rappelé que le magistrat doit vérifier les diligences de l’administration pour que la rétention ne dure que le temps strictement nécessaire. Elle a également précisé que l’administration n’a pas de pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires et que le juge ne peut pas imposer des actes sans effectivité.

Critères de Prolongation de la Rétention

Selon l’article L.742-5, le magistrat peut prolonger la rétention si certaines conditions sont remplies, notamment si l’étranger a fait obstruction à l’éloignement ou si la décision d’éloignement n’a pas pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat.

Évaluation de la Menace à l’Ordre Public

La cour a souligné que la menace à l’ordre public doit être appréciée concrètement, en tenant compte d’indices objectifs. La simple commission d’une infraction pénale ne suffit pas à établir une menace pour l’ordre public.

Constatations de la Cour

La cour a noté l’absence de réponse des autorités consulaires sénégalaises et a constaté qu’aucune nouvelle garde à vue n’avait été ordonnée durant la rétention de M. [F] [U] [D]. De plus, l’administration n’a pas produit de bulletin de casier judiciaire pour établir les antécédents pénaux de l’intéressé.

Décision Finale

En conclusion, la cour a infirmé l’ordonnance de prolongation de la rétention, rejetant la requête de la préfecture. Elle a déclaré qu’il n’y avait pas lieu à prolongation de la rétention administrative de M. [F] [U] [D] et lui a rappelé son obligation de quitter le territoire français.

Q/R juridiques soulevées :

Quels sont les critères de prolongation de la rétention administrative selon l’article L.742-5 ?

L’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction en vigueur depuis le 28 janvier 2024, énonce les conditions dans lesquelles un magistrat peut être saisi pour prolonger le maintien en rétention d’un étranger.

Cet article stipule que, à titre exceptionnel, le magistrat peut être saisi pour prolonger la rétention au-delà de la durée maximale prévue à l’article L.742-4, lorsque l’une des situations suivantes se présente dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L.631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L.754-1 et L.754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé, et il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

Il est important de noter que l’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué. Si le juge ordonne la prolongation, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Quelles sont les obligations de l’administration en matière de rétention administrative ?

L’article L.741-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile impose au magistrat du siège de rechercher concrètement les diligences accomplies par l’administration pour s’assurer que l’étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ.

Cela requiert, dès le placement en rétention, une saisine effective des services compétents pour rendre possible le retour de l’étranger.

Cependant, il est précisé que l’administration française ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires, comme l’indique la jurisprudence (1re Civ., 9 juin 2010, pourvoi n° 09-12.165).

Le juge ne saurait imposer à l’administration la réalisation d’actes sans véritable effectivité.

Ainsi, l’administration doit démontrer qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour faciliter le départ de l’étranger, et ce, dans un délai raisonnable.

Comment la menace pour l’ordre public est-elle appréciée dans le cadre de la rétention ?

La menace pour l’ordre public, qui peut justifier une prolongation de la rétention, doit faire l’objet d’une appréciation in concreto. Cela signifie qu’elle doit être évaluée au regard d’un faisceau d’indices permettant d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace selon le comportement de l’intéressé.

La jurisprudence (CE, 16 mars 2005, n° 269313, Mme X. ; CE, 12 février 2014, ministre de l’intérieur, n° 365644) précise que la commission d’une infraction pénale, à elle seule, ne suffit pas à établir que le comportement de l’intéressé présente une menace pour l’ordre public.

L’appréciation de cette menace doit également prendre en compte les risques objectifs que l’étranger en situation irrégulière fait peser sur l’ordre public (CE, Réf. N°389959, 7 mai 2015, ministre de l’intérieur, B).

En l’espèce, la cour a constaté qu’aucun élément concret ne justifiait la qualification de menace pour l’ordre public, ce qui a conduit à l’infirmation de la prolongation de la rétention.

Quelles sont les conséquences de l’absence de critères établis pour la prolongation de la rétention ?

Lorsque les critères énoncés à l’article L.742-5 ne sont pas établis, comme dans le cas de M. [F] [U] [D], cela entraîne l’infirmation de la décision de prolongation de la rétention.

La cour a constaté qu’aucune obstruction n’était démontrée et que les conditions de prolongation n’étaient pas remplies.

En conséquence, la décision de prolongation de la rétention a été jugée à tort, et la requête de la préfecture a été rejetée.

Cela signifie que l’individu concerné ne peut pas être maintenu en rétention administrative au-delà de la période initialement prévue, et il est rappelé à l’obligation de quitter le territoire français.

Cette décision souligne l’importance pour l’administration de justifier de manière rigoureuse et documentée les raisons de la prolongation de la rétention, afin de respecter les droits des étrangers et les exigences légales en matière de procédure.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

L. 742-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour

des étrangers et du droit d’asile

ORDONNANCE DU 13 JANVIER 2025

(1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général et de décision : B N° RG 25/00165 – N° Portalis 35L7-V-B7J-CKTDC

Décision déférée : ordonnance rendue le 09 janvier 2025, à 15h45, par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Paris

Nous, Elise Thevenin-Scott, conseillère à la cour d’appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Roxanne Therasse, greffière aux débats et au prononcé de l’ordonnance,

APPELANT :

M. [F] [U] [D]

né le 03 avril 1996 à [Localité 1], de nationalité sénégalaise

RETENU au centre de rétention : [2]

assisté de Me Hervé Boukobza, avocat de permanence au barreau de Paris et de Mme [I] [S] [N] (Interprète en woloff) tout au long de la procédure devant la cour et lors de la notification de la présente ordonnance, serment préalablement prêté

INTIMÉ :

LE PREFET DE POLICE

représenté par Me Nicolas Suarez Pedroza du cabinet Actis Avocats, avocat au barreau du Val-de-Marne

MINISTÈRE PUBLIC, avisé de la date et de l’heure de l’audience

ORDONNANCE :

– contradictoire

– prononcée en audience publique

– Vu le décret n° 2024-799 du 2 juillet 2024 pris pour l’application du titre VII de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, relatif à la simplification des règles du contentieux ;

Constatant qu’aucune salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n’est disponible pour l’audience de ce jour ;

– Vu l’ordonnance du 09 janvier 2025 du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Paris rejetant les moyens soulevés et ordonnant la prolongation du maintien de M. [F] [U] [D], dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée maximale de 15 jours, soit jusqu’au 24 janvier 2025 ;

– Vu l’appel motivé interjeté le 10 janvier 2025, à 14h16 complété à 14h28, par M. [F] [U] [D] ;

– Après avoir entendu les observations :

– de M. [F] [U] [D], assisté de son avocat, qui demande l’infirmation de l’ordonnance ;

– du conseil du préfet de police tendant à la confirmation de l’ordonnance ;

SUR QUOI,

Monsieur [F] [U] [D], né le 03 avril 1996 à [Localité 1] (Sénégal), a été placé en rétention administrative par arrêté préfectoral en date du 26 octobre 2024, sur le fondement d’un arrêté préfectoral portant OQTF en date du même jour.

La mesure a été prolongée pour la quatrième fois par le magistrat du siège en charge du contrôle des mesures restrictives et privatives de liberté de Paris le 09 janvier 2025.

Monsieur [F] [U] [D] a interjeté appel de cette décision au motif que, selon lui, aucun des critères de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne serait rempli.

Réponse de la cour :

S’il appartient au magistrat du siège, en application de l’article L. 741-3 du même code, de rechercher concrètement les diligences accomplies par l’administration pour permettre que l’étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, ce qui requiert dès le placement en rétention, une saisine effective des services compétents pour rendre possible le retour, en revanche, l’administration française ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires (1re Civ., 9 juin 2010, pourvoi n° 09-12.165) et le juge ne saurait imposer à l’administration la réalisation d’acte sans véritable effectivité.

En application de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans sa rédaction en vigueur depuis le 28 janvier 2024 :

« A titre exceptionnel, le magistrat du siège peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparait dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours. »

Les critères énoncés ci-dessus n’étant pas cumulatifs, il suffit à l’administration d’établir l’un d’eux pour justifier d’une prolongation de la rétention.

Pour l’application du dernier alinéa de l’article précité à la requête en quatrième prolongation, créé par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, il appartient à l’administration de caractériser l’urgence absolue ou la menace pour l’ordre public établie dans les 15 jours qui précèdent la saisine du juge.

S’agissant de la menace à l’ordre public, critère pouvant être mobilisé par l’administration à l’occasion des troisième et quatrième prolongations de la mesure de rétention elle impose, compte tenu du caractère dérogatoire et exceptionnel de ces ultimes prolongations, une vigilance particulière sur les conditions retenues pour qualifier ladite menace qui doit se fonder sur des éléments positifs, objectifs et démontrés par l’administration. Elle a pour objectif manifeste de prévenir, pour l’avenir, les agissements dangereux commis par des personnes en situation irrégulière sur le territoire national.

La menace pour l’ordre public doit faire l’objet d’une appréciation in concreto, au regard d’un faisceau d’indices permettant, ou non, d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace selon le comportement de l’intéressé.

La commission d’une infraction pénale n’est pas de nature, à elle seule, à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public (CE, 16 mars 2005, n° 269313, Mme X., A ; CE, 12 février 2014, ministre de l’intérieur, n° 365644, A).

L’appréciation de cette menace doit prendre en considération les risques objectifs que l’étranger en situation irrégulière fait peser sur l’ordre public (CE, Réf. N°389959, 7 mai 2015, ministre de l’intérieur, B).

En l’espèce, en l’absence de réponse des autorités consulaires sénégalaises saisies depuis le début du placement en rétention de Monsieur [F] [U] [D], et alors que la mesure prendra fin dans quinze jours, il n’est pas établi par la préfecture qu’elle sera en mesure de disposer de documents de voyage à bref délai.

S’agissant de la menace à l’ordre public, Monsieur [F] [U] [D] a fait l’objet d’un unique signalement au FAED relatif à la mesure de garde à vue ayant immédiatement précédé la mesure de rétention. Aucune poursuite n’a été engagée à l’issue, si l’enquête semble toujours en cours, force est de constater que durant toute la mesure de rétention aucune nouvelle garde à vue aux fins d’audition du retenu n’a été ordonnée et aucune poursuite n’a été diligentée.

Enfin, la cour observe que l’administration s’abstient de la production d’un bulletin n°2 du casier judiciaire alors même qu’elle a la possibilité d’en solliciter un en application des article 776 et R.79-1° du code de procédure pénale, pièce qui serait de nature à établir avec certitude les antécédents pénaux du retenu, et donc à apprécier la menace à l’ordre public alléguée.

En définitive, aucun de critères de l’article 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’étant établi, aucune obstruction n’étant démontrée, c’est à tort que le premier juge à fait droit à la demande de quatrième prolongation. La décision sera donc infirmée et la requête de la préfecture rejetée.

PAR CES MOTIFS

INFIRMONS l’ordonnance

Statuant à nouveau,

REJETONS la requête

DISONS n’y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de M. [F] [U] [D] ,

RAPPELONS à M. [F] [U] [D] qu’il a l’obligation de quitter le territoire français,

ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d’une expédition de la présente ordonnance.

Fait à Paris le 13 janvier 2025 à

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

REÇU NOTIFICATION DE L’ORDONNANCE ET DE L’EXERCICE DES VOIES DE RECOURS : Pour information : L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention et au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.

Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Le préfet ou son représentant L’intéressé L’interprète L’avocat de l’intéressé


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