Prolongation de rétention : irrecevabilité de la saisine tardive

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Prolongation de rétention : irrecevabilité de la saisine tardive

L’Essentiel : M. [B] [D], de nationalité tunisienne, a été placé en rétention administrative le 10 novembre 2024, suite à un arrêté d’expulsion de 2014. Sa rétention a été prolongée à plusieurs reprises, mais il a contesté cette prolongation en appel, arguant qu’elle était tardive. La cour a confirmé que la requête de la préfecture était irrecevable, rappelant que le délai d’action peut être invoqué à tout moment. En conséquence, elle a infirmé l’ordonnance de prolongation et a ordonné à M. [B] [D] de quitter le territoire français, ouvrant la voie à un pourvoi en cassation.

Contexte de l’affaire

M. [B] [D], de nationalité tunisienne, a été placé en rétention administrative par un arrêté préfectoral en date du 10 novembre 2024, basé sur un arrêté d’expulsion datant du 26 mai 2014. Il a été assisté par Me Ruben Garcia, avocat au barreau de Paris, tandis que le préfet de police était représenté par Me Nicolas Suarez Pedroza.

Prolongation de la rétention

La rétention de M. [B] [D] a été prolongée à plusieurs reprises : le 14 novembre 2024, confirmée par la cour d’appel le 16 novembre 2024, puis à nouveau le 10 décembre 2024. Le 9 janvier 2025, un magistrat a ordonné une troisième prolongation de la rétention administrative.

Appel de M. [B] [D]

M. [B] [D] a interjeté appel le 10 janvier 2025, contestant la légitimité de la prolongation de sa rétention, arguant que la requête de l’administration avait été soumise au-delà du délai de 30 jours prévu par la loi.

Réponse de la cour

La cour a rappelé que les moyens nouveaux sont recevables en appel, mais que le délai d’action peut être invoqué à tout moment. Elle a examiné les articles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et a déterminé que la saisine du magistrat pour prolonger la rétention était tardive.

Décision finale

La cour a infirmé l’ordonnance de prolongation de la rétention, déclarant la requête de la préfecture irrecevable. Elle a également rappelé à M. [B] [D] son obligation de quitter le territoire français et a ordonné la remise immédiate de l’ordonnance au procureur général.

Voies de recours

L’ordonnance n’étant pas susceptible d’opposition, un pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative et au ministère public, avec un délai de deux mois pour le former.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la durée maximale de la rétention administrative selon le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ?

La durée maximale de la rétention administrative est régie par l’article L.742-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Cet article stipule que :

« Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la précédente période de rétention et pour une nouvelle période d’une durée maximale de trente jours.

La durée maximale de la rétention n’excède alors pas soixante jours. »

Ainsi, la rétention peut être prolongée par le magistrat du siège, mais ne peut excéder un total de soixante jours, incluant toutes les prolongations.

Quelles sont les conditions de placement en rétention administrative selon le CESEDA ?

L’article L.741-1 du CESEDA précise les conditions dans lesquelles une personne peut être placée en rétention administrative. Il énonce que :

« L’autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quatre jours, l’étranger qui se trouve dans l’un des cas prévus à l’article L. 731-1 lorsqu’il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l’exécution de la décision d’éloignement et qu’aucune autre mesure n’apparaît suffisante à garantir efficacement l’exécution effective de cette décision. »

Cela signifie que la rétention est justifiée lorsque l’individu ne peut pas garantir son retour et qu’aucune autre mesure ne peut assurer son éloignement.

Comment se calcule le délai de rétention administrative ?

Le calcul du délai de rétention administrative est précisé par l’avis rendu par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation le 07 janvier 2025. Selon cet avis :

« D’une part, que, conformément aux articles L. 742-1 et R. 742-1 du CESEDA, le délai de rétention de quatre jours court à compter de la notification du placement en rétention, de sorte que le premier jour doit être décompté.

D’autre part, qu’exprimé en jours, ce délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures, sans que ne soit applicable la prolongation du délai expirant un dimanche ou un jour férié. »

Ainsi, pour un placement notifié le 1er janvier à 15 heures, le délai de quatre jours s’achèverait le 4 janvier à 24 heures.

Quelles sont les conséquences d’une saisine tardive du magistrat du siège ?

La saisine tardive du magistrat du siège a des conséquences directes sur la recevabilité de la requête de prolongation de la rétention. Comme indiqué dans la décision, la requête de l’administration a été jugée irrecevable car :

« La requête datée et signée, seule pièce valant saisine du magistrat du siège en charge du contrôle des mesures restrictives et privatives de liberté, a été reçue le 09 janvier 2025 à 08h49.

L’envoi préalable du dossier, y compris du registre, ne saurait constituer une saisine valable faute pour l’administration de rapporter la preuve de la date de sa réception par le juge. »

Cela signifie que si la requête n’est pas déposée dans les délais impartis, elle ne peut pas être examinée, entraînant l’irrecevabilité de la demande de prolongation.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

L. 742-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour

des étrangers et du droit d’asile

ORDONNANCE DU 11 JANVIER 2025

(1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général et de décision : B N° RG 25/00150 – N° Portalis 35L7-V-B7J-CKTBN

Décision déférée : ordonnance rendue le 09 janvier 2025, à 15h41, par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Paris

Nous, Elise Thevenin-Scott, conseillère à la cour d’appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Camille Besson, greffière aux débats et au prononcé de l’ordonnance,

APPELANT :

M. [B] [D]

né le 05 septembre 1991 à [Localité 2], de nationalité tunisienne

RETENU au centre de rétention : [1] 1

assisté de Me Ruben Garcia, avocat au barreau de Paris

INTIMÉ :

LE PREFET DE POLICE

représenté par Me Nicolas Suarez Pedroza, du cabinet Actis, avocat au barreau de Val-de-Marne

MINISTÈRE PUBLIC, avisé de la date et de l’heure de l’audience

ORDONNANCE :

– contradictoire

– prononcée en audience publique

– Vu le décret n° 2024-799 du 2 juillet 2024 pris pour l’application du titre VII de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, relatif à la simplification des règles du contentieux ;

Constatant qu’aucune salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n’est disponible pour l’audience de ce jour ;

– Vu l’ordonnance du 09 janvier 2025 du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Paris rejetant les moyens soulevés et ordonnant la prolongation du maintien de M. [B] [D] dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée maximale de 15 jours, soit jusqu’au 24 janvier 2025 ;

– Vu l’appel motivé interjeté le 10 janvier 2025, à 11h43, par M. [B] [D] ;

– Vu les pièces versées par la préfecture le 10 janvier 2025 à 15h12 ;

– Après avoir entendu les observations :

– de M. [B] [D], assisté de son avocat, qui demande l’infirmation de l’ordonnance ;

– du conseil du préfet de police tendant à la confirmation de l’ordonnance ;

SUR QUOI,

Monsieur [B] [D], né le 05 septembre 1991 à [Localité 2] (Tunisie), a été placé en rétention administrative par arrêté préfectoral en date du 10 novembre 2024, notifié à 13h55, sur la base d’un arrêté préfectoral d’expulsion du 26 mai 2014.

La mesure a été prolongée :

Le 14 novembre 2024, confirmée par la cour d’appel le 16 novembre 2024

Le 10 décembre 2024

Sur requête de l’administration, par ordonnance du 09 janvier 2025, le magistrat du siège en charge du contrôle des mesures restrictives et privatives de liberté de Paris a prolongé la rétention administrative de Monsieur [B] [D] pour la troisième fois.

Monsieur [B] [D] a interjeté appel et demande à la cour de déclarer la requête de l’administration irrecevable au motif que le premier juge aurait été saisi au-delà de l’échéance du délai de 30 jours, prévu par l’article L.742-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Réponse de la cour :

Rappelons que, sauf s’ils constituent des exceptions de procédure, au sens de l’article 74 du code de procédure civile, les moyens nouveaux sont recevables en cause d’appel (article 563 du CPC)

Le délai d’action constitue une fin de non-recevoir pouvant être invoquée à tout stade de la procédure.

Il ressort de la lecture de l’article L.741-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que l’autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quatre jours, l’étranger qui se trouve dans l’un des cas prévus à l’article L. 731-1 lorsqu’il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l’exécution de la décision d’éloignement et qu’aucune autre mesure n’apparaît suffisante à garantir efficacement l’exécution effective de cette décision.

L’article L.742-1 du même code prévoit que le maintien en rétention au-delà de quatre jours à compter de la notification de la décision de placement initiale peut être autorisé, dans les conditions prévues au présent titre, par le magistrat du siège saisi à cette fin par l’autorité administrative.

L’article L.742-4 du même code retient, in fine, que si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la précédente période de rétention et pour une nouvelle période d’une durée maximale de trente jours. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas soixante jours.

L’article L.743-4 énonce, enfin, que le magistrat du siège statue, par ordonnance, dans les quarante-huit heures suivant l’expiration du délai fixé au premier alinéa de l’article L. 741-10 ou sa saisine en application des articles L. 742-1 et L. 742-4 à L. 742-7.

Le 07 janvier 2025, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a rendu l’avis suivant sur la computation des délais en matière de rétention administrative et de saisine du magistrat du siège en charge du contrôle des mesures restrictives et privatives de liberté aux fins de première prolongation:

« – d’une part, que, conformément aux articles L. 742-1 et R. 742-1 du CESEDA et les articles 641 et 642 du code de procédure civile n’étant pas applicables, le délai de rétention de quatre jours court à compter de la notification du placement en rétention, de sorte que le premier jour doit être décompté;

– d’autre part, qu’exprimé en jours, ce délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures, sans que ne soit applicable la prolongation du délai expirant un dimanche ou un jour férié.

Ainsi, pour un placement en rétention notifié le 1er janvier à quinze heures, le délai de quatre jours s’achèvera le 4 janvier à vingt-quatre heures. »

Il se déduit de l’ensemble des éléments exposés, et au regard des données de l’espèce que :

L’arrêté de placement en rétention concernant Monsieur [B] [D] a été notifié le 10 novembre 2024 à 13h55 ; que le délai de quatre jours expirait le 13 novembre à 24h00

C’est à compter du 14 novembre 2024 à 00h00 que le délai de 26 jours commençait à courir. Il expirait le 09 décembre 2024 à 24h00.

C’est, enfin, à compter du 10 décembre 2024 à 00h00 que le délai de 30 jours de la deuxième prolongation commençait à courir. Il expirait le 08 janvier 2024 à 24h00.

Or, la requête datée et signée, seule pièce valant saisine du magistrat du siège en charge du contrôle des mesures restrictives et privatives de liberté, a été reçue le 09 janvier 2025 à 08h49. L’envoi préalable du dossier, y compris du registre, ne saurait constituer une saisine valable faute pour l’administration de rapporter la preuve de la date de sa réception par le juge.

En conséquence, force est de constater que la saisine du magistrat du siège en charge du contrôle des mesures restrictives et privatives de liberté est tardive et la requête de l’administration aux fins de 3ème prolongation, irrecevable.

PAR CES MOTIFS

INFIRMONS l’ordonnance

Statuant à nouveau,

DECLARONS irrecevable la requête de la préfecture de police,

DISONS n’y a voir lieu à prolongation de la mesure de rétention administrative de Monsieur [B] [D]

RAPPELONS à Monsieur [B] [D] qu’il a l’obligation de quitter le territoire français

ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d’une expédition de la présente ordonnance.

Fait à Paris le 11 janvier 2025 à

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

REÇU NOTIFICATION DE L’ORDONNANCE ET DE L’EXERCICE DES VOIES DE RECOURS : Pour information : L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention et au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.

Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Le préfet ou son représentant L’intéressé L’avocat de l’intéressé


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