L’Essentiel : M. [U] [R], de nationalité algérienne, a été placé en rétention administrative suite à une obligation de quitter le territoire français. Le 11 janvier 2025, un magistrat a accordé une prolongation de 15 jours, contestée par M. [U] [R] qui a argué de l’absence de diligences administratives, notamment l’annulation d’un rendez-vous consulaire. La cour a examiné les arguments et a noté qu’aucune menace à l’ordre public n’avait été prouvée, l’absence de condamnations récentes étant soulignée. En conséquence, la cour a infirmé la prolongation de la rétention, rejetant la requête du préfet.
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Contexte de l’affaireM. [U] [R], de nationalité algérienne, né le 13 novembre 1995, a été placé en rétention administrative par un arrêté préfectoral en date du 11 novembre 2024, en raison d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) notifiée le 8 octobre 2024. Il est assisté par Me Ruben Garcia, avocat au barreau de Paris. Prolongation de la rétentionLe 11 janvier 2025, un magistrat a accordé une troisième prolongation de la rétention de M. [U] [R] pour une durée maximale de 15 jours, jusqu’au 25 janvier 2025. Cette décision a été contestée par M. [U] [R] par le biais d’un appel interjeté le 12 janvier 2025, arguant que l’administration n’avait pas pris les mesures nécessaires pour faciliter son départ. Arguments de l’appelantM. [U] [R] a soutenu que l’absence de diligences de l’administration, notamment l’annulation d’un rendez-vous consulaire prévu le 8 janvier 2025, justifiait l’infirmation de l’ordonnance de prolongation. Il a affirmé que l’administration n’avait pas démontré sa capacité à obtenir rapidement les documents nécessaires à son éloignement. Réponse de la courLa cour a examiné les diligences de l’administration, notant qu’elle n’avait pas de pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires. Elle a précisé que l’administration devait établir l’urgence ou la menace pour l’ordre public pour justifier une prolongation de la rétention. Les critères pour prolonger la rétention ne sont pas cumulatifs, et il suffit d’en établir un pour justifier la prolongation. Évaluation de la menace à l’ordre publicConcernant la menace à l’ordre public, la cour a souligné qu’aucune condamnation récente de M. [U] [R] n’avait été démontrée. Bien qu’il ait mentionné une condamnation en 2023, aucune preuve formelle n’a été fournie pour établir une menace justifiant la prolongation de la rétention. Décision finaleEn conséquence, la cour a infirmé l’ordonnance de prolongation de la rétention, rejetant la requête du préfet. Elle a déclaré qu’il n’y avait pas lieu à prolongation de la rétention administrative de M. [U] [R] et lui a rappelé son obligation de quitter le territoire français. Une expédition de l’ordonnance a été ordonnée pour le procureur général. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les conditions de prolongation de la rétention administrative selon le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ?La prolongation de la rétention administrative est régie par l’article L. 742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Cet article stipule que : « À titre exceptionnel, le magistrat du siège peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours : 1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ; 2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement : a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ; b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ; 3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai. » Il est important de noter que le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public. La durée maximale de la rétention ne doit pas excéder quatre-vingt-dix jours, et le juge doit statuer sur la prolongation avant l’expiration de la dernière période de rétention. Quel est le rôle du magistrat du siège dans l’évaluation des diligences de l’administration ?Le magistrat du siège a pour mission de vérifier les diligences accomplies par l’administration pour s’assurer que l’étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’article L. 741-3 précise que : « Il appartient au magistrat du siège de rechercher concrètement les diligences accomplies par l’administration pour permettre que l’étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. » Cela implique que dès le placement en rétention, l’administration doit saisir effectivement les services compétents pour rendre possible le retour de l’étranger. Cependant, il est également établi que l’administration française ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires, ce qui limite la capacité du magistrat à imposer des actes à l’administration sans véritable effectivité. Comment la menace pour l’ordre public est-elle appréciée dans le cadre de la rétention administrative ?La menace pour l’ordre public est un critère qui peut justifier la prolongation de la rétention administrative. Selon la jurisprudence, cette menace doit être appréciée in concreto, c’est-à-dire en tenant compte d’un faisceau d’indices permettant d’établir la réalité des faits. Il est précisé que : « La menace pour l’ordre public doit faire l’objet d’une appréciation in concreto, au regard d’un faisceau d’indices permettant, ou non, d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace selon le comportement de l’intéressé. » Il est également important de noter que la commission d’une infraction pénale, à elle seule, ne suffit pas à établir une menace pour l’ordre public. La préfecture doit démontrer l’existence d’une menace à l’ordre public pour justifier une prolongation de la mesure de rétention, ce qui implique la présentation d’éléments objectifs et démontrés. Quelles sont les conséquences de l’annulation d’un rendez-vous consulaire sur la rétention administrative ?L’annulation d’un rendez-vous consulaire, comme celle du 08 janvier 2025 dans le cas de M. [U] [R], ne peut être reprochée à l’administration. En effet, la préfecture ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires, ce qui signifie que l’absence de nouvelle date d’audition ne peut pas être considérée comme un manquement de l’administration. Il est établi que : « Cette annulation, décidée par les autorités consulaires, ne saurait être reprochée à la préfecture qui ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte sur les autorités algériennes. » Ainsi, l’administration doit démontrer qu’elle est en mesure d’obtenir des documents de voyage à bref délai, ce qui inclut la possibilité d’une nouvelle audition consulaire et la délivrance d’un laissez-passer consulaire. Dans le cas présent, l’absence de preuve d’une telle capacité a conduit à l’infirmation de l’ordonnance de prolongation de la rétention. |
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
L. 742-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour
des étrangers et du droit d’asile
ORDONNANCE DU 13 JANVIER 2025
(1 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général et de décision : B N° RG 25/00175 – N° Portalis 35L7-V-B7J-CKTDM
Décision déférée : ordonnance rendue le 11 janvier 2025, à 11h46, par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Paris
Nous, Elise Thevenin-Scott, conseillère à la cour d’appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Roxanne Therasse, greffière aux débats et au prononcé de l’ordonnance,
M. [U] [R]
né le 13 novembre 1995 à [Localité 1], de nationalité algérienne
RETENU au centre de rétention : [3]
assisté de Me Ruben Garcia, avocat au barreau de Paris
INTIMÉ :
LE PREFET DE POLICE
représenté par Me Nicolas Suarez Pedroza du cabinet Actis Avocats, avocat au barreau du Val-de-Marne
MINISTÈRE PUBLIC, avisé de la date et de l’heure de l’audience
ORDONNANCE :
– contradictoire
– prononcée en audience publique
– Vu l’ordonnance du 11 janvier 2025 du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris ordonnant la prolongation du maintien de M. [U] [R], dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée maximale de 15 jours, soit à compter du 10 janvier 2025 jusqu’au 25 janvier 2025 ;
– Vu l’appel motivé interjeté le 12 janvier 2025, à 12h33, par M. [U] [R] ;
– Vu la pièce versée par Me Garcia le 13 janvier 2025 à 11h57 ;
– Après avoir entendu les observations :
– de M. [U] [R], assisté de son avocat, qui abandonne le moyen demande l’infirmation de l’ordonnance ;
– du conseil du préfet de police tendant à la confirmation de l’ordonnance ;
Monsieur [U] [R], né le 13 novembre 1995 à [Localité 1] (Algérie), a été placé en rétention administrative par arrêté préfectoral en date du 11 novembre 2024, notifié à 16h25, sur le fondement d’un arrêté préfectoral portant OQTF en date du 08 octobre 2024.
Par ordonnance du 11 janvier 2025, le magistrat du siège en charge du contrôle des mesures restrictives et privatives de liberté de Paris a fait droit à la demande de troisième prolongation de la préfecture de police de [Localité 2].
Monsieur [U] [R] a interjeté appel de cette décision et en demande l’infirmation aux motifs que la requête doit être rejetée en raison de l’absence de diligences de l’administration depuis l’annulation du rendez-vous consulaire du 08 janvier 2025.
Réponse de la cour :
Sur les diligences de l’administration
S’il appartient au magistrat du siège, en application de l’article L. 741-3 du même code, de rechercher concrètement les diligences accomplies par l’administration pour permettre que l’étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, ce qui requiert dès le placement en rétention, une saisine effective des services compétents pour rendre possible le retour, en revanche, l’administration française ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires (1re Civ., 9 juin 2010, pourvoi n° 09-12.165) et le juge ne saurait imposer à l’administration la réalisation d’acte sans véritable effectivité.
En application de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans sa rédaction en vigueur depuis le 28 janvier 2024 :
« A titre exceptionnel, le magistrat du siège peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparait dans les quinze derniers jours :
1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;
2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :
a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;
b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;
3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.
Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.
L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.
Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.
Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours. »
Les critères énoncés ci-dessus n’étant pas cumulatifs, il suffit à l’administration d’établir l’un d’eux pour justifier d’une prolongation de la rétention.
Pour l’application du dernier alinéa de l’article précité à la requête en quatrième prolongation, créé par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, il appartient à l’administration de caractériser l’urgence absolue ou la menace pour l’ordre public établie dans les 15 jours qui précèdent la saisine du juge.
S’agissant de la menace à l’ordre public, critère pouvant être mobilisé par l’administration à l’occasion des troisième et quatrième prolongations de la mesure de rétention elle impose, compte tenu du caractère dérogatoire et exceptionnel de ces ultimes prolongations, une vigilance particulière sur les conditions retenues pour qualifier ladite menace qui doit se fonder sur des éléments positifs, objectifs et démontrés par l’administration. Elle a pour objectif manifeste de prévenir, pour l’avenir, les agissements dangereux commis par des personnes en situation irrégulière sur le territoire national.
La menace pour l’ordre public doit faire l’objet d’une appréciation in concreto, au regard d’un faisceau d’indices permettant, ou non, d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace selon le comportement de l’intéressé.
La commission d’une infraction pénale n’est pas de nature, à elle seule, à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public (CE, 16 mars 2005, n° 269313, Mme X., A ; CE, 12 février 2014, ministre de l’intérieur, n° 365644, A).
L’appréciation de cette menace doit prendre en considération les risques objectifs que l’étranger en situation irrégulière fait peser sur l’ordre public (CE, Réf. N°389959, 7 mai 2015, ministre de l’intérieur, B).
En l’espèce, il n’est pas contesté que l’audition consulaire du 08 janvier 2025 a été annulée. Cette annulation, décidée par les autorités consulaires, ne saurait être reprochée à la préfecture qui ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte sur les autorités algériennes. En l’état aucune nouvelle date d’audition n’a été proposée. Si Monsieur [U] [R] n’a jamais contesté être de nationalité algérienne et qu’une copie de son passeport a été adressée au consulat, ces éléments ne suffisent pas à considérer que l’administration démontre être en mesure d’obtenir des documents de voyage à bref délai, c’est-à-dire être en mesure d’obtenir une audition consulaire, une reconnaissance, la délivrance d’un laissez-passer consulaire et la réservation d’un vol dans le temps bref de rétention restant.
Par ailleurs, il n’est ni allégué ni démontré une obstruction volontaire au cours des quinze derniers jours.
Enfin, sur la menace à l’ordre public, il n’est justifié d’aucune condamnation récente de Monsieur [U] [R]. Si ce dernier déclare lui-même devant le premier juge avoir été condamné une fois en 2023, et que cet élément est repris dans la décision d’éloignemnte, il n’est produit ni décision pénale ni extrait n°2 du casier judiciaire, étant précisé que c’est à la préfecture qu’il appartient de démontrer l’existence d’une menace à l’ordre public telle qu’elle puisse justifier à elle seule une troisième prolongation de la mesure de rétention.
En conséquence, l’ordonnance sera infirmée et la requête de l’administration rejetée.
INFIRMONS l’ordonnance
Statuant à nouveau,
REJETONS la requête du préfet
DISONS n’y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de M. [U] [R] ,
RAPPELONS à M. [U] [R] qu’il a l’obligation de quitter le territoire français,
ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d’une expédition de la présente ordonnance.
Fait à Paris le 13 janvier 2025 à
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
REÇU NOTIFICATION DE L’ORDONNANCE ET DE L’EXERCICE DES VOIES DE RECOURS : Pour information : L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.
Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention et au ministère public.
Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.
Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.
Le préfet ou son représentant L’intéressé L’avocat de l’intéressé
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