Prolongation de rétention : absence de justification des critères légaux.

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Prolongation de rétention : absence de justification des critères légaux.

L’Essentiel : M. [N] [G], de nationalité marocaine, est retenu au centre de rétention depuis le 26 octobre 2024, suite à une obligation de quitter le territoire français. Il a interjeté appel de la prolongation de sa rétention, arguant que les critères légaux ne sont pas remplis. La cour a rappelé que la menace à l’ordre public doit être objectivement démontrée. En l’absence de reconnaissance par les autorités consulaires et sans preuve d’obstruction, elle a infirmé la décision de prolongation, ordonnant la remise de l’ordonnance au procureur général et rappelant à M. [N] [G] son obligation de quitter le territoire.

Identité des Parties

M. [N] [G], né le 13 novembre 1993 à [Localité 1] et de nationalité marocaine, est retenu au centre de rétention. Il a refusé de comparaître à l’audience et est représenté par Me Mariem Bouzekri, avocat au barreau de Paris. L’intimé est le Préfet de Police, représenté par Me Nicolas Suarez Pedroza, avocat au barreau de Val-de-Marne.

Contexte Juridique

L’ordonnance est prononcée en audience publique, conformément au décret n° 2024-799 du 2 juillet 2024, qui vise à contrôler l’immigration et à simplifier les règles du contentieux. Il est noté qu’aucune salle d’audience n’est disponible à proximité du lieu de rétention pour l’audience.

Historique de la Rétention

M. [N] [G] a été placé en rétention administrative par arrêté préfectoral le 26 octobre 2024, sur la base d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) émise le 24 février 2024. La mesure a été prolongée pour la quatrième fois par le magistrat du siège le 9 janvier 2025.

Appel et Motifs

M. [N] [G] a interjeté appel de la décision de prolongation, arguant que les critères de l’article L742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers ne sont pas remplis. Le magistrat doit vérifier les diligences de l’administration pour justifier la rétention.

Arguments de la Cour

La cour rappelle que l’administration ne peut pas contraindre les autorités consulaires et que le juge ne peut pas imposer des actes sans effectivité. Les critères pour prolonger la rétention ne sont pas cumulatifs, et il suffit d’établir l’un d’eux.

Évaluation de la Menace à l’Ordre Public

La cour souligne que la menace pour l’ordre public doit être fondée sur des éléments objectifs et démontrés. En l’espèce, les autorités consulaires marocaines ne reconnaissent pas M. [N] [G], et aucune obstruction volontaire n’est prouvée. De plus, aucune condamnation pénale définitive n’est établie.

Décision de la Cour

La cour infirme l’ordonnance de prolongation de la rétention, rejetant la requête du préfet de police. Elle rappelle à M. [N] [G] son obligation de quitter le territoire français et ordonne la remise immédiate de l’ordonnance au procureur général.

Voies de Recours

L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition, mais un pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative et au ministère public, avec un délai de deux mois pour le former.

Q/R juridiques soulevées :

Quels sont les critères de prolongation de la rétention administrative selon l’article L.742-5 du CESEDA ?

L’article L.742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) stipule que, à titre exceptionnel, le magistrat du siège peut être saisi pour prolonger le maintien en rétention au-delà de la durée maximale prévue à l’article L.742-4, lorsque l’une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L.631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L.754-1 et L.754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé, et il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué. Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Il est important de noter que les critères énoncés ne sont pas cumulatifs, ce qui signifie qu’il suffit à l’administration d’établir l’un d’eux pour justifier une prolongation de la rétention.

Quelles sont les obligations de l’administration en matière de rétention administrative ?

L’article L.741-3 du CESEDA impose au magistrat du siège de rechercher concrètement les diligences accomplies par l’administration pour s’assurer que l’étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ.

Cela requiert, dès le placement en rétention, une saisine effective des services compétents pour rendre possible le retour de l’étranger. Cependant, il est précisé que l’administration française ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires, comme l’indique la jurisprudence (1re Civ., 9 juin 2010, pourvoi n° 09-12.165).

Ainsi, le juge ne saurait imposer à l’administration la réalisation d’actes sans véritable effectivité. Cela signifie que l’administration doit démontrer qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour faciliter le départ de l’étranger, mais elle ne peut pas être tenue responsable des retards ou des refus des autorités consulaires.

Comment la menace pour l’ordre public est-elle appréciée dans le cadre de la rétention administrative ?

La menace pour l’ordre public, qui peut justifier une prolongation de la rétention administrative, doit faire l’objet d’une appréciation in concreto. Cela signifie qu’il faut examiner un faisceau d’indices permettant d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace selon le comportement de l’intéressé.

La jurisprudence a précisé que la commission d’une infraction pénale, à elle seule, n’est pas suffisante pour établir que le comportement de l’intéressé présente une menace pour l’ordre public (CE, 16 mars 2005, n° 269313, Mme X., A ; CE, 12 février 2014, ministre de l’intérieur, n° 365644, A).

L’appréciation de cette menace doit également prendre en compte les risques objectifs que l’étranger en situation irrégulière fait peser sur l’ordre public (CE, Réf. N°389959, 7 mai 2015, ministre de l’intérieur, B). En l’espèce, l’administration doit fournir des éléments concrets et objectifs pour justifier la menace alléguée.

Quelles sont les conséquences d’une décision de prolongation de la rétention administrative ?

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

De plus, si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° de l’article L.742-5 survient au cours de la prolongation exceptionnelle, celle-ci peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions.

Cependant, la durée maximale de la rétention ne doit pas excéder quatre-vingt-dix jours. Cela signifie que l’administration doit être particulièrement vigilante dans l’établissement des critères justifiant la prolongation, car ces mesures sont considérées comme dérogatoires et exceptionnelles.

En cas de non-respect des critères établis, comme cela a été le cas dans l’affaire de M. [N] [G], la décision de prolongation peut être infirmée, et la requête de l’administration peut être rejetée, entraînant la fin de la rétention administrative.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

L. 742-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour

des étrangers et du droit d’asile

ORDONNANCE DU 11 JANVIER 2025

(1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général et de décision : B N° RG 25/00151 – N° Portalis 35L7-V-B7J-CKTBO

Décision déférée : ordonnance rendue le 09 janvier 2025, à 15h13, par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Paris

Nous, Elise Thevenin-Scott, conseillère à la cour d’appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Camille Besson, greffière aux débats et au prononcé de l’ordonnance,

APPELANT :

M. [N] [G]

né le 13 novembre 1993 à [Localité 1], de nationalité marocaine

RETENU au centre de rétention : [2]

ayant refusé de comparaître à l’audience de ce jour

représenté par Me Mariem Bouzekri avocat de permanence, avocat au barreau de Paris

INTIMÉ :

LE PREFET DE POLICE

représenté par Me Nicolas Suarez Pedroza, du cabinet Actis, avocat au barreau de Val-de-Marne

MINISTÈRE PUBLIC, avisé de la date et de l’heure de l’audience

ORDONNANCE :

– contradictoire

– prononcée en audience publique

– Vu le décret n° 2024-799 du 2 juillet 2024 pris pour l’application du titre VII de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, relatif à la simplification des règles du contentieux ;

Constatant qu’aucune salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n’est disponible pour l’audience de ce jour ;

– Vu l’ordonnance du 09 janvier 2025 du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Paris rejetant lesles moyens soulevés, ordonnant la prolongation du maintien de M. [N] [G] dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée maximale de 15 jours, soit jusqu’au 24 janvier 2025 et disant que la présente ordonnance sera notifiée à l’intéressé par l’intermédiaire du chef de rétention administrative de Paris (avec traduction écrite du dispositif faite par l’interprète) ;

– Vu l’appel motivé interjeté le 10 janvier 2025, à 13h57, par M. [N] [G] ;

– Vu le mail du CRA de [Localité 3] du 11 janvier 2025 à 09h37 indiquant que M. [G] refuse de comparaître à l’audience de ce jour ;

– Après avoir entendu les observations :

– du conseil de M. [N] [G], qui demande l’infirmation de l’ordonnance ;

– du conseil du préfet de police tendant à la confirmation de l’ordonnance ;

SUR QUOI,

Monsieur [N] [G], né le 13 novembre 1993 à [Localité 1] (Maroc) a été placé en rétention administrative par arrêté préfectoral en date du 26 octobre 2024, sur la base d’une OQTF du 24 février 2024.

La mesure a été prolongée pour la quatrième fois par le magistrat du siège en charge du contrôle des mesures restrictives et privatives de liberté de Paris le 09 janvier 2025.

Monsieur [N] [G] a interjeté appel de cette décision au motif, selon lui, que les critères de l’article L742-5 du ceseda ne seraient pas remplis.

Réponse de la cour :

S’il appartient au magistrat du siège, en application de l’article L. 741-3 du même code, de rechercher concrètement les diligences accomplies par l’administration pour permettre que l’étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, ce qui requiert dès le placement en rétention, une saisine effective des services compétents pour rendre possible le retour, en revanche, l’administration française ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires (1re Civ., 9 juin 2010, pourvoi n° 09-12.165) et le juge ne saurait imposer à l’administration la réalisation d’acte sans véritable effectivité.

En application de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans sa rédaction en vigueur depuis le 28 janvier 2024 :

« A titre exceptionnel, le magistrat du siège peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparait dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours. »

Les critères énoncés ci-dessus n’étant pas cumulatifs, il suffit à l’administration d’établir l’un d’eux pour justifier d’une prolongation de la rétention.

Pour l’application du dernier alinéa de l’article précité à la requête en quatrième prolongation, créé par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, il appartient à l’administration de caractériser l’urgence absolue ou la menace pour l’ordre public établie dans les 15 jours qui précèdent la saisine du juge.

S’agissant de la menace à l’ordre public, critère pouvant être mobilisé par l’administration à l’occasion des troisième et quatrième prolongations de la mesure de rétention elle impose, compte tenu du caractère dérogatoire et exceptionnel de ces ultimes prolongations, une vigilance particulière sur les conditions retenues pour qualifier ladite menace qui doit se fonder sur des éléments positifs, objectifs et démontrés par l’administration. Elle a pour objectif manifeste de prévenir, pour l’avenir, les agissements dangereux commis par des personnes en situation irrégulière sur le territoire national.

La menace pour l’ordre public doit faire l’objet d’une appréciation in concreto, au regard d’un faisceau d’indices permettant, ou non, d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace selon le comportement de l’intéressé.

La commission d’une infraction pénale n’est pas de nature, à elle seule, à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public (CE, 16 mars 2005, n° 269313, Mme X., A ; CE, 12 février 2014, ministre de l’intérieur, n° 365644, A).

L’appréciation de cette menace doit prendre en considération les risques objectifs que l’étranger en situation irrégulière fait peser sur l’ordre public (CE, Réf. N°389959, 7 mai 2015, ministre de l’intérieur, B).

En l’espèce, les autorités consulaires marocaines ont indiqué le 04 décembre 2024 ne pas reconnaître Monsieur [N] [G]. Les autorités consulaires algériennes ont alors été saisies, son audition consulaire n’est, en l’état, prévue que le 15 janvier 2025, soit 10 jours avant la fin de la mesure de rétention administrative ; que dans ces conditions il ne peut être considéré que l’administration établit être en mesure de disposer de documents de voyage à bref délai.

La préfecture n’allègue ni ne démontre un acte d’obstruction volontaire de la part de Monsieur [N] [G] au cours des quinze derniers jours.

Enfin, s’agissant de la menace à l’ordre public, elle n’est établie par aucune pièce de la procédure dès lors que si Monsieur [N] [G] a fait l’objet de plusieurs signalements au FAED, il n’est justifié d’aucune condamnation définitive pour des faits de nature pénale.

La cour observe, par ailleurs, que l’administration s’abstient de la production d’un bulletin n°2 du casier judiciaire alors même qu’elle a la possibilité d’en solliciter un en application des article 776 et R.79-1° du code de procédure pénale, pièce qui serait de nature à établir avec certitude les antécédents pénaux du retenu, et donc à apprécier la menace à l’ordre public alléguée.

En définitive, aucun de critères de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’étant établi, aucune obstruction n’étant démontrée, c’est à tort que le premier juge à fait droit à la demande de quatrième prolongation. La décision sera donc infirmée et la requête de la préfecture rejetée.

PAR CES MOTIFS

INFIRMONS l’ordonnance,

STATUANT À NOUVEAU,

REJETONS la requête du préfet de Police,

DISONS n’y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de Monsieur [N] [G] ,

RAPPELONS à l’intéressé qu’il a l’obligation de quitter le territoire français,

ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d’une expédition de la présente ordonnance.

Fait à Paris le 11 janvier 2025 à

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

REÇU NOTIFICATION DE L’ORDONNANCE ET DE L’EXERCICE DES VOIES DE RECOURS : Pour information : L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention et au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.

Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Le préfet ou son représentant L’avocat de l’intéressé


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