Prolongation de la rétention : enjeux de motivation et de justification des mesures administratives.

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Prolongation de la rétention : enjeux de motivation et de justification des mesures administratives.

L’Essentiel : Monsieur [E] [K] a été notifié d’une obligation de quitter le territoire français le 23 septembre 2022, suivie d’une décision de placement en rétention le 24 décembre 2024. Lors de son audition, il a affirmé avoir une adresse en France et être réadmissible en Suisse, où il avait précédemment déposé une demande d’asile. L’avocate de Monsieur [K], Me Maëva LAURENS, a contesté la requête préfectorale, arguant qu’elle manquait de motivation. Le préfet n’étant pas présent à l’audience, des questions sur la procédure ont été soulevées. Finalement, le tribunal a confirmé la prolongation de la rétention de Monsieur [K].

Contexte de l’affaire

Monsieur [E] [K] a été notifié d’une obligation de quitter le territoire français le 23 septembre 2022, suivie d’une décision de placement en rétention le 24 décembre 2024. Cette décision a été prise par le préfet des Bouches-du-Rhône, qui a également ordonné le maintien de Monsieur [K] en rétention pour une durée maximale de 26 jours.

Déclarations de Monsieur [K]

Lors de son audition, Monsieur [K] a affirmé avoir une adresse en France et a mentionné qu’il avait déjà fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire de deux ans sans avoir reçu d’assignation à résidence. Il a également déclaré être réadmissible en Suisse, où il avait précédemment déposé une demande d’asile.

Arguments de la défense

L’avocate de Monsieur [K], Me Maëva LAURENS, a contesté la requête préfectorale en soutenant qu’elle était insuffisamment motivée. Elle a fait valoir que les allégations concernant le non-respect d’une mesure d’éloignement antérieure étaient en contradiction avec les preuves fournies, notamment le fait que Monsieur [K] avait déposé une demande d’asile en Suisse.

Absence du préfet

Le préfet des Bouches-du-Rhône n’était pas présent lors de l’audience, bien qu’il ait été régulièrement convoqué, ce qui a soulevé des questions sur la procédure suivie.

Recevabilité de l’appel

L’appel interjeté par Monsieur [K] a été jugé recevable, car il a été effectué dans les délais impartis et accompagné d’une déclaration motivée. Les dispositions légales concernant la procédure d’appel ont été respectées.

Motivation de la requête préfectorale

La requête du préfet a été motivée par l’absence de garanties de représentation de Monsieur [K] et par des préoccupations concernant l’ordre public, notamment en raison de condamnations antérieures pour des faits de violence. Ces éléments ont été jugés suffisants pour justifier la prolongation de la rétention.

Pièces justificatives

La défense a contesté l’absence de pièces justificatives dans la requête préfectorale. Cependant, il a été établi que les documents nécessaires à l’évaluation de la situation de Monsieur [K] avaient été fournis, y compris des décisions antérieures et des communications avec les autorités suisses.

Décision finale

Le tribunal a confirmé l’ordonnance du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Marseille, déclarant recevable l’appel de Monsieur [K] et validant la prolongation de sa rétention. Les parties ont été informées de leur droit de se pourvoir en cassation dans un délai de deux mois.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la recevabilité de l’appel

L’article R743-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) stipule que :

* »L’ordonnance du magistrat du siège du tribunal judiciaire est susceptible d’appel devant le premier président de la cour d’appel, dans les vingt-quatre heures de son prononcé, par l’étranger, le préfet de département et, à Paris, le préfet de police. »*

Ce délai court à compter de la notification faite à l’étranger si ce dernier n’assiste pas à l’audience.

Le ministère public peut également interjeter appel selon les mêmes modalités.

Dans le cas présent, l’ordonnance a été rendue le 28 décembre 2024 et notifiée à M. [K] le même jour.

Ce dernier a interjeté appel le 30 décembre 2024, dans le délai imparti, par l’intermédiaire de son avocate, avec une déclaration d’appel motivée.

Ainsi, son recours est déclaré recevable conformément aux dispositions de l’article R743-10 du CESEDA.

Sur les moyens tirés de l’irrecevabilité de la requête préfectorale en prolongation de la rétention

L’article R742-1 du CESEDA précise que :

* »Le magistrat du siège du tribunal judiciaire est saisi aux fins de prolongation de la rétention par simple requête de l’autorité administrative, dans les conditions prévues au chapitre III, avant l’expiration, selon le cas, de la période de quatre jours mentionnée à l’article L. 742-1 ou de la période de prolongation ordonnée en application des articles L. 742-4, L. 742-5, L. 742-6 ou L. 742-7. »*

La requête doit être motivée, datée et signée, et accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, comme l’indique l’article R743-2 du CESEDA.

En l’espèce, la requête préfectorale du 27 décembre 2024 est motivée par l’absence de garanties de représentation de l’étranger et la menace à l’ordre public qu’il représente.

Les éléments fournis par le préfet, notamment les condamnations pénales de M. [K], constituent une motivation suffisante au sens de l’article R743-2.

Ainsi, le moyen tiré de l’insuffisance de motivation sera rejeté.

Sur l’absence de pièces justificatives utiles

Le législateur ne définit pas les pièces justificatives utiles, mais celles-ci sont considérées comme nécessaires à l’appréciation par le juge des libertés et de la détention.

L’absence de dépôt de ces pièces peut entraîner l’irrecevabilité de la demande, comme le souligne la jurisprudence (Cass. 1ère Civ 6 juin 2012, pourvoi n°11-30.185).

Dans le cas présent, la requête du préfet mentionne une réponse des autorités suisses, mais sans joindre le document.

M. [K] a affirmé ne pas être de nationalité suisse, et les autorités suisses ont indiqué qu’il n’avait pas de titre de séjour.

Les pièces justificatives jointes à la requête incluent la mesure d’éloignement et l’arrêté de placement en rétention, ce qui satisfait aux exigences de l’article R743-2.

Ainsi, le moyen sera rejeté et la requête préfectorale déclarée recevable.

Les diligences de l’administration n’étant pas contestées, l’ordonnance du premier juge sera confirmée.

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

CHAMBRE 1-11, Rétention Administrative

ORDONNANCE

DU 31 DÉCEMBRE 2024

N° RG 24/02154 – N° Portalis DBVB-V-B7I-BOFIE

Copie conforme

délivrée le 31 Décembre 2024 par courriel à :

-l’avocat

-le préfet

-le CRA

-le JLD/TJ

-le retenu

-le MP

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance rendue par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Marseille désigné pour le contrôle des mesures d’éloignement et de rétention en date du 28 Décembre 2024 à 10h56.

APPELANT

Monsieur [E] [K]

né le 02 Mai 1990 à [Localité 1] (ALGERIE)

de nationalité Algérienne

 

Comparant en visioconférence depuis le centre de rétention administrative de [Localité 2] en application des dispositions de la loi n°2024-42 du 26 janvier 2024.

Assisté de Maître Maeva LAURENS, avocate au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, avocate choisie.

INTIMÉ

Monsieur LE PRÉFET DES BOUCHES-DU-RHÔNE

domicilié Direction des Migrations, de l’Intégration et de la Nationalité

[Adresse 3]

Non comparant,

MINISTÈRE PUBLIC

Avisé, non représenté

******

DÉBATS

L’affaire a été débattue en audience publique le 31 Décembre 2024 devant Monsieur Guillaume KATAWANDJA, Conseiller à la cour d’appel délégué par le premier président par ordonnance, assisté de Monsieur Nicolas FAVARD, Greffier,

ORDONNANCE

Réputée contradictoire,

Prononcée par mise à disposition au greffe le 31 Décembre 2024 à 13h20,

Signée par Monsieur Guillaume KATAWANDJA, Conseiller, et Monsieur Nicolas FAVARD, Greffier,

PROCÉDURE ET MOYENS

Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) ;

Vu l’arrêté portant obligation de quitter le territoire français pris le 22 septembre 2022 par le préfet des Bouches-du-Rhône, notifié à Monsieur [E] [K] le 23 septembre 2022 à 11h48;

Vu la décision de placement en rétention prise le 23 décembre 2024 par le préfet des Bouches-du-Rhône, notifiée à Monsieur [E] [K] le 24 décembre 2024 à 9h10 ;

Vu l’ordonnance du 28 Décembre 2024 rendue par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Marseille désigné pour le contrôle des mesures d’éloignement et de rétention décidant le maintien de Monsieur [E] [K] dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire pour une durée maximale de 26 jours ;

Vu l’appel interjeté le 30 Décembre 2024 à 7h47 par Me Maëva LAURENS, avocate de Monsieur [E] [K] ;

Monsieur [E] [K] a comparu et a été entendu en ses explications. Il déclare: ‘J’ai une adresse en France chez la famille dehors. 14e juste là chez la famille [D]. J’ai déjà eu une obligation de quitter le territoire de 2 ans. J’ai jamais eu d’assignation à résidence.’

Son avocate a été régulièrement entendue. Elle invoque l’irrecevabilité de la requête préfectorale en prolongation de la rétention. Elle soutient à ce titre que la requête est insuffisamment motivée, en ce qu’elle précise que l’étranger n’a pas respecté une précédente mesure d’éloignement du 16 juillet 2021, assertion apparaissant en contradiction avec les pièces de la procédure qui révèlent que l’intéressé s’est rendu en Suisse où il a déposé une demande d’asile et a donc bénéficié d’un droit au séjour temporaire. Elle fait valoir également que les pièces établissant la réalité des diligences accomplies par l’administration, pièces justicatives utiles, ne sont pas jointes à la requête préfectorale. Elle précise que M. [K] a exposé être réadmissible en Suisse lors de son audition préalable au placement en rétention et que la requête préfectorale mentionne une réponse des autorités suisses non jointes à la procédure.

Le préfet des Bouches-du-Rhône n’était ni présent, ni représenté, bien que régulièrement convoqué.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) Sur la recevabilité de l’appel

Aux termes des dispositions de l’article R743-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), ‘L’ordonnance du magistrat du siège du tribunal judiciaire est susceptible d’appel devant le premier président de la cour d’appel, dans les vingt-quatre heures de son prononcé, par l’étranger, le préfet de département et, à Paris, le préfet de police. Lorsque l’étranger n’assiste pas à l’audience, le délai court pour ce dernier à compter de la notification qui lui est faite. Le délai ainsi prévu est calculé et prorogé conformément aux articles 640 et 642 du code de procédure civile.

Le ministère public peut interjeter appel de cette ordonnance selon les mêmes modalités lorsqu’il ne sollicite pas la suspension provisoire.’

Selon les dispositions de l’article R743-11 alinéa 1 du CESEDA, ‘A peine d’irrecevabilité, la déclaration d’appel est motivée. Elle est transmise par tout moyen au greffe de la cour d’appel qui l’enregistre avec mention de la date et de l’heure.’

L’ordonnance querellée a été rendue le samedi 28 décembre 2024 à 10h56 et notifiée à M. [K] aux mêmes date et heure. Ce dernier a interjeté appel le lundi 30 décembre 2024 à 7h47 en adressant au greffe de la cour, par l’intermédiaire de son avocate, une déclaration d’appel motivée. Son recours sera donc déclaré recevable.

2) Sur les moyens tirés de l’irrecevabilité de la requête préfectorale en prolongation de la rétention

a) Sur l’insuffisance de motivation de la requête préfectorale

Aux termes de l’article R742-1 du CESEDA, ‘Le magistrat du siège du tribunal judiciaire est saisi aux fins de prolongation de la rétention par simple requête de l’autorité administrative, dans les conditions prévues au chapitre III, avant l’expiration, selon le cas, de la période de quatre jours mentionnée à l’article L. 742-1 ou de la période de prolongation ordonnée en application des articles L. 742-4, L. 742-5, L. 742-6 ou L. 742-7.

La requête est adressée par tout moyen au greffe du tribunal compétent conformément aux dispositions de l’article R. 743-1.’

Selon les dispositions de l’article R743-2 alinéas 1 et 2 du CESEDA, ‘A peine d’irrecevabilité, la requête est motivée, datée et signée, selon le cas, par l’étranger ou son représentant ou par l’autorité administrative qui a ordonné le placement en rétention.

Lorsque la requête est formée par l’autorité administrative, elle est accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, notamment une copie du registre prévu à l’article L. 744-2.’

En l’espèce, la requête préfectorale du 27 décembre 2024 est motivée au regard de deux éléments, l’absence de garanties de représentation de l’étranger et la menace à l’ordre public qu’il représente, outre l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement dans le délai de 96 heures. S’agissant du premier point, le préfet souligne que les déclarations de M. [K] selon lesquelles il détient les nationalités suisse et algérienne sont infirmées par une réponse des autorités suisses relatant notamment l’émission de mandats à l’encontre de l’intéressé. Il ajoute également que l’intéressé ne dispose pas d’un passeport en cours de validité, ni d’un logement effectif et stable mais aussi qu’il s’est soustrait à une mesure d’éloignement prononcée à son encontre le 16 juillet 2021. S’agissant du second point, l’autorité préfectorale expose que M. [K] a été condamné le 22 novembre 2024 par le tribunal correctionnel de Marseille, notamment pour des faits de vol avec violence ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours.

Ces considérations constituent une motivation au sens de l’article R743-2 du CESEDA.

Le moyen sera donc rejeté.

b) Sur l’absence de pièces justificatives utiles

Il importe de rappeler que le législateur ne donne pas de définition des pièces justificatives utiles. Il est toutefois considéré qu’il s’agit des pièces nécessaires à l’appréciation par le juge des libertés et de la détention des éléments de fait et de droit dont l’examen lui permet d’exercer pleinement ses pouvoirs. Les dispositions légales sanctionnent le défaut de dépôt d’une pièce justificative concomitamment à la requête préfectorale en prolongation par l’irrecevabilité de la demande. Par ailleurs, il ne peut être suppléé à l’absence du dépôt des pièces justificatives utiles par leur seule communication à l’audience, sauf s’il est justifié de l’impossibilité de joindre les pièces à la requête (Cass. 1ère Civ 6 juin 2012, pourvoi n°11-30.185, Cass.1ère Civ 13 février 2019, pourvoi n°18-11.655).

Si la requête du préfet fait état d’une réponse des autorités suisses lui ayant été adressée selon laquelle M. [K] n’est pas ressortissant suisse et ne dispose pas d’un titre de séjour en Suisse, sans qu’un écrit comportant de telles informations ne soit joint à la requête, un tel document ne saurait être considéré comme une pièce justificative utile. En effet, M. [K] a clairement indiqué devant le premier juge ne pas être de nationalité suisse. En outre, dans un courrier du 13 décembre 2024, les autorités suisses ont indiqué au préfet des Bouches-du-Rhône ne pas pouvoir donner suite à sa demande de reprise en charge à la suite de la demande d’asile déposée par l’intéressé le 8 novembre 2021, ce dernier ayant quitté leur pays sans information vers le 27 janvier 2022, courrier dont il se déduit que l’appelant ne dispose pas d’un titre de séjour en Suisse.

Ainsi, comme l’a justement relevé le premier juge, toutes les pièces justificatives utiles sont jointes à la requête préfectorale en prolongation de la rétention, notamment la mesure d’éloignement du 22 septembre 2022, l’arrêté portant obligation de quitter le territoire du 16 juillet 2021, l’arrêté de placement en rétention, la consultation de la borne EURODAC, la demande de reprise en charge adressée aux autorités suisses et la réponse de ces mêmes autorités à cette demande.

Le moyen sera donc rejeté et la requête préfectorale sera déclarée recevable.

Aussi, les diligences de l’administration n’étant pas critiquées, l’ordonnance du premier juge sera confirmée.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par décision réputée contradictoire en dernier ressort, après débats en audience publique,

Déclarons recevable l’appel formé par Monsieur [E] [K],

Confirmons l’ordonnance du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Marseille désigné pour le contrôle des mesures d’éloignement et de rétention en date du 28 Décembre 2024,

Les parties sont avisées qu’elles peuvent se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation, signé par un avocat au conseil d’Etat ou de la Cour de cassation.

Le greffier Le président

Reçu et pris connaissance le :

Monsieur [E] [K]


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