Prolongation de la rétention administrative : enjeux de la légalité et de l’urgence dans le cadre du droit des étrangers.

·

·

Prolongation de la rétention administrative : enjeux de la légalité et de l’urgence dans le cadre du droit des étrangers.

L’Essentiel : Le 18 octobre 2024, M. [P] [Y] a été placé en rétention administrative. Cette mesure a été prolongée par le juge des libertés les 22 octobre, 17 novembre et 17 décembre 2024. Le 31 décembre, le préfet a demandé une prolongation exceptionnelle de quinze jours, accordée par le juge le 1er janvier 2025. M. [P] [Y] a interjeté appel le 2 janvier, arguant qu’il ne représentait pas une menace pour l’ordre public. Lors de l’audience du 3 janvier, le juge a examiné les conditions de rétention et a finalement confirmé l’ordonnance, considérant que M. [P] [Y] avait fait preuve d’obstruction à son éloignement.

Placement en rétention

Le 18 octobre 2024, l’autorité administrative a décidé de placer M. [P] [Y] en rétention dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire. Cette mesure a été mise en œuvre à partir de la même date.

Prolongations de la rétention

Le juge des libertés et de la détention a prolongé la rétention administrative de M. [P] [Y] par ordonnances successives les 22 octobre, 17 novembre et 17 décembre 2024, pour des durées de vingt-six, trente et quinze jours respectivement.

Demande de prolongation exceptionnelle

Le 31 décembre 2024, le préfet de la Savoie a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon pour demander une prolongation exceptionnelle de la rétention de M. [P] [Y] pour une durée de quinze jours.

Ordonnance du juge

Le 1er janvier 2025, le juge des libertés et de la détention a accordé la demande de prolongation, rendant ainsi une ordonnance en faveur de la rétention de M. [P] [Y].

Appel de M. [P] [Y]

M. [P] [Y] a interjeté appel de cette ordonnance le 2 janvier 2025, arguant que les critères du CESEDA n’étaient pas remplis et qu’il ne représentait pas une menace pour l’ordre public. Il a demandé l’infirmation de l’ordonnance et sa remise en liberté.

Audience d’appel

Les parties ont été convoquées à l’audience du 3 janvier 2025, où M. [P] [Y] a comparu avec un interprète et son avocat. Le conseil de M. [P] [Y] a plaidé en faveur de la requête d’appel, tandis que le préfet a demandé la confirmation de l’ordonnance.

Recevabilité de l’appel

L’appel de M. [P] [Y] a été déclaré recevable, conformément aux dispositions légales du CESEDA.

Analyse du bien-fondé

Le juge a examiné les conditions de rétention, rappelant que celle-ci ne peut être maintenue que le temps strictement nécessaire à l’éloignement. Les arguments du conseil de M. [P] [Y] ont été pris en compte, notamment l’absence d’obstruction à l’éloignement.

Arguments de l’autorité administrative

L’autorité administrative a soutenu que M. [P] [Y] représentait une menace pour l’ordre public, citant des antécédents criminels en France et à l’étranger, ainsi que des complications dans l’obtention de documents de voyage.

Conclusion du juge

Le juge a confirmé l’ordonnance de prolongation de la rétention, considérant que les éléments présentés justifiaient la décision et que M. [P] [Y] avait fait preuve d’obstruction à son éloignement.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la recevabilité de l’appel de M. [P] [Y] ?

L’appel de M. [P] [Y] est déclaré recevable conformément aux dispositions des articles L. 743-21, R. 743-10 et R. 743-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

Ces articles précisent les conditions de forme et de délai pour interjeter appel d’une décision relative à la rétention administrative.

L’article L. 743-21 stipule que « l’étranger peut faire appel de la décision du juge des libertés et de la détention dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision. »

De plus, les articles R. 743-10 et R. 743-11 détaillent les modalités de cette procédure, garantissant ainsi le droit à un recours effectif.

Ainsi, l’appel a été effectué dans les formes et délais légaux, ce qui le rend recevable.

Quels sont les critères pour prolonger la rétention administrative selon le CESEDA ?

L’article L. 741-3 du CESEDA précise que « un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que le temps strictement nécessaire à son départ et que l’administration doit exercer toute diligence à cet effet. »

En ce qui concerne la prolongation de la rétention, l’article L. 742-5 énonce que « à titre exceptionnel, le juge des libertés et de la détention peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours : »

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

Quels arguments M. [P] [Y] a-t-il avancés pour contester la prolongation de sa rétention ?

M. [P] [Y] a contesté la prolongation de sa rétention en faisant valoir que « aucun des critères définis par le CESEDA n’est réuni. »

Il a soutenu qu’il n’a pas fait obstruction à son éloignement, qu’il ne représente pas une menace pour l’ordre public et que l’autorité administrative n’établit pas la délivrance à bref délai d’un document de voyage.

Il a également affirmé que sa situation ne répondait pas aux conditions de la quatrième prolongation, en se basant sur l’absence d’obstruction de sa part.

Ces arguments s’opposent aux éléments avancés par l’autorité administrative, qui a mis en avant des antécédents judiciaires et des comportements jugés menaçants pour l’ordre public.

Quelles sont les justifications apportées par l’autorité administrative pour maintenir la rétention de M. [P] [Y] ?

L’autorité administrative a justifié la prolongation de la rétention de M. [P] [Y] par plusieurs éléments :

– La décision du 5 septembre 2024 imposant une obligation de quitter le territoire français sans délai, assortie d’une interdiction de retour pour une durée de douze mois.

– Des antécédents judiciaires, notamment des infractions à la législation sur les stupéfiants et des faits de violence, établis par la comparaison des empreintes digitales.

– Un comportement défavorable connu des autorités belges, italiennes et allemandes, incluant des infractions variées telles que la rébellion, le vol et le trafic de stupéfiants.

– L’attente d’une réponse des autorités tunisiennes concernant l’identité de M. [P] [Y], qui a été signalé comme tunisien.

Ces éléments, selon l’autorité, justifient la nécessité de maintenir la rétention en raison de la menace potentielle pour l’ordre public et des perspectives d’éloignement raisonnables à bref délai.

N° RG 25/00010 – N° Portalis DBVX-V-B7J-QC7O

Nom du ressortissant :

[P] [Y]

[Y]

C/

PREFET DE LA SAVOIE

COUR D’APPEL DE LYON

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 03 JANVIER 2025

statuant en matière de Rétentions Administratives des Etrangers

Nous, Emmanuelle SCHOLL, conseiller à la cour d’appel de Lyon, déléguée par ordonnance de madame la première présidente de ladite Cour en date du 16 décembre 2024 pour statuer sur les procédures ouvertes en application des articles L.342-7, L. 342-12, L. 743-11 et L. 743-21 du code d’entrée et de séjour des étrangers en France et du droit d’asile,

Assistée de Rima AL TAJAR, greffier,

En l’absence du ministère public,

En audience publique du 03 Janvier 2025 dans la procédure suivie entre :

APPELANT :

M. [P] [Y]

né le 15 Octobre 2024 à [Localité 3]

de nationalité Tunisienne

Actuellement retenu au CENTRE DE RÉTENTION ADMINISTRATIVE [Localité 1] [2]

comparant assisté de Maître Abbas JABER, avocat au barreau de LYON, commis d’office et avec le concours de Madame [L] [N], interprète en langue Arabe, inscrite sur la liste des experts près la Cour d’appel de LYON

ET

INTIME :

M. LE PREFET DE LA SAVOIE

Ayant pour avocat Maître Dan IRIRIRA NGANDA, avocat au barreau de LYON substituant Me Jean-Paul TOMASI, avocat au barreau de LYON,

Avons mis l’affaire en délibéré au 03 Janvier 2025 à 16h00 assistée par Elsa SANCHEZ, Greffier lors du prononcé et à cette date et heure prononcé l’ordonnance dont la teneur suit:

FAITS ET PROCÉDURE

Par décision du 18 octobre 2024, l’autorité administrative a ordonné le placement de M. [P] [Y] en rétention dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire à compter du 18 octobre 2024.

Par ordonnances des 22 octobre 2024, 17 novembre 2024 et 17 décembre 2024, le juge des libertés et de la détention a prolongé la rétention administrative de M. [P] [Y] pour des durées successives de vingt-six, trente et quinze jours.

Suivant requête du 31 décembre 2024, le préfet de la Savoie a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon aux fins de voir ordonner une dernière prolongation exceptionnelle de la rétention pour une durée de quinze jours.

Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon, dans son ordonnance du 1er janvier 2025 à 12h27 a fait droit à cette requête.

M. [P] [Y] a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration au greffe le 2 janvier 2025 à 11 heures 09 en faisant valoir qu’aucun des critères définis par le CESEDA n’est réuni et que la troisième prolongation de sa rétention administrative est impossible en ce qu’il n’a pas fait obstruction à son éloignement, qu’il ne représente pas une menace pour l’ordre public et que l’autorité administrative n’établit pas la délivrance à bref délai d’un document de voyage.

M. [P] [Y] a demandé l’infirmation de l’ordonnance déférée et sa remise en liberté.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du 3 janvier 2025 à 10 heures 30.

M. [P] [Y] a comparu et a été assisté d’un interprète et de son avocat.

Le conseil de M. [P] [Y] a été entendu en sa plaidoirie pour soutenir les termes de la requête d’appel.

Le préfet de la Savoie, représenté par son conseil, a demandé la confirmation de l’ordonnance déférée.

M. [P] [Y] a eu la parole en dernier.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de l’appel

Attendu que l’appel de M. [P] [Y] relevé dans les formes et délais légaux prévus par les dispositions des articles L. 743-21, R. 743-10 et R. 743-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) est déclaré recevable ; 

Sur le bien-fondé de la requête

Attendu que l’article L. 741-3 du CESEDA rappelle qu’un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que le temps strictement nécessaire à son départ et que l’administration doit exercer toute diligence à cet effet ;

Attendu que l’article L. 742-5 du même code dispose que «A titre exceptionnel, le juge des libertés et de la détention peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

(…)

Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours.» 

Attendu que le conseil de M. [P] [Y] soutient que les conditions de ce texte ne sont pas réunies en ce que sa situation ne répond aux conditions de la quatrième prolongation ;

Attendu que l’autorité administrative fait valoir dans sa requête que :

– la décision du 5 septembre 2024 porte obligation de quitter le territoire français sans délai assortie d’une interdiction de retour pour une durée de douze mois

– il représente une menace pour l’ordre public dans la mesure où la comparaison des empreintes digitales avec le fichier automatisé des empreintes a permis d’établir qu’il a été signalé le 3 septembre 2024 sous l’identité de [S] [Y] pour des infractions à la législations sur les stupéfiants, et le 22 juin 2024 sous l’identité de [W] [U] [S] pour des faits de violences sur une personne chargée de mission de service public sans incapacité

– il est défavorablement connu des autorités belges, italiennes et allemandes (rébellion, vol et stupéfiants en Belgique, séjour irrégulier, vol aggravé, trafic de stupéfiants,résistance à un agent public, déclaration mensongère à un agent public, agression causant des lésions corporelles et recel de biens volés en Italie, et séjour irrégulier en Allemagne)

– que M. [Y] s’étant dit tunisien, les autorités tunisiennes ont été saisies dés le 18 octobre 2024 et qu’en l’absence de production d’une copie de meilleure qualité du passeport, les autorités tunisiennes restaient en attente du retour de l’enquête sur la base des empreintes digitales

– qu’un nouveau routing est prévu le 8 janvier prochain

Que ces éléments sont justifiés par les différentes pièces; que dans la mesure où les autorités consulaires ont reconnu M. [Y] une première fois et sont en attente du retour des empreintes (transmises le 28 octobre 2024), les perspectives d’éloignement sont raisonnables à bref délai; que les autorités ont été relancées;

Que surabondamment, M. [Y] a reconnu à l’audience ne pas vouloir renter en Tunisie et que c’est la raison pour laquelle sa famille ne transmettra pas le passeport ou une meilleure copie du passeport; qu’est ainsi caractérisée l’obstruction, s’agissant d’une action concertée avec sa famille;

Qu’en conséquence, l’ordonnance entreprise est confirmée ;

PAR CES MOTIFS

Déclarons recevable l’appel formé par M. [P] [Y],

Confirmons l’ordonnance déférée.

Le greffier, Le conseiller délégué,

Elsa SANCHEZ Emmanuelle SCHOLL


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon