Prolongation de la rétention administrative : conditions et enjeux de l’ordre public.

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Prolongation de la rétention administrative : conditions et enjeux de l’ordre public.

L’Essentiel : Monsieur [L] [M], de nationalité tunisienne, a été placé en rétention administrative par le Préfet d’Ille-et-Vilaine en raison d’une obligation de quitter le territoire français. Sa rétention a été prolongée à plusieurs reprises par le tribunal judiciaire de Rennes, en raison de menaces à l’ordre public liées à ses antécédents judiciaires. Le 13 janvier 2025, il a formé appel, contestant la légitimité de cette prolongation. Le tribunal a jugé l’appel recevable et a confirmé la décision de prolongation, considérant que les conditions étaient remplies pour justifier cette mesure. La possibilité d’un pourvoi en cassation a été évoquée.

Contexte de l’affaire

Monsieur [L] [M], de nationalité tunisienne, a été placé en rétention administrative par le Préfet d’Ille-et-Vilaine en raison d’une obligation de quitter le territoire français. Cette décision a été notifiée le 3 juin 2024, suivie d’une assignation à résidence. En novembre 2024, il a été placé en rétention pour une durée initiale de quatre jours, en raison de son statut d’étranger sans domicile en France et de son comportement jugé menaçant pour l’ordre public.

Prolongations de la rétention

La rétention de Monsieur [L] [M] a été prolongée à plusieurs reprises par le tribunal judiciaire de Rennes. Après un premier rejet de son recours en annulation, le magistrat a ordonné des prolongations successives, d’abord de 26 jours, puis de 30 jours, et enfin de 15 jours, en raison de la nécessité de préparer son éloignement et des éléments de menace à l’ordre public liés à ses antécédents judiciaires.

Appel de la décision

Le 13 janvier 2025, Monsieur [L] [M] a formé appel de l’ordonnance du 12 janvier 2025, contestant la légitimité de la prolongation de sa rétention. Il a soutenu que le Préfet n’avait pas respecté son obligation de diligence et que les conditions pour une nouvelle prolongation n’étaient pas réunies, arguant qu’il n’avait pas fait obstruction à l’éloignement.

Arguments des parties

Le procureur général a recommandé la confirmation de la décision de prolongation, tandis que l’avocat de Monsieur [L] [M] a contesté la recevabilité de la requête en raison de l’absence de pièces justificatives. De son côté, le représentant de la Préfecture a souligné que le comportement de l’intéressé représentait une menace pour l’ordre public, citant des antécédents de conduite dangereuse.

Décision du tribunal

Le tribunal a jugé que l’appel était recevable et a confirmé l’ordonnance de prolongation de la rétention. Il a estimé que les conditions pour une nouvelle prolongation étaient remplies, notamment en raison de la menace à l’ordre public représentée par Monsieur [L] [M]. La décision a également rejeté la demande d’aide juridictionnelle formulée par l’intéressé.

Conclusion

La prolongation de la rétention administrative de Monsieur [L] [M] a été validée par le tribunal, qui a considéré que les éléments présentés justifiaient cette mesure. La décision a été notifiée aux parties concernées, avec la possibilité d’un pourvoi en cassation dans les deux mois suivant la notification.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de prolongation de la rétention administrative selon le CESEDA ?

La prolongation de la rétention administrative est régie par plusieurs articles du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

Selon l’article L.742-5, le juge des libertés et de la détention peut être saisi pour prolonger le maintien en rétention au-delà de la durée maximale prévue, dans certaines situations :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté une demande de protection contre l’éloignement ou une demande d’asile dans le but de faire échec à la décision d’éloignement ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat, et il est établi que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

Il est important de noter que si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Ainsi, pour qu’une prolongation soit justifiée, il faut que l’une des conditions énoncées soit remplie, ce qui a été examiné dans le cas de Monsieur [L] [M].

Quelles sont les obligations de l’administration en matière de diligence pour l’éloignement ?

L’article L741-3 du CESEDA stipule qu’un étranger ne peut être placé en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, et l’administration doit exercer toute diligence à cet effet.

Cette diligence doit être justifiée dès le placement en rétention et, en toute hypothèse, dès le premier jour ouvrable suivant cette mesure.

De plus, l’article 15 §1 de la Directive 2008/115/CE précise que les États membres peuvent uniquement placer en rétention un ressortissant d’un pays tiers si cela est nécessaire pour préparer le retour et/ou procéder à l’éloignement.

L’article 15 §4 de cette directive indique que si aucune perspective raisonnable d’éloignement n’existe, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée doit être immédiatement remise en liberté.

Dans le cas de Monsieur [L] [M], le Préfet a justifié avoir sollicité les autorités consulaires de Tunisie pour obtenir un laissez-passer consulaire, et a fourni des preuves de ses relances.

Ainsi, le processus d’identification et d’éloignement était en cours, ce qui a été jugé suffisant pour établir des perspectives d’éloignement.

Quels sont les droits de l’étranger en rétention administrative ?

L’article L.743-9 du CESEDA précise que le magistrat du siège du tribunal judiciaire, saisi aux fins de prolongation de la rétention, doit rappeler à l’étranger les droits qui lui sont reconnus.

Il doit également s’assurer que l’étranger a été informé de ses droits dans les meilleurs délais suivant la notification de la décision de placement en rétention.

Le juge doit tenir compte des circonstances particulières, notamment le placement en rétention simultané d’un nombre important d’étrangers, pour apprécier les délais relatifs à la notification de la décision et à l’information des droits.

L’article R 743-2 du CESEDA impose que la requête en prolongation soit accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, notamment une copie du registre prévu à l’article L. 744-2, qui mentionne l’état civil des personnes retenues et les conditions de leur placement.

Ces dispositions garantissent que l’étranger puisse faire valoir ses droits tout au long de la procédure de rétention administrative.

Quelles sont les conséquences d’une absence de perspectives d’éloignement ?

L’article 15 §4 de la Directive 2008/115/CE stipule que lorsque les conditions pour la rétention ne sont plus réunies, notamment en l’absence de perspectives raisonnables d’éloignement, la rétention ne se justifie plus et la personne doit être remise en liberté.

La jurisprudence a également précisé que seule une réelle perspective d’éloignement, qui peut être menée à bien dans un délai raisonnable, correspond à une perspective raisonnable d’éloignement.

Dans le cas de Monsieur [L] [M], bien que les autorités consulaires n’aient pas encore délivré les documents de voyage, le processus d’identification était en cours, ce qui a été jugé suffisant pour établir des perspectives d’éloignement.

Ainsi, l’absence de délivrance immédiate des documents de voyage ne constitue pas, à elle seule, un motif pour annuler la prolongation de la rétention administrative.

Quels sont les critères pour établir une menace à l’ordre public ?

L’article L.742-5 du CESEDA permet au juge d’être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

Dans le cas de Monsieur [L] [M], le Préfet a invoqué des antécédents judiciaires, notamment une condamnation pour mise en danger d’autrui par conduite de véhicule, comme justifiant une menace pour l’ordre public.

Le Préfet a également mentionné que l’intéressé avait été interpellé en possession de produits stupéfiants et qu’il avait violé une assignation à résidence.

Ces éléments ont été jugés suffisants pour établir que la présence de Monsieur [L] [M] sur le sol français représentait une menace pour l’ordre public, justifiant ainsi la prolongation de sa rétention administrative.

En conclusion, la décision de prolongation de la rétention a été confirmée, car les critères légaux étaient remplis et les droits de l’étranger avaient été respectés tout au long de la procédure.

COUR D’APPEL DE RENNES

N° 25/13

N° RG 25/00024 – N° Portalis DBVL-V-B7J-VRK3

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

O R D O N N A N C E

articles L 741-10 et suivants du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

Nous, Sébastien PLANTADE, conseiller à la cour d’appel de RENNES, délégué par ordonnance du premier président pour statuer sur les recours fondés sur les articles L.741-10 et suivants du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, assisté de Eric LOISELEUR, greffier placé,

Statuant sur l’appel formé le 13 Janvier 2025 à 14h34 par la CIMADE pour :

M. [L] [M]

né le 23 Juin 1995 à [Localité 3] (TUNISIE)

de nationalité Tunisienne

ayant pour avocat Me Constance FLECK, avocat au barreau de RENNES

d’une ordonnance rendue le 12 Janvier 2025 à 17h05 notifiée à 17h34 par le magistrat en charge des rétentions administratives du Tribunal judiciaire de RENNES qui a et ordonné la prolongation du maintien de M. [L] [M] dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire pour une durée maximale de quinze jours à compter du 12 Janvier 2025 à 24h00;

En l’absence de représentant de la PREFECTURE D’ILLE ET VILAINE, dûment convoqué, ayant adressé des observations le 14 Janvier 2025, lesquelles ont été mises à disposition des parties,

En l’absence du procureur général régulièrement avisé, Monsieur FICHOT, avocat général, ayant fait connaître son avis par écrit déposé le 13 Janvier 2025 lequel a été mis à disposition des parties.

En présence de [L] [M], assisté de Me Constance FLECK, avocat,

Après avoir entendu en audience publique le 14 Janvier 2025 à 10H00 l’appelant assisté de M. [W] [R], interprète en langue arabe, ayant préalablement prêté serment et son avocat en leurs observations,

Avons mis l’affaire en délibéré et ce jour, avons statué comme suit :

Monsieur [L] [M] a fait l’objet d’un arrêté du Préfet d’Ille-et-Vilaine en date du 03 juin 2024, notifié le 04 juin 2024, portant obligation d’avoir à quitter le territoire français sans délai.

Le 13 novembre 2024, Monsieur [L] [M] s’est vu notifier par le Préfet d’Ille-et-Vilaine une décision de placement en rétention administrative, au centre de rétention administrative (CRA) de [Localité 2] pour une durée de quatre jours. A l’appui de sa décision, le Préfet a retenu que faisant l’objet d’une obligation de quitter sans délai le territoire français par arrêté préfectoral du 03 juin 2024, ayant fait l’objet d’une décision portant assignation à résidence par arrêté notifié le 04 juin 2024, Monsieur [L] [M] déclarait être célibataire, sans enfant à charge, indiquait avoir de la famille en Tunisie et non en France, ne démontrant pas avoir noué en France des liens dont l’intensité serait exclusive de tous autres qu’il conservait dans son pays d’origine, de sorte que la mesure opposée ne portait pas une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale au sens des dispositions de l’article 8 de la convention européenne de sauvegardes des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tandis que l’intéressé ne faisait état d’aucun problème de santé, ne produisait aucun élément de nature à considérer que son éloignement du territoire portât une atteinte grave à sa santé et n’invoquait aucun élément de nature à établir une vulnérabilité ou un handicap quelconque qui fissent obstacle à un placement en rétention. Il a été ajouté que l’intéressé était dépourvu de tout document d’identité ou de voyage valide, ne justifiait d’aucun domicile en France, ayant déclaré être hébergé par un ami depuis deux jours sans en attester, qu’il avait déclaré refuser de retourner dans son pays d’origine, qu’il n’avait pas déféré à la mesure d’éloignement notifiée le 04 juin 2024, était connu pour plusieurs faits délictueux, notamment des délits routiers commis entre 2023 et 2024, avait de nouveau été placé en garde à vue pour des délits routiers, de sorte que la multiplicité des faits et leur fréquence étaient constitutifs d’un comportement représentant une menace à l’ordre public. Le Préfet en avait conclu que Monsieur [L] [M] ne présentait pas de garanties de représentation effectives suffisantes propres à prévenir le risque de fuite.

Par requête du 14 novembre 2024, Monsieur [L] [M] a contesté l’arrêté de placement en rétention administrative. Par requête motivée en date du 16 novembre 2024, reçue le 17 novembre 2024 à 18h 09 au greffe du tribunal judiciaire de Rennes, le représentant du préfet d’Ille-et-Vilaine a saisi le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rennes d’une demande de prolongation pour une durée de 26 jours de la rétention administrative de Monsieur [L] [M].

Par ordonnance rendue le 18 novembre 2024, le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rennes a rejeté le recours en annulation de l’arrêté de placement en rétention administrative et ordonné la prolongation du maintien de Monsieur [L] [M] en rétention dans les locaux non pénitentiaires pour un délai maximum de 26 jours. Cette décision a été confirmée par la Cour d’Appel de Rennes le 20 novembre 2024.

Par requête motivée en date du 12 décembre 2024, reçue le 12 décembre 2024 à 14 h 32 au greffe du tribunal de Rennes, le représentant du préfet d’Ille-et-Vilaine a saisi le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rennes d’une nouvelle demande de prolongation pour une durée de 30 jours de la rétention administrative de Monsieur [L] [M].

Par ordonnance rendue le 13 décembre 2024, le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rennes a ordonné la prolongation du maintien de Monsieur [L] [M] en rétention dans les locaux non pénitentiaires pour un délai maximum de 30 jours.

Par requête motivée en date du 11 décembre 2024, reçue le 11 janvier 2025 à 16h 29 au greffe du tribunal judiciaire de Rennes, le représentant du Préfet d’Ille-et-Vilaine a saisi le tribunal judiciaire de Rennes d’une demande de prolongation pour une durée de 15 jours de la rétention administrative de Monsieur [L] [M].

Par ordonnance rendue le 12 janvier 2025, le magistrat du siège du Tribunal judiciaire de Rennes a ordonné la prolongation du maintien de Monsieur [L] [M] en rétention dans les locaux non pénitentiaires pour un délai maximum de 15 jours.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour d’Appel de Rennes le 13 janvier 2025 à 14h 34, Monsieur [L] [M] a formé appel de cette ordonnance.

L’appelant fait valoir, au soutien de sa demande d’infirmation de la décision entreprise, que le Préfet a failli dans on obligation de diligence et que les conditions propres à une troisième prolongation de la rétention administrative n’étaient pas réunies, faute d’obstruction de sa part et en l’absence de réponse depuis deux mois des autorités consulaires saisies, ajoutant que son comportement ne pouvait constituer une menace à l’ordre public, s’agissant que d’une seule condamnation à une peine d’emprisonnement avec sursis.

Le procureur général, suivant avis écrit du 13 janvier 2025, sollicite la confirmation de la décision entreprise.

Comparant à l’audience, Monsieur [L] [M] indique souhaiter retrouver sa liberté, être pour la première fois au centre de rétention, ce qui le bloque dans sa demande de renouvellement de son titre de séjour, ne pas avoir d’antécédents judiciaires, être fatigué, avoir des allergies, des rendez-vous médicaux et déclare disposer d’un passeport valide qui se trouverait à [Localité 1]. Il précise qu’il travaillait régulièrement auparavant dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée. Son conseil soutient tout d’abord que le requête est irrecevable, faute de joindre la copie actualisée du registre portant la mention de la décision du juge de première instance du 12 janvier 2025, que le critère de la menace pour l’ordre public ne peut être établi faute de pièces jointes permettant d’apprécier la menace alléguée, alors que le condamnation visée n’est pas versée parmi les pièces d’autant plus que son client n’avait pas une conduite dangereuse, se trouvant sur une aire de stationnement, et ajoute qu’en l’état, il n’existe pas de perspectives raisonnables d’éloignement de l’intéressé à bref délai. Il est en outre formé une demande sur le fondement des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 sur l’aide juridictionnelle.

Le représentant de la Préfecture d’Ille-et-Vilaine, non comparant à l’audience, demande aux termes de son mémoire en réponse, confirmation de la décision entreprise, faisant observer que la menace à l’ordre public est caractérisée du fait de la condamnation du 13 novembre 2024, de l’interpellation de l’intéressé au mois de juin 2024 alors qu’il était en possession de produits stupéfiants et du non-respect d’une assignation à résidence, que les diligences consulaires sont en cours auprès des autorités tunisiennes saisies et que les perspectives d’éloignement existent.

SUR QUOI :

L’appel est recevable pour avoir été formé dans les formes et délais prescrits.

Sur le moyen tiré de l’irrecevabilité de la requête en prolongation de la rétention administrative

Aux termes de l’article L.743-9 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), « le magistrat du siège du tribunal judiciaire, saisi aux fins de prolongation de la rétention, rappelle à l’étranger les droits qui lui sont reconnus et s’assure, d’après les mentions figurant au registre prévu à l’article L. 744-2 émargé par l’intéressé, que celui-ci a été, dans les meilleurs délais suivant la notification de la décision de placement en rétention, pleinement informé de ses droits et placé en état de les faire valoir à compter de son arrivée au lieu de rétention. Le juge tient compte des circonstances particulières liées notamment au placement en rétention simultané d’un nombre important d’étrangers pour l’appréciation des délais relatifs à la notification de la décision, à l’information des droits et à leur prise d’effet ».

Selon l’article R 743-2 du CESEDA, « à peine d’irrecevabilité, la requête est motivée, datée et signée, selon le cas, par l’étranger ou son représentant ou par l’autorité administrative qui a ordonné le placement en rétention.

Lorsque la requête est formée par l’autorité administrative, elle est accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, notamment une copie du registre prévu à l’article L. 744-2.

Lorsque la requête est formée par l’étranger ou son représentant, la décision attaquée est produite par l’administration. Il en est de même, sur la demande du juge des libertés et de la détention, de la copie du registre. »

Il appartient au Juge Judiciaire, en application de l’article 66 de la Constitution, de contrôler par voie d’exception la chaîne des privations de liberté précédant la rétention administrative.

Exceptée la copie du registre, la Loi ne précise pas le contenu des pièces justificatives qui doivent comprendre les pièces nécessaires à l’appréciation par le juge judiciaire des éléments de fait et de droit permettant d’apprécier la régularité de la procédure servant de fondement à la rétention. Il résulte de ces dispositions que toute requête en prolongation de la rétention administrative d’un étranger doit, à peine d’irrecevabilité, être accompagnée d’une copie actualisée du registre permettant un contrôle de l’effectivité de l’exercice des droits reconnus à l’étranger au cours de la mesure de rétention (Civ. 1ère, 15 décembre 2021, arrêt n° 791 FS-D, pourvoi n° T 20-50.034).

Par ailleurs, selon les dispositions de l’article L 744-2 précité, il est tenu, dans tous les lieux de rétention, un registre mentionnant l’état civil des personnes retenues, ainsi que les conditions de leur placement ou de leur maintien en rétention. Le registre mentionne également l’état civil des enfants mineurs accompagnant ces personnes ainsi que les conditions de leur accueil.

L’autorité administrative tient à la disposition des personnes qui en font la demande les éléments d’information concernant les date et heure du début du placement de chaque étranger en rétention, le lieu exact de celle-ci ainsi que les date et heure des décisions de prolongation.

En l’espèce, il ressort de l’examen de la procédure que la requête du Préfet est bien accompagnée conformément à la loi de la copie actualisée du registre du centre de rétention administrative de [Localité 2] [4] dans lequel Monsieur [M] a été placé le 13 novembre 2024. Cette copie est bien actualisée en ce qu’elle vise l’identité revendiquée par l’intéressé, comporte les mentions utiles relatives aux droits de l’intéressé en rétention, comme exigé par l’article L.743-9 du CESEDA, ainsi que les décisions judiciaires et administratives rendues, et il ne saurait être fait grief à l’administration, de ce que la copie du registre ne comporte pas la mention relative à la décision attaquée du 12 janvier 2025, dans la mesure où cet événement ne pouvait intervenir avant la requête du Préfet et que cette mention ne peut être produite en cause d’appel puisqu’il n’y a pas de nouvelle requête du Préfet depuis la saisine en troisième prolongation de la rétention administrative.

Par conséquent, aucune pièce utile ne faisant défaut, il s’ensuit que la requête du Préfet est bien recevable et que le moyen d’irrecevabilité invoqué ne saurait par conséquent prospérer.

Sur le moyen tiré de l’insuffisance des diligences de la préfecture et de l’absence de perspectives raisonnables d’éloignement

Aux termes de l’article L741-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), un étranger ne peut être placé en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ et l’administration exerce toute diligence à cet effet. L’administration doit justifier de l’accomplissement des diligences réalisées en vue de la mise à exécution de la mesure d’éloignement. Par plusieurs arrêts en date du 9 juin 2010, la Cour de Cassation a imposé que l’administration justifie de l’accomplissement des diligences dès le placement en rétention et en toute hypothèse dès le premier jour ouvrable suivant cette mesure.

Aux termes de l’article 15 §1 de la Directive 2008/115/CE du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2008 dite Directive retour « qu’à moins que d’autres mesures suffisantes mais moins coercitives puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les Etats membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement ». L’article 15 §4 de cette même directive dispose que « lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté ».

Cette directive est d’application directe en droit français. Il ressort de l’arrêt rendu par la CJCE le 30 novembre 2009 que l’article 15 §4 précité doit être interprété en ce sens que seule une réelle perspective que l’éloignement puisse être mené à bien eu égard aux délais fixés aux paragraphes 5 et 6 correspond à une perspective raisonnable d’éloignement et que cette dernière n’existe pas lorsqu’il paraît peu probable que l’intéressé soit accueilli dans un pays tiers eu égard auxdits délais.

La position du Tribunal des Conflits (décision du 09 février 2015) est conforme à celle du Conseil Constitutionnel qui, dans sa décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018, publiée au Journal officiel du 10 septembre 2018, rappelle que « L’autorité judiciaire conserve la possibilité d’interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l’étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient ».

En l’espèce, le Préfet justifie avoir sollicité dès le 14 novembre 2024 les autorités consulaires de Tunisie, pays dont l’intéressé pourrait être ressortissant, aux fins de reconnaissance et de délivrance d’un laissez-passer consulaire, joignant plusieurs pièces justificatives. Le 22 novembre 2024, les autorités consulaires tunisiennes ont répondu que le dossier de l’intéressé avait été transmis aux autorités centrales aux fins d’identification. Relancées le 12 décembre 2024, les autorités consulaires ont répliqué le 18 décembre 2024 que le dossier était toujours en cours d’identification. Une nouvelle relance est intervenue le 08 janvier 2025.

Si les autorités consulaires de Tunisie, saisies aux fins d’identification de l’intéressé et de délivrance des documents de voyage n’ont pas encore délivré les documents de voyage demandés, il n’en demeure pas moins que le processus d’identification et d’éloignement est en cours eu égard aux réponses successives apportées par les autorités consulaires.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, il ne peut déjà être argué d’une absence de perspectives d’éloignement de l’étranger, dès lors que la réponse des autorités consulaires peut intervenir à tout moment et qu’il est rappelé que les Etats ont l’obligation d’accepter le retour de leurs ressortissants et doivent mettre en ‘uvre les moyens nécessaires pour leur rapatriement.

Ce moyen sera ainsi rejeté.

Sur le moyen tiré du non-respect des conditions pour demander une troisième prolongation de la rétention administrative

Selon les dispositions de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, issues de la Loi du 26 janvier 2024, à titre exceptionnel, le juge des libertés et de la détention peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparait dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement:

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours.

Il s’ensuit, à l’aune de la lecture des dispositions précitées qu’eu égard aux éléments de la procédure, les deux premiers cas prévus par ce texte ne sont pas remplis en l’espèce puisqu’il n’apparaît pas que Monsieur [M] ait, dans les quinze derniers jours, fait obstruction à l’exécution d’office de la mesure d’éloignement ou déposé une demande de protection contre l’éloignement ou une demande d’asile.

Le troisième cas permettant une troisième prolongation de la rétention administrative impose que l’administration, n’ayant pu obtenir la délivrance d’un document de voyage par le consulat, justifie que cette délivrance doit intervenir à bref délai. Or, il ressort des éléments de la procédure que les autorités consulaires tunisiennes n’ont pas encore communiqué leurs conclusions et qu’aucune pièce de la procédure ne vient établir, en l’état, une délivrance à bref délai des documents de voyage de la part du consulat dont relèverait le susnommé.

Toutefois, la Loi du 26 janvier 2024 prévoit désormais au titre des dispositions précitées que le juge puisse également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

Or, dans sa requête du 11 décembre 2024, reçue le 11 janvier 2025, motivée en fait et en droit, le Préfet d’Ille-et-Vilaine rappelle l’incarcération subie par l’intéressé en détention provisoire le 11 novembre 2024 suite à sa mise en cause pour des faits de mise en danger de la vie d’autrui par conduite de véhicule par violation manifestement délibérée d’obligation réglementaire de sécurité ou de prudence avec risque immédiat de mort ou d’infirmité, malgré une suspension administrative ou judiciaire du permis de conduire et la condamnation récente de ce dernier le 13 novembre 2024 par le Tribunal correctionnel de Rennes à une peine de 8 mois d’emprisonnement avec sursis, considérant que le comportement de l’intéressé représente une menace grave pour l’ordre public.

S’il est invoqué à nouveau l’absence de pièces utiles relatives aux antécédents judiciaires et un non-respect du principe du contradictoire, qui empêcheraient d’apprécier le caractère de menace à l’ordre public mis en avant par le Préfet, cet argument ne saurait utilement prospérer dès lors que le Préfet a motivé sa décision de placement en rétention administrative sur ce critère en s’appuyant sur des éléments objectifs rapportés par des pièces jointes à sa requête, s’agissant en particulier de la décision de condamnation rendue le 13 novembre 2024 par le Tribunal Correctionnel de Rennes à l’encontre de l’intéressé à une peine de 8 mois d’emprisonnement avec sursis, alors que Monsieur [M] était poursuivi pour des faits de mise en danger d’autrui avec risque immédiat de mort ou d’infirmité par violation manifestement délibérée d’obligation réglementaire de sécurité ou de prudence lors de la conduite d’un véhicule terrestre à moteur, conduite d’un véhicule à moteur malgré une suspension administrative ou judiciaire du permis de conduire, mais aussi des déclarations de l’intéressé dans son audition, faisant état d’une suspension du permis de conduire suite à des faits de conduite de véhicule sous l’empire d’un état alcoolique, dans le cadre manifeste d’une précédente procédure, de sorte que le Préfet a légitimement considéré qu’au regard de ces éléments et de cette condamnation, Monsieur [M] représentait par sa présence sur le sol français une menace pour l’ordre public, réelle et actuelle, pouvant ainsi justifier une décision de placement en rétention administrative et partant, une nouvelle prolongation de la rétention administrative au sens des dispositions de l’article L742-5 précité. Il ne saurait être reproché un défaut de communication de pièces dès lors que la procédure contient bien les pièces relatives à la condamnation visée du 13 novembre 2024.

Par conséquent, un des critères fixés à l’article susvisé pour permettre une troisième prolongation de la rétention étant bien satisfait, le moyen sera écarté.

En conséquence, c’est à bon droit que la requête entreprise a été accueillie par le premier juge et il y a lieu d’ordonner la prolongation de la rétention administrative de Monsieur [L] [M], à compter du 11 janvier 2025, pour une période d’un délai maximum de 15 jours dans des locaux non pénitentiaires.

La décision dont appel est donc confirmée.

La demande sur le fondement des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 sur l’aide juridictionnelle sera rejetée.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement,

Déclarons l’appel recevable,

Confirmons l’ordonnance du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rennes en date du 12 janvier 2025,

Rejetons la demande titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l’aide juridictionnelle,

Laissons les dépens à la charge du trésor public,

Fait à Rennes, le 14 Janvier 2025 à 12h00

LE GREFFIER, PAR DÉLÉGATION, LE CONSEILLER,

Notification de la présente ordonnance a été faite ce jour à [L] [M], à son avocat et au préfet

Le Greffier,

Cette ordonnance est susceptible d’un pourvoi en cassation dans les deux mois suivant la présente notification et dans les conditions fixées par les articles 973 et suivants du code de procédure civile.

Communication de la présente ordonnance a été faite ce même jour au procureur général.

Le Greffier


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