Prolongation de la rétention administrative : enjeux de la menace à l’ordre public et des obligations de l’administration.

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Prolongation de la rétention administrative : enjeux de la menace à l’ordre public et des obligations de l’administration.

L’Essentiel : M. [B] [L], ressortissant égyptien, a été soumis à un arrêté d’obligation de quitter le territoire français le 23 juillet 2024, suivi d’une rétention administrative le 14 octobre. Sa rétention a été prolongée à plusieurs reprises, avec des décisions du tribunal judiciaire de Rouen et de la cour d’appel. Cependant, le 30 décembre 2024, le juge a rejeté une quatrième prolongation, ordonnant sa mise en liberté, décision contestée par le procureur. Ce dernier a argué que M. [B] [L] représentait une menace pour l’ordre public, tandis que la défense a souligné les manquements administratifs. L’appel a été jugé recevable.

Identité et situation de M. [B] [L]

M. [B] [L], qui se présente comme ressortissant égyptien, a été soumis à un arrêté d’obligation de quitter le territoire français le 23 juillet 2024. Il a ensuite été placé en rétention administrative le 14 octobre 2024, avec notification le 16 octobre, à l’issue de sa levée d’écrou.

Prolongations de la rétention administrative

La rétention de M. [B] [L] a été prolongée à plusieurs reprises. Une première prolongation a été accordée par le juge du tribunal judiciaire de Rouen le 20 octobre 2024, suivie de confirmations par la cour d’appel de Rouen. Deux autres prolongations ont été autorisées les 15 novembre et 15 décembre 2024, chacune confirmée par la cour d’appel.

Rejet de la quatrième prolongation

Le 30 décembre 2024, le juge du tribunal judiciaire de Rouen a rejeté la demande du préfet de la Seine-Maritime pour une quatrième prolongation de la rétention, ordonnant la mise en liberté de M. [B] [L]. Cette décision a été contestée par le procureur de la République, qui a formé appel avec demande d’effet suspensif.

Arguments du procureur et de la défense

Le procureur a soutenu que M. [B] [L] représentait une menace pour l’ordre public en raison de ses multiples condamnations. Le préfet n’a pas formulé d’observations, tandis que le conseil de M. [B] [L] a demandé la confirmation de la décision initiale, soulignant les manquements de l’administration.

Recevabilité de l’appel

L’appel du procureur a été jugé recevable par le tribunal, permettant ainsi d’examiner le fond de l’affaire.

Diligences et perspectives d’éloignement

Le tribunal a constaté que

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la recevabilité de l’appel formé par le procureur de la République ?

L’appel formé par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rouen est déclaré recevable.

Cette recevabilité est fondée sur les dispositions du Code de procédure civile, notamment l’article 901 qui stipule que « l’appel est ouvert contre les décisions rendues en premier ressort par les juridictions de l’ordre judiciaire, sauf disposition contraire ».

Dans le cas présent, l’ordonnance du 30 décembre 2024, rendue par le juge des libertés et de la détention, est une décision susceptible d’appel.

Ainsi, le procureur a respecté les délais et les formes nécessaires pour interjeter appel, ce qui rend son recours recevable.

Quelles sont les conditions de prolongation de la rétention administrative selon le CESEDA ?

Les conditions de prolongation de la rétention administrative sont régies par l’article L742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

Cet article précise que :

« À titre exceptionnel, le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L.631-3;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public. »

Il est important de noter que les critères énoncés ne sont pas cumulatifs, ce qui signifie qu’il suffit à l’administration d’établir l’un d’eux pour justifier une prolongation de la rétention.

Comment est appréciée la menace pour l’ordre public dans le cadre de la rétention administrative ?

L’appréciation de la menace pour l’ordre public dans le cadre de la rétention administrative est précisée par l’article L742-5 du CESEDA.

Cet article indique que la menace peut être fondée sur des actes antérieurs, permettant ainsi au juge d’évaluer le risque de dangerosité future.

Il est spécifié que :

« En effet, ce n’est pas l’acte troublant l’ordre public qui est recherché, mais bien la réalité de la menace pour l’avenir. »

Ainsi, le juge peut se baser sur des condamnations antérieures pour établir la menace que représente l’individu pour l’ordre public.

Dans le cas de M. [B] [L], ses multiples condamnations, notamment pour des faits de vols aggravés et soustraction à une mesure d’éloignement, ont été prises en compte pour justifier la prolongation de sa rétention.

L’absence de ressources légales et le comportement délinquant de M. [B] [L] ont également été considérés comme des éléments renforçant la perception d’une menace pour l’ordre public.

En conséquence, l’administration a pu fonder sa demande de prolongation sur cette évaluation de la menace.

N° RG 24/04444 – N° Portalis DBV2-V-B7I-J267

COUR D’APPEL DE ROUEN

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 31 DECEMBRE 2024

Brigitte HOUZET, Conseillère à la cour d’appel de Rouen, spécialement désignée par ordonnance de la première présidente de ladite cour pour la suppléer dans les fonctions qui lui sont spécialement attribuées,

Assistée de Mme VESPIER, Greffière ;

Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu la requête du préfet de la Seine-Maritime tendant à voir prolonger pour une durée supplémentaire de quinze jours la mesure de rétention administrative qu’il a le 16 octobre 2024 prise à l’égard de M. [B] [L], né le 03 Septembre 1993 à [Localité 1] (EGYPTE), de nationalité Egyptienne ;

Vu l’ordonnance rendue le 30 Décembre 2024 à 13h20 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rouen disant n’y avoir lieu à prolongation de la mesure de rétention administrative concernant M. [B] [L] ;

Vu l’appel interjeté le 30 décembre 2024 à 14h56 par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rouen, avec demande d’effet suspensif, parvenu au greffe de la cour d’appel de Rouen à 16h07, régulièrement notifié aux parties ;

Vu l’ordonnance du 31 décembre 2024 disant qu’il sera sursis à l’exécution de l’ordonnance rendue le 30 Décembre 2024 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire à l’égard de M. [B] [L] dans l’attente de la décision sur l’appel interjeté par le ministère public à l’encontre de ladite ordonnance ;

Vu l’avis de la date de l’audience donné par le greffier de la cour d’appel de Rouen :

– aux services du directeur du centre de rétention de [Localité 2],

– à l’intéressé,

– au préfet de la Seine-Maritime,

– à Me Aminata SOMDA, avocat au barreau de ROUEN, choisie en vertu de son droit de suite,

Vu les dispositions des articles L 743-8 et R 743-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu la décision prise de tenir l’audience grâce à un moyen de télécommunication audiovisuelle et d’entendre la personne retenue par visioconférence depuis les locaux dédiés à proximité du centre de rétention administrative de [Localité 2] ;

Vu la demande de comparution présentée par M. [B] [L] ;

Vu l’avis au ministère public ;

Vu les débats en audience publique, en l’absence du PREFET DE LA SEINE-MARITIME et du ministère public ;

Vu la comparution de M. [B] [L] par visioconférence depuis les locaux dédiés situés à proximité du centre de rétention administrative de [Localité 2] ;

Me Aminata SOMDA, avocat au barreau de ROUEN étant présente au palais de justice ;

Vu les réquisitions écrites du ministère public ;

Les réquisitions et les conclusions ont été mises à la disposition des parties ;

M. [B] [L] et son conseil ayant été entendus ;

****

Décision prononcée par mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

****

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS

M. [B] [L], connu sous plusieurs alias, se déclare ressortissant égyptien.

Il a fait l’objet d’un arrêté portant obligation de quitter le territoire français le 23 juillet 2024.

Il a été placé en rétention administrative selon arrêté du 14 octobre 2024, notifié le 16 octobre à l’issue de sa levée d’écrou.

Une première prolongation de sa rétention administrative a été autorisée par ordonnance du juge du tribunal judiciaire de Rouen du 20 octobre 2024, décision confirmée par le magistrat désigné par la première présidente de la cour d’appel de Rouen le 23 octobre 2024.

Par ordonnance du 15 novembre 2024, le juge du tribunal judiciaire de Rouen a autorisé une seconde prolongation de la rétention administrative de M. [B] [L], décision confirmée par ordonnance du magistrat désigné pour suppléer la première présidente de la cour d’appel de Rouen du 16 novembre 2024.

Une troisième prolongation de la rétention administrative de M. [B] [L] a été autorisée par ordonnance du juge du tribunal judiciaire de Rouen du 15 décembre 2024, confirmée par ordonnance du magistrat désigné par la première présidente de la cour d’appel de Rouen pour la suppléer du 17 décembre 2024.

Saisi d’une requête du préfet de la Seine-Maritime, aux fins de voir autoriser une quatrième prolongation de la rétention administrative de M. [B] [L] , le juge du tribunal judiciaire de Rouen a, par ordonnance du 30 décembre 2024, rejeté la requête du préfet, dit n’y avoir lieu de prononcer l’une quelconque des mesures prévues par le le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et ordonné la mise en liberté de M. [B] [L].

Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rouen a formé appel de cette ordonnance avec demande d’effet suspensif.

Suite à cet appel suspensif du procureur de la République, une ordonnance a été rendue par le magistrat délégué pour remplacer le premier président le 31 décembre 2024, laquelle a ordonné le sursis à l’exécution de l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention dans l’attente de la décision sur l’appel interjeté par le ministère public.

Au fond, le procureur de la République soutient que M. [B] [L] présente un risque de menace à l’ordre public, caractérisé par ses multiples condamnations.

Le préfet de la Seine-Maritime n’a pas formulé d’observations.

Le dossier a été communiqué au parquet général qui, par conclusions écrites du 30 décembre 2024, sollicite l’infirmation de la décision.

A l’audience, le conseil de M. [B] [L] demande la confirmation de la décision en ce qu’elle a retenu l’absence de menace à l’ordre public, soulignant la défaillance de l’administration dans l’accomplissement des diligences lui incombant.

M. [B] [L] a été entendu en ses observations.

MOTIVATION DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l’appel

Il résulte des énonciations qui précèdent que l’appel formé par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rouen, à l’encontre de l’ordonnance du magistrat du siège du tribunal judiciaire de ce tribunal en date du 30 Décembre 2024 est recevable.

Sur le fond

*sur les diligences et les perspectives d’éloignement :

L’article 741-3 du Ceseda dispose que ‘Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration exerce toute diligence à cet effet.’

En l’espèce,une audition consulaire a eu lieu le 26 décembre 2024.

L’administration française a ainsi satisfait à son obligation de diligences.

L’absence de perspectives d’éloignement ne peut résulter du seul silence conservé jusqu’à présent par l’autorité étrangère et n’apparaît pas établie.

Le moyen de ce chef sera donc rejeté.

*sur les conditions de la quatrième prolongation et l’existence d’une menace pour l’ordre public :

L’article L742-5 du CESEDA, dans sa version en vigueur depuis le 1er septembre 2024, dispose que « A titre exceptionnel, le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparait dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement:

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L.631-3;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Les critères énoncés ci-dessus n’étant pas cumulatifs, il suffit à l’administration d’établir l’un d’eux pour justifier d’une prolongation de la rétention.

Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours. ».

Selon la rédaction de ce texte, il existe donc une différence de rédaction entre les critères de troisième et de quatrième prolongation.

A la différence de l’obstruction, la « menace », qui procède d’une logique préventive, est une situation qui peut se fonder sur des actes antérieurs aux fins d’apprécier le risque de dangerosité future.

Dans ces conditions, il ne s’agirait donc pas de rechercher si un trouble à l’ordre public nouveau, causé par un acte distinct des précédents, est intervenu au cours de la dernière période de rétention de 15 jours.

En effet, ce n’est pas l’acte troublant l’ordre public qui est recherché, mais bien la réalité de la menace pour l’avenir.

Ainsi, il apparaît que le juge peut apprécier qu’une menace pour l’ordre public survient dans les 15 derniers jours en se fondant sur des faits antérieurs, notamment des condamnations, sans qu’aucune pièce n’accrédite de la volonté d’insertion ou de réhabilitation de la personne.

Dans tous les cas, il appartient à l’administration d’établir que la menace pour l’ordre public est établie dans le temps de la dernière prolongation de 15 jours.

En l’espèce, M. [B] [L] a été condamné à cinq reprises, la dernière étant en date du 22 juin 2024, pour des faits de vols aggravés, soustraction à une mesure d’éloignement, port d’arme, vol simple en récidive. La réitération de faits de même nature, l’état de récidive légale relevé lors de la dernière condamnation, récente et son indifférence aux avertissements judiciaires caractérisent la menace qu’il représente pour l’ordre public au sens de l’article L 742-5 du CESEDA. L’absence de ressources légales participe encore à un contexte propice à la réitération de tels méfaits.

Il est ainsi établi que son comportement permet, en l’absence de toute manifestation de réhabilitation ou de réinsertion, de caractériser une menace pour l’ordre public au sens de l’article L.742-4 précité.

L’administration peut donc se fonder sur cette disposition pour solliciter une quatrième prolongation de rétention (sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres critères, qui sont alternatifs).

En conséquence, l’ordonnance entreprise sera infirmée.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, par ordonnance réputée contradictoire et en dernier ressort,

Déclare recevable l’appel interjeté par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rouen,

Infirme l’ordonnance rendue le 30 décembre 2024 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rouen, et prolongeons la mesure de rétention administrative concernant M. [B] [L] pour une durée de quinze jours.

Fait à Rouen, le 31 Décembre 2024 à 14h48.

LE GREFFIER, LA CONSEILLERE,

NOTIFICATION

La présente ordonnance est immédiatement notifiée contre récépissé à toutes les parties qui en reçoivent une expédition et sont informées de leur droit de former un pourvoi en cassation dans les deux mois de la présente notification et dans les conditions fixées par les articles 973 et suivants du code de procédure civile.


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