Prise en charge d’un accident du travail : validation de la présomption d’imputabilité.

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Prise en charge d’un accident du travail : validation de la présomption d’imputabilité.

L’Essentiel : Le travailleur intérimaire, en mission au sein de la société employeur, a été victime d’un accident du travail le 18 février 2023, entraînant une hernie discale. L’employeur a contesté le lien entre l’accident et le travail, invoquant un état pathologique antérieur. La caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) a conclu à la réalité de l’accident et a décidé de sa prise en charge. L’employeur a saisi le tribunal judiciaire pour contester cette décision. Le tribunal a confirmé que l’accident était bien constitutif d’un accident du travail, rejetant la demande de l’employeur et déclarant la décision de la Cpam opposable.

Exposé des faits

Le travailleur intérimaire, en mission au sein de la société employeur, a été victime d’un accident du travail le 18 février 2023. En soulevant un sac de poudre, il a ressenti une douleur au dos, ce qui a été confirmé par un certificat médical indiquant une hernie discale. L’employeur a contesté le lien entre l’accident et le travail, invoquant un état pathologique antérieur, et a demandé à la caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) de solliciter l’avis d’un médecin conseil.

Instruction de la Cpam

La Cpam a demandé à l’employeur de compléter un questionnaire concernant l’accident. Après enquête, elle a conclu à la réalité de l’accident du travail et a informé l’employeur de sa décision de prise en charge le 23 mai 2023. L’employeur a formé un recours, qui a été rejeté par la commission de recours amiable le 12 septembre 2023.

Procédure judiciaire

L’employeur a saisi le tribunal judiciaire le 29 septembre 2023 pour contester la décision de prise en charge. L’affaire a été reportée et a été entendue le 6 janvier 2025, avec une décision prévue pour le 3 février 2025.

Prétentions des parties

L’employeur maintient sa demande d’inopposabilité de la décision de la Cpam, tandis que la Cpam demande au tribunal de juger la décision opposable et d’allouer une indemnité de procédure.

Motivation du tribunal

Le tribunal a d’abord examiné le respect du principe du contradictoire. Il a constaté que l’employeur avait eu la possibilité de consulter le dossier dans le délai imparti et que l’absence de consultation ultérieure n’avait pas d’impact sur la décision de la Cpam. Ensuite, le tribunal a analysé le caractère professionnel de l’accident, concluant que le fait accidentel survenu au travail était présumé être un accident du travail, sauf preuve du contraire, ce qui n’a pas été établi par l’employeur.

Décision finale

Le tribunal a déclaré que l’accident du travail survenu le 18 février 2023 était bien constitutif d’un accident du travail. Il a rejeté la demande de l’employeur, a déclaré la décision de la Cpam opposable, et a condamné l’employeur à verser une indemnité de procédure à la Cpam. Aucune exécution provisoire n’a été ordonnée.

Q/R juridiques soulevées :

Sur le manquement allégué au principe du contradictoire

L’article R.441-8 du code de la sécurité sociale précise que :

I.- Lorsque la caisse engage des investigations, elle dispose d’un délai de quatre-vingt-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d’accident et du certificat médical initial pour statuer sur le caractère professionnel de l’accident.

Dans ce cas, la caisse adresse un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l’accident à l’employeur ainsi qu’à la victime ou ses représentants, dans le délai de trente jours francs mentionné à l’article R. 441-7 et par tout moyen conférant date certaine à sa réception.

Ce questionnaire est retourné dans un délai de vingt jours francs à compter de sa date de réception. La caisse peut en outre recourir à une enquête complémentaire.

La caisse informe la victime ou ses représentants ainsi que l’employeur de la date d’expiration du délai prévu au premier alinéa lors de l’envoi du questionnaire ou, le cas échéant, lors de l’ouverture de l’enquête.

II.- À l’issue de ses investigations et au plus tard soixante-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d’accident et du certificat médical initial, la caisse met le dossier mentionné à l’article R. 441-14 à la disposition de la victime ou de ses représentants ainsi qu’à celle de l’employeur.

Ceux-ci disposent d’un délai de dix jours francs pour le consulter et faire connaître leurs observations, qui sont annexées au dossier.

Au terme de ce délai, la victime ou ses représentants et l’employeur peuvent consulter le dossier sans formuler d’observations.

La société [5] soutient avoir été privée de son droit de consultation du dossier après l’expiration du délai de dix jours. Cependant, il est établi que la société [5] a bénéficié d’un délai suffisant pour consulter le dossier et formuler ses observations.

L’article R.441-8 ne stipule pas que la caisse doit procéder à deux envois distincts d’information. Il suffit que l’employeur ait été informé des dates de consultation du dossier.

Ainsi, l’absence de possibilité de consultation « complémentaire » du dossier n’a pas eu d’incidence sur la décision prise par la caisse.

Le moyen soulevé par la société [5] ne peut donc pas entraîner l’inopposabilité de la décision de la caisse.

Sur le caractère professionnel du fait accidentel

L’article L.411-1 du code de la sécurité sociale stipule que :

Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.

L’accident du travail est un événement survenu à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle.

Le fait accidentel survenu au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail, sauf à établir que la lésion a une cause totalement étrangère au travail.

Pour que cette présomption s’applique, il est nécessaire de prouver qu’une lésion est survenue au temps et au lieu du travail.

En l’espèce, il est établi que le fait accidentel s’est produit le 18 février 2023, lorsque le salarié a ressenti une douleur au dos en soulevant des sacs de poudre.

Le certificat médical initial a été établi le jour même, corroborant la survenance de la lésion.

La société [5] n’a pas prouvé que la lésion était due à un état pathologique antérieur ou à une cause étrangère au travail.

Ainsi, la présomption d’accident du travail s’applique, et le lien entre l’activité professionnelle et la lésion est établi.

La société [5] ne produit aucun élément pour contester cette présomption.

Il convient donc de retenir que le fait accidentel dont a été victime le travailleur intérimaire constitue un accident du travail.

DU TROIS FEVRIER DEUX MIL VINGT CINQ

__________________

POLE SOCIAL

__________________

S.A.S.U. [5]

C/

CPAM DE LA SOMME

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N° RG 23/00342
N°Portalis DB26-W-B7H-HV7W

Minute n°

Grosse le

à :

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Expédition le :

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à :

Expert
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

TRIBUNAL JUDICIAIRE
D’AMIENS

POLE SOCIAL
_

J U G E M E N T

COMPOSITION DU TRIBUNAL

M. Emeric VELLIET DHOTEL, vice-président au tribunal judiciaire d’Amiens chargé du pôle social, statuant seul en application des dispositions de l’article L218-1 alinéa 2 du code de l’organisation judiciaire

et assisté de M. David CREQUIT, greffier lors du prononcé par mise à disposition au greffe.

DÉBATS

L’affaire a été examinée à l’audience publique du 6 janvier 2025 du pôle social du tribunal judiciaire d’Amiens, tenue par M. Emeric VELLIET DHOTEL, président de la formation de jugement, et assisté de M. David CREQUIT, greffier.

ENTRE :

PARTIE DEMANDERESSE :

S.A.S.U. [5]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Maître Denis ROUANET de la SCP B.L.R., avocats au barreau de LYON, substitué par Maître Stéphanie THUILLIER

ET :

PARTIE DEFENDERESSE :

CPAM DE LA SOMME
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Mme [F] [Z]
Munie d’un pouvoir en date du 18/11/2024

A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré et le président a avisé les parties que le jugement serait prononcé le 03 Février 2025 par mise à disposition au greffe de la juridiction.

Jugement contradictoire et en premier ressort

*****

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Monsieur [W] [T], travailleur intérimaire au sein de la société [5], mis à disposition de la société [7] AMIENS, a été victime le 18 février 2023 d’un fait accidentel dans des circonstances que la déclaration d’accident du travail établie le 22 février 2023 par l’employeur décrit comme suit : en soulevant un sac de poudre, le salarié aurait ressenti une douleur au dos.

Un certificat médical initial établi le jour du fait accidentel a fait état d’un diagnostic principal (hernie d’un autre disque intervertébral précisé), d’un diagnostic secondaire (douleur aiguë) et d’une observation (hernie discale L5-S1).

Le 22 février 2023, l’employeur a adressé à la caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) de la Somme une lettre de réserves portant contestation d’un lien entre la lésion et le travail, au regard d’un état pathologique antérieur et d’une cause étrangère au travail actuel, et demandant en outre à la caisse de solliciter l’avis du médecin conseil sur cette difficulté d’ordre médical.

Par courrier du 6 mars 2023, la caisse a invité la société [5] à compléter sous 20 jours un questionnaire mis à sa disposition sur le site http://questionnaires-risquepro.ameli.fr. La société [5] était concomitamment avisée qu’à l’issue des investigations, elle aurait la possibilité de consulter les pièces du dossier et de formuler des observations du 9 mai 2023 au 22 mai 2023 directement en ligne sur le même site internet et qu’au-delà de cette date, le dossier resterait consultable jusqu’à la prise de décision devant intervenir au plus tard le 30 mai 2023.

A l’issue de cette instruction, la Cpam de la Somme a considéré que les éléments recueillis alors permettaient d’établir la réalité d’un accident du travail.

Le 23 mai 2023, elle a donc informé l’employeur de sa décision de prendre en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels.

Saisie du recours formé par la société [5], la commission de recours amiable (CRA) a rejeté la contestation par décision du 12 septembre 2023.

Procédure :

Suivant requête introductive d’instance expédiée le 29 septembre 2023 par lettre recommandée avec accusé de réception, la société [5] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire d’une demande tendant à ce que lui soit déclarée inopposable la décision de prise en charge de l’accident du travail survenu le 18 février 2023, pour des motifs de forme et de fond.

Initialement appelée à l’audience du 17 juin 2024, l’affaire a fait l’objet d’un calendrier de procédure suivi d’un report sollicité par les parties, avant d’être utilement évoquée à l’audience du 6 janvier 2025 à l’issue de laquelle le président a indiqué qu’elle était mise en délibéré et que la décision serait rendue le 3 février 2025 par mise à disposition publique au greffe de la juridiction, en application des dispositions des articles 450 alinéa 2 et 451 alinéa 2 du code de procédure civile.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société [5], représentée par son Conseil, se rapporte à ses conclusions reçues au greffe le 23 décembre 2024 et maintient sa demande initiale.

La Cpam de la Somme, régulièrement représentée, se rapporte à ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 octobre 2024, aux termes desquelles elle demande en substance au tribunal de juger opposable à la société [5] la décision de prise en charge de l’accident du travail dont a été victime [W] [T] le 18 février 2023, et de lui allouer une indemnité de procédure de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux conclusions des parties pour l’exposé de leurs moyens respectifs.

MOTIVATION

1. Sur la demande principale :

Un éventuel vice de forme affectant la procédure d’instruction conduite par la Cpam de la Somme étant à lui seul susceptible d’entraîner l’inopposabilité à l’employeur de la décision de la caisse portant prise en charge de l’accident du travail, ce point doit être abordé en premier lieu, indépendamment de l’ordre de présentation des moyens de la demanderesse.

1.1 – Sur le manquement allégué au principe du contradictoire :

L’article R.441-8 du code de la sécurité sociale prévoit que :
I.- Lorsque la caisse engage des investigations, elle dispose d’un délai de quatre-vingt-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d’accident et du certificat médical initial pour statuer sur le caractère professionnel de l’accident.
Dans ce cas, la caisse adresse un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l’accident à l’employeur ainsi qu’à la victime ou ses représentants, dans le délai de trente jours francs mentionné à l’article R. 441-7 et par tout moyen conférant date certaine à sa réception. Ce questionnaire est retourné dans un délai de vingt jours francs à compter de sa date de réception. La caisse peut en outre recourir à une enquête complémentaire. En cas de décès de la victime, la caisse procède obligatoirement à une enquête, sans adresser de questionnaire préalable.
La caisse informe la victime ou ses représentants ainsi que l’employeur de la date d’expiration du délai prévu au premier alinéa lors de l’envoi du questionnaire ou, le cas échéant, lors de l’ouverture de l’enquête.
II.-A l’issue de ses investigations et au plus tard soixante-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d’accident et du certificat médical initial, la caisse met le dossier mentionné à l’article R. 441-14 à la disposition de la victime ou de ses représentants ainsi qu’à celle de l’employeur. Ceux-ci disposent d’un délai de dix jours francs pour le consulter et faire connaître leurs observations, qui sont annexées au dossier. Au terme de ce délai, la victime ou ses représentants et l’employeur peuvent consulter le dossier sans formuler d’observations.
La caisse informe la victime ou ses représentants et l’employeur des dates d’ouverture et de clôture de la période au cours de laquelle ils peuvent consulter le dossier ainsi que de celle au cours de laquelle ils peuvent formuler des observations, par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information et au plus tard dix jours francs avant le début de la période de consultation.

La société [5] fait en l’espèce grief à la Cpam de la Somme de l’avoir privée de son droit de consultation du dossier, postérieurement à l’expiration du délai susvisé de dix jours. Elle fait valoir que, suivant lettre du 6 mars 2023 l’informant de la mise en oeuvre d’investigations, la caisse n’informait pas seulement l’employeur de la possibilité de consulter les pièces du dossier et de formuler ses observations du 9 au 22 mai 2023, mais qu’elle mentionnait en outre que le dossier resterait consultable au-delà du 22 mai 2023, jusqu’à la prise de la décision. La société [5] souligne à ce titre que c’est par lettre du 23 mai 2023, lendemain de l’expiration du délai de dix jours, que la caisse a notifié cette décision. Elle en déduit qu’elle n’a pu concrètement consulter le dossier après le 22 mai et avant la prise de décision.

Pour autant, l’article R.441-8 (II) susvisé du code de la sécurité sociale se borne à prévoir que l’assuré social et l’employeur doivent bénéficier d’un délai de dix jours pour consulter le dossier et faire connaître leurs observations à la caisse, ce délai commençant à courir à l’issue des investigations menées par la caisse, et au plus tard soixante-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d’accident et du certificat médical initial.

Il est constant que la société [5] a bénéficié d’un délai ayant commencé à courir le lundi 9 mai et ayant expiré le dimanche 22 mai 2022 pour consulter le dossier en ligne et formuler ses éventuelles observations quant aux éléments recueillis par la Cpam de la Somme. Ce délai comprend indéniablement plus de dix jours francs. Enfin, la société [5] reconnaît avoir été informée en amont des dates de début et de fin du délai.

Il est admis que satisfait aux obligations d’information qui lui sont imposées par l’article R. 441-8 du code de la sécurité sociale, la caisse qui, après avoir engagé des investigations, informe la victime ou ses représentants et l’employeur au cours de la période de 30 jours visée au I de ce texte, tant de la date à laquelle elle rendra au plus tard sa décision, que des dates d’ouverture et de clôture des périodes qui leur seront ouvertes à l’issue des investigations pour, d’une part, consulter le dossier et, d’autre part, formuler des observations préalablement à sa décision (en ce sens : Cass. 2ème Civ., 29 février 2024, n°22-16.818, publié au bulletin). Les articles R. 441-7 et R. 441-8 du code de la sécurité sociale n’imposent pas à l’organisme de sécurité sociale de procéder à deux envois distincts d’information ; il suffit que l’employeur ait été en mesure de connaître notamment les dates auxquelles il pouvait consulter le dossier après la clôture des investigations, et de formuler des observations dans le respect du délai de 10 jours (même arrêt).

La circonstance selon laquelle la société [5] n’a pas été en mesure de consulter le dossier au-delà du 22 mai 2023, soit au-delà de l’expiration du délai de dix jours, est quant à elle inopérante.

D’une part, l’obligation d’information à laquelle est tenue la caisse dans le cadre de l’enquête qu’elle conduit se borne à devoir mettre l’employeur en mesure de prendre connaissance des éléments susceptibles de lui faire grief (en ce sens : 2e Civ., 5 avril 2007, n° 06-11.687, publié au bulletin ; 14 février 2013, n° 11-25.714 ; 3 février 2011, n° 10-10.434 ; 16 décembre 2010, n°10-10.224; 13 mars 2014, n° 13-12.509, publié au bulletin ; 13 mars 2014, n° 13-12.510 ; 19 juin 2014, n° 13-17.858 et 13-17.560 ; 12 février 2015, n° 14-13.749). Tel a en l’espèce été le cas, l’employeur ayant bénéficié d’un délai de plus de dix jours francs pour consulter les pièces du dossier et formuler ses observations.

En second lieu, si l’article R.441-8 du code de la sécurité sociale prévoit que l’assuré social et l’employeur peuvent consulter le dossier au-delà de l’expiration du délai de dix jours susvisé, sans formuler d’observations, ce délai “complémentaire” est cependant dépourvu de conséquence pratique, puisque ni l’assuré social ni l’employeur ne peuvent en user pour formuler de nouvelles observations ni influer de quelque manière que ce soit sur la future décision de la caisse. La simple consultation du dossier dont la société [5] indique avoir été privée n’était donc susceptible d’aucune incidence sur la décision prise par la Cpam de la Somme. Dès lors, l’absence de possibilité d’une consultation “complémentaire” du dossier n’a pas fait grief à l’employeur.

Le moyen n’est donc pas de nature à entraîner l’inopposabilité à la société [5] de la décision de la Cpam de la Somme.

1.2 – Sur le caractère professionnel du fait accidentel :

Aux termes de l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.

L’accident du travail s’analyse comme un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle quelle que soit la date d’apparition de celle-ci (en ce sens: Cass. Soc., 2 avril 2003, n°00-21.768).

Le fait accidentel survenu au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail, sauf à établir que la lésion a une cause totalement étrangère au travail (en ce sens: Cass. Civ. 2ème, 29 novembre 2012, n°11-26.569 ; 12 mai 2011, n°10-15.727 ; 4 avril 2013, n°12-13.756) ou que le salarié se serait soustrait à l’autorité de l’employeur en se plaçant en dehors de la sphère d’autorité de ce dernier.
Pour que joue cette présomption, il est toutefois nécessaire de rapporter la preuve d’une lésion survenue au temps et au lieu du travail ; il peut s’agir d’une lésion physique mais également de troubles psychologiques (en ce sens : Cass. Civ. 2ème, 1er juillet 2003, n°02-30.576, publié au bulletin). Cette preuve ne peut résulter de la seule affirmation du salarié victime (en ce sens : Cass. Soc., 11 mars 1999, n°97-17.149 ; 6 décembre 2001, n°00-13.379 ; Civ. 2ème, 28 mai 2014, n°13-16.968). Les déclarations du salarié doivent être corroborées par des éléments objectifs ou par des présomptions graves, précises et concordantes (en ce sens : Cass. Soc, 8 octobre 1998, n°97-10.914).

Au regard du principe d’indépendance des rapports entre l’organisme social et l’assuré, d’une part, et entre la caisse et l’employeur, d’autre part, la prise en charge de l’accident par l’organisme social, au titre de la législation sur les risques professionnels, ne fait pas obstacle à ce que l’employeur sollicite l’inopposabilité à son égard de cette prise en charge en contestant la matérialité du fait accidentel ou l’existence d’un lien entre cet accident et la lésion, les soins et les arrêts de travail prescrits à son salarié.

Il résulte en l’espèce des éléments produits aux débats que :

– le fait accidentel s’est produit le 18 février 2023 à 5h45, le salarié ayant pris son poste à 5 heures. L’intéressé, occupant le poste de peseur poudre, consistant à faire les poudres, peser les sacs et les ranger, indiquait avoir ressenti une douleur au dos en posant des sacs sur son chariot ;

– le salarié a aussitôt averti son supérieur au sein de l’entreprise d’accueil (le “chef [P]”) de la survenance du fait accidentel ; il a été transporté par ambulance au CHU [6] ;

– le certificat médical initial constatant notamment une douleur aiguë sur hernie discale a été établi par le service des urgences le jour-même du fait accidentel. La douleur constatée est cohérente avec les circonstances du fait accidentel telles que décrites par le salarié.

La société [5] n’établit pas n’avoir été informée du fait accidentel que le 20 février 2023, précision dont sa lettre de réserves du 22 février 2023 ne fait incidemment pas état, se bornant à relever l’existence d’un état pathologique antérieur. Par ailleurs, elle n’a par la suite pas rempli le questionnaire destiné à recueillir ses observations lors de l’enquête de la Cpam de la Somme, ni n’a formulé d’observations dans le délai de dix jours qui lui était imparti pour ce faire.

Même en l’absence de témoin direct du fait accidentel, il résulte en tout état de cause de manière suffisamment probante des considérations qui précèdent l’existence d’éléments objectifs, et à tout le moins de présomptions précises et concordantes, mettant en évidence que [W] [T] a été victime le 18 février 2023, au temps et au lieu du travail, d’un fait accidentel ayant entraîné une lésion médicalement constatée.

Il convient dès lors de considérer que la présomption édictée par l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale a vocation à s’appliquer.

Cette présomption ne tombe que si l’employeur établit :

– que la cause de l’accident est totalement étrangère au travail (en ce sens: Cass. Civ. 2ème, 29 novembre 2012, n° 11-26.569 ; 12 mai 2011, n° 10-15.727 ; 4 avril 2013, n° 12-13.756) ;

-ou que le salarié s’est soustrait à son autorité (l’accomplissement d’un acte étranger au travail est de nature à établir que le salarié s’est soustrait à l’autorité de son employeur ; salarié qui contrevient à des ordres en exécutant une tâche qui ne relève pas de ses fonctions ou quitte sans autorisation son poste de travail pour se livrer à une activité étrangère à sa mission) ;

– ou encore que l’accident résulte d’un état pathologique préexistant évoluant en dehors de toute relation avec le travail ; en d’autres termes, qu’il est exclusivement imputable à l’état antérieur, sans être aucunement lié à l’activité professionnelle.

En l’espèce, même à supposer établie l’existence d’un état pathologique antérieur à type de hernie discale, les circonstances de survenance du fait accidentel ainsi que la nature des lésions médicalement constatées par le service des urgences, le jour du sinistre, inclinent à considérer qu’il existe un lien entre l’activité professionnelle et la lésion. Le port de charges lourdes, en l’occurrence des sacs de poudre, est en effet de nature à expliquer la lésion médicalement constatée le jour-même des faits.

La société [5] ne produit aucun élément de nature à combattre utilement la présomption d’imputabilité de la survenance du fait accidentel au travail du salarié.

Partant, il convient de retenir que le fait accidentel dont a été victime [W] [T] le 18 février 2023 est constitutif d’un accident du travail.

Décision du 03/02/2025 RG 23/00342

Au bénéfice de l’ensemble des observations qui précèdent, il convient de rejeter la demande de la société [5], et de déclarer opposable à cette dernière la décision de la Cpam de la Somme portant prise en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, de l’accident du travail dont [W] [T] a été victime le 18 février 2023.

2. Sur les frais du procès et l’exécution provisoire :

L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Partie perdante au sens où l’entend ce texte, la société [5] supportera les éventuels dépens de l’instance.

L’article 700 du code de procédure civile, dans ses dispositions applicables à l’espèce, énonce que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.

En l’espèce, l’équité conduit à allouer sur ce fondement à la Cpam de la Somme une indemnité de procédure de 500 euros que la société [5] sera condamnée à lui verser.

Il n’est pas justifié de la nécessité d’assortir le jugement de l’exécution provisoire, laquelle n’est incidemment pas sollicitée, rappel étant fait que, sauf exceptions dont ne relève pas le présent litige, elle n’est pas de droit en matière de contentieux de la sécurité sociale.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal judiciaire d’Amiens, statuant après débats en audience publique par jugement contradictoire, en premier ressort, publiquement mis à disposition au greffe de la juridiction,

Dit que le fait accidentel dont a été victime [W] [T] le 18 février 2023 constitue un accident du travail,

Rejette la demande de la société [5],

Déclare opposable à la société [5] la décision de la caisse primaire d’assurance maladie de la Somme portant prise en charge de l’accident au titre de la législation sur les risques professionnels,

Dit que les éventuels dépens de l’instance seront supportés par la société [5],

Alloue à la caisse primaire d’assurance maladie de la Somme la somme de 500 (cinq cents) euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et condamne la société [5] à lui verser cette somme,
Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Le greffier, Le président,
David Créquit Emeric Velliet Dhotel


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