Prise en charge d’un accident du travail : enjeux de la présomption d’imputabilité et contestation des arrêts de travail.

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Prise en charge d’un accident du travail : enjeux de la présomption d’imputabilité et contestation des arrêts de travail.

L’Essentiel : Le conducteur de véhicules et engins lourds au sein de la société de transport a été victime d’un accident de travail le 28 février 2023. En débâchant son camion, il a ressenti une douleur, confirmée par un certificat médical. L’employeur a contesté le caractère professionnel de l’accident, entraînant une enquête de la caisse primaire d’assurance maladie (Cpam), qui a finalement reconnu l’accident comme professionnel. Suite à cette décision, l’employeur a saisi le tribunal judiciaire pour contester la prise en charge. Le tribunal a déclaré la demande de l’employeur irrecevable et a confirmé l’opposabilité des arrêts de travail et soins liés à l’accident.

Exposé des faits

Le conducteur de véhicules et engins lourds au sein de la société de transport a été victime d’un accident de travail le 28 février 2023. En débâchant son camion sur le quai de chargement, il a ressenti une douleur, comme l’indique la déclaration d’accident établie par l’employeur. Un certificat médical a révélé une scapulalgie gauche. L’employeur a contesté le caractère professionnel de l’accident par une lettre du 7 mars 2023, entraînant une enquête de la caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) de la Somme. Cette dernière a finalement reconnu l’accident comme professionnel le 23 mai 2023.

Procédure judiciaire

Suite à la décision de la Cpam, l’employeur a formé un recours devant la commission de recours amiable, qui n’a pas statué dans le délai imparti, entraînant un rejet implicite. Le 27 novembre 2023, la société de transport a saisi le tribunal judiciaire pour contester la prise en charge de l’accident. Par un jugement du 13 janvier 2025, le tribunal a déclaré la décision de la Cpam opposable à l’employeur. Parallèlement, la société a contesté l’imputation des arrêts de travail et des soins prescrits au conducteur, demandant une mesure d’instruction.

Prétentions des parties

La société de transport a demandé au tribunal d’ordonner une mesure d’instruction à ses frais, tandis que la Cpam a soutenu que la demande de mesure d’instruction était irrecevable et a demandé que l’ensemble des soins et arrêts de travail soient déclarés opposables à l’employeur. Les parties ont été invitées à formuler leurs observations sur l’opportunité d’une mesure d’instruction.

Motivation du tribunal

Le tribunal a d’abord examiné la recevabilité de la demande de la société de transport, concluant qu’elle était recevable malgré la contestation de la Cpam. Sur le fond, le tribunal a rappelé que la présomption d’imputabilité des lésions à un accident du travail s’étend à toute la durée d’incapacité, sauf preuve du contraire par l’employeur. En l’absence de preuves suffisantes de la société de transport pour contester cette présomption, le tribunal a rejeté sa demande d’inopposabilité des arrêts de travail et des soins.

Décision finale

Le tribunal a déclaré la société de transport recevable en sa demande, mais a rejeté sa demande d’inopposabilité des arrêts de travail et des soins prescrits au conducteur. Il a également rejeté la demande de mesure d’instruction et a déclaré opposables à l’employeur tous les arrêts de travail et soins liés à l’accident. Les dépens de l’instance ont été laissés à la charge de la société de transport, sans exécution provisoire.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la recevabilité de la demande principale

Il résulte de l’article 4 du code de procédure civile que l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, lesquelles sont fixées, pour ce qui concerne le demandeur, par l’acte introductif d’instance.

L’article 54 du code de procédure civile, auquel renvoie l’article R.142-10-1 du code de la sécurité sociale, précise que la demande initiale mentionne l’objet de la demande.

La caisse primaire d’assurance maladie (Cpam) de la Somme fait en l’espèce valoir que le tribunal n’est pas valablement saisi par une requête introductive d’instance se bornant à solliciter la mise en œuvre d’une mesure d’instruction, sans aborder le fond du litige.

Pour autant, rien n’interdit à une partie de solliciter du pôle social une simple mesure d’instruction, au risque de se voir ensuite reprocher de ne pas avoir saisi le pôle social du fond du litige dans le délai imparti par l’article R.142-1-A du code de la sécurité sociale,

circonstance ensuite susceptible de conduire à l’irrecevabilité d’une telle demande au fond pour cause de forclusion.

Toutefois, la Cpam de la Somme n’excipe pas de l’irrecevabilité de la demande.

Il convient incidemment de relever que, si le dispositif de la requête introductive d’instance ne fait état que d’une mesure d’instruction, la requête n’en indique pas moins, par ailleurs, que la société BTL TRANSPORTS conteste la décision implicite de rejet de la commission médicale de recours amiable, ainsi que le nombre de jours d’arrêt de travail prescrits au salarié en prolongement de son accident du travail.

Il en sera déduit que, en saisissant le pôle social, la société BTL TRANSPORTS a entendu obtenir que lui soient déclarés inopposables tout ou partie des arrêts de travail et des soins prescrits à l’assuré social, et plus précisément, sur la base des observations écrites de son médecin consultant, les arrêts et soins postérieurs au huitième jour consécutif à l’accident.

En conséquence, la société BTL TRANSPORTS sera déclarée recevable en sa demande.

Sur le fond du litige

Il résulte de la combinaison des articles 4 et 5 du code de procédure civile que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé, à savoir sur les prétentions fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense.

Au regard des prétentions formulées par la Cpam de la Somme dans ses conclusions, le pôle social doit dès lors se prononcer non seulement sur la demande de mesure d’instruction, mais encore sur le fond du litige.

Il résulte de la combinaison des articles 1353 du code civil et L.411-1 du code de la sécurité sociale que la présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail, dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d’accident du travail est assorti d’un arrêt de travail,

s’étend à toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime, et ce même en l’absence de continuité de symptômes et de soins.

Il appartient à l’employeur qui conteste cette présomption d’apporter la preuve contraire, en démontrant que les arrêts de travail ont une cause totalement étrangère à l’accident.

En d’autres termes, il lui appartient de démontrer qu’une autre cause, unique, est à l’origine des arrêts de travail et de soins. Tel n’est pas le cas lorsque l’accident du travail a pour conséquence l’évolution ou l’aggravation d’un état antérieur.

Il en résulte qu’il n’appartient pas à la caisse primaire d’assurance maladie de démontrer que les arrêts de travail et soins sont justifiés par une continuité de symptômes et de soins avec le fait accidentel initial,

et pas davantage de justifier, postérieurement à la décision de prise en charge, du bien-fondé de l’indemnisation des arrêts de travail consécutifs à l’accident.

Chargé de rechercher si la présomption d’imputabilité est ou non utilement combattue par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve produits devant lui, le juge peut ordonner une mesure d’expertise.

Si la juridiction peut, en application de l’article R.142-16 du code de la sécurité sociale, ordonner toute mesure d’instruction, l’article 146 du code de procédure civile fait cependant obstacle à ce qu’une telle mesure soit ordonnée en vue de suppléer la carence d’une partie dans l’administration de la preuve qui lui incombe.

Il appartient dès lors à l’employeur qui entend combattre la présomption susvisée de produire des éléments concrets permettant de susciter un doute sur l’imputabilité des soins et arrêts de travail à l’accident du travail ou à la maladie professionnelle.

A ce titre, la longueur inhabituelle de l’arrêt de travail ne saurait, à elle seule, justifier une remise en cause de son imputabilité à l’accident du travail.

Enfin, il résulte de l’article R.142-8-5 du code de la sécurité sociale que la commission médicale de recours amiable établit, pour chaque cas examiné, un rapport comportant son analyse du dossier, ses constatations et ses conclusions motivées.

Cet avis est transmis à l’organisme de prise en charge et une copie du rapport est transmis au service médical compétent et, à la demande de l’employeur, au médecin mandaté par ce dernier lorsque celui-ci est à l’origine du recours.

Il résulte en l’espèce des éléments du dossier que l’assuré social a été victime le 28 février 2023 d’un fait accidentel dans des circonstances que la déclaration d’accident du travail établie par l’employeur décrit comme suit : en débâchant son camion sur le quai de chargement/déchargement, le salarié aurait ressenti une douleur.

Un certificat médical initial a fait état d’une scapulalgie gauche.

L’assuré social a bénéficié d’arrêts de travail continus jusqu’au 14 décembre 2023, date de guérison fixée par le médecin-conseil.

Au soutien de sa demande en inopposabilité partielle des arrêts de travail et soins, la société BTL TRANSPORTS s’appuie sur le rapport rédigé par son praticien consultant, dans le cadre du recours préalable exercé devant la commission médicale de recours amiable.

Ce praticien estime que l’arrêt de travail imputable à l’accident ne devrait pas excéder huit jours.

Pour autant, la commission médicale de recours amiable a rendu un avis confirmant l’imputabilité au sinistre de l’arrêt de travail et des soins prescrits à l’assuré social sur la période du 1er mars au 18 octobre 2023.

Cet avis est postérieur aux observations du médecin mandaté par l’employeur.

Il doit donc être considéré que la société BTL TRANSPORTS n’a pas sollicité la transmission d’une copie du rapport de la commission médicale de recours amiable au médecin qu’elle avait mandaté pour l’assister.

Il résulte de cette carence, imputable à la seule demanderesse, que le tribunal ne dispose que de la conclusion retenue par la commission médicale de recours amiable, et non des analyses médicales motivées du médecin-conseil puis de la commission.

En tout état de cause, la demanderesse ne produit pas d’éléments médicaux postérieurs à l’avis rendu par la commission médicale de recours amiable, lequel n’est donc pas médicalement discuté.

Au bénéfice des observations qui précèdent, il convient de rejeter la demande de la société BTL TRANSPORTS tendant à lui voir déclarer inopposable l’arrêt de travail et les soins postérieurs au huitième jour suivant l’accident du travail survenu le 28 février 2023, ainsi que la demande de mise en œuvre d’une mesure d’instruction.

Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Partie perdante au sens où l’entend ce texte, la société BTL TRANSPORTS supportera les éventuels dépens de l’instance.

Au regard de la solution retenue, il n’y a pas lieu d’assortir la décision de l’exécution provisoire.

DU TROIS FEVRIER DEUX MIL VINGT CINQ

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POLE SOCIAL

__________________

S.A. BTL TRANSPORTS

C/

CPAM DE LA SOMME

__________________

N° RG 24/00166
N°Portalis DB26-W-B7I-H5DR

Minute n°

Grosse le

à :

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Expédition le :

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à :

Expert
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

TRIBUNAL JUDICIAIRE
D’AMIENS

POLE SOCIAL
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J U G E M E N T

COMPOSITION DU TRIBUNAL

M. Emeric VELLIET DHOTEL, vice-président au tribunal judiciaire d’Amiens chargé du pôle social, statuant seul en application des dispositions de l’article L218-1 alinéa 2 du code de l’organisation judiciaire

et assisté de M. David CREQUIT, greffier lors du prononcé par mise à disposition au greffe.

DÉBATS

L’affaire a été examinée à l’audience publique du 6 janvier 2025 du pôle social du tribunal judiciaire d’Amiens, tenue par M. Emeric VELLIET DHOTEL, président de la formation de jugement, et assisté de M. David CREQUIT, greffier.

ENTRE :

PARTIE DEMANDERESSE :

S.A. BTL TRANSPORTS
30 rue de Vaux
80009 AMIENS
Représentant : Maître Nathalie THIEFFINE de la SELAS FIDAL AMIENS, avocats au barreau d’AMIENS

ET :

PARTIE DEFENDERESSE :

CPAM DE LA SOMME
8 Place Louis Sellier
80021 AMIENS CEDEX
Représentée par Mme [D] [M]
Munie d’un pouvoir en date du 18/11/2024

A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré et le président a avisé les parties que le jugement serait prononcé le 03 Février 2025 par mise à disposition au greffe de la juridiction.

Jugement contradictoire et en premier ressort

*****

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Monsieur [Z] [K], conducteur de véhicules et engins lourds au sein de la société BTL TRANSPORTS, a été victime le 28 février 2023 d’un fait accidentel dans des circonstances que la déclaration d’accident du travail établie le 7 mars 2023 par l’employeur décrit comme suit : en débâchant son camion sur le quai de chargement/déchargement, le salarié aurait ressenti une douleur. Le document précisait, à la rubrique “nature des lésions” : douleur et choc.

Un certificat médical initial établi le 1er mars 2023 a fait état d’une scapulalgie gauche.

Suivant lettre du 7 mars 2023, l’employeur a formé des réserves quant au caractère professionnel du sinistre, contestant la matérialité du fait accidentel aux temps et lieu du travail.

En vue de statuer sur le caractère professionnel du fait accidentel déclaré, la caisse primaire d’assurance maladie de la Somme (Cpam de la Somme) a réalisé une enquête par voie de questionnaires adressés à l’assuré social ainsi qu’à l’employeur.

A l’issue de cette enquête, la Cpam de la Somme a pris en charge le fait accidentel au titre de la législation sur les risques professionnels, ce dont elle a informé l’employeur par lettre du 23 mai 2023.

Saisie du recours formé par l’employeur, la commission de recours amiable (CRA) de la Cpam de la Somme n’a pas fait connaître sa décision dans le délai imparti, générant ainsi une décision implicite de rejet.

Suivant lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 27 novembre 2023, la société BTL TRANSPORTS a saisi le pôle social du tribunal judiciaire d’une demande tendant en substance à lui voir déclarer inopposable la décision de la Cpam de la Somme portant prise en charge de l’accident du travail.

Aux termes d’un jugement rendu le 13 janvier 2025, le pôle social a, pour l’essentiel, déclaré opposable à l’employeur la décision de la caisse portant prise en charge dudit accident du travail,

Procédure :

Suivant lettre recommandée avec accusé de réception expédiée le 18 avril 2024, la société BTL TRANSPORT avait concomitamment saisi le pôle social du tribunal judiciaire d’une contestation de l’imputation des arrêts et soins prescrits à [Z] [K] en prolongement de l’accident du travail susvisé.

Le 19 avril 2024, les parties ont été invitées à formuler leurs éventuelles observations quant à l’opportunité d’une mesure d’instruction avant dire droit, en l’occurrence une consultation médicale.

La Cpam de la Somme ayant en définitive conclu le 7 mai 2024 sur ce point, mais également sur le fond du litige, la question d’une éventuelle mesure d’instruction a été différée jusqu’à l’audience collégiale.

L’affaire a été utilement évoquée à l’audience du 6 janvier 2025, à l’issue de laquelle le président a indiqué qu’elle était mise en délibéré et que la décision serait rendue le 3 février 2025 par mise à disposition publique au greffe de la juridiction, en application des dispositions des articles 450 alinéa 2 et 451 alinéa 2 du code de procédure civile.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société BTL TRANSPORTS, représentée par son Conseil, se rapporte à sa requête introductive d’instance et demande au tribunal d’ordonner la mise en oeuvre d’une mesure d’instruction, à ses frais avancés, précisant avoir désigné pour l’assister dans ce cadre le docteur [E].

La Cpam de la Somme, régulièrement représentée, se rapporte à ses conclusions transmises par voie dématérialisée le 7 mai 2024, aux termes desquelles elle demande de juger que la demanderesse ne formule aucune contestation le saisissant valablement et subsidiairement, de rejeter la demande de mesure d’instruction et de déclarer opposable à l’employeur l’ensemble des soins et arrêts de travail pris en charge et indemnisés au titre de l’accident du travail dont a été victime [Z] [K] le 28 février 2023.

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens respectifs.

MOTIVATION

1. Sur la recevabilité de la demande principale :

Il résulte de l’article 4 du code de procédure civile que l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, lesquelles sont fixées, pour ce qui concerne le demandeur, par l’acte introductif d’instance.

L’article 54 du code de procédure civile, auquel renvoie l’article R.142-10-1 du code de la sécurité sociale, précise que la demande initiale mentionne l’objet de la demande.

La Cpam de la Somme fait en l’espèce valoir que le tribunal n’est pas valablement saisi par une requête introductive d’instance se bornant à solliciter la mise en oeuvre d’une mesure d’instruction, sans aborder le fond du litige.

Pour autant, rien n’interdit à une partie de solliciter du pôle social une simple mesure d’instruction, au risque de se voir ensuite reprocher de ne pas avoir saisi le pôle social du fond du litige dans le délai imparti par l’article R.142-1-A du code de la sécurité sociale, circonstance ensuite susceptible de conduire à l’irrecevabilité d’une telle demande au fond pour cause de forclusion.

Toutefois, la Cpam de la Somme n’excipe pas de l’irrecevabilité de la demande.

Il convient incidemment de relever que, si le dispositif de la requête introductive d’instance ne fait état que d’une mesure d’instruction, la requête n’en indique pas moins, par ailleurs, que la société BTL TRANSPORTS conteste la décision implicite de rejet de la commission médicale de recours amiable, ainsi que le nombre de jours d’arrêt de travail prescrits au salarié en prolongement de son accident du travail.

Il en sera déduit que, en saisissant le pôle social, la société BTL TRANSPORTS a entendu obtenir que lui soit déclarés inopposables tout ou partie des arrêts de travail et des soins prescrits à [Z] [K], et plus précisément, sur la base des observations écrites de son médecin consultant le docteur [E], les arrêts et soins postérieurs au huitième jour consécutif à l’accident.

En conséquence, la société BTL TRANSPORTS sera déclarée recevable en sa demande.

2. Sur le fond du litige :

Il résulte de la combinaison des articles 4 et 5 du code de procédure civile que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé, à savoir sur les prétentions fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense.

Au regard des prétentions formulées par la Cpam de la Somme dans ses conclusions, le pôle social doit dès lors se prononcer non seulement sur la demande de mesure d’instruction, mais encore sur le fond du litige.

Il résulte de la combinaison des articles 1353 du code civil et L.411-1 du code de la sécurité sociale que la présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail, dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d’accident du travail est assorti d’un arrêt de travail, s’étend à toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime, et ce même en l’absence de continuité de symptômes et de soins (en ce sens : Cass. Civ. 2ème, 12 mai 2022, n°20-20.655, publié au bulletin).

Il appartient à l’employeur qui conteste cette présomption d’apporter la preuve contraire (en se sens: Cass. Civ. 2ème, 12 mai 2022, n°20-20.655, publié au bulletin), en démontrant que les arrêts de travail ont une cause totalement étrangère à l’accident. En d’autres termes, il lui appartient de démontrer qu’une autre cause, unique, est à l’origine des arrêts de travail et de soins. Tel n’est pas le cas lorsque l’accident du travail a pour conséquence l’évolution ou l’aggravation d’un état antérieur (en ce sens : Cass. Civ. 2ème, 28 avril 2011, n°10-15.835) ou lorsque les lésions, sans avoir pour cause exclusive l’évolution spontanée d’un état pathologique antérieur, trouvent aussi leur source dans l’accident du travail (en ce sens : Cass. Civ. 2ème, 1er décembre 2011, n°10-21.919).

Décision du 03/02/2025 RG 24/00166

Il en résulte qu’il n’appartient pas à la caisse primaire d’assurance maladie de démontrer que les arrêts de travail et soins sont justifiés par une continuité de symptômes et de soins avec le fait accidentel initial, et pas davantage de justifier, postérieurement à la décision de prise en charge, du bien-fondé de l’indemnisation des arrêts de travail consécutifs à l’accident.

Chargé de rechercher si la présomption d’imputabilité est ou non utilement combattue par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve produits devant lui, le juge peut ordonner une mesure d’expertise (en ce sens: Cass. Civ. 2ème, 16 juin 2011, n°10-27.172). Si la juridiction peut, en application de l’article R.142-16 du code de la sécurité sociale, ordonner toute mesure d’instruction, l’article 146 du code de procédure civile fait cependant obstacle à ce qu’une telle mesure soit ordonnée en vue de suppléer la carence d’une partie dans l’administration de la preuve qui lui incombe. Il appartient dès lors à l’employeur qui entend combattre la présomption susvisée de produire des éléments concrets permettant de susciter un doute sur l’imputabilité des soins et arrêts de travail à l’accident du travail ou à la maladie professionnelle.

A ce titre, la longueur inhabituelle de l’arrêt de travail ne saurait, à elle seule, justifier une remise en cause de son imputabilité à l’accident du travail.

Enfin, il résulte de l’article R.142-8-5 du code de la sécurité sociale que la commission médicale de recours amiable établit, pour chaque cas examiné, un rapport comportant son analyse du dossier, ses constatations et ses conclusions motivées. Cet avis est transmis à l’organisme de prise en charge et une copie du rapport est transmis au service médical compétent et, à la demande de l’employeur, au médecin mandaté par ce dernier lorsque celui-ci est à l’origine du recours.

Il résulte en l’espèce des éléments du dossier que [Z] [K], conducteur de véhicules et engins lourds, a été victime le 28 février 2023 d’un fait accidentel dans des circonstances que la déclaration d’accident du travail établie le 7 mars 2023 par l’employeur décrit comme suit : en débâchant son camion sur le quai de chargement/déchargement, le salarié aurait ressenti une douleur. Le document précisait, à la rubrique “nature des lésions” : douleur et choc.

Un certificat médical initial établi le 1er mars 2023 a fait état d’une scapulalgie gauche.

[Z] [K] a bénéficié d’arrêts de travail continus jusqu’au 14 décembre 2023, date de guérison fixée par le médecin-conseil.

Au soutien de sa demande en inopposabilité partielle des arrêts de travail et soins, la société BTL TRANSPORTS s’appuie sur le rapport rédigé par son praticien consultant, le docteur [S] [E], dans le cadre du recours préalable exercé devant la CMRA. Ce praticien estime que l’arrêt de travail imputable à l’accident ne devrait pas excéder huit jours. A l’appui de sa conclusion, il indique mal comprendre comment une simple douleur scapulaire a pu entraîner un arrêt de travail de huit mois, considérant d’une part que le référentiel HAS repris par l’Assurance maladie fait état, pour un poste de travail sédentaire ou avec travail physique léger, cinq à huit jours d’arrêt en l’absence d’intervention chirurgicale et, en second lieu, que [Z] [K] exerçait à l’époque des faits le métier de conducteur de véhicules en engins lourds sans contrainte de charges (ce sont les clients de l’entreprise BTL TRANSPORTS qui assurent le chargement et le déchargement du véhicule).

Pour autant, la CMRA a rendu le 13 février 2024 un avis confirmant l’imputabilité au sinistre de l’arrêt de travail et des soins prescrits à [Z] [K] sur la période du 1er mars au 18 octobre 2023. Cet avis est postérieur aux observations du médecin mandaté par l’employeur.

Pour rendre son avis, la CMRA a établi un rapport comportant une analyse du dossier (incluant le rapport initial du médecin-conseil), ses constatations et ses conclusions motivées. La société BTL TRANSPORTS n’allègue ni ne justifie avoir usé de la faculté que lui réserve l’article R.142-8-5 du code de la sécurité sociale. Il doit donc être considéré qu’elle n’a pas sollicité la transmission d’une copie du rapport de la CMRA au médecin qu’elle avait mandaté pour l’assister. Il résulte de cette carence, imputable à la seule demanderesse, que le tribunal ne dispose que de la conclusion retenue par la CMRA, et non des analyses médicales motivées du médecin-conseil puis de la commission, pièces que la Cpam de la Somme n’est quant à elle pas en mesure de produire puisqu’ils sont couverts par le secret médical et qu’elle n’en est donc pas destinataire. Il sera rappelé à toutes fins utiles que, si le rapport détaillé de la CMRA est adressé au médecin-conseil, ce dernier relève du service médical, organisme autonome indépendant de la Cpam.

En tout état de cause, la demanderesse ne produit pas d’éléments médicaux postérieurs à l’avis rendu par la CMRA, lequel n’est donc pas médicalement discuté.

Au bénéfice des observations qui précèdent, il convient de rejeter la demande de la société BTL TRANSPORTS tendant à lui voir déclarer inopposable l’arrêt de travail et les soins postérieurs au huitième jour suivant l’accident du travail survenu le 28 février 2023, ainsi que la demande de mise en oeuvre d’une mesure d’instruction, laquelle se heurte en tout état de cause aux dispositions de l’article 146 du code de procédure civile compte tenu des observations qui précèdent.

3. Sur les frais du procès et l’exécution provisoire :

L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Partie perdante au sens où l’entend ce texte, la société BTL TRANSPORTS supportera les éventuels dépens de l’instance.

Au regard de la solution retenue, il n’y a pas lieu d’assortir la décision de l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS
Le pôle social du tribunal judiciaire, statuant après débats en audience publique par jugement contradictoire en premier ressort, publiquement mis à disposition au greffe de la juridiction,
Déclare la société BTL TRANSPORTS recevable en sa demande,
Rejette la demande de la société BTL TRANSPORTS tendant à lui voir déclarer inopposable l’arrêt de travail et les soins prescrits à [Z] [K] à compter du 8ème jour suivant l’accident du travail survenu le 28 février 2023,
Rejette la demande de mesure d’instruction,
Déclare opposable à la société BTL TRANSPORTS l’ensemble des arrêts de travail et soins dont a bénéficié [Z] [K] en prolongement de l’accident du travail survenu le 28 février 2023,
Laisse les éventuels dépens de l’instance à la charge de la société BTL TRANSPORTS,
Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Le greffier, Le président,
David Créquit Emeric Velliet Dhotel

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