Prescription et recouvrement : enjeux d’un prêt familial non remboursé

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Prescription et recouvrement : enjeux d’un prêt familial non remboursé

L’Essentiel : En 1943, [R] [Z] et [D] [Y] se marient sous le régime de la communauté légale. Leur fille, Mme [J] [Z], reconnaît en 1990 une dette de 450 000 francs pour un prêt, remboursable par annuités. Après le décès de [D] [Y] en 2002, [R] [Z] hérite en usufruit, sans partage. À la mort de [R] [Z] en 2018, ses quatre enfants héritent. En 2020, des litiges surgissent concernant la liquidation des successions. Mme [J] [Z] conteste la créance, mais la cour conclut que le prêt ne peut être requalifié en donation et que la créance est prescrite depuis 2013.

Contexte matrimonial et prêt

[R] [Z] et [D] [Y] se sont mariés en 1943 sous le régime de la communauté légale. En 1990, leur fille, Mme [J] [Z], a reconnu devoir à ses parents la somme de 450 000 francs pour un prêt consenti, avec des modalités de remboursement par annuités de 45 000 francs, débutant en 1992, et des intérêts de 3 % par an.

Décès et héritage

[D] [Y] est décédée en 2002, laissant [R] [Z] comme conjoint survivant et quatre enfants. [R] [Z] a opté pour la totalité en usufruit de la succession. Aucun acte de partage n’a été réalisé après le décès de [D] [Y]. [R] [Z] est décédé en 2018, laissant également ses quatre enfants comme héritiers.

Litiges successoraux

Les enfants ont confié à un notaire la liquidation et le partage des successions. En janvier 2020, certains enfants ont assigné Mme [J] [Z] pour régler la liquidation des successions. Un jugement en novembre 2020 a autorisé la vente d’un bien indivis, mais les parties n’ont pas trouvé d’accord amiable.

Prescription et contestations

En mai 2022, Mme [J] [Z] a soulevé la prescription d’une créance de 67 077,56 euros. En avril 2023, le juge a rejeté cette fin de non-recevoir et a condamné Mme [J] [Z] aux dépens. Elle a interjeté appel de cette décision.

Arguments des parties

Mme [J] [Z] soutient que la créance est prescrite et que le prêt doit être requalifié en donation. Les consorts [Z] affirment que le prêt n’a jamais été remboursé intégralement et qu’il doit être rapporté à la succession.

Analyse de la cour

La cour a examiné la qualification de l’acte de prêt et a conclu qu’il ne pouvait être requalifié en donation, faute d’intention libérale. Elle a également déterminé que le droit d’action pour le recouvrement de la créance était prescrit depuis 2013, avant le décès de [R] [Z].

Décision finale

La cour a infirmé l’ordonnance du juge de première instance, déclarant irrecevable la demande des consorts [Z] concernant la créance. Les consorts [Z] ont été condamnés aux dépens de l’incident, sans indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la qualification juridique de l’acte de prêt consenti par les parents à leur fille ?

L’acte de prêt consenti par M. [R] [Z] et Mme [D] [Y] à leur fille, Mme [J] [Z], est initialement qualifié de prêt par les parties. Cependant, la qualification juridique peut être reconsidérée en fonction des intentions des parties et des circonstances entourant l’acte.

Selon l’article 12 du code de procédure civile, le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. En l’espèce, l’acte authentique du 4 avril 1990 stipule que Mme [J] [Z] reconnaît devoir à ses parents la somme de 450 000 francs au titre d’un prêt.

Il est important de noter que pour requalifier un prêt en donation, il faut démontrer l’existence d’un élément matériel (le transfert de la somme) et d’un élément moral (l’intention libérale). La cour a constaté que, bien que les parents aient renoncé à des intérêts et consenti une remise partielle, cela ne suffit pas à établir une intention libérale.

Ainsi, faute d’intention libérale établie, le prêt ne peut être requalifié en donation. Les consorts [Z] poursuivent donc le recouvrement de cette somme au profit de la succession, conformément aux articles 864 et suivants du code civil.

Quelles sont les conséquences de la prescription sur l’action en recouvrement de la créance ?

La question de la prescription est cruciale dans le cadre de l’action en recouvrement de la créance de 67 077,56 euros. L’article 2224 du code civil stipule que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

En l’espèce, le dernier versement effectué par Mme [J] [Z] date du 2 janvier 2000, et la dernière annuité devait être versée le 1er avril 2001. À partir de cette date, les créanciers ont eu connaissance de l’impossibilité de recouvrer la somme due. Le délai de prescription a donc commencé à courir à partir du 1er avril 2001.

La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 a modifié les délais de prescription, réduisant le délai de prescription pour les actions personnelles à cinq ans. Ainsi, le droit d’action en recouvrement devait être exercé avant le 19 juin 2013. Or, il a été établi que M. [R] [Z], en tant qu’usufruitier, n’a intenté aucune action dans ce délai.

Par conséquent, le droit d’action en recouvrement s’est éteint par l’effet de la prescription le 19 juin 2013, avant le décès de M. [R] [Z] en 2018. Les consorts [Z] ne peuvent donc pas poursuivre le recouvrement des sommes au profit de la succession.

Quels sont les effets de l’ordonnance du juge de la mise en état sur les dépens et les frais irrépétibles ?

L’ordonnance du juge de la mise en état a des conséquences sur les dépens et les frais irrépétibles, conformément aux articles 699 et 700 du code de procédure civile. L’article 699 précise que la partie perdante est condamnée aux dépens, qui peuvent être recouvrés par la partie gagnante.

Dans le cas présent, la cour a infirmé l’ordonnance du juge de la mise en état, déclarant irrecevable la demande des consorts [Z] concernant la créance de 67 077,56 euros. En conséquence, les consorts [Z], qui ont perdu l’instance, seront condamnés aux dépens de l’incident.

Concernant l’article 700, qui permet d’allouer une indemnité à la partie gagnante pour couvrir ses frais irrépétibles, la cour a décidé de ne pas faire application de ces dispositions dans cette affaire. Cela signifie que les consorts [Z] ne recevront pas d’indemnité pour leurs frais, en raison de la nature de la décision rendue.

Ainsi, les consorts [Z] seront responsables des dépens de l’incident, conformément à l’article 699, sans qu’il y ait lieu au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Chambre civile 1-1

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 28A

DU 14 JANVIER 2025

N° RG 23/03625

N° Portalis DBV3-V-B7H-V4P5

AFFAIRE :

[J], [R] [Z] divorcée [T]

C/

[N], [L] [Z]

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 14 Avril 2023 par le Juge de la mise en état de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 21/05170

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-Me Marie-laure TESTAUD,

-la SELEURL FANNY CHARPENTIER

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [J], [R] [Z] divorcée [T]

née le [Date naissance 5] 1956 à [Localité 19]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 14]

représentée par Me Marie-laure TESTAUD, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 483

Me Laurence PIPART-LENOIR, avocat – barreau de LILLE, vestiaire : 0104

APPELANTE

****************

Monsieur [N], [L] [Z]

né le [Date naissance 8] 1943 à [Localité 20]

de nationalité Française

[Adresse 11]

[Localité 2] – SUISSE

Madame [X], [I], [G] [Z] épouse [W]

née le [Date naissance 12] 1947 à [Localité 21]

de nationalité Française

[Adresse 9]

[Localité 16]

Madame [H], [M], [P] [Z] épouse [C]

née le [Date naissance 7] 1950 à [Localité 23]

de nationalité Française

[Adresse 13]

[Localité 15]

représentés par Me Fanny CHARPENTIER de la SELEURL FANNY CHARPENTIER, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.372 – N° du dossier E0001WSK

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 03 Octobre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Sixtine DU CREST, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Pascale CARIOU, Conseillère,

Madame Sixtine DU CREST, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE

[R] [Z] et [D] [Y] se sont mariés le [Date mariage 10] 1943 sous le régime de la communauté légale devant l’officier d’état civil de [Localité 17] (Jura).

Par acte authentique du 4 avril 1990, reçu par M. [S], notaire, Mme [J] [Z], leur fille, a reconnu devoir à M. [R] [Z] et Mme [D] [Y] la somme de 450 000 francs au titre d’un prêt qu’ils lui ont consenti. L’acte précisait ‘ladite somme sera remboursable par annuités de 45 000 francs’ puis ‘pour la première annuité être payable le premier avril mil neuf cent quatre vingt douze, la seconde le premier avril mil neuf cent qu’autre vingt treize et ainsi de suite d’année en année’. Enfin, ‘cette somme sera productive d’intérêts au taux de trois pour cent l’an. Lesquels intérêts seront payables en même temps que chaque annuité de remboursement en capital’.

[D] [Y] est décédée à [Localité 22] (Yvelines) le [Date décès 3] 2002, laissant pour lui succéder :

* [R] [Z], son conjoint survivant et donataire de son épouse en vertu d’un acte reçu par M. [S], notaire, le 29 novembre 1982,

* Ses quatre enfants issus de son union avec [R] [Z] :

– M. [N] [Z],

– Mme [X] [Z], épouse [W],

– Mme [H] [Z], épouse [A],

– Mme [J] [Z], divorcée [T].

Ces qualités héréditaires ont été constatées aux termes d’un acte de notoriété reçu par M. [K] [O], notaire à [Localité 24], le 21 mars 2002.

Aux termes d’un acte reçu par M. [O], [R] [Z] a déclaré opter, en exécution de la donation du 29 novembre 1982, pour la totalité en usufruit.

Compte tenu de l’option exercée par le conjoint survivant, aucun acte de partage n’est intervenu postérieurement au décès d'[D] [Y].

[R] [Z] est décédé le [Date décès 4] 2018 à [Localité 18] (Haut-de-Seine), laissant pour lui succéder ses quatre enfants issus de son union avec [D] [Y].

Aux termes d’un testament olographe du 28 février 2013, [R] [Z] a légué la quotité disponible de sa succession à M. [N] [Z] et à Mmes [X] et [H] [Z]. Par acte authentique du 13 juin 2016, [R] [Z] a révoqué ce testament.

Les quatre enfants sont héritiers ensemble pour le tout ou chacun divisément pour un quart, les qualités héréditaires ayant été constatées aux termes d’un acte de notoriété reçu par M. [U], notaire à [Localité 24], le 26 novembre 2018. Les parties ont confié à M. [U] les opérations de compte, liquidation et partage des successions confondues des deux parents.

Par acte d’huissier de justice du 23 janvier 2020, M. [N] [Z] et Mmes [X] et [H] [Z] ont fait assigner Mme [J] [Z] devant le tribunal judiciaire de Versailles dans le cadre d’une procédure accélérée au fond.

Par jugement rendu le 10 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Versailles a notamment autorisé à signer l’acte authentique de vente du bien indivis sis [Adresse 6] à [Localité 24], principal élément de la masse à partager, devant M. [U] et pour le prix de 719 000 euros.

Les parties ne sont pas parvenues à un règlement amiable concernant la liquidation des successions respectives de leurs parents.

Par acte d’huissier de justice du 22 septembre 2021, M. [N] [Z] et Mmes [X] et [H] [Z] ont fait assigner Mme [J] [Z] devant le tribunal judiciaire de Versailles aux fins que soit ordonnée l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage du régime matrimonial ayant existé entre les époux et des successions d'[D] et de [R] [Z].

Le 18 mai 2022, Mme [J] [Z] a saisi le juge de la mise en état d’un incident en soulevant la prescription de toute action en recouvrement concernant la créance fixée à hauteur de 67 077,56 euros.

Par une ordonnance contradictoire rendue le 14 avril 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Versailles a :

– rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Mme [J] [Z],

– condamné Mme [J] [Z] aux dépens de l’incident,

– condamné Mme [J] [Z] à payer à M. [N] [Z] et à Mmes [X] et [H] [Z] la somme totale de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– renvoyé l’examen de l’affaire à l’audience de mise en état du 20 juin 2023 pour conclusions au fond des parties.

Le 9 juin 2023, Mme [J] [Z] a interjeté appel de cette ordonnance à l’encontre de M. [N] [Z] et Mmes [X] et [H] [Z].

Par dernières conclusions notifiées au greffe le 24 juillet 2024, Mme [J] [Z], appelante, demande à la cour de :

Vu les articles 5 et 12 du code de procédure civile,

Vu l’article 789 alinéa 6 du code de procédure civile,

Vu l’article 2224 du code civil,

Vu les articles 560 et 565 du code civil,

– infirmer la décision rendue en ce qu’elle :

* a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par elle,

* l’a condamnée aux dépens,

* l’a condamnée à payer à M. [N] [Z] et à Mmes [X] et [H] [Z] la somme totale de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau :

– dire que l’objet du litige est un acte de prêt en date du 4 avril 1990,

– dire que le juge de la mise en état devait statuer sur la fin de non-recevoir concernant la prescription soulevée sur la reconnaissance de dette non remboursée et arrivée à terme le 4 avril 2000,

– déclarer irrecevable la demande présentée au fond par les consorts [Z] concernant le rapport à succession de la créance fixée à hauteur de 67 077,56 euros et déclarer prescrite toute action en recouvrement concernant cette créance,

– condamner les consorts [Z] au paiement d’une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– les condamner aux entiers dépens conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées au greffe le 17 août 2024, M. [N] [Z] et Mmes [X] et [H] [Z], intimés, demandent à la cour de :

– confirmer l’ordonnance rendue en toutes ses dispositions,

– débouter Mme [J] [Z] de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner Mme [J] [Z] à régler la somme de 1 000 euros à chacun d’entre eux, soit 3 000 euros au total, au visa des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR,

Sur les limites de l’appel

Il résulte des écritures susvisées que l’ordonnance est querellée en toutes ses dispositions.

Sur les ‘dire que’

L’article 954 du code de procédure civile oblige les parties à énoncer leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions et dispose que la cour ne statue que sur celles-ci.

Par prétention, il faut entendre, au sens de l’article 4 du code de procédure civile, une demande en justice tendant à ce qu’il soit tranché un point litigieux.

Par voie de conséquence, les ‘dire que’ formulées par Mme [J] [Z] ne constituent pas des prétentions, mais en réalité des moyens qui ont leur place dans le corps des écritures, plus précisément dans la partie consacrée à l’examen des griefs formulés contre le jugement et à la discussion des prétentions et moyens, pas dans le dispositif. La cour ne répondra de ce fait à de tels ‘dire que’ qu’à condition qu’ils viennent au soutien de la prétention formulée en appel et énoncée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans le dispositif de son arrêt, mais dans ses motifs.

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription

Moyens des parties

Poursuivant l’infirmation de l’ordonnance qui a rejeté sa demande d’irrecevabilité, Mme [J] [Z] demande à la cour de déclarer la prétention des consorts [Z], concernant le rapport à la succession de la créance fixée à la somme de 67 077,56 euros, irrecevable et de dire que toute action en recouvrement de cette créance est prescrite. Elle soutient que le premier juge a, à tort, requalifié le prêt consenti par ses parents en donation. Elle fait valoir que toute action en recouvrement des sommes dues est prescrite depuis le 19 juin 2013.

Poursuivant la confirmation de l’ordonnance entreprise, les consorts [Z] rétorquent que Mme [J] [Z] a reçu la somme de 450 000 francs au titre d’un prêt consenti par leurs parents. Ils détaillent les sommes dont elle s’est acquittée. Ils expliquent que leurs parents ont renoncé au bénéfice des intérêts et consenti une remise de 10 000 francs sur ledit prêt. Ils considèrent que ledit prêt doit s’analyser en donation, en ce que Mme [Z] ne l’a jamais entièrement remboursé, que le capital restant dû doit être rapporté à la masse successorale et qu’il ne peut être opposé de prescription.

Appréciation de la cour

– Sur la qualification de l’acte litigieux

L’alinéa 2 de l’article 12 du code de procédure civile dispose que le juge ‘doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.’

En l’espèce, par acte authentique du 4 avril 1990, reçu par M. [S], notaire, Mme [J] [Z] a reconnu devoir à M. [R] [Z] et Mme [D] [Y] la somme de 450 000 francs au titre d’un prêt qu’ils lui ont consenti.

Mme [J] [Z] a réglé des sommes entre le [Date décès 3] 1991 et le 2 janvier 2000.

[D] [Y] et [R] [Z] ont renoncé, selon acte sous seing privé du 16 janvier 2001, à tout intérêt sur les sommes encore dues concernant le prêt de 450 000 francs consenti à leur fille [J] [Z]. Ils ont aux termes du même acte, consenti une remise de 10 000 francs sur ledit prêt (pièce 9).

Ainsi, en 1990, [D] [Y] et [R] [Z] ont consenti un prêt à leur fille [J].

Une libéralité suppose ‘un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier’ (1ère Civ., 12 janvier 2012, pourvoi n°09-72.542, Bull. 2012, I, n°8). Pour requalifier ledit prêt en donation, il y a lieu de démontrer l’existence d’un élément matériel et d’un élément moral constitué par l’intention libérale. L’élément matériel résulte du transfert, non contesté, de la somme de 450 000 francs des époux [Z] à leur fille [J] [Z].

Concernant l’intention libérale, s’il y a lieu de relever que [R] [Z] n’a jamais sollicité judiciairement le remboursement desdites sommes, la renonciation à un droit ne peut résulter que d’actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer. Or, lesdits actes ne peuvent être déduits du simple fait de ne pas exercer d’action en justice.

De plus, il résulte des pièces versées que [D] [Y] et [R] [Z], n’ont consenti qu’une remise de 10 000 francs sur le capital dudit prêt, par acte sous seing privé en 2001, laissant Mme [J] [Z] redevable de la somme de 440 000 francs.

Enfin, si [R] [Z] a envisagé un temps de régulariser un acte de donation-partage en 2007 au bénéfice de ses enfants, le projet n’a pas abouti (pièce 22 et 16). Il résulte en outre, d’un échange de courriels entre [R] [Z] et Mme [J] [Z], versé par les consorts [Z], daté de septembre 2010 (pièce 20) que [R] [Z] restait dans l’attente du remboursement de sa fille.

Ainsi, faute d’intention libérale établie, il n’y a pas lieu de requalifier le prêt des époux [Z] à leur fille, Mme [J] [Z] en donation.

Faute de pouvoir agir en rapport d’une donation à la succession, il y a lieu de considérer que les consorts [Z] poursuivent le recouvrement de cette somme au profit de la succession au fondement de l’article 864 et suivants du code civil, et d’examiner si cette action est prescrite ou non.

– Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription

L’article 122 du code de procédure civile énonce que: ‘Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.’

Avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l’action personnelle et mobilière, telle que le recouvrement d’une somme due, se prescrivait par trente ans (ancien article 2262 du code civil).

Il résulte de l’article 2224 du code civil, issu de ladite loi que : ‘Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.’

L’article 617 du même code énonce que : ‘L’usufruit s’éteint :

Par la mort de l’usufruitier ;

Par l’expiration du temps pour lequel il a été accordé ;

Par la consolidation ou la réunion sur la même tête, des deux qualités d’usufruitier et de propriétaire ;

Par le non-usage du droit pendant trente ans ;

Par la perte totale de la chose sur laquelle l’usufruit est établi.’

En l’espèce, aux termes de l’acte authentique daté du 4 avril 1990, il est précisé : ‘ladite somme sera remboursable par annuités de 45 000 francs’ puis ‘pour la première annuité être payable le premier avril mil neuf cent quatre vingt douze, la seconde le premier avril mil neuf cent quatre vingt treize et ainsi de suite d’année en année’. Enfin, ‘cette somme sera productive d’intérêts au taux de trois pour cent l’an. Lesquels intérêts seront payables en même temps que chaque annuité de remboursement en capital’.

Mme [J] [Z] a versé les sommes suivantes :

– 10 125 francs quittancés selon acte sous seing privé du [Date décès 3] 1991,

– 13 500 francs quittancés selon acte sous seing privé du 10 janvier 1992,

– 13 500 francs quittancés selon acte sous seing privé du [Date décès 3] 1993,

– 11 628 francs quittancés selon acte sous seing privé du 2 janvier 1996,

– 11 628 francs quittancés selon acte sous seing privé du 6 janvier 1997,

– 11 628 francs quittancés selon acte sous seing privé du 5 janvier 1998,

– 11 628 francs quittancés selon acte sous seing privé du 6 janvier 1999,

– 11 628 francs quittancés selon acte sous seing privé du 2 janvier 2000.

Elle n’a donc pas respecté les modalités de remboursement prévues aux termes de ladite reconnaissance de dette. Le 1er avril 2001, Mme [J] [Z] devait verser la dernière annuité telle que prévue aux termes de l’acte du 4 avril 1990. Or, le dernier versement effectué par Mme [J] [Z] date du 2 janvier 2000.

Il convient donc de considérer que c’est à compter du 1er avril 2001 qu'[D] [Y] et [R] [Z] ont su que leur fille cessait le remboursement des sommes dues et qu’ils ont donc connu les faits leur permettant d’exercer une action pour les recouvrer. Le délai de prescription trentenaire a donc commencé à courir à compter du 1er avril 2001.

Après le décès d'[D] [Y] et la liquidation du régime matrimonial ayant existé entre les époux, [R] [Z] est devenu créancier de la moitié du capital dû par Mme [J] [Z] et usufruitier de l’autre moitié dudit capital.

En sa qualité d’usufruitier, il bénéficiait seul de la qualité pour agir en recouvrement de la somme sur laquelle porte l’usufruit (Cass. 1re civ., 4 oct. 1989, n° 87-11.142).

Par l’effet de la loi du 17 juin 2008, et de ses dispositions transitoires, la prescription concernant le recouvrement de ladite somme n’étant pas acquise, [R] [Z] disposait d’un délai de cinq ans à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, soit à compter de sa publication le 18 juin 2008, pour engager son action en recouvrement. Ce délai a expiré le 19 juin 2013.

[R] [Z] en sa qualité d’usufruitier, seul titulaire du droit d’action pour recouvrer lesdites sommes, n’a intenté aucune action à l’encontre de sa fille [J] dans ce délai, de sorte que le droit d’action en recouvrement s’est éteint par l’effet de la prescription le 19 juin 2013, avant son décès le [Date décès 4] 2018.

Ainsi, l’action étant éteinte, M. [N] [Z], Mmes [X] et [H] [Z] ne peuvent poursuivre le recouvrement des sommes au profit de la succession.

Dès lors, la décision entreprise sera infirmée en ce qu’elle a rejeté la fin de non recevoir soulevée par Mme [J] [Z] et la cour déclarera la demande des consorts [Z] irrecevable.

Sur les dépens et sur l’article 700 du code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a statué sur les dépens et les frais irrépétibles dans le cadre de l’incident.

Parties perdantes, les consorts [Z] seront condamnés aux dépens de l’incident, qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Il ne sera pas fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

INFIRME l’ordonnance rendue le 14 avril 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Versailles ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DÉCLARE irrecevable la demande formulée par les consorts [Z] à l’encontre de Mme [J] [Z] concernant la somme de 67 077,56 euros ;

DIT n’y avoir lieu au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE les consorts [Z] aux dépens de l’incident qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile;

REJETTE toutes autres demandes.

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

– signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


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