Prescription et qualité d’action en matière de copropriété : enjeux et implications.

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Prescription et qualité d’action en matière de copropriété : enjeux et implications.

L’Essentiel : Le litige oppose deux syndicats de copropriétaires concernant des infiltrations d’eau. En 2016, un copropriétaire de la résidence [Adresse 4] a acquis une cave mitoyenne, causant des dommages à l’immeuble [Adresse 2]. Après une expertise contradictoire en 2019 et une expertise judiciaire en 2020, les copropriétaires de l’immeuble [Adresse 2] ont assigné en justice pour obtenir réparations. Le syndicat de la résidence [Adresse 4] a soulevé des fins de non-recevoir, notamment la prescription de l’action. Cependant, le juge a déclaré l’action recevable, reconnaissant la qualité à agir de la SCI la Vallée Gobelin pour les travaux nécessaires.

Contexte de l’affaire

Le litige oppose deux syndicats de copropriétaires, celui de l’immeuble situé à [Adresse 2] et celui de la résidence [Adresse 4]. Le premier est propriétaire d’un ensemble immobilier comprenant des locaux commerciaux et des logements, tandis que le second possède un autre ensemble immobilier. En 2016, un copropriétaire de la résidence [Adresse 4] a acquis une cave mitoyenne, entraînant des infiltrations dans la copropriété de l’immeuble [Adresse 2], affectant notamment des établissements commerciaux.

Expertises et procédures judiciaires

Suite aux infiltrations, la SAS Foncia Val de Loire, syndic de l’immeuble [Adresse 2], a contacté le syndic de la résidence [Adresse 4]. Une expertise contradictoire a été réalisée en 2019, suivie d’une demande d’expertise judiciaire en 2020, acceptée par le juge des référés. Un rapport définitif a été remis en 2021, conduisant à une assignation en justice par les copropriétaires de l’immeuble [Adresse 2] pour obtenir des réparations et des indemnisations.

Arguments des parties

Le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4] a soulevé des fins de non-recevoir, notamment la prescription de l’action, arguant que les demandeurs avaient eu connaissance des faits en 2016 et que le délai de prescription était écoulé. Il a également contesté la qualité à agir de la SCI la Vallée Gobelin pour les travaux de maçonnerie et d’électricité, soutenant que ces travaux concernaient les parties communes et que seul le syndicat avait qualité pour agir.

Réponse des demandeurs

Les demandeurs ont rétorqué que leur action n’était pas prescrite, invoquant l’interruption du délai de prescription par la demande d’expertise. Ils ont également affirmé que la SCI la Vallée Gobelin avait qualité à agir pour les travaux de maçonnerie et d’électricité, soutenant que ces travaux touchaient à ses lots privatifs.

Décision du juge de la mise en état

Le juge a déclaré recevable l’action des demandeurs, considérant que le délai de prescription n’était pas écoulé. Il a également reconnu la qualité et l’intérêt à agir de la SCI la Vallée Gobelin pour les travaux de maçonnerie et d’électricité. Les dépens de l’incident suivront le sort de l’instance au fond, et le juge a renvoyé l’examen de l’affaire à une audience ultérieure.

Q/R juridiques soulevées :

1. Sur la prescription de l’action

L’article 2224 du code civil dispose : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

En l’espèce, les demandeurs ont eu connaissance des faits leur permettant d’agir, c’est-à-dire de la réalité et de l’étendue des désordres, au plus tard au jour du dépôt du rapport de la première expertise amiable, soit au 7 novembre 2016.

Dès lors, le délai de prescription a commencé à courir au plus tard le 7 novembre 2016 pour prendre fin le 7 novembre 2021.

L’article 2239 du code civil dispose : « La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès.

Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée. »

L’article 2241 alinéa 1er du code civil dispose : « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. »

Il résulte de la combinaison des articles 2239 et 2241 du code civil que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu’à l’extinction de l’instance.

En l’espèce, les demandeurs ont assigné le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4] en référé suivant actes d’huissier des 31 août et 1er septembre 2020.

Cette demande en justice a eu pour effet d’interrompre le délai de prescription en vertu des dispositions de l’article 2241 du code civil.

Ce délai a été suspendu pendant toute la durée de la procédure de référé et jusqu’au dépôt par l’expert de son rapport en application des dispositions de l’article 2239 du code civil, de sorte qu’un nouveau délai de prescription a commencé à courir à compter du 22 novembre 2021.

Il ressort de ces éléments que les demandeurs avaient jusqu’au 22 novembre 2026 pour agir, de sorte que leur action introduite suivant assignations des 18 et 22 novembre 2022 n’était pas prescrite.

Il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4] et de juger recevable comme non prescrite l’action des demandeurs.

2. Sur la qualité et l’intérêt à agir de la SCI la Vallée Gobelin

L’article 122 du code de procédure civile dispose : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »

L’article 31 du code de procédure civile dispose notamment que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention.

L’article 32 du code de procédure civile dispose également qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.

Le juge de la mise en état est compétent pour trancher la fin de non-recevoir tirée de la qualité et de l’intérêt à agir.

1- Sur les travaux de maçonnerie

L’article 15 alinéas 1 et 2 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 dispose : « Le syndicat a qualité pour agir en justice, tant en demandant qu’en défendant, même contre certains des copropriétaires; il peut notamment agir, conjointement ou non avec un ou plusieurs de ces derniers, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble.

Tout copropriétaire peut néanmoins exercer seul les actions concernant la propriété ou la jouissance de son lot, à charge d’en informer le syndic. »

Il est de droit qu’est recevable l’action d’un copropriétaire qui intéresse non seulement les parties communes, mais aussi le lot privatif du propriétaire concerné.

En l’espèce, la SCI la Vallée Gobelin fait valoir que les travaux visés par le devis intéressent les revêtements et la maçonnerie intérieure de ses lots privatifs et non des parties communes de l’immeuble.

Dès lors, en sa qualité de propriétaire, elle est recevable à agir s’agissant de son propre lot.

Il convient donc de rejeter cette fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d’intérêt à agir et de déclarer recevable la demande formée par la SCI la Vallée Gobelin au titre des travaux de maçonnerie.

2- Sur les travaux d’électricité

En l’espèce, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4] évoque que le montant des travaux d’électricité réclamés porterait sur des équipements professionnels de la cuisine de la crêperie Le Be New et n’incomberait pas au propriétaire des locaux.

Cependant, le simple devis non signé produit en pièce 20 de la demanderesse au fond a été établi au nom du locataire exploitant la crêperie est insuffisant pour démontrer que le propriétaire des locaux n’a pas subi de préjudice ou que les travaux sont à la charge du seul commerçant.

En effet, le devis porte sur l’aménagement électrique “arrière cuisine” suite à un dégât des eaux ; il permet de chiffrer les désordres allégués dans les locaux appartenant à la SCI La Vallée Gobelin.

Il appartiendra au juge du fond le cas échéant de se prononcer sur le bien fondé de la réclamation de la propriétaire qui, à ce stade, a bien qualité et intérêt à agir.

Il convient de rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d’intérêt à agir et de déclarer recevable la demande formée par la SCI la Vallée Gobelin au titre des travaux d’électricité.

3. Sur les autres demandes

A ce stade de la procédure, les dépens seront réservés.

Le sort des frais irrépétibles sera apprécié par le juge du fond.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, statuant par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et susceptible d’appel dans les conditions prévues par l’article 795 du code de procédure civile,

Déclare recevable comme non prescrite l’action introduite par le syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé [Adresse 2] à Tours, la SCI Nat aux droits de laquelle vient la SCI Cadoq, la SARL CBHG, la SCI la Vallée Gobelin et la SARL D&D,

Déclare recevable la demande de la SCI la Vallée Gobelin au titre des travaux de maçonnerie en ce qu’elle a qualité et intérêt à agir à l’encontre du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4],

Déclare recevable la demande de la SCI la Vallée Gobelin au titre des travaux d’électricité en ce qu’elle a qualité et intérêt à agir à l’encontre du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4],

Dit que les dépens de l’incident suivront le sort de l’instance au fond,

Laisse le sort des frais irrépétibles à l’appréciation du juge du fond.

Rejette le surplus des demandes,

Renvoie l’examen de l’affaire à l’audience de mise en état virtuelle du 20 janvier 2025 et dit que Me [P] devra signifier ses conclusions avant cette date.

N° Minute :

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE TOURS

MISE EN ÉTAT

PREMIÈRE CHAMBRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ORDONNANCE RENDUE LE 21 NOVEMBRE 2024

N° RG 22/05465 – N° Portalis DBYF-W-B7G-IR2M

DEMANDERESSES

SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES DE L’IMMEUBLE sis [Adresse 2] son syndic en exercice la S.A.S. FONCIA VAL DE LOIRE
(RCS de TOURS 307 213 249°, dont le siège social est sis [Adresse 5]
représentée par Maître Julien BERBIGIER de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocats au barreau de TOURS,

La S.C.I CADOQ intervenant volontairement en lieu et place de son vendeur la S.C.I. NAT
(RCS de TOURS n° 523 731 917), dont le siège social est sis [Adresse 9]
représentée par Maître Julien BERBIGIER de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocats au barreau de TOURS,

S.A.R.L. CBHG exerçant sous l’enseigne “L’Excalibur”
(RCS de TOURS n° 434 865 754)
, dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par Maître Julien BERBIGIER de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocats au barreau de TOURS,

S.C.I. LA VALLEE GOBELIN
(RCS de TOURS n° 801 616 970), dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par Maître Julien BERBIGIER de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocats au barreau de TOURS,

S.A.R.L. D&D exerçant sous l’enseigne « LE BE NEW »
(RCS de TOURS n° 819 290 065), dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par Maître Julien BERBIGIER de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocats au barreau de TOURS,

DÉFENDERESSES

SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES DE LA RESIDENCE [Adresse 4] pris en la personne de son syndic en exercice la S.A.R.L. LA CENTRALE IMMOBILIERE
(RCS de TOURS n° 317 706 174)
dont le siège social est [Adresse 1], dont le siège social est sis [Adresse 4]
représentée par Maître Laurent SUZANNE de la SELARL ETHIS AVOCATS, avocats au barreau de TOURS,

S.A. GAN ASSURANCES
(RCS de PARIS n° 542 063 797), dont le siège social est sis [Adresse 8]
représentée par Maître Sofia VIGNEUX de la SCP THAUMAS AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de TOURS,

ORDONNANCE RENDUE PAR :

JUGE DE LA MISE EN ETAT : V. ROUSSEAU,

GREFFIER : C. FLAMAND,

DÉBATS :

A l’audience publique du 10 octobre 2024 avec indication que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 21 Novembre 2024.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Le syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 10] est propriétaire d’un ensemble immobilier soumis au statut de la copropriété et comprenant des locaux commerciaux et logements d’habitation cadastré section EI n°[Cadastre 7].

Le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4] est propriétaire d’un ensemble immobilier cadastré section EI n°[Cadastre 6].

Dans le courant de l’année 2016, l’un des copropriétaires de la résidence [Adresse 4] a fait l’acquisition d’une cave mitoyenne à la copropriété de l’immeuble situé [Adresse 2].

Les travaux effectués dans cette cave ont engendré des infiltrations au sein de ladite copropriété, notamment dans le sous-sol de la boîte de nuit « L’Excalibur » exploitée dans les murs de la copropriété par la SARL CBHG et appartenant dans un premier temps à la SCI Nat, puis dans un second temps à la SCI Cadoq intervenant en lieu et place, ainsi que dans la crêperie exploitée par la SARL D&D et dont les lots appartiennent à la SCI la Vallée Gobelin.

La SAS Foncia Val de Loire, syndic de copropriété de l’immeuble situé [Adresse 2], a pris attache avec la SARL la Centrale Immobilière, syndic de copropriété de la résidence [Adresse 4].

Une expertise contradictoire a été réalisée par Monsieur [K], lequel a remis son rapport le 5 octobre 2019.

Par acte d’huissier des 31 août et 1er septembre 2020, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé [Adresse 2] à Tours, la SCI Nat, la SARL CBHG, la SCI la Vallée Gobelin et la SARL D&D ont saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Tours d’une demande d’expertise judiciaire au contradictoire du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4] et de son assureur, la SA Gan Assurances.

Suivant ordonnance du 20 octobre 2020, le juge des référés a fait droit à cette demande et missionné Monsieur [E] pour y procéder. L’expert a rendu son rapport définitif le 22 novembre 2021.

Par actes d’huissier des 18 et 22 novembre 2022, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé [Adresse 2] à Tours, la SCI Nat, la SARL CBHG, la SCI la Vallée Gobelin et la SARL D&D ont assigné devant le tribunal judiciaire de Tours le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4] et la SA Gan Assurances, aux fins de voir condamner le syndicat sous astreinte à exécuter les travaux de réfection préconisés par l’expert judiciaire et de les voir condamner solidairement à leur verser diverses sommes au titre de travaux de peinture, d’assainissement de la cave, de maçonnerie et d’électricité ainsi qu’au titre de leurs préjudices de jouissance.

Par conclusions d’incident signifiées par voie électronique le 17 mai 2024, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4] demande au juge de la mise en état, au visa des articles 2224 et 2239 du code civil et de l’article 789 du code de procédure civile, de :
– Déclarer irrecevables en toutes leurs demandes dirigées contre le syndicat des copropriétaires de l’immeuble du [Adresse 4], pour cause de prescription : le syndicat des copropriétaires de l’immeuble du [Adresse 2], la SCI Cadoq, venant aux droits de la SCI Nat, et la SARL CBHG
– Déclarer irrecevable la SCI Vallée Gobelin en sa demande dirigée contre le syndicat des copropriétaires de l’immeuble du [Adresse 4] tendant à sa condamnation à lui verser la somme de 15.624 €, pour des travaux de maçonnerie, faute de qualité à agir.
– Déclarer irrecevable La SCI Vallée Gobelin en sa demande dirigée contre le syndicat des copropriétaires de l’immeuble du [Adresse 4] tendant à sa condamnation à lui verser la somme de a somme de 2622.37 € pour des travaux d’électricité, faute d’intérêt à agir.
– Condamner in solidum, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble du [Adresse 2], la SCI Cadoq, la SARL CBHG et la SCI Vallée Gobelin à verser au syndicat des copropriétaires de l’immeuble du [Adresse 4] la somme de 2000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4] soutient que l’action des demandeurs est prescrite au motif que la SAS Foncia Val de Loire, syndic de copropriété de l’immeuble situé [Adresse 2], aurait eu connaissance des faits au plus tard le 20 juin 2016, de sorte que les demandeurs avaient jusqu’au 20 juin 2021 pour agir en vertu de la prescription quinquennale de droit commun. Il précise que ce délai a été suspendu pendant la procédure de référé, pour recommencer à courir à compter du 22 novembre 2021, date de dépôt du rapport. Il conclut que le délai de prescription était écoulé au 18 novembre 2022, date de l’assignation.

Il soutient également que la SCI la Vallée Gobelin n’a pas qualité à agir au titre du remboursement des travaux de maçonnerie au motif que ces travaux porteraient sur les parties communes de l’immeuble situé [Adresse 2], de sorte que seul le syndicat des copropriétaires aurait qualité pour agir. Il ajoute qu’elle n’a pas non plus qualité à agir au titre des travaux d’électricité en ce que le devis est établi au nom de la crêperie « Le Be New » de sorte que ces travaux incomberaient au locataire et non à la SCI la Vallée Gobelin, bailleresse.

Par conclusions d’incident signifiées par voie électronique le 5 février 2024, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé [Adresse 2] à Tours, la SCI Cadoq, venant aux droits de la SCI Nat, la SARL CBHG, la SCI la Vallée Gobelin et la SARL D&D demandent au juge de la mise en état, au visa des articles 2224, 2231, 2239 et 2241 du code civil, 31 et 122 du code de procédure civile et de l’article 15 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965, de :
– Juger que l’action engagée par syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 2], la S.C.I Cadoq, la S.A.R.L CHGB, la S.C.I La Vallée Gobelin et la S.A.R.L D&D ne sont nullement prescrites en leurs demandes ;
– Juger que la S.C.I La Vallée Gobelin a pleine qualité à agir ;
– Juger que l’action engagée par syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 2], la S.C.I Cadoq, la S.A.R.L CHGB, la S.C.I La Vallée Gobelin et la S.A.R.L D&D à l’encontre du syndicat des copropriétaires de la Résidence [Adresse 4] et la SA Gan Assurances est recevable ;
– Débouter le syndicat des copropriétaires de la Résidence [Adresse 4] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
– Condamner solidairement le syndicat des copropriétaires de la Résidence [Adresse 4] et la SA Gan Assurances à payer au syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 2], la S.C.I Cadoq, la S.A.R.L CHGB, la S.C.I La Vallée Gobelin et la S.A.R.L D&D la somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– Condamner solidairement le syndicat des copropriétaires de la Résidence [Adresse 4] et la SA Gan Assurances aux entiers dépens de l’instance en ce y compris les frais d’expertise judiciaire ;

Les demandeurs affirment que leur action n’est pas prescrite au motif que le délai de prescription n’est pas suspendu mais est interrompu par toute action en justice, et notamment par une demande d’expertise en référé, de sorte qu’un nouveau délai aurait commencé à courir au 22 novembre 2021, date du dépôt du rapport d’expertise, pour prendre fin le 22 novembre 2026.
Ils exposent que la SCI la Vallée Gobelin a qualité pour demander le remboursement du coût des travaux de maçonnerie au motif que ces travaux intéressent ses lots privatifs et non les parties communes de l’immeuble et qu’un copropriétaire n’a pas à justifier d’un intérêt personnel distinct de l’intérêt collectif pour agir individuellement contre une atteinte irrégulière aux parties communes. S’agissant des travaux d’électricité, les demandeurs arguent là aussi que la SCI la Vallée Gobelin, propriétaire des murs, a qualité pour agir en ce que l’installation électrique fait partie du local commercial.

Par conclusions d’incident signifiées par voie électronique le 19 juin 2023, la SA Gan Assurances demande au juge de la mise en état de :
– Prendre acte de ce que la SA Gan Assurances s’en rapporte à justice s’agissant des demandes formulées par le syndicat des copropriétaires de l’immeuble du [Adresse 4] ;
– Débouter toute demande de condamnation de la SA GAN ASSURANCES au titre de l’article 700 du CPC et des dépens de l’incident ;

La SA Gan Assurances s’en rapporte à justice.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, et ce, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer à leurs conclusions respectives régulièrement signifiées par RPVA.

L’affaire a été évoquée à l’audience d’incident de mise en état du 10 octobre 2024 puis placée en délibéré par mise à disposition au greffe au 21 novembre 2024.

MOTIFS

Aux termes de l’article 789 du code de procédure civile : Le juge de la mise en état est, à compter de sa désignation et, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :

1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et les incidents mettant fin à l’instance ;

2° Allouer une provision pour le procès ;

3° Accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l’exécution de sa décision à la constitution d’une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522 ;

4° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d’un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;

5° Ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction ;

6° Statuer sur les fins de non-recevoir.

Par dérogation au premier alinéa, s’il estime que la complexité du moyen soulevé ou l’état d’avancement de l’instruction le justifie, le juge de la mise en état peut décider que la fin de non-recevoir sera examinée à l’issue de l’instruction par la formation de jugement appelée à statuer sur le fond.

Dans le cas visé au précédent alinéa, la décision du juge de la mise en état, qui constitue une mesure d’administration judiciaire, est prise par mention au dossier. Avis en est donné aux avocats. Les parties sont alors tenues de reprendre la fin de non-recevoir dans les conclusions adressées à la formation de jugement.

I/ Sur la prescription de l’action

L’article 122 du code de procédure civile dispose : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »

Le juge de la mise en état est compétent pour connaître des fins de non-recevoir tirée de la prescription.

L’article 2224 du code civil dispose : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

En l’espèce, les demandeurs ont eu connaissance des faits leur permettant d’agir, c’est-à-dire de la réalité et de l’étendue des désordres, au plus tard au jour du dépôt du rapport de la première expertise amiable, soit au 7 novembre 2016. Le rapport de la société Partech conclut en effet en ces termes : « Nous constations que l’ensemble des évacuations EP de la terrasse situées derrière la grille s’évacue en direction de la cour. Les joints situés entre les pavées de la cour ne sont pas étanches. Lorsqu’il pleut, l’eau des différentes évacuations se rejoint et ruisselle au milieu de la cour, l’eau pénètre par les joints entre les pavés et ressort sur le plafond des WC de la boîte de nuit. »

Dès lors, le délai de prescription a commencé à courir au plus tard le 7 novembre 2016 pour prendre fin le 7 novembre 2021.

L’article 2239 du code civil dispose : « La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès.
Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée. »

L’article 2241 alinéa 1er du code civil dispose : « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

Il résulte de la combinaison des articles 2239 et 2241 du code civil que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu’à l’extinction de l’instance et que, lorsque le juge fait droit à cette demande, le même délai est suspendu jusqu’à la remise par l’expert de son rapport au juge.

En l’espèce, les demandeurs ont assigné le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4] en référé suivant actes d’huissier des 31 août et 1er septembre 2020.

Cette demande en justice a eu pour effet d’interrompre le délai de prescription en vertu des dispositions de l’article 2241 du code civil. Ce délai a été suspendu pendant toute la durée de la procédure de référé et jusqu’au dépôt par l’expert de son rapport en application des dispositions de l’article 2239 du code civil, de sorte qu’un nouveau délai de prescription a commencé à courir à compter du 22 novembre 2021.

Il ressort de ces éléments que les demandeurs avaient jusqu’au 22 novembre 2026 pour agir, de sorte que leur action introduite suivant assignations des 18 et 22 novembre 2022 n’était pas prescrite.

Il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4] et de juger recevable comme non prescrite l’action des demandeurs.

II/ Sur la qualité et l’intérêt à agir de la SCI la Vallée Gobelin

L’article 122 du code de procédure civile dispose : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »

L’article 31 du code de procédure civile dispose notamment que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention.

L’article 32 du code de procédure civile dispose également qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.

Le juge de la mise en état est compétent pour trancher la fin de non-recevoir tirée de la qualité et de l’intérêt à agir.

1- Sur les travaux de maçonnerie

L’article 15 alinéas 1 et 2 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 dispose : « Le syndicat a qualité pour agir en justice, tant en demandant qu’en défendant, même contre certains des copropriétaires; il peut notamment agir, conjointement ou non avec un ou plusieurs de ces derniers, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble.
Tout copropriétaire peut néanmoins exercer seul les actions concernant la propriété ou la jouissance de son lot, à charge d’en informer le syndic. »

Il est de droit qu’est recevable l’action d’un copropriétaire qui intéresse non seulement les parties communes, mais aussi le lot privatif du propriétaire concerné.

En l’espèce, la SCI la Vallée Gobelin fait valoir que les travaux visés par le devis intéressent les revêtements et la maçonnerie intérieure de ses lots privatifs et non des parties communes de l’immeuble. Dès lors, en sa qualité de propriétaire, elle est recevable à agir s’agissant de son propre lot.

Il convient donc de rejeter cette fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d’intérêt à agir et de déclarer recevable la demande formée par la SCI la Vallée Gobelin au titre des travaux de maçonnerie.

2- Sur les travaux d’électricité

En l’espèce, le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4] évoque que le montant des travaux d’électricité réclamés porterait sur des équipements professionnels de la cuisine de la crêperie Le Be New et n’incomberait pas au propriétaire des locaux.

Cependant, le simple devis non signé produit en pièce 20de la demanderesse au fond a été établi au nom du locataire exploitant la crêperie est insuffisant pour démontrer que le propriétaire des locaux n’a pas subi de préjudice ou que les travaux sont à la charge du seul commerçant. En effet, le devis porte sur l’aménagement électrique “ arrière cuisine” suite à un dégât des eaux ; il permet de de chiffrer les désordres allégués dans les locaux appartenant à la SCI La Vallée Gobelin.

Il appartiendra au juge du fond le cas échéant de se prononcer sur le bien fondé de la réclamation de la propriétaire qui, à ce stade, a bien qualité et intérêt à agir.

Il convient de rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d’intérêt à agir et de déclarer recevable la demande formée par la SCI la Vallée Gobelin au titre des travaux d’électricité.

III/ Sur les autres demandes

A ce stade de la procédure, les dépens seront réservés.

Le sort des frais irrépétibles sera apprécié par le juge du fond.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, statuant par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et susceptible d’appel dans les conditions prévues par l’article 795 du code de procédure civile,

Déclare recevable comme non prescrite l’action introduite par le syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé [Adresse 2] à Tours, la SCI Nat aux droits de laquelle vient la SCI Cadog, la SARL CBHG, la SCI la Vallée Gobelin et la SARL D&D,

Déclare recevable la demande de la SCI la Vallée Gobelin au titre des travaux de maçonnerie en ce qu’elle a qualité et intérêt à agir à l’encontre du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4],

Déclare recevable la demande de la SCI la Vallée Gobelin au titre des travaux d’électricité en ce qu’elle a qualité et intérêt à agir à l’encontre du syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 4],

Dit que les dépens de l’incident suivront le sort de l’instance au fond,

Laisse le sort des frais irrépétibles à l’appréciation du juge du fond.

Rejette le surplus des demandes,

Renvoie l’examen de l’affaire à l’audience de mise en état virtuelle du 20 janvier 2025 et dit que Me [P] devra signifier ses conclusions avant cette date.

LE GREFFIER,
LE JUGE DE LA MISE EN ÉTAT


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