Prescription et obligations contractuelles : enjeux de la responsabilité du bailleur

·

·

Prescription et obligations contractuelles : enjeux de la responsabilité du bailleur

L’Essentiel : La SCI MERCURY a conclu un bail commercial avec INTERSOD en juin 2017. En décembre 2022, INTERSOD a donné congé pour juin 2023. Le 29 juin 2023, MERCURY a assigné INTERSOD pour un arriéré locatif de 49 614,19 euros, mais a été déboutée par ordonnance du 17 novembre 2023. En réponse, INTERSOD a réclamé 397 825,46 euros pour trouble de jouissance et d’autres montants. MERCURY a soulevé l’irrecevabilité des demandes d’INTERSOD, arguant de la prescription quinquennale. Le juge a constaté que les demandes d’INTERSOD étaient irrecevables, entraînant une condamnation aux dépens en faveur de MERCURY.

Contexte du litige

La SCI MERCURY a conclu un bail commercial avec la société INTERSOD le 28 juin 2017 pour un local commercial situé à [Localité 3]. Le 6 décembre 2022, INTERSOD a donné congé à MERCURY pour le 30 juin 2023.

Assignation et demandes de la SCI MERCURY

Le 29 juin 2023, la SCI MERCURY a assigné INTERSOD devant le tribunal judiciaire de Bobigny, demandant le paiement d’un arriéré locatif de 49 614,19 euros. Cependant, par ordonnance du 17 novembre 2023, la SCI MERCURY a été déboutée de ses demandes.

Réaction de la société INTERSOD

Le 8 novembre 2023, INTERSOD a assigné la SCI MERCURY, réclamant 397 825,46 euros pour trouble de jouissance, 49 321,80 euros pour le dépôt de garantie, et 20 000 euros pour résistance abusive.

Incident d’irrecevabilité soulevé par la SCI MERCURY

La SCI MERCURY a soulevé un incident d’irrecevabilité, arguant que les demandes d’INTERSOD étaient prescrites. Elle a demandé au juge de déclarer INTERSOD irrecevable et de débouter ses demandes.

Arguments des parties

INTERSOD a soutenu que les manquements de la SCI MERCURY étaient persistants et que la prescription ne s’appliquait pas, tandis que MERCURY a affirmé que les demandes étaient soumises à la prescription quinquennale, ayant commencé à courir en mars 2018.

Décision du juge de la mise en état

Le juge a constaté que la société INTERSOD avait connaissance des manquements dès mars 2018 et n’avait pas agi dans le délai imparti. Par conséquent, toutes ses demandes ont été jugées irrecevables pour cause de prescription.

Conséquences de la décision

La société INTERSOD a été condamnée aux dépens et à verser 1 500 euros à la SCI MERCURY au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la nature de la prescription applicable aux actions en responsabilité contractuelle dans le cadre d’un bail commercial ?

La prescription applicable aux actions en responsabilité contractuelle, notamment dans le cadre d’un bail commercial, est régie par l’article 2224 du Code civil. Cet article stipule que :

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

Dans le cas présent, la SCI MERCURY soutient que la société INTERSOD aurait dû connaître les manquements dès le 6 mars 2018, date à laquelle elle a eu connaissance des infiltrations et des désordres.

Ainsi, selon la SCI MERCURY, le délai de prescription a commencé à courir à cette date, et la société INTERSOD aurait dû agir avant le 6 mars 2023 pour que sa demande soit recevable.

En conséquence, la SCI MERCURY considère que la demande de la société INTERSOD est prescrite, car elle n’a été formulée que le 8 novembre 2023, soit bien après l’expiration du délai de cinq ans.

Quelles sont les conséquences de la prescription sur les demandes d’indemnisation ?

La prescription a pour effet d’éteindre le droit d’agir en justice pour obtenir une indemnisation. L’article 2224 du Code civil, déjà cité, précise que l’inaction dans le délai de prescription entraîne l’extinction totale du droit à réclamer une indemnité.

Dans le cas présent, la société INTERSOD a formulé des demandes d’indemnisation pour des manquements du bailleur à son obligation de délivrance.

Étant donné que la société INTERSOD n’a pas agi dans le délai de cinq ans, ses demandes, qui reposent sur des faits connus depuis 2018, sont déclarées irrecevables.

Cela signifie que la société INTERSOD ne pourra pas obtenir réparation pour les préjudices allégués, car le droit d’agir en justice a été éteint par la prescription.

Comment la notion de « manquement persistant » influence-t-elle le délai de prescription ?

La société INTERSOD soutient que le manquement de la SCI MERCURY à son obligation de délivrance est persistant et répétitif, ce qui pourrait justifier une interprétation « glissante » ou « flottante » de la prescription.

Cependant, l’article 2224 du Code civil ne prévoit pas d’exception pour les manquements persistants dans le cadre de la prescription.

La jurisprudence a généralement considéré que le délai de prescription commence à courir dès que le créancier a connaissance des faits lui permettant d’agir, indépendamment de la persistance des manquements.

Dans cette affaire, bien que des infiltrations aient pu se produire après le 6 mars 2018, la cause de ces infiltrations était déjà connue à cette date.

Ainsi, le fait que d’autres désordres aient pu survenir ultérieurement ne modifie pas le point de départ du délai de prescription, qui reste fixé à la date de connaissance des faits.

Quelles sont les implications de l’article 700 du Code de procédure civile dans cette affaire ?

L’article 700 du Code de procédure civile dispose que :

« Le juge condamne la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. »

Dans cette affaire, la SCI MERCURY a demandé à la société INTERSOD de lui verser une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700, en raison de la perte de son action.

Étant donné que la société INTERSOD a été déclarée irrecevable dans ses demandes, le juge a condamné cette dernière à payer la somme demandée à la SCI MERCURY.

Cela signifie que la société INTERSOD devra également supporter les frais de justice liés à cette procédure, en plus des dépens, ce qui peut représenter une charge financière supplémentaire pour elle.

Tribunal judiciaire de Bobigny
Chambre 5/Section 3
AFFAIRE N° RG : N° RG 23/11226 – N° Portalis DB3S-W-B7H-YHZR
Ordonnance du juge de la mise en état
du 06 Janvier 2025

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE BOBIGNY
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
DU 06 JANVIER 2025

Chambre 5/Section 3

Affaire : N° RG 23/11226 – N° Portalis DB3S-W-B7H-YHZR
N° de Minute : 25/00027

DEMANDEUR

S.A.S. INTERSOD, représentée par JD CONSEIL agissant et ayant les pouvoirs nécessaires en tant que président
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Axel FORSSELL, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS,
vestiaire : PB 264

C/

DEFENDEUR

S.C.I. MERCURY RCS BOBIGNY N°440 827 236
[Adresse 2]
[Localité 3] / FRANCE
représentée par Me Jean-David ZERDOUN, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire : E0298

JUGE DE LA MISE EN ÉTAT :

Madame Aliénor CORON,
assistée aux débats de Madame Zahra AIT, Greffier.

DÉBATS :

Audience publique du 04 Novembre 2024.

ORDONNANCE :

Prononcée en audience publique, par ordonnance contradictoire et en premier, par Madame Aliénor CORON, juge de la mise en état, assistée de Madame Sakina HAFFOU, greffier.

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous-seing privé en date du 28 juin 2017, la SCI MERCURY a donné à bail commercial à la société INTERSOD, un local commercial dépendant d’un immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 3] (93).

Par exploit du 6 décembre 2022, la société INTERSOD a donné congé à la SCI MERCURY pour le 30 juin 2023.

Par exploit de commissaire de justice délivré le 29 juin 2023, la SCI MERCURY a fait assigner la société INTERSOD devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins notamment de la voir condamner à lui payer à titre provisionnel la somme de 49 614,19 euros correspondant au solde de son arriéré locatif arrêté au 30 juin 2023.

La SCI MERCURY a été déboutée de ses demandes par ordonnance de référé du 17 novembre 2023.

Par exploit du 8 novembre 2023, la société INTERSOD a assigné la SCI MERCURY devant le tribunal judiciaire de Bobigny, aux fins notamment de voir condamner la SCI MERCURY à lui payer la somme de 397 825,46 euros au titre du trouble de jouissance résultant du manquement à son obligation de délivrance, à lui restituer la somme de 49 321,80 euros au titre du dépôt de garantie, ainsi qu’à lui payer la somme de 20 000 euros pour résistance abusive.

La SCI MERCURY a saisi le juge de la mise en état d’un incident aux fins d’irrecevabilité.

Aux termes de ses dernières conclusions d’incident, signifiées par RPVA le 25 octobre 2024, la SCI MERCURY sollicite du juge de la mise en état de :
-Déclarer la société INTERSOD irrecevable, pour cause de prescription, en son action en responsabilité et, consécutivement, en ses demandes en paiement des sommes de 397 825,46 euros et 20 000 euros,
-Débouter la société INTERSOD de toutes ses demandes,
-Condamner la société INTERSOD à payer à la SCI MERCURY la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’incident.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par RPVA le 23 octobre 2024 la société INTERSOD demande au juge de la mise en état de :
-rejeter les demandes de la SCI MERCURY,
-juger recevable l’action en réparation du manquement du bailleur à son obligation de délivrance duquel ont résulté les différents dommages subis en 2018 puis en 2019, 2022 et en 2023 par la société INTERSOD,
-condamner la SCI MERCURY à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamner la SCI MERCURY aux entiers dépens avec application de l’article 699 du code de procédure civile.

Il est expressément renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’affaire a été appelée à l’audience de plaidoiries sur incident du 4 novembre 2024, et mise en délibéré au 6 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

La SCI MERCURY considère, sur le fondement de l’article 2224 du code civil que la demande formée par la société INTERSOD aux fins de la voir condamner au paiement des sommes de 397 825,46 euros au titre du trouble de jouissance et de 20 000 euros au titre de la résistance abusive est prescrite. Elle fait valoir que les demandes indemnitaires de la société INTERSOD se rapportant à des actions en responsabilité contractuelle, elles sont soumises à la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil. Elle souligne que le fait d’invoquer les articles 1719, 1720, 1721, 1755, 1732 et 606 du code civil ne font que confirmer le caractère personnel de l’action en responsabilité engagée à son encontre. Le délai quinquennal a selon elle commencé à courir dès le 6 mars 2018, date à laquelle la société INTERSOD avait connaissance des manquements et désordres qu’elle allègue. Elle soutient que la prescription serait dès lors acquise depuis le 6 mars 2023.

Se fondant sur les articles 1719 et suivants du code civil, la société INTERSOD fait valoir que les non-conformités et désordres portant sur la toiture de l’entrepôt de stockage et sa vétusté existaient dès 2017 et se sont poursuivis jusqu’en juillet 2023, date de la sortie effective du locataire. Le manquement de la SCI MERCURY à son obligation de délivrance étant persistant et répétitif, la prescription peut être considérée comme étant “glissante” ou “flottante”. Elle soutient que l’obligation de délivrance est une obligation pesant sur le bailleur qui se poursuit pendant toute l’exécution du bail de sorte que la SCI MERCURY ne peut invoquer la prescription de l’action indemnitaire s’agissant des dommages causés en 2019, 2022 et 2023.

L’article 789 du code de procédure civile dispose que lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal pour statuer sur les fins de non-recevoir.

L’article 122 du même code précise que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L’article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

L’action en responsabilité pour manquement du bailleur à son obligation de délivrance conforme est soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil. A défaut d’avoir agi dans le délai, le preneur n’aura plus la possibilité d’obtenir une indemnité à ce titre en justice, la prescription de l’action entraînant l’extinction totale du droit à la réclamer.

En l’espèce, il ressort des termes de l’assignation que la demande indemnitaire de la société INTERSOD repose d’une part sur l’existence d’infiltrations récurrentes en lien avec une défectuosité de la toiture, et d’autre part sur la non-conformité du local haute Tension.

S’agissant des infiltrations, il ressort des écritures de la société INTERSOD, ainsi que du procès-verbal de constat du 27 juillet 2023 que celles-ci étaient dues au caractère défectueux de la toiture de l’entrepôt, constituée de panneaux PVC en mauvais état, de nombreux panneaux étant troués en différents endroits et n’assurant pas le couvert. Il s’évince des échanges de courriels produits par la société INTERSOD qu’elle avait dès le 6 mars 2018 connaissance du caractère défectueux de la toiture, évoquant à cette date de multiples fuites affectant le local.

Ainsi, la société INTERSOD avait dès le 6 mars 2018 connaissance des faits lui permettant d’exercer son action en responsabilité du bailleur au titre de son préjudice de jouissance. Le fait que d’autres infiltrations aient pu se produire postérieurement à cette date est insusceptible d’entraîner un report du point de départ du délai de prescription dans la mesure où l’ensemble des infiltrations avaient la même cause, connue dès mars 2018.

S’agissant du local haute-tension, la société INTERSOD indique dans ses écritures que celle-ci était connue dès le 6 juin 2017. Elle avait donc connaissance dès la signature du bail le 28 juin 2017 de ce fait lui permettant d’agir.

N’ayant agi que le 8 novembre 2023, elle est prescrite en son action qui reposait exclusivement sur ces deux manquements, et l’ensemble de ses demandes seront jugées irrecevables.

La société INTERSOD sera condamnée aux dépens ainsi qu’à payer à la SCI MERCURY la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Le juge de la mise en état,

-Juge irrecevables comme prescrites l’ensemble des demandes de la société INTERSOD,

-Condamne la société INTERSOD aux dépens,

-Condamne la société INTERSOD à payer à la SCI MERCURY la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait au Palais de Justice, le 06 Janvier 2025

La minute de la présente décision a été signée par Madame CORON, Juge, assistée de Madame Sakina HAFFOU, Greffier présente lors de son prononcé.

LE GREFFIER LE JUGE DE LA MISE EN ETAT

Madame HAFFOU Madame CORON


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon