L’Essentiel : Le 21 octobre 2008, M. et Mme [J] ont acquis des parts de la SCPI SGAM AI Pierre patrimoine 2 via Primonial. Cette société, gérée par Société générale Asset Management, a été dissoute en 2017. En avril 2019, les époux ont assigné Primonial et Amundi immobilier, invoquant un manquement à l’obligation d’information suite à une perte de valeur de leurs parts. La cour d’appel a déclaré leur demande irrecevable pour cause de prescription, estimant qu’ils avaient été informés des pertes en juin 2010. Cette décision a été critiquée pour avoir mal interprété le moment de réalisation du dommage.
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Acquisition des parts de la SCPILe 21 octobre 2008, M. et Mme [J] ont acquis des parts de la société civile de placement immobilier SGAM AI Pierre patrimoine 2 (SCPI) par l’intermédiaire de la société Primonial. Cette SCPI, fondée et gérée par la Société générale Asset Management Alternative Investment, a acquis six immeubles avant d’être dissoute en 2017, avec la société Amundi immobilier nommée liquidatrice amiable. Assignation en responsabilitéLe 8 avril 2019, M. et Mme [J] ont assigné les sociétés Primonial et Amundi immobilier en responsabilité, arguant d’un manquement à leur obligation d’information et de conseil, en raison d’une perte importante de valeur de leurs parts. Arguments des demandeursM. et Mme [J] ont contesté la décision de la cour d’appel qui a déclaré leurs demandes irrecevables pour cause de prescription. Ils soutenaient que le point de départ de la prescription devait être la date à laquelle ils ont pris conscience des pertes subies, affirmant que les documents reçus en juin 2010 ne leur permettaient pas d’appréhender la réalité de ces pertes. Réponse de la Cour d’appelLa cour d’appel a retenu que M. et Mme [J] avaient été informés de la diminution de la valeur de leurs parts au plus tard le 10 juin 2010, date à partir de laquelle ils auraient dû connaître les faits leur permettant d’exercer une action en responsabilité. Elle a conclu que leur action, engagée en avril 2019, était donc prescrite. Violation des textes légauxLa cour d’appel a été critiquée pour avoir statué que le dommage allégué, soit la perte de capital, était réalisé à partir de la date d’information, alors que ce dommage ne pouvait se concrétiser qu’à la clôture de la liquidation de la SCPI. Cette interprétation a été jugée comme une violation des articles du code civil et du code de commerce relatifs à la prescription des actions en responsabilité. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la nature de l’obligation d’information et de conseil des conseillers en gestion de patrimoine ?L’obligation d’information et de conseil des conseillers en gestion de patrimoine est une obligation légale qui vise à protéger les investisseurs en leur fournissant toutes les informations nécessaires pour prendre des décisions éclairées concernant leurs investissements. Selon l’article 1112-1 du Code civil, « le débiteur d’une obligation d’information doit informer son créancier des éléments d’information dont il dispose et qui sont nécessaires à la prise de décision de ce dernier. » Cette obligation implique que le conseiller doit non seulement fournir des informations sur les produits d’investissement, mais également sur les risques associés. En l’espèce, M. et Mme [J] soutiennent que la société Primonial et Amundi immobilier n’ont pas respecté cette obligation, ce qui a conduit à une perte de valeur de leurs parts dans la SCPI. Quel est le point de départ de la prescription en matière d’action en responsabilité pour manquement à l’obligation d’information ?Le point de départ de la prescription en matière d’action en responsabilité pour manquement à l’obligation d’information est régi par l’article 2224 du Code civil. Cet article stipule que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. » Dans le cas présent, la cour d’appel a retenu que M. et Mme [J] avaient été informés de la diminution de la valeur de leurs parts au plus tard le 10 juin 2010, ce qui aurait marqué le début du délai de prescription. Cependant, il est important de noter que, selon la jurisprudence, la prescription ne commence à courir qu’à partir de la réalisation du dommage, c’est-à-dire lorsque la perte devient effective. Dans cette affaire, le dommage allégué ne pouvait se réaliser avant la clôture de la liquidation de la SCPI, ce qui soulève des questions sur la validité de la décision de la cour d’appel. Comment la cour d’appel a-t-elle justifié sa décision de déclarer l’action prescrite ?La cour d’appel a justifié sa décision de déclarer l’action prescrite en se fondant sur les documents que M. et Mme [J] avaient reçus, notamment le procès-verbal d’assemblée générale et le rapport annuel de la SCPI. Elle a conclu que ces documents contenaient des informations claires sur la diminution de la valeur des parts, ce qui aurait permis aux investisseurs de prendre conscience des pertes subies. La cour a également pris en compte les connaissances académiques et professionnelles de M. et Mme [J], estimant qu’ils ne pouvaient pas prétendre ne pas avoir compris les risques associés à leur investissement. Cependant, cette analyse a été contestée, car le dommage allégué, à savoir la perte de capital, ne pouvait être considéré comme réalisé avant la liquidation de la SCPI, ce qui remet en question la base légale de la décision de la cour d’appel. Quelles sont les conséquences de la violation de l’obligation d’information par le conseiller en gestion de patrimoine ?La violation de l’obligation d’information par le conseiller en gestion de patrimoine peut entraîner des conséquences juridiques significatives, notamment la possibilité pour l’investisseur d’engager une action en responsabilité délictuelle. Selon l’article 1240 du Code civil, « toute faute qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Dans le cas de M. et Mme [J], si la cour avait reconnu que la société Primonial et Amundi immobilier avaient manqué à leur obligation d’information, ils auraient pu obtenir réparation pour les pertes subies. Cependant, la cour d’appel a estimé que les investisseurs avaient été suffisamment informés, ce qui a conduit à la déclaration de leur action comme prescrite. Cette décision souligne l’importance pour les conseillers de respecter leurs obligations d’information afin d’éviter des litiges et des conséquences financières pour les investisseurs. |
SH
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 janvier 2025
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 11 F-D
Pourvoi n° D 23-19.691
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 15 JANVIER 2025
1°/ M. [C] [J],
2°/ Mme [F] [O], épouse [J],
tous deux domiciliés [Adresse 1], [Localité 6] (Royaume-Uni),
ont formé le pourvoi n° D 23-19.691 contre l’arrêt rendu le 17 avril 2023 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Primonial, société par actions simplifiée dont le siège est [Adresse 2], [Localité 3],
2°/ à la société Amundi immobilier, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], [Localité 4],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guillou, conseiller, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. et Mme [J], de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la société Primonial et de la SCP Krivine et Viaud, avocat de la société Amundi immobilier, après débats en l’audience publique du 19 novembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Guillou, conseiller rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 17 avril 2023), le 21 octobre 2008, M. et Mme [J] ont acquis, par l’intermédiaire de la société Primonial, des parts de la société civile de placement immobilier SGAM AI Pierre patrimoine 2 (la SCPI), fondée et gérée par la Société générale Asset Management Alternative Investment aux droits de laquelle se trouve la société Amundi immobilier.
2. La SCPI, qui avait acquis six immeubles, a été dissoute au cours de l’année 2017, la société Amundi immobilier étant nommée liquidatrice amiable.
3. Le 8 avril 2019, soutenant subir une perte importante de valeur de leurs parts, M. et Mme [J] ont assigné les sociétés Primonial et Amundi immobiler en responsabilité pour manquement à leur obligation d’information et de conseil.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. et Mme [J] font grief à l’arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites leurs demandes, alors « qu’en matière d’investissements locatifs, le point de départ de la prescription de l’action pour manquement au devoir d’information et de conseil du vendeur est la date à laquelle l’acquéreur a pris conscience des pertes qu’il a subies ; que les exposants faisaient valoir que le rapport annuel et les procès-verbaux d’assemblée générale portés à leur connaissance en juin 2010 ne leur permettaient pas de disposer des informations nécessaires à la prise de conscience des pertes effectives subies et ne pouvaient donc marquer le point de départ du délai de prescription dès lors que ces documents rappelaient que la portée des valeurs mentionnées devait être relativisée ; qu’en déclarant que les exposants avaient été informés au plus tard le 10 juin 2010 que la valeur des parts de la société de placement immobilier avait diminué et qu’ils avaient connu ou auraient dû connaître à compter de cette date les faits permettant d’exercer une action en responsabilité sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si l’information donnée dans ces documents, selon laquelle la valorisation des actifs demeurait théorique tant que les actifs immobiliers étaient en cours de réalisation, leur interdisait de prendre conscience des pertes effectives subies et donc d’agir en responsabilité, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 2224 du code civil et L 110-4 du code de commerce. »
Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :
5. Selon ces textes, les actions personnelles ou mobilières entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
6. Il en résulte que la prescription d’une action en responsabilité ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance et que le manquement par un conseiller en gestion de patrimoine à son obligation d’informer l’acquéreur de parts de la SCPI sur le risque de pertes inhérent à cet investissement ou à son obligation de le conseiller au regard d’un tel risque, prive celui-ci d’une chance d’éviter la réalisation de ces pertes, de sorte que le délai pour agir en indemnisation d’un tel dommage ne peut commencer à courir avant la date à laquelle les pertes se réalisent.
7. Pour déclarer prescrite l’action en responsabilité engagée par M. et Mme [J], l’arrêt retient qu’ils ont été destinataires du procès-verbal d’assemblée générale de la SCPI du 10 juin 2010 et du rapport annuel afférent à celle-ci arrêté au 31 décembre 2009, dont il ressort que la valeur des parts de la SCPI avait diminué en valeur absolue de 35,31 %. Il ajoute que l’alerte qui leur avait été donnée dans la brochure de présentation et la note d’information ainsi que les données chiffrées de l’assemblée générale leur révélait de manière explicite la portée du risque de perte en capital encouru du fait de la diminution, déjà réalisée, de la valeur des parts de la SCPI et que M. et Mme [J] en raison de leurs connaissances académiques et professionnelles ne peuvent prétendre que cette information ne leur a pas permis d’appréhender concrètement le risque de perte au seul motif que celle-ci ne pouvait être appréciée qu’après la revente du patrimoine et la liquidation de la SCPI. L’arrêt en conclut que M. et Mme [J] ont connu ou auraient dû connaître à compter du 10 juin 2010 les faits leur permettant d’exercer l’action en responsabilité délictuelle à l’encontre des sociétés Primonial et Amundi immobilier et que n’ayant exercé cette action que le 8 avril 2019, soit plus de cinq ans après le point de départ de la prescription, leur action est prescrite.
8. En statuant ainsi, alors que le dommage allégué, consistant en la perte d’une partie du capital investi, ne pouvait se réaliser avant la clôture de la liquidation de la SCPI, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
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