L’Essentiel : L’affaire concerne Mme [X] et M. [Y], dont le divorce a été prononcé le 1er mars 2012, avec liquidation de leurs biens. Mme [X] a tenté de contester ce jugement par un appel, déclaré irrecevable en raison de sa tardiveté, décision confirmée par la Cour de cassation en 2014. En 2018, un notaire a établi une créance de 850 968,92 euros due par M. [Y] à Mme [X], entraînant une saisie conservatoire. M. [Y] a demandé la mainlevée, arguant de la prescription de la créance, mais la cour d’appel a rejeté sa demande, considérant que le jugement avait acquis force de chose jugée en 2014.
|
Contexte de l’affaireL’affaire concerne Mme [X] et M. [Y], mariés sous le régime de la séparation de biens, dont le divorce a été prononcé par un jugement du 1er mars 2012. Ce jugement a également ordonné la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux. Procédure de divorce et appelMme [X] a formé un appel contre le jugement de divorce, mais cet appel a été déclaré irrecevable en raison de sa tardiveté. Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d’appel en 2013, et le pourvoi formé par Mme [X] contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation en 2014. Créances et saisie conservatoireEn 2018, un notaire a établi un projet d’acte de partage indiquant une créance de 850 968,92 euros due par M. [Y] à Mme [X]. Suite à cela, une ordonnance a autorisé Mme [X] à pratiquer une saisie conservatoire pour une créance de 900 000 euros. Demande de mainlevée par M. [Y]M. [Y] a contesté cette saisie en saisissant le juge de l’exécution pour demander la mainlevée de la mesure. Il a soutenu que la créance de Mme [X] était prescrite, arguant que le jugement de divorce avait acquis force de chose jugée dès le 25 mai 2012, date à laquelle il ne pouvait plus faire l’objet d’un recours suspensif d’exécution. Décision de la cour d’appelLa cour d’appel a rejeté la demande de M. [Y], considérant que le jugement de divorce n’avait acquis force de chose jugée qu’à la date du rejet du pourvoi en cassation, soit le 13 novembre 2014. Elle a donc estimé que la requête de Mme [X] pour la saisie conservatoire, déposée en juillet 2018, était recevable. Analyse juridiqueLa Cour a rappelé que, selon le code de procédure civile, un jugement acquiert force de chose jugée lorsque le délai de recours est expiré. En l’espèce, la cour d’appel a erronément considéré que le jugement de divorce était toujours susceptible de recours au moment de la saisie, alors qu’il avait acquis force de chose jugée un mois après sa signification. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la force de chose jugée d’un jugement de divorce en l’absence d’appel ?Le jugement de divorce acquiert force de chose jugée à l’expiration du délai d’appel, soit un mois après sa signification, si aucun recours n’est exercé. Selon l’article 500 du Code de procédure civile, « a force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution ». Ainsi, un jugement susceptible d’un recours acquiert la même force à l’expiration du délai de recours, si ce dernier n’a pas été exercé dans le délai imparti. Dans le cas présent, le jugement de divorce du 1er mars 2012 a été signifié le 25 avril 2012. Mme [X] n’ayant pas interjeté appel dans le délai d’un mois, le jugement a acquis force de chose jugée le 25 mai 2012. Cela signifie que, dès cette date, le jugement ne pouvait plus faire l’objet d’un recours suspensif d’exécution. Comment la prescription des créances entre époux est-elle déterminée ?La prescription des créances entre époux est régie par les articles 2224 et 2226 du Code civil. L’article 2224 stipule que « la prescription est un mode d’acquisition ou d’extinction d’un droit par l’effet du temps ». En l’absence de dispositions particulières, le délai de prescription est de cinq ans pour les créances entre époux. L’article 2226 précise que « le délai de prescription commence à courir à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer ce droit ». Dans cette affaire, Mme [X] a déposé sa requête pour la saisie conservatoire le 2 juillet 2018. Or, le jugement de divorce ayant acquis force de chose jugée le 25 mai 2012, le délai de prescription de cinq ans était donc écoulé. Ainsi, la cour d’appel a erré en considérant que l’action de Mme [X] n’était pas prescrite. Quelles sont les conséquences d’un pourvoi en cassation sur la force de chose jugée ?Le pourvoi en cassation a un effet suspensif sur l’exécution des décisions, comme le précise l’article 539 du Code de procédure civile. Cet article indique que « seul l’appel exercé dans le délai suspend l’exécution du jugement ». Dans le cas présent, Mme [X] a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 25 juillet 2013, qui a confirmé l’irrecevabilité de son appel. La cour d’appel a donc conclu que le jugement de divorce n’avait acquis force de chose jugée qu’à la date du rejet du pourvoi, soit le 13 novembre 2014. Cependant, cette interprétation est erronée, car le jugement de divorce aurait dû être considéré comme ayant acquis force de chose jugée un mois après sa signification, soit le 25 mai 2012. Ainsi, la cour d’appel a violé les articles 500 et 539 du Code de procédure civile en statuant de la sorte. Quelles sont les implications de la saisie conservatoire dans ce contexte ?La saisie conservatoire est une mesure permettant de garantir le paiement d’une créance en cas de risque de non-paiement. Elle est régie par les dispositions du Code de procédure civile, notamment l’article 49 qui stipule que « la saisie conservatoire peut être ordonnée pour garantir une créance ». Dans cette affaire, Mme [X] a obtenu une ordonnance autorisant la saisie conservatoire pour une créance de 900 000 euros. Cependant, puisque la créance était déjà prescrite au moment de la saisie, cette mesure ne pouvait être justifiée. La cour d’appel a donc dû rejeter la demande de M. [Y] tendant à la mainlevée de la saisie conservatoire, car la créance sur laquelle elle se fondait était éteinte par prescription. En conclusion, la saisie conservatoire ne peut être maintenue si la créance sous-jacente est prescrite, ce qui était le cas ici. |
SA9
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 15 janvier 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 35 F-B
Pourvoi n° S 23-21.842
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 JANVIER 2025
M. [W] [Y], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 23-21.842 contre l’arrêt rendu le 21 septembre 2023 par la cour d’appel de Paris (pôle 1, chambre 10), dans le litige l’opposant à Mme [G] [X], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Daniel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [Y], de la SCP Alain Bénabent, avocat de Mme [X], et l’avis de Mme Picot-Demarcq, avocat général, après débats en l’audience publique du 19 novembre 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Daniel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 21 septembre 2023), statuant sur renvoi après cassation (1re Civ., 18 mai 2022, pourvoi n° 20-20.725, publié), un jugement du 22 octobre 2009 a ordonné l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l’indivision existant entre Mme [X] et M. [Y], mariés sous le régime de la séparation de biens.
2. Un jugement du 1er mars 2012, signifié le 25 avril 2012, a prononcé leur divorce et ordonné la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux.
3. L’appel général formé par Mme [X] à l’encontre de ce jugement a été déclaré irrecevable en raison de sa tardiveté, par ordonnance d’un conseiller de la mise en état du 5 février 2013, confirmée par arrêt du 25 juillet 2013 rendu sur déféré.
4. Le pourvoi formé à l’encontre de cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation (2e Civ., 13 novembre 2014, pourvoi n° 13-25.035).
5. Le 29 juin 2018, un notaire a établi un projet d’acte de partage faisant apparaître une somme de 850 968,92 euros due par M. [Y] à Mme [X] au titre des créances entre époux.
6. Une ordonnance du 4 juillet 2018 a autorisé Mme [X] à pratiquer une saisie conservatoire pour sûreté d’une créance de 900 000 euros.
7. M. [Y] a saisi le juge de l’exécution d’une demande tendant à la mainlevée de cette mesure, pratiquée le 24 juillet 2018.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. M. [Y] fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande tendant à la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée par Mme [X] le 24 juillet 2018 pour sûreté de la somme de 900 000 euros, alors « que le délai de droit commun par lequel se prescrivent, en l’absence de dispositions particulières, les créances entre époux en matière personnelle ou mobilière commence à courir lorsque le divorce a acquis force de chose jugée ; qu’un jugement acquiert force de chose jugée à la date à laquelle il ne peut plus faire l’objet d’un recours suspensif d’exécution ; que pour dire non prescrite l’action de Mme [X] au titre de créances qu’elle prétendait détenir sur son ex-époux, M. [Y], la cour d’appel, après avoir constaté que Mme [X] avait formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de déféré du 25 juillet 2013 confirmant une ordonnance du conseiller de la mise en état ayant déclaré irrecevable son appel contre le jugement de divorce du 1er mars 2012 ayant prononcé le divorce des époux, a retenu que par exception au droit commun, le pourvoi contre le jugement ayant prononcé le divorce est suspensif d’exécution, pour en déduire que le jugement du 1er mars 2012 n’avait acquis force de chose jugée qu’à la date à laquelle avait été rejeté le pourvoi en cassation de Mme [X], soit le 13 novembre 2014, et que la requête de Mme [X] tendant à être autorisée à faire pratiquer la saisie conservatoire litigieuse ayant été déposée le 2 juillet 2018, la prescription quinquennale n’était pas acquise ; qu’en statuant de la sorte, quand l’arrêt du 13 novembre 2014 avait rejeté le pourvoi formé par Mme [X] contre l’arrêt du 25 juillet 2013 ayant confirmé une ordonnance du conseiller de la mise en état ayant déclaré irrecevable son appel contre le jugement de divorce, ce dont il résultait que Mme [X] n’ayant pas valablement interjeté appel du jugement de divorce, celui-ci avait acquis force de chose jugée un mois suivant sa signification, soit le 25 mai 2012, date à laquelle il ne pouvait plus faire l’objet d’un recours suspensif d’exécution, de sorte que la requête de Mme [X] devant le juge de l’exécution déposée plus de cinq ans après était irrecevable, la cour d’appel a violé les articles 2224 et 2226 du code civil, ensemble les articles 500 et 1086 du code de procédure civile. »
Vu les articles 500 et 539 du code de procédure civile :
9. Aux termes du premier de ces textes, a force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution. Le jugement susceptible d’un tel recours acquiert la même force à l’expiration du délai du recours, si ce dernier n’a pas été exercé dans le délai.
10. Il résulte du second que seul l’appel exercé dans le délai suspend l’exécution du jugement.
11. Pour rejeter la demande de M. [Y] tendant à la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée par Mme [X] le 24 juillet 2018 pour sûreté de la somme de 900 000 euros, l’arrêt relève que le délai de pourvoi et le pourvoi exercé dans ce délai suspendent l’exécution de la décision qui prononce le divorce. Il en déduit que le jugement de divorce a acquis force de chose jugée le 13 novembre 2014, soit la date à laquelle a été rejeté le pourvoi en cassation formé à l’encontre de l’arrêt d’appel ayant confirmé l’ordonnance du conseiller de la mise en état qui avait déclaré irrecevable l’appel formé tardivement par Mme [X].
12. En statuant ainsi, alors que le jugement de divorce était, à défaut d’appel formé dans le délai d’un mois à compter de la signification du jugement, passé en force de chose jugée à l’expiration de ce délai, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Laisser un commentaire