L’Essentiel : Le conseil municipal de [Localité 3] a instauré un droit de préemption sur les baux commerciaux dans un périmètre de sauvegarde. La société KPA Exotiques a notifié la cession de son bail commercial le 26 octobre 2021. Le 13 décembre, la commune a décidé de préempter ce bail pour 10.000 euros. Malgré un recours gracieux de KPA, la décision est devenue définitive. En octobre 2022, KPA a demandé un report de la préemption, refusé par la commune. Après plusieurs recours judiciaires infructueux, la commune a assigné KPA en justice, obtenant la cession du bail et des dommages-intérêts.
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Contexte de la préemptionLe conseil municipal de [Localité 3] a instauré, par délibération du 30 juin 2008, un droit de préemption sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux dans un périmètre de sauvegarde. Ce périmètre inclut certains secteurs du territoire municipal. Déclaration de cession du bail commercialLa société KPA Exotiques, locataire d’un local d’alimentation générale situé [Adresse 1] dans ce périmètre, a notifié à la commune sa déclaration de cession de bail commercial le 26 octobre 2021. Décision de préemption par la communeLe 13 décembre 2021, la commune a décidé de préempter le bail commercial pour un montant de 10.000 euros, souhaitant diversifier l’offre commerciale. Cette décision a été notifiée aux parties concernées le 17 décembre 2021. Recours gracieux et rejetLe 31 janvier 2022, KPA Exotiques a formé un recours gracieux contre la décision de préemption, annonçant son renoncement à la cession. Ce recours a été rejeté le 24 février 2022, et la décision de préemption est devenue définitive le 11 mai 2022, faute de recours contentieux. Notification du projet d’acte de cessionLe 23 septembre 2022, la commune a notifié à KPA Exotiques le projet d’acte de cession du bail, demandant des compléments sous quinze jours. Un courrier similaire a été envoyé au propriétaire du local. Demande de report de la préemptionLe 29 octobre 2022, KPA Exotiques a demandé un report de trois ans de la préemption. La commune a refusé cette demande par courrier du 4 janvier 2023, rappelant que la préemption valait contrat de vente. Recours contentieux et décisions judiciairesKPA Exotiques a saisi le tribunal administratif de Montreuil le 21 février 2023, mais sa demande a été rejetée comme tardive le 30 mai 2023. Un recours contre cette décision a également été rejeté par la cour administrative d’appel de Paris le 27 septembre 2023. Assignation en justice par la communeLe 28 novembre 2023, la commune a assigné KPA Exotiques devant le tribunal de Bobigny, demandant la cession du bail, des dommages pour préjudice moral, des frais de justice, et l’exécution provisoire de la décision. Constitution d’avocat et absence de conclusionsKPA Exotiques a constitué avocat le 4 mars 2024 mais n’a pas déposé de conclusions. L’affaire a été examinée à l’audience publique du 12 novembre 2024. Décision du tribunalLe tribunal a condamné KPA Exotiques à céder le bail commercial à la commune, à verser 2.000 euros pour préjudice moral, ainsi qu’une somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et a ordonné l’exécution provisoire de la décision. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la nature juridique de la décision de préemption prise par la commune de [Localité 3] ?La décision de préemption prise par la commune de [Localité 3] est considérée comme un contrat de vente. En effet, selon l’article L. 210-1 du Code de l’urbanisme, « le droit de préemption est un droit qui permet à une personne publique d’acquérir, en priorité, un bien immobilier lorsque celui-ci est mis en vente. » Cette décision est définitive lorsque le titulaire du bail n’engage pas de recours contentieux dans le délai imparti. Dans le cas présent, la société KPA Exotiques a été informée de la décision de préemption le 17 décembre 2021 et n’a pas formé de recours dans les deux mois suivant le rejet de son recours gracieux, rendant ainsi la décision définitive le 11 mai 2022. Quels sont les recours possibles contre une décision de préemption ?Les recours possibles contre une décision de préemption sont limités par les dispositions de l’article R. 222-1 du Code de justice administrative. Cet article stipule que « le recours contentieux doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision. » Dans le cas de la société KPA Exotiques, le recours gracieux a été rejeté le 24 février 2022, et le délai pour un recours contentieux a expiré le 11 mai 2022. Ainsi, la société KPA Exotiques n’a pas respecté le délai légal pour contester la décision de préemption, ce qui a conduit à la confirmation de cette décision par le tribunal administratif. Quelles sont les conséquences d’un recours abusif en matière de préemption ?L’article 1240 du Code civil prévoit que « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Dans le cadre de la préemption, si un recours est jugé abusif, la partie perdante peut être condamnée à des dommages et intérêts. Dans cette affaire, la société KPA Exotiques a engagé des recours alors qu’elle savait que la décision de préemption était définitive, ce qui a causé un préjudice à la commune de [Localité 3]. Le tribunal a donc condamné la société à verser 2000 euros en réparation du préjudice moral subi par la commune. Quels sont les frais de justice et leur répartition en cas de condamnation ?Les frais de justice sont régis par l’article 696 du Code de procédure civile, qui stipule que « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge n’en décide autrement. » De plus, l’article 700 du même code permet au juge de condamner la partie perdante à verser une somme à l’autre partie pour couvrir les frais non compris dans les dépens. Dans cette affaire, la société KPA Exotiques a été condamnée à payer les dépens et à verser 2000 euros à la commune de [Localité 3] au titre de l’article 700, en raison de sa position perdante dans le litige. Quelles sont les conditions d’exécution provisoire d’une décision de justice ?Les conditions d’exécution provisoire d’une décision de justice sont définies par les articles 514 et 514-1 du Code de procédure civile. Ces articles stipulent que « les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire, sauf décision motivée du juge. » Dans le cas présent, le tribunal a décidé que l’exécution provisoire était applicable, car la nature de l’affaire ne justifiait pas une dérogation à ce principe. Ainsi, la commune de [Localité 3] peut procéder à l’exécution de la décision de préemption sans attendre l’issue d’un éventuel appel. |
de BOBIGNY
JUGEMENT CONTENTIEUX DU 21 JANVIER 2025
Chambre 7/Section 2
AFFAIRE: N° RG 23/11341 – N° Portalis DB3S-W-B7H-YJJC
N° de MINUTE : 25/00067
COMMUNE DE [Localité 3]
Immatriculée sous le SIREN n°219 300 498 00017
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Pierre-henri ROUSSEL,
avocat au barreau de PARIS,
vestiaire : E1939
DEMANDEUR
C/
S.A.R.L. KPA Exotiques
Immatriculée au RCS de Bobigny sous le n°852 931 641
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Florence NGUEYEP NOUMO, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 236
DEFENDEUR
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Christelle HILPERT, Première Vice-Présidente, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l article 812 du code de procédure civile, assistée aux débats de Madame Camille FLAMANT, greffier.
DÉBATS
Audience publique du 12 Novembre 2024, à cette date, l’affaire a été mise en délibéré au 14 Janvier 2025, et elle a été prorogée au 21 Janvier 2025.
JUGEMENT
Rendu publiquement, par mise au disposition au greffe, par jugement Contradictoire et en premier ressort, par Madame Christelle HILPERT, Première Vice-Présidente, assistée de Madame Camille FLAMANT, greffier.
Par délibération en date du 30 juin 2008, le conseil municipal de [Localité 3] a institué un droit de préemption sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux
dans un périmètre de sauvegarde correspondant à certains secteurs du territoire municipal.
La société KPA Exotiques, locataire à bail commercial d’un local d’alimentation générale situé [Adresse 1], soit dans l’un de ces périmètres de sauvegarde, a adressé à la commune de [Localité 3] un courrier portant déclaration de cession de son bail commercial, qui a été reçu le 26 octobre 2021.
La commune de [Localité 3], souhaitant diversifier l’offre commerciale dans ce secteur, a décidé, suivant arrêté municipal du 13 décembre 2021, de préempter le bail commercial au prix mentionné dans la déclaration, soit 10.000 euros.
La décision de préemption a été notifiée par lettres recommandées avec accusé de réception à la
société KPA Exotiques, au conseil alors en charge de la défense de ses intérêts et aux gérants de la société, Monsieur et Madame [E] [K]. Ces courriers ont été reçus le 17 décembre 2021.
Par courrier en date du 31 janvier 2022, la société KPA Exotiques a formé un recours gracieux
contre la décision de préemption, indiquant renoncer à son projet de cession.
Le recours a été rejeté suivant courrier du 24 février 2022, reçu le 11 mars 2022. En l’absence d’un recours contentieux engagé dans le délai de deux mois à compter du 11 mars 2022, la décision de préemption du bail commercial est devenue définitive le 11 mai 2022.
Par courrier en date du 23 septembre 2022, la commune de [Localité 3] a notifié à la société KPA Exotiques le projet d’acte de cession de bail portant sur le local commercial, lui demandant de le compléter sous quinze jours et de se rapprocher de l’office notarial en charge de l’instrumentation de la cession. Un courrier similaire a concomitamment été adressé au propriétaire du local.
Par courrier en date du 29 octobre 2022, la société KPA Exotiques a, par l’intermédiaire de son
conseil, demandé « à titre gracieux et exceptionnel de pouvoir reporter la préemption de son bail
par la ville de 3 ans ».
Par courrier du 4 janvier 2023, la commune de [Localité 3] a toutefois rappelé que la préemption aux conditions, notamment financières, de la déclaration valait contrat de vente, que toute renonciation à vendre formée par le titulaire du bail était dépourvue de base légale et qu’un acte constatant cette cession devait être conclu sous quinze jours, à défaut de quoi une procédure judiciaire serait engagée.
La société KPA Exotiques a alors saisi le tribunal administratif de Montreuil le 21 février 2023 d’un recours contre la décision de préemption.
Suivant ordonnance du 30 mai 2023, le président de la 2 ème chambre du tribunal administratif
de Montreuil a rejeté la demande comme tardive sur le fondement de l’article R 222-1 alinéa 4 du code de justice administrative. La société KPA Exotiques a formé un recours contre cette décision le 21 juillet 2023.
Suivant ordonnance du 27 septembre 2023, le président de la 1 ère chambre de la cour
administrative d’appel de Paris a confirmé le rejet de la requête de la société KPA Exotiques.
Par acte de commissaire de justice du 28 novembre 2023, la commune de [Localité 3] a assigné la société KPA Exotiques devant le tribunal de Bobigny aux fins de la voir condamner à :
– procéder à la cession du bail commercial,
– lui verser la somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice moral à la suite des recours manifestement abusifs qu’elle a engagés contre la décision de préemption,
– lui verser la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– régler les entiers dépens de la procédure.
Elle a demandé en outre que soit ordonnée l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
La société KPA Exotiques, régulièrement assignée à étude, a constitué avocat le 4 mars 2024 mais n’a pas conclu.
La présente décision sera par conséquent contradictoire.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le tribunal renvoie à l’assignation pour l’exposé des moyens.
L’ordonnance de clôture est datée du 24 septembre 2024.
L’affaire a été examinée à l’audience publique du 12 novembre 2024 et mise en délibéré à ce jour.
Sur la demande de cession du bail commercial
En droit, la décision de préemption aux conditions financières de la déclaration de cession d’un bail commercial, dans un périmètre dans lequel la mairie a décidé de faire valoir son droit de préemption, vaut contrat de vente ; toute renonciation à vendre formée postérieurement par le titulaire du bail est dépourvue de base légale.
En l’espèce, l’ensemble des recours engagés à son encontre ayant été rejetés, la décision du 13 décembre 2021, par laquelle la commune de [Localité 3] a décidé d’exercer son droit de préemption sur un bail commercial concernant un local d’alimentation générale situé [Adresse 1], est définitive.
La commune de [Localité 3] est par conséquent bien fondée à voir condamner la société KPA Exotiques à procéder à la cession à son profit du bail commercial portant sur le local commercial situé [Adresse 1], au plus tard dans le mois de la signification du jugement à intervenir, dans les conditions et modalités du projet d’acte authentique de vente préalablement transmis.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral de la commune
En droit, l’exercice d’une action en justice peut constituer un abus de droit en cas de mauvaise foi du demandeur, sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
En l’espèce, la décision de préemption objet du présent litige est devenue définitive le 11 mai 2022, en l’absence de recours contentieux formé dans le délai de deux mois par le défendeur à la suite du rejet de son recours gracieux.
Par courrier en date du 29 octobre 2022, le conseil de la société KPA Exotiques a, sachant la décision de préemption manifestement définitive, sollicité “à titre gracieux et exceptionnel” de pouvoir reporter de trois ans la préemption du bail par la ville.
Par courrier du 4 janvier 2023, la ville a refusé cette requête.
Les recours engagés par la société KPA Exotiques le 21 février 2023 devant le tribunal administratif de Montreuil, puis le 21 juillet 2023 devant la cour administrative d’appel de Paris, alors que cette société se savait manifestement forclose, ne peuvent être regardés que comme dilatoires et ayant pour objet de retarder au maximum la cession du bail.
Cette obstruction a nécessairement entraîné un préjudice pour la commune de [Localité 3], qui n’a pas pu procéder au développement et la valorisation de la mixité des commerces du centre-ville.
La société KPA Exotiques sera par conséquent condamnée à verser la somme de 2000 euros en réparation du préjudice moral de la commune de [Localité 3].
Sur les frais du procès et l’exécution provisoire
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En application de l’article 700 1° du code de procédure civile, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.
Partie perdante, la société KPA Exotiques sera condamnée aux dépens.
Supportant les dépens, la société KPA Exotiques sera condamnée à payer à la commune de [Localité 3] la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Enfin, les articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, disposent que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que le juge en décide autrement s’il estime que cette exécution provisoire de droit est incompatible avec la nature de l’affaire. En l’occurrence, la nature de l’affaire n’implique pas de déroger au principe sans qu’il ne soit nécessaire de le rappeler dans le dispositif.
Le tribunal judiciaire,
Condamne la société KPA Exotiques à procéder au bénéfice de la commune de [Localité 3], au plus tard dans le mois de la signification du présent jugement, à la cession du bail portant sur le local commercial dont elle est locataire, sis à [Adresse 4], dans les conditions et prix prévus au projet d’acte établi par l’étude notariale en charge de l’instrumentation, soit la somme de 10.000 euros,
Condamne la société KPA Exotiques à verser à la commune de [Localité 3] la somme de 2000 euros en réparation de son préjudice moral,
Condamne la société KPA Exotiques à verser à la commune de [Localité 3] la somme de 2000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société KPA Exotiques aux entiers dépens.
Le présent jugement ayant été signé par le président et le greffier.
Le Greffier Le Président
Camille FLAMANT Christelle HILPERT
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