Péremption et droit à un procès équitable : enjeux procéduraux en question

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Péremption et droit à un procès équitable : enjeux procéduraux en question

L’Essentiel : Le 19 avril 2019, une salariée a interjeté appel d’un jugement rendu par un conseil de prud’hommes dans un litige l’opposant à une entreprise. Par une ordonnance du 12 janvier 2022, un conseiller de la mise en état a constaté l’extinction de l’instance en raison de la péremption, décision que la salariée a contestée devant une cour d’appel. Cette dernière a rappelé que l’instance est périmée si aucune diligence n’est accomplie pendant deux ans. Un revirement de jurisprudence a eu lieu le 7 mars 2024, précisant que la péremption ne court plus une fois que les parties ont accompli leurs charges procédurales.

Contexte de l’affaire

Le 19 avril 2019, Mme [K] a interjeté appel d’un jugement rendu par un conseil de prud’hommes dans un litige l’opposant à la société [3].

Décision du conseiller de la mise en état

Par une ordonnance du 12 janvier 2022, un conseiller de la mise en état a constaté l’extinction de l’instance en raison de la péremption, décision que Mme [K] a contestée devant une cour d’appel.

Arguments de Mme [K]

Mme [K] soutient que la péremption ne devrait pas être appliquée, arguant que l’instance est périmée uniquement lorsque les parties n’accomplissent aucune diligence pendant deux ans. Elle affirme que le conseiller de la mise en état n’a pas respecté ses obligations, ce qui a retardé le jugement de l’affaire.

Réponse de la Cour

La Cour a rappelé que l’instance est considérée comme périmée si aucune diligence n’est accomplie pendant deux ans. Elle a également précisé que les parties sont responsables de la conduite de l’instance et doivent respecter les délais et formes requis.

Évolution de la jurisprudence

Un revirement de jurisprudence a eu lieu le 7 mars 2024, stipulant que la péremption ne court plus contre les parties une fois qu’elles ont accompli toutes leurs charges procédurales, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou demande une diligence particulière.

Conclusion de la cour d’appel

L’arrêt a confirmé l’ordonnance du conseiller de la mise en état, notant qu’aucune diligence n’avait été accomplie depuis les conclusions de l’appelante en septembre 2019. Toutefois, cette décision a été fondée sur le droit antérieur au revirement de jurisprudence, ce qui a conduit à l’annulation de l’arrêt attaqué.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la définition de la péremption de l’instance selon le code de procédure civile ?

La péremption de l’instance est définie par l’article 386 du code de procédure civile, qui stipule que :

« L’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans. »

Cette disposition implique que si aucune action n’est entreprise par les parties dans ce délai, l’instance est considérée comme éteinte.

Il est donc essentiel pour les parties de rester actives dans le cadre de la procédure afin d’éviter la péremption.

Quelles sont les obligations des parties dans le cadre de l’instance ?

L’article 2 du code de procédure civile précise que :

« Les parties conduisent l’instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d’accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis. »

Cela signifie que chaque partie a la responsabilité de veiller à ce que les actes de procédure soient réalisés dans les délais impartis.

Le non-respect de ces obligations peut entraîner des conséquences, telles que la péremption de l’instance.

Quels sont les délais impartis pour la remise des conclusions par les parties ?

Les articles 908 et 909 du code de procédure civile établissent les délais suivants :

« L’appelant dispose d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour remettre ses conclusions au greffe. »

« L’intimé dispose d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour remettre ses conclusions au greffe. »

Ces délais sont cruciaux pour le bon déroulement de la procédure et doivent être respectés par les parties.

Comment le conseiller de la mise en état doit-il agir après l’expiration des délais pour conclure ?

L’article 912 du code de procédure civile indique que :

« Le conseiller de la mise en état examine l’affaire dans les quinze jours suivant l’expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces. »

Il doit également fixer la date de la clôture et celle des plaidoiries.

Si des échanges de conclusions supplémentaires sont nécessaires, il doit établir un calendrier après avoir consulté les avocats.

Quelles sont les implications du revirement de jurisprudence du 7 mars 2024 concernant la péremption ?

Le revirement de jurisprudence du 7 mars 2024 a établi que :

« Une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d’accomplir une diligence particulière. »

Cela signifie que si les parties ont respecté leurs obligations, la péremption ne peut plus être invoquée contre elles, ce qui renforce leur droit à un procès équitable.

Quelles conséquences a eu l’application de l’ancien droit dans l’affaire en question ?

Dans l’affaire examinée, la cour d’appel a confirmé l’ordonnance constatant l’extinction de l’instance en raison de la péremption, en se basant sur l’état du droit antérieur au revirement de jurisprudence.

Cependant, cette décision est désormais susceptible d’annulation, car elle ne tient pas compte des nouvelles interprétations des articles du code de procédure civile et de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme.

Ainsi, l’application de l’ancien droit a conduit à une sanction qui pourrait être considérée comme disproportionnée au regard des nouvelles règles établies.

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 6 février 2025

Annulation

Mme MARTINEL, président

Arrêt n° 121 F-D

Pourvoi n° S 22-19.216

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 FÉVRIER 2025

Mme [P] [K], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 22-19.216 contre l’arrêt rendu le 20 mai 2022 par la cour d’appel de Bordeaux (chambre sociale, section A), dans le litige l’opposant à la société [3], société à responsabilité limitée, dont le siège est [3], [Localité 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Caillard, conseiller, les observations de Me Haas, avocat de Mme [K], et l’avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l’audience publique du 18 décembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Caillard, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 20 mai 2022), le 19 avril 2019, Mme [K] a relevé appel du jugement rendu par un conseil de prud’hommes dans un litige l’opposant à la société [3] (la société).

2. Par ordonnance du 12 janvier 2022, que Mme [K] a déférée à une cour d’appel, un conseiller de la mise en état a constaté l’extinction de l’instance du fait de la péremption.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Mme [K] fait grief à l’arrêt de confirmer l’extinction de l’instance du fait de la péremption, alors « que l’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans ; que, par ailleurs, le conseiller de la mise en état examine l’affaire dans les quinze jours suivant l’expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces et fixe la date de la clôture et celle des plaidoiries, sauf si l’affaire nécessite de nouveaux échanges de conclusions, dont il fixe le calendrier après avoir recueilli l’avis des avocats ; que le droit à un procès équitable s’oppose à ce que la péremption soit opposée dans le cas où l’affaire est en état d’être fixée depuis plus de deux ans, que les parties n’ont plus aucune diligence à accomplir et que seule la carence du juge retarde le jugement de l’affaire ; qu’en considérant que l’instance était périmée dès lors que l’appelante n’avait accompli aucune diligence dans les deux années ayant suivi le dépôt de ses dernières conclusions, cependant que le conseiller de la mise en état n’avait pas satisfait à ses propres obligations en vue de la fixation de l’affaire consécutivement à l’expiration des délais pour conclure, la cour d’appel, qui a fait preuve d’un formalisme excessif et a appliqué une sanction manifestement disproportionnée au but poursuivi, a violé les articles 386 et 912 du code de procédure civile, ensemble l’article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et les articles 2, 386, 908, 909, 910-4 et 912 du code de procédure civile, ces quatre derniers dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 :

4. Aux termes du troisième de ces textes, l’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans.

5. Aux termes du deuxième, les parties conduisent l’instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d’accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis.

6. Selon le quatrième de ces textes, l’appelant dispose d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour remettre ses conclusions au greffe. Selon le cinquième, l’intimé dispose d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.

7. Selon le sixième, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. Néanmoins, et sans préjudice de l’alinéa 2 de l’article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

8. Selon le dernier de ces textes, le conseiller de la mise en état examine l’affaire dans les quinze jours suivant l’expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces. Il fixe la date de la clôture et celle des plaidoiries. Toutefois, si l’affaire nécessite de nouveaux échanges de conclusions, sans préjudice de l’article 910-4, il en fixe le calendrier, après avoir recueilli l’avis des avocats.

9. Depuis un arrêt du 7 mars 2024, procédant à un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation juge désormais qu’il résulte de la combinaison de ces textes, interprétés à la lumière de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qu’une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d’accomplir une diligence particulière (2e Civ., 7 mars 2024, pourvoi n° 21-19.475, publié).

10. Pour confirmer l’ordonnance du conseiller de la mise en état ayant constaté l’extinction de l’instance du fait de la péremption, l’arrêt relève en substance qu’aucune diligence n’a été accomplie par l’une ou l’autre des parties depuis la remise des conclusions de l’appelante le 4 septembre 2019.

11. Si c’est conformément à l’état du droit antérieur à l’arrêt du 7 mars 2024 que la cour d’appel en a déduit que la péremption était acquise, il y a lieu à annulation de l’arrêt attaqué en application de ce revirement de jurisprudence.


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