L’Essentiel : Le 2 août 2019, M. [F] [N], M. [H] [N] et Mme [D] [N] signent un bail commercial avec la SAS Gogi House pour des locaux destinés à la restauration. D’une durée de neuf ans, le bail débute le 8 août 2019 avec un loyer annuel de 56.400 euros HT. Cependant, la SAS Gogi House rencontre des problèmes d’exploitation, notamment l’absence d’une gaine d’extraction des fumées, essentielle à son activité. Malgré des demandes de travaux, le projet est rejeté par l’assemblée générale des copropriétaires. En avril 2020, un commandement de payer est signifié pour des loyers impayés, entraînant des actions judiciaires.
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Constitution du bail commercialLe 2 août 2019, M. [F] [N], M. [H] [N] et Mme [D] [N] ont signé un bail commercial avec la SAS Gogi House pour des locaux situés à [Adresse 1], destinés à la restauration, bar et vente à emporter. Le bail, d’une durée de neuf ans, a débuté le 8 août 2019, avec un loyer annuel de 56.400 euros HT, payable trimestriellement. Une franchise de loyer de trois mois et demi a été accordée pour permettre à la SAS Gogi House d’effectuer des travaux. Problèmes d’exploitation et refus de travauxÀ son entrée, la SAS Gogi House a constaté l’absence d’une gaine d’extraction des fumées, essentielle pour l’exploitation de son activité. Malgré des discussions sur la nécessité de travaux, l’assemblée générale des copropriétaires a rejeté le projet de création de cette gaine le 24 février 2020. Commandement de payer et actions judiciairesLe 7 avril 2020, les consorts [N] ont signifié un commandement de payer à la SAS Gogi House pour des loyers impayés, s’élevant à 26.980,02 euros. En réponse, la SAS Gogi House a assigné les consorts en opposition, demandant la nullité du commandement et la résolution du bail pour manquement à l’obligation de délivrance. Les consorts [N] ont également formulé des demandes reconventionnelles pour le paiement des arriérés de loyers. Médiation et restitution des locauxUn médiateur a été désigné en mai 2021, mais les parties n’ont pas trouvé d’accord. La SAS Gogi House a restitué les locaux le 28 février 2022, en présence d’un huissier. Demandes de la SAS Gogi HouseDans ses conclusions de décembre 2022, la SAS Gogi House a demandé la nullité du commandement de payer, la résolution du bail, le remboursement de 49.327,78 euros pour les travaux réalisés, et 104.222 euros en dommages et intérêts pour perte de gains. Demandes des consorts [N]Les consorts [N] ont demandé le paiement de 171.515,19 euros pour les arriérés de loyers, ainsi que des indemnités au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Jugement et décisions du tribunalLe tribunal a prononcé la nullité du commandement de payer, la résolution du bail à la date de sa conclusion, et a condamné les consorts [N] à rembourser 49.132,40 euros à la SAS Gogi House pour les dépenses engagées. De plus, ils ont été condamnés à verser 25.000 euros en dommages et intérêts. Les demandes des consorts [N] ont été rejetées, et ils ont été condamnés à payer 3.000 euros au titre de l’article 700. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est l’obligation de délivrance du bailleur dans un contrat de bail commercial ?L’obligation de délivrance du bailleur est régie par l’article 1719 du Code civil, qui stipule que le bailleur est tenu de délivrer au preneur la chose louée, et ce, sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière. Cette obligation se décline en plusieurs points : 1° Le bailleur doit délivrer la chose louée en bon état de réparation de toute espèce. 2° Il doit également entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée. 3° Enfin, le bailleur doit faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail. Il est important de noter que le bailleur ne peut s’exonérer de cette obligation par le biais d’une clause limitative de responsabilité. Dans le cas présent, la SAS Gogi House soutient que les consorts [N] ont manqué à leur obligation de délivrance en lui fournissant un local non conforme à la destination prévue, à savoir l’activité de restauration. Quelles sont les conséquences d’un manquement à l’obligation de délivrance ?Les conséquences d’un manquement à l’obligation de délivrance sont régies par les articles 1224 et suivants du Code civil. L’article 1224 précise que la résolution d’un contrat peut résulter soit de l’application d’une clause résolutoire, soit d’une notification du créancier au débiteur, ou d’une décision de justice en cas d’inexécution suffisamment grave. L’article 1227 indique que la résolution peut être demandée en justice, et l’article 1228 précise que le juge peut prononcer la résolution du contrat, ordonner son exécution, ou allouer des dommages et intérêts. Dans le cas présent, la SAS Gogi House a demandé la résolution judiciaire du bail aux torts exclusifs des consorts [N], en raison de leur manquement à l’obligation de délivrance. Ce manquement a empêché la SAS Gogi House d’exploiter son activité, justifiant ainsi la demande de résolution du contrat. La SAS Gogi House peut-elle demander des dommages et intérêts pour perte de gain ?Oui, la SAS Gogi House peut demander des dommages et intérêts pour perte de gain en vertu de l’article 1228 du Code civil, qui permet au juge d’allouer des dommages et intérêts dans le cadre de la résolution d’un contrat. Cependant, il est important de noter que la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la probabilité de sa réalisation. Dans cette affaire, la SAS Gogi House a sollicité une indemnisation de 104 222 euros, basée sur un bilan prévisionnel établi par un expert-comptable. Le tribunal a cependant estimé que le préjudice devait être évalué en tenant compte de divers facteurs, tels que la concurrence et la conjoncture économique. Ainsi, le tribunal a souverainement évalué le préjudice à 25 000 euros, correspondant à 25 % du résultat net d’exploitation estimé par l’expert-comptable. Quelles sont les implications de la nullité du commandement de payer ?La nullité du commandement de payer a des implications significatives pour les parties. En vertu de l’article 1219 du Code civil, une partie peut refuser d’exécuter son obligation si l’autre partie n’exécute pas la sienne, et si cette inexécution est suffisamment grave. Dans le cas présent, le tribunal a constaté que le manquement des consorts [N] à leur obligation de délivrance a entraîné la résolution du bail à la date de sa conclusion. Par conséquent, les sommes visées dans le commandement de payer, qui étaient fondées sur des loyers non dus, sont devenues sans objet. Le tribunal a donc prononcé la nullité du commandement de payer, ce qui signifie que les consorts [N] ne peuvent pas exiger le paiement des loyers en raison de leur manquement contractuel. Les consorts [N] peuvent-ils réclamer des arriérés de loyers malgré la résolution du bail ?Non, les consorts [N] ne peuvent pas réclamer des arriérés de loyers en raison de la résolution du bail. L’article 1219 du Code civil stipule qu’une partie peut refuser d’exécuter son obligation si l’autre partie n’exécute pas la sienne, et si cette inexécution est suffisamment grave. Dans cette affaire, le tribunal a établi que le manquement des consorts [N] à leur obligation de délivrance était suffisamment grave pour justifier la suspension de l’obligation de la SAS Gogi House de payer les loyers. De plus, la résolution du contrat à la date de conclusion du bail rend sans objet la demande de paiement d’arriérés de loyers, ceux-ci n’étant pas dus. Ainsi, la demande des consorts [N] a été rejetée. |
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
18° chambre
1ère section
N° RG 20/08750
N° Portalis 352J-W-B7E-CSX67
N° MINUTE : 5
contradictoire
Assignation du :
01 Septembre 2020
JUGEMENT
rendu le 26 Novembre 2024
DEMANDERESSE
S.A.S. GOGI HOUSE
représentée par sa présidente Madame [Z] [K]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Maître Christophe PEREIRE de la SELARL CPNC Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #D0230
DÉFENDEURS
Monsieur [F]-[R] [N]
[Adresse 7]
[Localité 2] / FRANCE
Monsieur [H] [N]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Madame [D] [N]
[Adresse 8]
[Localité 3]
Tous trois représentés par Me Charlotte LINKENHELD, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #A0373,
et par Maître Benoît COUSSY, avocat au barreau de Bordeaux, avocat plaidant,
Décision du 26 Novembre 2024
18° chambre 1ère section
N° RG 20/08750 – N° Portalis 352J-W-B7E-CSX67
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Sophie GUILLARME, 1ère Vice-présidente adjointe,
Monsieur Jean-Christophe DUTON, Vice-président,
Madame Diana SANTOS CHAVES, Juge,
assistés de Monsieur Christian GUINAND, Greffier principal,
DÉBATS
A l’audience du 24 Septembre 2024 tenue en audience publique devant Madame Sophie GUILLARME, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
Avis a été donné aux avocats des parties que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.
JUGEMENT
Rendu par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort
Suivant acte sous seing privé en date du 2 août 2019, M. [F] [N], M. [H] [N] et Mme [D] [N] ont donné à bail à la SAS Gogi House des locaux commerciaux situés [Adresse 1] à [Localité 5], désignés comme suit :
« Une grande boutique + réserve ainsi qu’au sous-sol communiquant.
Locaux loués en l’état. »
La destination prévue au bail est celle de : « Restauration – Bar – Vente à emporter ».
Le bail a été consenti pour une durée de neuf années entières et consécutives à compter du 8 août 2019 pour se terminer le 7 août 2028, moyennant le règlement d’un loyer annuel en principal de 56.400 euros HT HC payable trimestriellement et d’avance.
Une franchise de loyer de trois mois et demi a été consentie par les consorts [N] afin de permettre à la SAS Gogi House la réalisation de travaux, de sorte à ce que le premier loyer a été appelé le 22 novembre 2019.
Lors de son entrée dans les lieux, la SAS Gogi House a constaté l’absence de gaine d’extraction des fumées et des odeurs dans les locaux, et la nécessité de travaux supplémentaires pour y remédier afin de permettre l’exploitation de l’activité.
Des échanges ont eu lieu entre les parties sur lesdits travaux, et sur la soumission du projet à l’assemblée générale de copropriété.
Durant l’assemblée générale du 24 février 2020, les copropriétaires ont refusé de voter le projet de résolution autorisant les travaux de création d’une gaine d’extraction dans l’immeuble.
Par acte d’huissier en date du 7 avril 2020, les consorts [N] ont fait signifier à la SAS Gogi House un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire réclamant le paiement de la somme en principal de 26.980,02 euros arrêtée au 31 mars 2020.
Par actes d’huissier en date des 1er, 4 et 8 septembre 2020, la SAS Gogi House a fait assigner M. [F] [N], M. [H] [N] et Mme [D] [N] (ci-après les consorts [N]) en opposition au commandement de payer, en demandant la nullité dudit commandement, la résolution judiciaire du contrat de bail commercial à la date du 2 août 2019 au motif du manquement du bailleur à son obligation de délivrance, la condamnation des consorts [N] à lui rembourser la somme de 49 327,78 euros au titre des travaux réalisés dans le local, et une indemnisation à hauteur de 104 222 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de gain liée à l’absence de délivrance conforme des locaux.
Les consorts [N] ont formulé des demandes à titre reconventionnel tendant à condamner la SAS Gogi House à leur verser la somme de 23 928,52 euros correspondant aux arriérés de loyers arrêtés à la date du 15 mars 2020, à parfaire au jour du jugement, et de prononcer la résiliation judiciaire du bail à compter du prononcé du jugement.
En parallèle, les consorts [N] ont saisi le juge des référés et obtenu une ordonnance en date du 1er juillet 2020 condamnant la SAS Gogi House au paiement de la somme provisionnelle de 23 958,52 euros au titre des loyers, charges et accessoires impayés au 15 mars 2020, outre la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Suivant une ordonnance du juge de la mise en état en date du 20 mai 2021, un médiateur a été désigné dans le cadre de l’instance au fond ; les parties ne sont toutefois pas parvenues à trouver une solution amiable pour résoudre le litige.
Les locaux ont finalement été restitués le 28 février 2022 par la SAS Gogi House en présence d’un huissier de justice.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 décembre 2022, la SAS Gogi House demande au tribunal de :
– dire nul et de nul effet le commandement de payer qui lui a été délivré le 7 avril 2020 par les consorts [N],
– prononcer la résolution judiciaire du bail commercial à la date du 2 août 2019 pour défaut de délivrance d’un local conforme à sa destination par les bailleurs,
– condamner “l’indivision [N]” à lui payer la somme à parfaire de 49 327,78 euros en remboursement des dépenses et investissements réalisés dans le local,
– condamner “l’indivision [N]” à lui payer la somme à parfaire de 104 222 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de gain liée à l’absence de délivrance d’un local conforme à la destination pour laquelle il a été loué,
– condamner “l’indivision [N]” à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner “l’indivision [N]” aux entiers dépens de l’instance comprenant le coût du commandement de payer délivré le 7 avril 2020,
– débouter “l’indivision [N]” de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 décembre 2022, les consorts [N] demandent au tribunal de :
– condamner la SAS Gogi House à leur verser la somme de 171515,19 euros correspondant aux arriérés de loyers arrêtés à la date du 28 février 2022,
– condamner la SAS Gogi House à leur verser la somme de 2.000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SAS Gogi House aux entiers dépens de l’instance et ses suites, dont distraction au profit de Maître Charlotte Linkenheld, avocate au barreau de Paris, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 31 janvier 2023, l’affaire plaidée le 24 septembre 2024 et le jugement a été mis en délibéré au 26 novembre 2024.
Sur la demande de résolution du bail aux torts des bailleurs
La SAS Gogi House sollicite la résolution judiciaire du bail du 2 août 2019 aux torts exclusifs des consorts [N], soutenant qu’en lui délivrant, à usage de « restaurant », un local ne disposant pas d’un extracteur de fumées et d’odeurs, les consorts [N] ont manqué à leur obligation de délivrance conforme. La SAS Gogi House expose que le local n’est pas aux normes conformément à l’arrêté du 23 novembre 1979 portant règlement sanitaire du département de Paris, et plus particulièrement de l’article 63-1 qui dispose que les prises d’air neuf et ouvrants des locaux à pollution spécifique, comme les cuisines et restaurants, doivent être placées à au moins 8 mètres de toutes sources éventuelles de pollution et que l’air extrait des locaux doit être rejeté à au moins 8 mètres de toutes fenêtres ou de toutes prises d’air neuf sauf aménagement ; elle précise que les travaux permettant la mise en conformité ont été rejetés par la copropriété et que cette absence d’extraction ne permet pas, en tout état de cause, une exploitation des locaux conformément à leur destination contractuelle.
En réplique, les consorts [N] font valoir que les parties ont contractuellement aménagé leur obligation de délivrance, le bail précisant notamment que l’autorisation donnée au preneur d’exercer l’activité de restauration n’implique de la part du bailleur aucune garantie ni diligence, pour l’obtention des autorisations administratives et autres nécessaires à quelque titre que ce soit pour l’utilisation des lieux loués en vue de l’exercice de cette activité. Ils soutiennent que le bailleur ne peut, en conséquence, encourir aucune responsabilité en cas de refus ou retard dans l’obtention de ces autorisations sauf s’il a par son fait, et notamment en refusant la réalisation par le preneur des travaux nécessaires, empêché ou retardé la délivrance desdites autorisations. Ils ajoutent que le bail précise également que le preneur reconnaît que les locaux loués lui permettront d’exercer l’activité prévue au présent bail grâce aux travaux qu’il souhaite effectuer et notamment la réfection de la cheminée d’extraction et cela avec l’accord du bailleur et que le refus d’autorisation d’aménagement d’une gaine d’extraction provient de la copropriété, et non des bailleurs eux-mêmes. Les consorts [N] font valoir également qu’au moment de la prise à bail, la SAS Gogi House avait parfaitement connaissance de l’inadaptation des locaux à l’activité, et du fait que les locaux avaient été précédemment exploités avec la destination de boutique de prêt-à- porter ; ils en concluent que la preneuse avait donc parfaitement connaissance des risques encourus à exercer l’activité de restauration dans le local, a fortiori en étant une professionnelle de la restauration.
L’article 1224 du code civil dispose que la résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire, soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur, ou d’une décision de justice. L’article 1227 du même code précise qu’elle peut, en toute hypothèse, être demandée en justice. L’article 1228 ajoute que le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution du contrat, ordonner son exécution, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts.
L’article 1229 du code civil prévoit en outre que la résolution met fin au contrat, et que la date d’effet peut être fixée par le juge. Il précise également la possibilité de restitutions de certaines prestations dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 du même code.
Par ailleurs, conformément à l’article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque les locaux loués à usage d’habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l’expulsion de l’occupant;
2° D’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ;
3° D’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
Enfin, l’article 1720 du même code prévoit que le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparation de toute espèce. Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que locatives.
Il est constant que le bailleur ne peut s’affranchir de son obligation de délivrance par le biais d’une clause limitative de responsabilité, et que l’aménagement contractuel prévu par les parties et sans effet sur l’obligation de délivrance du bailleur.
En l’espèce, si les parties sont convenues que l’obtention des autorisations administratives nécessaires à l’installation d’une extraction permettant l’activité de restauration est à la charge du preneur, sans que le bailleur puisse être inquiété en cas de refus, cela ne l’exonère néanmoins pas de son obligation de délivrance d’un local conforme à la destination prévue au bail. Il appartenait donc au bailleur de s’assurer de la possibilité d’installation d’une gaine d’extraction et notamment de s’assurer au préalable de l’accord de la copropriété pour ces travaux avant de donner à bail des locaux pour une activité de restauration.
Les consorts [N] ont donc manqué à leur obligation de délivrance, ce manquement étant de nature à engager leur responsabilité contractuelle.
Il est établi et non contesté que la SAS Gogi House n’a, malgré la mise à disposition des locaux, jamais pu exploiter son activité.
Par conséquent, la gravité de ce manquement, continu depuis la délivrance des locaux, justifie la résolution judiciaire du contrat aux torts exclusifs des bailleurs.
Si la SAS Gogi House a procédé à la restitution des locaux le 28 février 2022, ce qui a entrainé la fin du bail commercial, le maintien dans les lieux puis leur libération ne font pas obstacle à la résolution rétroactive du contrat en cas de manquement continu et suffisamment grave du bailleur.
Il y a donc lui de prononcer rétroactivement la résolution judiciaire du contrat à la date de prise d’effet du bail, soit le 8 août 2019. RJFaut-il prononcer la résolution ou la rejeter et constater que le bail a pris fin à la date de la remise des clés ? Est-il possible de prononcer rétroactivement la résolution ?
Sur la demande de remboursement des travaux entrepris et des divers frais engagés
La SAS Gogi House sollicite du tribunal la condamnation des consorts [N] au remboursement des travaux entrepris dans le local et des divers frais engagés pour la prise à bail.
Elle demande notamment le remboursement de divers frais et honoraires lors de la conclusion du bail qu’il convient de lui rembourser, à savoir :
– 6.000 euros TTC au titre des honoraires du mandataire du bailleur, la société SGI Delcasse;
– 9.400 euros à titre de dépôt de garantie versé au bailleur ;
– 195,38 euros TTC de formalités au RCS de Paris.
Elle a également sollicité l’intervention de professionnels divers dont le coût est estimé à :
– Facture de la société Neveu du 30 avril 2019 : 840 euros TTC
– Facture Mme [W] [T], architecture d’intérieur, N°H44-2019 : 11 760 euros TTC
– Devis société TandemN°DE 17-639 : 5 400 euros TTC
– Facture d’acompte Idéal DM du 30 juillet 2019 : 12 000 euros TTC
La SAS Gogi House demande également le remboursement :
– des frais d’assurance du local pour l’année, soit 1 592,78 euros TTC (août 2019 à août 2020);
– et des frais d’électricité, soit la somme à parfaire de 2.139,62 euros.RJMontants à vérifier dans le dossier papier
Le tout pour un montant total de 49 327,78 euros.
Au vu des factures versées aux débats, qui justifient des frais engagés par la SAS Gogi House en pure perte puisqu’elle n’a jamais pu exploiter le restaurant, il sera fait droit à la demande de remboursement de ces sommes, à l’exception des formalités au RCS de Paris, qu’il convient de laisser à la charge du preneur.
Par conséquent, les consorts [N] seront condamnés au remboursement de la somme de 49 132,40 euros.
Sur la demande de dommages et intérêts pour perte du résultat d’exploitation
La SAS Gogi House sollicite du tribunal une indemnisation de son préjudice à hauteur de la somme de 104 222 euros, en se fondant sur un bilan prévisionnel établi par un expert comptable, établi sur trois périodes de douze mois.
L’expert comptable a retenu comme base du chiffre d’affaires 85 places assises à l’intérieur du restaurant et une amplitude d’ouverture de 7 jours sur 7 sauf 15 jours de fermeture en août. Il estime le chiffre d’affaires à 843 180 euros HT la première année, avec un ticket moyen respectivement à 15 euros TTC et 30 euros TTC à midi et le soir et un taux de remplissage de 70 % ; il fixe les charges d’exploitation et à 104 222 euros son résultat net d’exploitation après impôts.
L’article 1228 du code civil précise que le juge peut allouer des dommages et intérêts dans le cadre de la résolution d’un contrat. Il résulte cependant des principes généraux de la réparation du préjudice que la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue à raison de l’occurrence de sa probabilité et ne peut être égale à l’entièreté de l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
En l’espèce, il est établi que le manquement des consorts [N] à leur obligation de délivrance a privé la société Gogi House de la possibilité de prendre à bail un local conforme à la destination, d’y exploiter une activité lucrative et de générer ainsi un résultat d’exploitation positif.
Il convient cependant de prendre en compte le fait que le résultat d’une société dépend de nombreux autres facteurs non pris en compte par l’expert comptable (concurrence, compétence professionnelle de l’exploitant, conjoncture économique, mesures générales prises par le Gouvernement en cas de crise, notamment sanitair….)
Le préjudice subi par la SAS Gogi House sera donc souverainement évalué à 25 000 euros, correspondant à 25 % du résultat net d’exploitation estimé par le comptable de la société preneuse. RJJe ne savais pas vraiment comment motiver cette partie alors que la partie adverse ne répond pas utilement sur ce préjudice
Les consorts [N] seront donc condamnés in solidum à payer à la SAS Gogi House la somme de 25 000 euros au titre de dommages et intérêts.
Sur la nullité du commandement de payer en date du 7 avril 2020
La SAS Gogi House sollicite du tribunal qu’il prononce la nullité du commandement de payer en date du 7 avril 2020, au motif que les loyers ne seraient pas dus car le bailleur a manqué à son obligation de délivrance en mettant à disposition des locaux ne permettant pas l’activité de restauration.
Il est constant qu’un commandement de payer visant des sommes qui ne sont pas dues encourt la nullité.
En l’espèce, le manquement grave des consorts [N] à leur obligation de délivrance a entrainé la résolution du bail à la date de sa conclusion.
Par conséquent, les sommes visées dans le commandement de payer au titre de l’arriéré de loyers sont aujourd’hui sans objet.
Il y a donc lieu de prononcer la nullité du commandement de payer, nonobstant l’ordonnance de référé du 1erj juillet 2020, qui n’a pas autorité de la chose jugée au principal.
Sur les demandes reconventionnelles des consorts [N]
Les consorts [N] demandent à titre reconventionnel la condamnation de la SAS Gogi House au paiement de la somme de 171.515,19 euros correspondant aux arriérés de loyers arrêtés à la date du 28 février 2022.
L’article 1219 prévoit qu’une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.
En l’espèce, la SAS Gogi House ne s’est jamais acquittés des loyers contractuellement prévus depuis la prise à bail. Néanmoins, il a été établi précédemment un manquement des consorts [N] à leur obligation de délivrance conforme, empêchant le preneur d’user des locaux conformément à leur destination contractuelle.
Ce manquement est suffisamment grave pour que la SAS Gogi House suspende son obligation de payer les loyers.
Par ailleurs, la résolution du contrat à la date de conclusion du bail rend sans objet la demande de paiement d’arriérés de loyers, ceux-ci n’étant pas dus.
Par conséquent, la demande des consorts [N] sera rejetée.
Sur les autres demandes
Les consorts [N] qui succombent supporteront in solidum la charge des dépens ; ils seront déboutés de leur demande formée en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et condamnés in solidum sur ce fondement à payer à la SAS Gogi House la somme de 3 000 euros.
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au greffe à la date du délibéré,
Prononce la nullité du commandement de payer délivré à la SAS Gogi House le 7 avril 2020,
Prononce la résolution du contrat de bail commercial conclu entre M. [F] [N], M. [H] [N] et Mme [D] [N] à la SAS Gogi House à la date du 8 août 2019,
Condamne in solidum M. [F] [N], M. [H] [N] et Mme [D] [N] à payer à la SAS Gogi House la somme de 49.132,40 euros TTC au titre du remboursement des dépenses et investissements réalisés par la SAS Gogi House depuis la prise à bail,
Condamne in solidum M. [F] [N], M. [H] [N] et Mme [D] [N] à payer à la SAS Gogi House la somme de 25.000 euros au titre de dommages et intérêts
Rejette la demande de M. [F] [N], M. [H] [N] et Mme [D] [N] de voir condamner la SAS Gogi House au paiement de la somme de 171.515,19 euros correspondant aux arriérés de loyers arrêtés à la date du 28 février 2022,
Condamne in solidum M. [F] [N], M. [H] [N] et Mme [D] [N] à payer à la SAS Gogi House la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum M. [F] [N], M. [H] [N] et Mme [D] [N] aux dépens,
Rapelle que l’exécution provisoire est de droit,
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires
Fait et jugé à Paris le 26 Novembre 2024.
Le Greffier La Présidente
Christian GUINAND Sophie GUILLARME
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