L’Essentiel : Mme [T] [P] a subi une chirurgie réfractive en 1997, mais des problèmes de vision persistants l’ont conduite à une nouvelle intervention en 2016. Suite à cette opération, elle a ressenti des douleurs oculaires et une détérioration de sa vue, entraînant une intervention de reprise. Malgré cela, son état ne s’est pas amélioré, et elle a assigné le Docteur [L] pour défaut d’information. Le tribunal a reconnu que le médecin n’avait pas correctement informé Mme [P] lors de la seconde intervention, le condamnant à verser 10 000 € pour préjudice moral, tandis que d’autres demandes ont été rejetées.
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Contexte de l’affaireMme [T] [P] souffrait de troubles de l’acuité visuelle depuis plusieurs années et avait subi une chirurgie réfractive de type Lasik en 1997. En raison de problèmes persistants pour lire de près, elle a consulté le Docteur [L] en février 2016, qui a procédé à une nouvelle intervention chirurgicale le 18 février 2016. Après cette opération, Mme [P] a ressenti des douleurs oculaires et une baisse de l’acuité visuelle, ce qui a conduit à une intervention de reprise programmée pour le 1er décembre 2016. Développement des complicationsAprès la chirurgie de reprise, l’état de Mme [P] ne s’est pas amélioré, et elle a été conseillée de porter une lentille sclérale. En raison de la persistance de ses symptômes, elle a assigné le Docteur [L] et la CPAM du Var en référé expertise en octobre 2021. L’expert désigné a conclu à un accident médical non fautif, tout en notant un défaut d’information de la part du médecin. Demandes de Mme [P]En octobre et novembre 2023, Mme [P] a assigné le Docteur [L] et la CPAM du Var, demandant des réparations financières pour son préjudice moral, la violation de l’obligation d’information, ainsi que des frais de justice. Elle a soutenu qu’elle n’avait pas été correctement informée des risques liés à l’intervention de reprise et que son état s’était détérioré après celle-ci. Arguments du Docteur [L]Le Docteur [L] a contesté les allégations de Mme [P], affirmant avoir respecté son obligation d’information lors de la première intervention et que l’absence de consentement signé pour la seconde intervention ne prouvait pas un manquement à cette obligation. Il a également soutenu que l’état de Mme [P] était le résultat d’un accident médical non fautif et que la patiente n’aurait pas renoncé à l’intervention de reprise même si elle avait été pleinement informée des risques. Position de la CPAMLa CPAM du Var a pris acte de la situation et a demandé au tribunal de se prononcer sur la responsabilité du Docteur [L] et de lui rembourser les frais engagés pour le traitement de Mme [P]. Elle a également demandé des indemnités pour la gestion des frais liés à l’accident. Décision du tribunalLe tribunal a jugé que le Docteur [L] avait respecté son obligation d’information lors de la première intervention, mais qu’il n’avait pas prouvé avoir informé correctement Mme [P] lors de la chirurgie de reprise. En conséquence, il a été condamné à verser 10 000 € à Mme [P] pour son préjudice moral d’impréparation. Les autres demandes de Mme [P] ont été rejetées, tout comme celles de la CPAM. Le Docteur [L] a également été condamné à payer des frais de justice. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la responsabilité du médecin en cas d’accident médical non fautif ?La responsabilité des professionnels de santé est régie par l’article L.1142-1 du Code de la santé publique, qui stipule : « I. – Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. » Dans l’affaire en question, l’expert judiciaire a conclu que les actes, soins et traitements prodigués par le Dr [L] étaient conformes aux données acquises de la science et que l’accident médical survenu était non fautif, qualifié d’aléa thérapeutique. Ainsi, la responsabilité du médecin ne peut être engagée que s’il est prouvé qu’il a commis une faute dans l’exercice de ses fonctions. En l’espèce, le tribunal a retenu que le Dr [L] n’avait pas failli à son obligation d’information lors de la première intervention, mais qu’il ne pouvait pas prouver qu’il avait satisfait à cette obligation lors de la seconde intervention. Quelles sont les obligations d’information du médecin envers son patient ?Le devoir d’information du médecin est fondamental et est régi par le principe selon lequel toute personne a le droit d’être informée des risques inhérents aux traitements ou interventions proposés. Ce principe est renforcé par la jurisprudence qui stipule que : « Le non-respect, par un professionnel de santé, de son devoir d’information cause à celui auquel l’information était due, lorsque ce risque se réalise, un préjudice moral résultant d’un défaut de préparation aux conséquences d’un tel risque, qui, dès lors qu’il est invoqué, doit être réparé. » Dans le cas présent, le tribunal a constaté que le Dr [L] avait correctement informé Mme [P] lors de la première intervention, mais qu’il n’avait pas pu prouver qu’il avait satisfait à son obligation d’information lors de la chirurgie de reprise. Le tribunal a donc retenu que le défaut d’information sur les risques encourus lors de cette seconde intervention avait causé un préjudice moral d’impréparation, ce qui a conduit à la condamnation du Dr [L] à verser des dommages et intérêts. Comment évaluer la perte de chance dans le cadre d’une action en responsabilité médicale ?La perte de chance est un concept juridique qui permet à une victime d’obtenir réparation pour la perte d’une opportunité d’éviter un dommage. En matière de responsabilité médicale, la victime peut obtenir réparation de son préjudice résultant de la perte de chance d’éviter le dommage par suite du manquement du médecin à son obligation d’information. Cependant, dans cette affaire, le tribunal a jugé que Mme [P] n’avait subi aucune perte de chance de se soustraire à l’intervention du 1er décembre 2016. En effet, il a été établi que cette intervention était indispensable en raison des complications survenues après la première opération. Le tribunal a donc conclu que, même en cas de défaut d’information, Mme [P] n’aurait pas renoncé à l’intervention, ce qui a conduit au rejet de sa demande d’indemnisation pour perte de chance. Quel est le cadre juridique du recours subrogatoire de la CPAM ?Le recours subrogatoire de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) est encadré par l’article L.376-1 du Code de la sécurité sociale, qui précise : « Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel. » Dans cette affaire, la CPAM a demandé réparation pour les frais engagés en lien avec le dommage subi par Mme [P]. Cependant, le tribunal a débouté la CPAM de l’ensemble de ses demandes, considérant que la responsabilité du Dr [L] n’était pas engagée. Ainsi, le recours subrogatoire de la CPAM n’a pas pu prospérer, car il n’y avait pas de préjudice à réparer en raison de l’absence de faute du médecin. Quelles sont les conséquences des demandes accessoires dans une procédure judiciaire ?Les demandes accessoires dans une procédure judiciaire, telles que les demandes de frais irrépétibles ou de dépens, sont régies par le Code de procédure civile. L’article 700 du Code de procédure civile stipule : « Le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais irrépétibles. » Dans cette affaire, le tribunal a condamné le Dr [L] à verser à Mme [P] la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700, en raison des frais engagés par la patiente dans le cadre de la procédure. En revanche, la CPAM a été déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles, ce qui souligne que les demandes accessoires sont examinées au cas par cas, en fonction des circonstances de chaque affaire. |
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N°25/13 DU 09 Janvier 2025
Enrôlement : N° RG 23/11812 – N° Portalis DBW3-W-B7H-376W
AFFAIRE : Mme [T] [P]( Me Edith ANGELICO)
C/ M. [U] [L] (Me Stéphane CECCALDI)
DÉBATS : A l’audience Publique du 07 Novembre 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente, juge rapporteur
BERTHELOT Stéphanie, Vice-Présidente
Greffier lors des débats : ALLIONE Bernadette
Vu le rapport fait à l’audience
A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 09 Janvier 2025
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BESANÇON Bénédicte, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
Madame [T] [P]
née le [Date naissance 3] 1963 à [Localité 6] (ITALIE)
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Edith ANGELICO, avocat au barreau de TOULON, vestiaire : 0130
CONTRE
DEFENDEURS
Société CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DU VAR, dont le siège social est sis [Adresse 8]
représentée par Me Stéphane CECCALDI, avocat au barreau de MARSEILLE
Monsieur [U] [L]
né le [Date naissance 4] 1955 à [Localité 7]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 5]
représenté par Maître Philippe CARLINI de la SELARL CARLINI & ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE
Mme [T] [P], présentait des troubles de l’acuité visuelle depuis de nombreuses années et avait bénéficié d’une chirurgie réfractive, de type Lasik, réalisée par le Docteur [O] dans le courant de l’année 1997.
En raison de difficultés persistantes pour la lecture de près, elle a consulté le Docteur [L], chirurgien ophtalmologiste, le 15 février 2016, qui l’a opérée le 18 février 2016 dans le cadre d’une chirurgie réfractive suivant la technique LASIK réalisée en ambulatoire.
Suite à cette intervention, Mme [T] [P] présentant des douleurs au niveau de l’œil gauche ainsi qu’une baisse de l’acuité visuelle, le Docteur [L] programmait, le 1er décembre 2016, une intervention chirurgicale de reprise.
Par suite, son état ne s’étant pas amélioré, le Docteur [X] préconisait le port d’une lentille sclérale.
Considérant que son état ne s’est pas amélioré, Mme [P] a, par actes extrajudiciaires des 5 et 6 octobre 2021, assigné le Docteur [L], au contradictoire de la CPAM du Var et de ONIAM en référé expertise.
Par Ordonnance de Référé du 06 décembre 2021, le Docteur [A] [D] a été désigné en qualité d’expert. Il a déposé son rapport le 07 juillet 2022 et a conclu à un accident médical non fautif ; il a retenu un défaut d’information avec le retentissement psychologique en découlant.
Par exploits en date des 13 octobre et 20 novembre 2023, Mme [T] [P] a assigné devant le tribunal de céans le Docteur [U] [L] et la CPAM du VAR aux fins de :
– Condamner le Docteur [U] [L] à lui payer la somme de 20 000 € en réparation de son préjudice moral d’impréparation,
– Condamner le Docteur [U] [L] à lui payer la somme de 175 659,60 € à raison de la violation de l’obligation d’information, en réparation du préjudice né de la perte de chance de renoncer aux opérations chirurgicales et d’éviter la survenance des préjudices corporels, avec un coefficient de perte de chance de 99%,
– Condamner le Docteur [U] [L] à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– Condamner le Docteur [U] [L] aux entiers dépens,
– Assortir l’ensemble des condamnations pécuniaires précitées des intérêts au taux légal à compter de la date du Jugement à intervenir,
– Prononcer la capitalisation desdits intérêts, conformément à l’article 1343-2 du Code civil,
– Rappeler que le jugement à intervenir sera assorti de droit de l’exécution provisoire.
Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que lors de intervention chirurgicale de reprise réalisée par le Docteur [L] le 1er décembre 2016, elle n’a pas souvenir d’avoir signé de formulaire de consentement l’informant des risques opératoires, ni même avoir été oralement informée ; que suite à cette intervention de reprise, son état s’est dégradé ; qu’elle a consulté le Dr [X] le 13 novembre 2019 qui lui a indiqué que l’état de son œil opéré n’était pas améliorable ; qu’un nouveau protocole de soins avec le port d’une lentille sclérale a alors été mis en place ; qu’elle éprouve de grandes difficultés à supporter longtemps une lentille rigide (pas plus de 3 heures par jour), au regard de la nature très particulière et contraignante de ce dispositif ; qu’elle s’est vu prescrire en complément des lunettes de vue.
Elle indique que sa vue a continué de baisser et que les douleurs persistent ; qu’elle a tenté en vain de recontacter le Dr [L] qui n’a pas daigné retirer la lettre recommandée avec accusé de réception qu’elle lui avait adressée ; qu’elle a consulté le Dr [H] qui s’est montré réservé sur les chances d’amélioration de son état et l’a adressée à un confrère ; qu’elle ne peut plus conduire la nuit, ni même par temps ensoleillé, et se trouve dans l’incapacité de lire et regarder la télévision ; qu’elle est gênée dans le cadre de son activité professionnelle.
Elle soutient que la survenance d’un aléa thérapeutique n’exonère pas le praticien de son obligation d’information sur les risques encourus à raison de l’intervention ; que le Docteur [L] a manqué à son obligation d’information à l’occasion de chacune des deux interventions qu’il a pratiquées ; qu’en effet, s’il lui a fait signer une fiche de consentement éclairé pour la première intervention réalisée le 18 février 2016, les conditions de la délivrance de cette information ont été inappropriées, l’information délivrée par écrit n’ayant été remise à la patiente que le jour même de l’intervention chirurgicale ; qu’à l’occasion de la chirurgie de reprise du ler décembre 2016, le Docteur [L] s’est abstenu de délivrer la moindre information sur les risques encourus ; qu’il est douteux que le Dr [L] tente de justifier l’impossibilité de rapporter la preuve de l’information donnée par un piratage informatique qui n’aurait atteint, non pas l’entier dossier médical de la patiente, mais seulement les informations relatives aux complications opératoires et au consentement éclairé en vue de la seconde intervention ; que dès lors, le préjudice psychologique d’impréparation que l’expert judiciaire retient sous le vocable « retentissement psychologique » doit être indemnisé ainsi que la perte de chance de renoncer à l’intervention et donc d’échapper à la survenue du dommage et de ses conséquences corporelles ; que la perte de chance subie doit faire l’objet d’un coefficient de 99%, taux de probabilité qu’elle ait refusé les gestes chirurgicaux et évité de subir les dommages corporels constatés par l’expert si elle avait été parfaitement informée.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 07 juin 2024, le Dr F.[L] demande au tribunal de :
A titre principal :
– Juger que les préjudices de Mme [P] sont en lien avec un accident médical non-fautif, autrement dit aléa thérapeutique, en lien avec l’intervention du 1er décembre 2016 ;
– Juger que les soins prodigués par le Docteur [L] étaient conformes aux règles de l’art et données acquises de la science au moment des faits ;
– Juger qu’il a satisfait à son obligation d’information de sa patiente ;
– Juger que Mme [P] était pleinement informée et éclairée des risques liés à l’intervention du 1er décembre 2016 ;
– Débouter Mme [P] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre;
– Condamner Madame [P] à la somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure.
A titre subsidiaire :
– Juger que Mme [P] n’a subi aucune perte de chance de se soustraire à l’intervention du 1er décembre 2016 ;
– Débouter en conséquence Mme [P] de sa demande en paiement de la somme de 175659,60€ au titre de la perte de chance de se soustraire à l’intervention litigieuse; – Juger que son préjudice d’impréparation sera limité à la somme de 3 500 €.
En tout état de cause :
– Débouter la Caisse d’Assurance maladie de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre ;
– La condamner à la somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens de l’instance.
Il soutient que l’expert a retenu, s’agissant de la première intervention du 18 février 2016 qu’il avait été correctement satisfait à l’obligation d’information préalable de Mme [P] sur les risques éventuels encourus du fait des interventions projetées ; que Mme [P] l’avait consulté initialement pour bénéficier d’une intervention au Lasik pour ne plus porter de correction optique ; que le consentement éclairé de la chirurgie réfractive avait été remis et signé par Mme [P] le 18/02/2016 ; que l’expert a considéré que « les actes, soins et traitements prodigués par le Dr [L] ont été consciencieux, attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science actuelle. Il s’agit d’un accident médical non fautif (aléa thérapeutique).(…) L’état de santé actuel de Mme [P] est la conséquence d’un accident médical non-fautif. L’incidence des déplacements de capots cornéens après Lasik est comprise entre 0,1 et 0,35% selon les différentes études. Cet accident médical a eu comme conséquence anormales des altérations visuelles avec une photophobie et la décompensation non réductible d’une hétérophorie. »
Il indique que si l’Expert [D] considère par ailleurs que l’absence de consentement éclairé signé pour la seconde chirurgie du 1er décembre 2016, (celle à l’origine de la survenue des complications actuelles) serait de nature à caractériser un manquement à l’obligation d’information, il doit toutefois s’abstenir de se positionner sur des considérations juridiques ; qu’il ne lui appartenait pas de faire une déduction juridique de l’absence de consentement signé pour conclure à une absence de délivrance d’information.
Il fait valoir que s’agissant de la 1ère intervention, contrairement à ce que soutient Mme [P], ce document ne lui a pas été remis le jour de l’intervention mais bien le jour de sa consultation ; qu’elle ne l’a en revanche signé qu’à la date de l’intervention ; que ce document est un document d’information établi par la Société Française d’Ophtalmologie et concerne la chirurgie réfractive de type Lasik telle que celle dont avait déjà bénéficié Mme [P] ; que cette fiche comporte l’ensemble des risques inhérents à cette chirurgie ; que par la suite, Mme [P] a bénéficié d’un suivi minutieux ; qu’il a constaté une absence d’amélioration de la vision de la patiente ainsi que quelques complications dont une gêne ; qu’au total, il a revu sa patiente six fois avant de réaliser la chirurgie de reprise ; que dans le cadre de cette chirurgie de reprise, un nouveau document d’information a été remis à la patiente et signé mais a été perdu à la suite d’un piratage de sa base de données ; que pour en justifier, il a remis à l’Expert la plainte déposée par son associé, le Docteur [W] ; qu’en tout état de cause, la fiche d’information et de consentement manquante au dossier, relative à l’intervention du 1er décembre 2016, est strictement identique à celle de la première chirurgie, de sorte que Mme [P] était informée des risques liés à l’intervention pratiquée à cette date ; qu’en outre, Mme [P] a bénéficié de nombreuses consultations avec lui entre les deux interventions de sorte qu’il n’est pas possible de considérer qu’elle n’a bénéficié d’aucune information lors de ces consultations.
Il indique que dans l’hypothèse où il serait retenu qu’il a failli à son obligation d’information concernant l’intervention du 1er décembre 2016, il conviendra en revanche de retenir que Mme [P] n’a perdu aucune chance de se soustraire à l’intervention ; que si la première intervention peut être qualifiée d’intervention de «confort», il n’en va pas de même de la seconde qui avait véritablement vocation à rectifier les différentes complications subies ; que c’est face à une symptomatologie pharmaco-résistante qu’il a eu recours à la reprise chirurgicale ; que de plus Mme [P] était en demande de cette intervention de reprise qui était la quatrième intervention de cette nature qu’elle subissait ; qu’il est en outre rappelé que le taux de survenue de la complication dont a été victime Mme [P] à la suite de l’intervention du 1er décembre 2016 est bien inférieur à 1% ; que l’Expert a rappelé que le taux de survenue de ce risque se situe en 0,1 et 0,35% ; qu’il s’agit donc d’un risque particulièrement rare ; qu’il n’existe aucune perte de chance imputable à un prétendu défaut d’information.
Il indique, s’agissant des demandes de la CPAM, que les préjudices de Madame [P] sont en lien avec un accident médical non-fautif, autrement dit aléa thérapeutique, insusceptible d’engager sa responsabilité ; que ce n’est pas la délivrance ou la non-délivrance de l’information qui est à l’origine des préjudices subis par Madame [P] ; que ses demandes seront en conséquence rejetées.
Par conclusions signifiées le 19 décembre 2023, la CPAM du VAR demande au tribunal de :
– Lui donner acte qu’elle s’en rapporte à la sagesse du Tribunal sur la responsabilité du Docteur [L] dans la survenance des dommages dont se plaint la requérante et sur la liquidation de ses préjudices;
– Donner acte à la CPAM du Var que l’ensemble des prestations définitives comprenant des dépenses de santé (frais médicaux, pharmaceutiques, d’appareillage et de transport franchises déduites) et la perte de revenus (indemnités journalières) délivrées à son assurée social, Mme [P] (NNI n°[Numéro identifiant 2]) qu’elle a pris en charge au titre de la législation sur l’Assurance Maladie en relation avec le dommage s’élève à la somme de 10 305,81 € ;
– Dans l’hypothèse où le Tribunal jugerait que sa responsabilité est engagée, condamner le docteur [L], le cas échéant, solidairement avec son assureur, à lui payer la totalité des sommes dont elle a fait l’avance en relation avec le dommage, conformément aux dispositions de l’article L.376-1 susvisé, soit la somme de 10 305,81€, sous intérêts au taux légal ;
– Le cas échéant, condamner le docteur [L], le cas échéant, solidairement avec son assureur, à lui payer la somme de 1 114 € au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion prévue par l’article L.376-1 ;
– Condamner le docteur [L], le cas échéant, solidairement avec son assureur, aux entiers dépens de l’instance ;
– Condamner le docteur [L], le cas échéant, solidairement avec son assureur, à lui payer la somme de 3 000€ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir qu’elle justifie qu’à la suite de l’accident, elle a pris en charge les frais hospitaliers, médicaux, pharmaceutiques et de transport, et les indemnités journalières versées à son assuré social Madame [P] en relation avec le dommage pour un total de 10 305,81€ dont elle produit un relevé définitif.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures susvisées.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 octobre 2024, et l’affaire fixée à l’audience de plaidoirie du 07 novembre 2024.
Sur la faute médicale :
L’article L.1142-1 du Code de la santé publique dispose :
« I. – Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute (…)
En l’espèce, l’expert judiciaire a retenu dans ses conclusions que les actes, soins et traitements prodigués par le Dr [L] avaient été consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science, et que l’accident médical survenu était non fautif, et constituait un aléa thérapeutique.
Sur le devoir d’information du médecin et le préjudice d’impréparation :
Toute personne a le droit d’être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, et son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n’est pas à même de consentir, de sorte que le non-respect du devoir d’information qui en découle, cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice.
Le non-respect, par un professionnel de santé, de son devoir d’information cause à celui auquel l’information était due, lorsque ce risque se réalise, un préjudice moral résultant d’un défaut de préparation aux conséquences d’un tel risque, qui, dès lors qu’il est invoqué, doit être réparé.
En l’espèce, il ressort des pièces versées aux débats, et du rapport du Dr [D], que le Dr [L] a pratiqué un Lasik pour traiter l’hypermétropie de Mme [P] le 18 février 2016, le consentement éclairé de la chirurgie réfractive ayant été remis à la patiente et signé par elle à cette date. Les données du laser n’ont fait état d’aucune complication, et ce n’est qu’à compter du 29 septembre 2016 qu’il est noté une modification de la réfraction.
L’expert a considéré, s’agissant de cette 1ère intervention réalisée par le Dr [L], qu’il avait été correctement satisfait à l’obligation d’information de Mme [P] sur les risques encourus du fait des interventions projetées, de sorte que la signature le jour même de l’intervention du document remis à la patiente est sans incidence.
Mme [P] ne communiquant aucune pièce de nature à contredire l’appréciation de l’expert judiciaire sur ce point, il y a lieu de retenir que le Dr [L] n’a pas failli à son obligation d’information s’agissant de l’intervention chirurgicale du 18 février 2016.
En revanche, le Dr [L] ne rapporte pas la preuve qu’il a satisfait à son obligation préalable de la patiente sur les risques encourus lors de la reprise chirurgicale réalisée le 1er décembre 2016.
Quand bien même Mme [P] connaissait parfaitement cette intervention au Lasik pour l’avoir fait pratiquer à deux reprises, soit en 1997 et le 18 février 2016, le Dr [L] demeurait tenu de lui fournir les informations nécessaires sur la complication de l’intervention et ses suites, l’argument tiré d’un piratage informatique des données médicales portant précisément sur le contentement éclairé de la patiente n’étant pas susceptible d’exonérer le médecin de son obligation à défaut de preuve suffisante sur les diligences entreprises pour recueillir son consentement.
En conséquence, par une appréciation souveraine des éléments de la cause, le Dr [L] sera condamné à lui verser, en réparation de son préjudice moral d’impréparation, la somme de 10 000€ à titre de dommages et intérêts.
Sur la perte de chance et ses conséquences :
La victime peut obtenir la réparation de son préjudice résultant de la perte de chance d’éviter le dommage par suite du manquement du médecin à son obligation d’information.
Toutefois, en l’espèce, Mme [P] n’a subi aucune perte de chance de se soustraire à l’intervention du 1er décembre 2016. Elle n’aurait en effet pas renoncé à la reprise compte tenu du caractère indispensable du geste chirurgical eu égard à la gêne éprouvée suite à la précédente intervention réalisée en février 2016, et à la faiblesse du risque encouru.
L’intervention de 1er décembre 2016 s’avérait d’autant plus nécessaire que le Docteur [L] avait entrepris la mise en place de différents traitements médicaux avant de prendre la décision de procéder à la reprise chirurgicale de l’oeil de Mme [P].
Dès lors que Mme [P] ne pouvait renoncer à la reprise compte tenu de son caractère indispensable, de la gène éprouvée suite à la 1ère intervention et de la faiblesse du risque encouru, il y a lieu de considérer que le défaut d’information sur les risques inhérents à un acte individuel de soins n’a pas fait perdre à la patient une chance d’éviter le dommage résultant de la réalisation de l’un de ces risques, de sorte que sa demande d’indemnisation sera rejetée.
Sur le recours subrogatoire de la CPAM :
L’article L.376-1 alinéa 3 du Code de la sécurité sociale dispose notamment que les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel.
En l’espèce, la responsabilité du tiers mis en cause n’étant pas engagée, la CPAM du VAR sera déboutée de l’ensemble de ses demandes.
Sur les demandes accessoires :
Le Dr [L] sera condamné aux entiers dépens en application de l’article 696 du code de procédure civile.
Il n’est pas inéquitable de le condamner à payer à Mme [T] [P] la somme de 3 000€ sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
En revanche la CPAM du VAR sera débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles.
LE TRIBUNAL, statuant après débats publics par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
CONDAMNE le Dr [L] à verser à Mme [T] [P] en réparation de son préjudice moral d’impréparation, la somme de 10 000€ titre de dommages et intérêts ;
DEBOUTE Mme [T] [P] du surplus de ses demandes ;
DEBOUTE la CPAM du VAR de l’ensemble de ses demandes ;
CONDAMNE le Dr [L] à verser à Mme [T] [P] la somme de 3 000€ sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE le Dr [L] aux entiers dépens.
AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 09 Janvier 2025
LE GREFFIER LE PRESIDENT
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