Un contrat de préférence éditoriale doit, pour être valable, soit être limité dans le temps (maximum cinq ans) soit être limité pour chaque genre à cinq ouvrages nouveaux.
Selon l’article L. 132-4 du code de la propriété intellectuelle, « Est licite la stipulation par laquelle l’auteur s’engage à accorder un droit de préférence à un éditeur pour l’édition de ses oeuvres futures de genres nettement déterminés.
Ce droit est limité pour chaque genre à cinq ouvrages nouveaux à compter du jour de la signature du contrat d’édition conclu pour la première oeuvre ou à la production de l’auteur réalisée dans un délai de cinq années à compter du même jour.
La stipulation du contrat prévoyant que le pacte de préférence est conclu pour la durée nécessaire à l’écriture/composition par l’auteur d’un album sorti dans le commerce est indéterminée (et donc nulle) ce d’autant que l’éditeur a également une option exclusive sur un second album.
L’éditeur doit exercer le droit qui lui est reconnu en faisant connaître par écrit sa décision à l’auteur, dans le délai de trois mois à dater du jour de la remise par celui-ci de chaque manuscrit définitif.
Lorsque l’éditeur bénéficiant du droit de préférence aura refusé successivement deux ouvrages nouveaux présentés par l’auteur dans le genre déterminé au contrat, l’auteur pourra reprendre immédiatement et de plein droit sa liberté quant aux oeuvres futures qu’il produira dans ce genre. Il devra toutefois, au cas où il aurait reçu ses oeuvres futures des avances du premier éditeur, effectuer préalablement le remboursement de celles-ci.
Les dispositions de l’article L. 132-4 du code de la propriété intellectuelle précitées dérogent au principe posé par l’article L. 131-1 du même code portant prohibition de la cession globale des oeuvres futures.
Elles sont donc d’interprétation strictes et sont édictées dans l’intérêt de l’auteur. L’auteur peut donc accorder à l’éditeur un droit de préférence pour cinq ouvrages ou oeuvres futures ou pour sa production de cinq années à condition que le genre des oeuvres soit nettement déterminé.
Si les dispositions de l’article L. 132-4 peuvent apparaître peu adaptées au secteur de l’édition musicale en ce que la limitation à cinq oeuvres est trop réduite pour satisfaire un éditeur qui a investi de fortes sommes ainsi que le relèvent les intimées, il n’en demeure pas moins que l’option de limitation dans le temps est ouverte à l’éditeur d’oeuvres musicales.
La notion d’ « ouvrage » prévue à l’article L. 132-4 du code de la propriété intellectuelle ne peut renvoyer à un « album » sauf à retenir une interprétation large qui n’est pas favorable aux intérêts de l’auteur, celui-ci s’engageant alors pour au moins une trentaine d’oeuvres musicales dès lors que celles-ci seraient réunies dans un album ce sans aucune limite dans le temps.
De même, il ne peut être retenu que l’album est un ouvrage relevant du genre prédéfini des « chansons ». En tout état de cause, à supposer que l’album relève du genre « chansons », il s’infère de ce qui précède que le pacte porte sur plus de cinq ouvrages nouveaux pour ce seul genre.
L’affaire concerne un jugement contradictoire rendu le 30 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris, suivi d’un appel interjeté le 5 janvier 2022 par Mme [K] [H]. Les dernières conclusions ont été remises au greffe et notifiées par voie électronique le 2 octobre 2023 par Mme [K] [H], appelante à titre principal et intimée à titre incident, ainsi que par les sociétés Alter K et Almost Musique, intimées à titre principal et appelantes à titre incident. L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 novembre 2023.
Contexte de l’affaire
Il s’agit d’un litige opposant Mme [K] [H] aux sociétés Alter K et Almost Musique concernant un contrat de préférence éditoriale et des contrats de cession et d’édition de ses œuvres musicales.
Les faits de l’affaire
Mme [H], artiste, a publié un enregistrement de l’œuvre musicale « Adélaïde » sur une plateforme en ligne. Elle a ensuite signé un contrat avec les sociétés Almost Musique et Alter K pour la publication d’un album regroupant plusieurs de ses œuvres.
Les arguments des parties
Mme [H] conteste la validité du contrat de préférence éditoriale, arguant qu’il ne respecte pas les dispositions légales. Les sociétés éditrices soutiennent que le contrat est valable et demandent des dommages et intérêts pour non-respect des engagements contractuels.
La décision de justice
La cour a jugé que le contrat de préférence éditoriale était nul car il ne respectait pas les dispositions légales. En conséquence, les contrats de cession et d’édition des œuvres de Mme [H] ont également été annulés. Les sociétés éditrices doivent restituer les sommes perçues et Mme [H] a obtenu une indemnité provisionnelle.
Les conséquences de la décision
Les demandes de dommages et intérêts des sociétés éditrices ont été rejetées, tout comme les demandes de Mme [H] en ce sens. Les dépens et les frais irrépétibles ont été répartis entre les parties conformément à la décision de justice.
– Restitution de l’intégralité des sommes perçues au titre des œuvres susvisées, notamment de la SACEM et de la société Les Films Du Worso
– Somme provisionnelle de 5 000 euros à valoir sur les sommes à payer à Mme [K] [H]
– Somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel
Réglementation applicable
– Code de la propriété intellectuelle (article L. 132-4) : « Est licite la stipulation par laquelle l’auteur s’engage à accorder un droit de préférence à un éditeur pour l’édition de ses œuvres futures de genres nettement déterminés. Ce droit est limité pour chaque genre à cinq ouvrages nouveaux à compter du jour de la signature du contrat d’édition conclu pour la première œuvre ou à la production de l’auteur réalisée dans un délai de cinq années à compter du même jour. »
– Code de procédure civile (article 700) : « Le tribunal condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le tribunal tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. »
– Code de la propriété intellectuelle (article L. 131-1) : « L’auteur ne peut céder à l’éditeur les droits d’exploitation qui lui sont reconnus par les articles L. 122-1 à L. 122-10 qu’à titre exclusif ou non, partiel ou total, pour le monde entier ou pour un territoire déterminé, pour toute la durée des droits cédés et dans tous les domaines d’exploitation actuels ou futurs. »
– Code de la propriété intellectuelle (article L. 122-1 à L. 122-10) : Ces articles définissent les droits d’exploitation reconnus à l’auteur, notamment le droit de reproduction, le droit de représentation, le droit de suite, etc.
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Me Pierre GIOUX
– Me Corinne POURRINET
– Me Delphine MENGEOT
– Me Chloé BONVALET
Mots clefs associés
– Cour
– Mme [K] [H]
– Auteur, compositeur, interprète
– Groupe « Requin Chagrin »
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– Contrat de cession du droit d’adaptation audiovisuelle
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– Préjudice matériel
– Préjudice moral
– Dépens
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– Astreinte
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– Communication
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– Débouté
– Dépens
– Indemnité
– Equité.
– Cour: Instance judiciaire chargée de trancher un litige.
– Mme [K] [H]: Madame K [H], personne identifiée.
– Auteur, compositeur, interprète: Personne créant des œuvres musicales.
– Groupe « Requin Chagrin »: Formation musicale nommée « Requin Chagrin ».
– Soundcloud: Plateforme de partage de musique en ligne.
– Enregistrement: Capture sonore d’une performance musicale.
– « Adélaïde »: Titre d’une œuvre musicale.
– Auto-produit: Produit sans l’intervention d’une maison de disques.
– Alter K: Label musical.
– Edition musicale: Publication d’une œuvre musicale.
– Almost Musique: Label musical.
– Label indépendant: Maison de disques non affiliée à une major.
– Compilation: Regroupement de plusieurs morceaux musicaux.
– Contrat: Accord légal entre deux parties.
– Préférence éditoriale: Droit de priorité pour la publication d’une œuvre.
– Contrat de cession de droits: Accord de transfert de droits sur une œuvre.
– Contrat d’édition musicale: Accord pour la publication d’une œuvre musicale.
– Contrat de cession du droit d’adaptation audiovisuelle: Accord pour l’adaptation d’une œuvre en format audiovisuel.
– Album: Regroupement de plusieurs morceaux musicaux.
– Proposition de rachat: Offre de rachat d’une œuvre.
– Sony Music Entertainment: Major de l’industrie musicale.
– KMS: Acronyme non spécifié.
– Nullité: Caractère invalide d’un contrat.
– SACEM: Société de gestion des droits d’auteur.
– Tribunal de grande instance: Juridiction compétente pour certains litiges.
– Appel: Recours judiciaire.
– Jugement: Décision rendue par un tribunal.
– Contrat de préférence éditoriale: Accord de priorité pour la publication d’une œuvre.
– Contrats de cession et d’édition: Accords de transfert de droits et de publication d’une œuvre.
– Validité: Caractère légal d’un contrat.
– Durée: Période de validité d’un contrat.
– Ouvrage: Œuvre artistique.
– Genre: Catégorie musicale.
– Chansons: Morceaux musicaux.
– Interprétation: Performance musicale.
– Annulation: Résiliation d’un contrat.
– Restitution: Retour d’une œuvre.
– Dommages et intérêts: Réparation financière d’un préjudice.
– Préjudice matériel: Dommage financier.
– Préjudice moral: Dommage moral.
– Dépens: Frais de justice.
– Frais irrépétibles: Frais non récupérables.
– Astreinte: Sanction financière en cas de non-respect d’une décision judiciaire.
– Renégociation: Nouvelle négociation d’un contrat.
– Limitation temporelle: Durée limitée d’un contrat.
– Indivisibilité: Caractère non divisible d’un contrat.
– Cause: Motif d’un litige.
– Exploitation: Utilisation commerciale d’une œuvre.
– Recettes: Revenus générés par une œuvre.
– Avance: Somme d’argent versée à l’avance.
– Négociations: Discussions pour parvenir à un accord.
– Désillusion: Désenchantement.
– Déception: Sentiment de déception.
– Faute: Erreur ou manquement.
– Communication: Echange d’informations.
– Pièces: Eléments de preuve.
– Débouté: Rejet d’une demande.
– Indemnité: Compensation financière.
– Equité: Justice et équité dans un litige.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 2
ARRET DU 29 MARS 2024
(n°40, 1 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 22/00799 – n° Portalis 35L7-V-B7G-CE7YM
Décision déférée à la Cour : jugement du 30 novembre 2021 – Tribunal Judiciaire de Paris – 3ème chambre 3ème section – RG n° 19/04343
APPELANTE AU PRINCIPAL et INTIMEE INCIDENTE
Madame [K] [H]
Née le 25 Septembre 1990 à [Localité 6] (Var)
De nationalité française
Exerçant la profession d’auteur, compositeur et artiste interprète
Demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Pierre GIOUX de la SELARL LEXMEDIA, avocat au barreau de PARIS, toque J 140
Assistée de Me Corinne POURRINET, avocate au barreau de PARIS, toque E 0096
INTIMEES AU PRINCIPAL et APPELANTE INCIDENTES
S.A.S. ALTER K, prise en la personne de son président, M. [Y] [G], domicilié en cette qualité au siège social situé
[Adresse 1]
[Localité 3]
Immatriculée au rcs de Paris sous le numéro 489 114 975
S.A.R.L. ALMOST MUSIQUE, exerçant sous le nom commercial mostla editions, prise en la personne de son gérant, M. [J] [P], domicilié en cette qualité au siège social situé
C/O M [P]-[A]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Immatriculée au rcs de Paris sous le numéro 514 641 554
Représentées par Me Delphine MENGEOT, avocate au barreau de PARIS, toque D 1878
Assistées de Me Chloé BONVALET, avocate au barreau de PARIS, toque E 897
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 31 janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Laurence LEHMANN, Conseillère, en présence de Mme Agnès MARCADE, Conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport
Mmes Laurence LEHMANN et Agnès MARCADE ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Véronique RENARD, Présidente
Mme Laurence LEHMANN, Conseillère
Mme Agnès MARCADE, Conseillère
Greffière lors des débats : Mme Sylvie MOLLE
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu le jugement contradictoire rendu le 30 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris.
Vu l’appel interjeté le 5 janvier 2022 par Mme [K] [H].
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 2 octobre 2023 par Mme [K] [H], appelante à titre principal et intimée à titre incident.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 14 septembre 2023 par les sociétés Alter K et Almost Musique, intimées à titre principal et appelantes à titre incident.
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 16 novembre 2023.
SUR CE, LA COUR
Il est expressément renvoyé pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Mme [K] [H] se présente comme auteur, compositeur et interprète, ayant fondé le groupe «Requin Chagrin» avec trois autres artistes : MM. [C] [D], [L] [B] et [T] [I].
Mme [H] indique avoir, en décembre 2014, publié sur la plateforme collaborative de distribution de musique en ligne dénommée Soundcloud, un enregistrement de l’oeuvre musicale intitulée « Adélaïde », qu’elle a auto-produit et dont elle est l’auteur, le compositeur et l’interprète.
La société Alter K se présente comme une société d’édition spécialisée dans la synchronisation musicale d’oeuvres audiovisuelles (publicités et émissions) s’appuyant sur un catalogue d’artistes, dont elle s’attache à développer la carrière, indépendamment des « majors ».
La société Almost Musique (exerçant sous l’enseigne Mostla Editions) se présente comme une société d’édition et un label indépendant de musique.
A la suite de la publication du titre « Adélaïde », Mme [H] est entrée en relation avec M. [J] [V], cofondateur du site La Souterraine et gérant de la société Almost Musique, qui lui a proposé de reproduire cet enregistrement dans une compilation de La Souterraine, puis de sortir un album éponyme reproduisant les enregistrements de neuf de ses oeuvres qu’elle avait également auto-produites.
Une proposition de contrat a été faite le 1er juillet 2015 sans qu’aucune signature n’intervienne. Cet album a néanmoins été publié en septembre 2015 par la société Almost Musique sur diverses plateformes, en particulier la plateforme La Souterraine, mais également sur différents supports, à savoir des vinyles en novembre 2015, puis des CD en avril 2016.
Le 29 février 2016, Mme [H] a signé un contrat de préférence éditoriale avec la société Almost Musique et la société d’édition Alter K portant sur ses oeuvres écrites et sur ses oeuvres futures. Le même jour, Mme [H] a conclu avec les mêmes sociétés des contrats de cession de droits et d’édition musicale, ainsi que des contrats de cession du droit d’adaptation audiovisuelle, portant sur dix oeuvres déjà écrites de l’album 1 intitulé ‘Requin chagrin’.
Mme [H] expose qu’au cours de l’été 2016, son travail a été remarqué par M. [O] [F], leader du groupe Indochine et président de la société Editions Kissing My Song (KMS). Cette société et la société Sony Music Entertainment lui ont alors proposé de racheter la propriété des bandes masters des titres de son premier album et de produire les futurs enregistrements phonographiques de ses oeuvres et interprétations.
Mme [H] en a informé la société Almost Musique qui est entrée en négociation avec les sociétés KMS et Sony Music Entertainment pour la cession de ses droits sur les oeuvres de l’artiste.
Par un courriel du 7 novembre 2016, la société KMS a indiqué refuser la proposition de rachat des sociétés Almost Musique et Alter K.
Mme [H] a néanmoins signé le 15 septembre 2017 un contrat d’enregistrement exclusif avec les sociétés KMS et Sony Music Entertainment. Les sociétés Alter K et Almost Musique ont quant à elles signé un contrat de reversement commercial avec la société Sony Music Entertainment.
Par une lettre recommandée avec accusé de réception du 31 janvier 2018, Mme [H] a, par l’intermédiaire de son conseil, mis en demeure les sociétés Almost Musique et Alter K de lui verser les droits perçus pour l’exploitation de ses oeuvres en invoquant la nullité du pacte de préférence éditoriale du 29 février 2016, de même que celle des contrats de cession et d’édition signés en exécution de ce pacte.
Par une lettre du 21 mars 2018, les sociétés Alter K et Almost Musique ont contesté cette nullité des conventions. Par une autre lettre du 27 juillet 2018, ces sociétés, après avoir constaté que Mme [H] avait déposé seule de nouvelles oeuvres à la SACEM, ont revendiqué de pouvoir exercer leur droit de préférence sur les oeuvres nouvelles, demandant une indemnisation de 10 000 euros en réparation de leur préjudice matériel. Le contenu de cette lettre a été réitéré le 11 septembre 2018.
Par actes du 6 février 2019, Mme [K] [H] a fait assigner les sociétés Alter K et Almost Musique devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Paris aux fins d’obtenir la nullité du pacte de préférence éditoriale et la nullité des contrats de cession et d’édition.
Mme [H] a appelé dans la cause devant le tribunal MM. [C] [D], [L] [B] et [T] [I], co-auteurs de certaines oeuvres concernées par la procédure, ainsi que la SACEM.
C’est dans ce contexte qu’a été rendu le jugement dont appel qui a :
– dit que le contrat de préférence éditoriale signé par les parties le 29 février 2016 est valable,
– rejeté par conséquent les demandes subséquentes d’annulation des contrats de cession de droits consentis le même jour par Mme [K] [H] aux sociétés Alter K et Almost Musique et de remboursement des sommes perçues par elles en exécution de ces contrats, ainsi qu’en paiement de dommages-intérêts,
– condamné Mme [K] [H] à payer aux sociétés Alter K et Almost Musique la somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice matériel résultant de l’inexécution par elle de ses engagements contractuels,
– condamné Mme [K] [H] à payer aux sociétés Alter K et Almost Musique la somme de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral,
– rejeté la demande aux fins de modification des bulletins déposés auprès de la SACEM pour les oeuvres « Ballade Pop », « Le Grand Voyage », « Sémaphore », « Mauvais Présage », « Rivières », « Soleil Blanc », « Les Promesses », « Clairvoyance »,
– condamné Mme [K] [H] aux dépens,
– condamné Mme [K] [H] à payer aux sociétés Alter K et Almost Musique la somme de 4 000 euros chacune par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;
– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement.
Mme [K] [H] a interjeté appel de ce jugement par un acte du 5 janvier 2022, intimant les seules sociétés Alter K et Almost Musique.
Par une ordonnance sur incident en date du 10 novembre 2022, le conseiller de la mise en état a rejeté l’irrecevabilité de l’appel soulevé par les sociétés Alter K et Almost Musique.
Par ses dernières conclusions, Mme [K] [H] demande à la cour de :
– la déclarer recevable et bien fondée en son appel partiel à l’encontre du jugement rendu par la 3ème chambre 3ème section du tribunal judiciaire de Paris rendu le 30 novembre 2021,
– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris en date du 30 novembre 2021, en ce qu’il a :
– dit que le contrat de préférence éditoriale signé par les parties le 29 février 2016 est valable,
– rejeté par conséquent les demandes subséquentes d’annulation des contrats de cession de droits consentis le même jour par Mme [H] aux sociétés Alter K et Almost Musique et de remboursement des sommes perçues par elles en exécution de ces contrats, ainsi qu’en paiement de dommages-intérêts,
– condamné Mme [H] à payer aux sociétés Alter K et Almost Musique la somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice matériel résultant de l’inexécution par elle de ses engagements contractuels,
– condamné Mme [H] à payer aux sociétés Alter K et Almost Musique la somme de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral,
– condamné Mme [H] à payer aux sociétés Alter K et Almost Musique la somme de 4 000 euros chacune par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,
Et statuant à nouveau,
– annuler le contrat de préférence éditoriale conclu entre elle et les sociétés Almost Musique et Alter K en date du 29 février 2016,
– annuler les contrats de cession et d’édition et les contrats de cession du droit d’adaptation audiovisuelle conclus entre elle et les sociétés Almost Musique et Alter K en date du 29 février 2016 relatifs aux oeuvres musicales intitulées « Adélaïde », «RC », « Riviera », « le Chagrin », « Bleu Nuit » et « Rose »,
– condamner les sociétés Almost Musique et Alter K à lui restituer l’intégralité des sommes qu’elles ont perçues au titre des oeuvres susvisées, notamment de la SACEM au titre des répartitions des redevances de droits d’auteur échues et de la société Les Films Du Worso au titre de la synchronisation de l’oeuvre « Adélaïde » dans le film cinématographique de long métrage intitulé « La Prière », et ce avec intérêt au taux légal à compter du jour de leur perception,
– condamner les sociétés Almost Musique et Alter K à lui payer une somme provisionnelle de 10 000 euros à valoir sur les sommes dont elles seront redevables à son égard à ce titre,
– condamner les sociétés Almost Musique et Alter K à lui payer une somme de 40 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice patrimonial,
– condamner les sociétés Almost Musique et Alter K à lui payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral,
– confirmer le jugement entrepris dans toutes ses autres dispositions,
En tout état de cause,
– déclarer infondé l’appel incident formé par les sociétés Almost Musique et Alter K,
– débouter les intimées de leur appel incident, ainsi que de toutes leurs demandes à titre principal et subsidiaire, fins et conclusions,
– condamner les sociétés Almost Musique et Alter K à verser à Mme [K] [H] une somme de 8 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles,
– dire n’y avoir lieu à condamnation de Mme [H] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner les sociétés Almost Musique et Alter K en tous les dépens, dont le recouvrement pourra être directement poursuivi par Me Pierre Gioux dans les conditions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.
Par leurs dernières conclusions, les sociétés Alter K et Almost Musique demandent à la cour de :
In limine litis,
– confirmer que la cour n’est pas saisie des demandes formées dans les conclusions de Mme [K] [H] à l’encontre de la SACEM, faute d’avoir été expressément mentionnées dans sa déclaration d’appel,
– confirmer que la cour n’est pas saisie des demandes tendant à voir : « Annuler les contrats de cession et d’édition et les contrats de cession du droit d’adaptation audiovisuelle conclus entre Mme [K] [H] et les sociétés Almost Musique et Alter K en date du 29 février 2016 relatifs aux oeuvres musicales intitulées « Alysson », « Ciao Rubello », « Poisson Lune » et « Atlas » »,
A titre principal :
– déclarer l’appel interjeté par Mme [K] [H] mal fondé,
– déclarer recevable et bien fondé l’appel incident des sociétés Alter K et Almost Musique,
En conséquence :
– confirmer le jugement daté du 30 novembre 2021 rendu par la 3ème chambre 3ème section du tribunal judiciaire de Paris en ce qu’il a dit que :
– le contrat de préférence éditoriale signé par les parties le 29 février 2016 est valable,
– rejeté par conséquent les demandes subséquentes d’annulation des contrats de cession de droits consentis le même jour par Mme [H] aux sociétés Alter K et Almost Musique et de remboursement des sommes perçues par elles en exécution de ces contrats, ainsi qu’en paiement de dommages-intérêts,
– infirmer le jugement de première instance du 30 novembre 2021 en ce qu’il a valorisé le préjudice patrimonial subi par Alter K et Almost Musique du fait de la violation du pacte de préférence à hauteur de 10 000 euros,
– infirmer le jugement de première instance en ce qu’il n’a pas ordonné la régularisation des droits pour le futur auprès de la SACEM par Mme [K] [H],
– infirmer le jugement de première instance en qu’il a valorisé le préjudice moral subi à la somme de 5 000 euros,
Et statuant à nouveau :
– juger que le pacte de préférence conclu le 29 février 2016 entre les parties, limité dans sa durée ainsi qu’à un album nouveau et un album nouveau optionnel est valide en ce qu’il respecte les limitations fixées par l’article L. 132-4 du code de la propriété intellectuelle,
– juger que les contrats de cession et d’édition et les contrats d’adaptation audiovisuelle conclus entre Mme [K] [H] et les sociétés Almost Musique et Alter K en date du 29 février 2016 relatifs aux six oeuvres musicales intitulées « Adelaide », « RC », « Riviera », « Le Chagrin », « Bleu Nuit » et «Rose», sont des contrats de cession de droits portants sur oeuvres existantes, indépendants et sont parfaitement valides,
– juger que le pacte de préférence du 29 février 2016 les lit valablement à Mme [K] [H],
– juger qu’elles sont titulaires des droits d’édition sur toutes oeuvres nouvelles de Mme [K] [H] à savoir les albums Sémaphore et Bye Bye Baby, en application du pacte de préférence conclu le 29 février 2016,
– juger que Mme [K] [H] a manqué à ses obligations contractuelles telles qu’énoncées au pacte de préférence,
– ordonner à Mme [K] [H] de procéder aux dépôts SACEM des oeuvres nouvelles à savoir les titres composant les albums Sémaphore et Bye Bye Baby et l’y condamner au besoin,
– assortir la présente injonction d’une astreinte de 3 000 euros par jour d’infraction constatée à partir de l’issue du délai de dix jours à compter du rendu de la présente décision,
– ordonner à Mme [K] [H] de leur communiquer de manière exhaustive toutes autres exploitations ou divulgations qui auraient été faites des oeuvres nouvelles sans qu’elles en soit informé à compter de l’arrêt à intervenir, à défaut la condamner à une astreinte de 3 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,
– condamner Mme [K] [H] de leur communiquer l’état des comptes des redevances SACEM et de tous autres droits issus de l’exploitation des albums Sémaphore et Bye Bye Baby de Requin Chagrin, en ce compris la synchronisation du titre Sémaphore opérée par la « 20thcenturystudios », et ce, sous astreinte de 3 000 euros à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,
– condamner Mme [K] [H] à leur verser ensemble la somme de 100 000 euros au titre de dédommagement du préjudice matériel subi par elles à valoir sur le montant exact des redevances indûment perçus,
– condamner Mme [K] [H] à leur verser la somme de 50 000 euros au titre de dédommagement du préjudice moral subi,
– déclarer l’arrêt à intervenir opposable à la SACEM,
– ordonner à Mme [K] [H] de faire modifier par la SACEM les bulletins de déclaration et l’ensemble de la documentation de toutes oeuvres nouvelles et notamment de l’album Sémaphore et Bye Bye Baby, en créditant Alter K et Almost Musique, et ce sous astreinte de 3 000 euros à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,
A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour devait conclure à la nullité du pacte pour absence de durée, il lui plaira alors de :
– juger applicable l’article 15.2 du pacte de préférence en ce qu’il exclue la nullité globale du pacte,
En conséquence,
– ordonner la renégociation des termes du contrat s’agissant de l’article 11 ou redéfinir d’office la limite temporelle à cinq ans,
– juger valides les contrats de cession de droits et d’édition conclus le 29 février 2016 par Mme [K] [H],
– rejeter les demandes de remboursement des revenus éditoriaux issues des exploitations des titres visés par ces contrats,
En tout état de cause,
– débouter Mme [K] [H] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner Mme [K] [H] à leur verser la somme de 9 000 euros au titre de ses frais irrépétibles,
– condamner Mme [K] [H] en tous les dépens, dont le recouvrement pourra être directement poursuivi par Me Mengeot dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
A titre liminaire, il convient de relever que MM. [B], [D] et [I], co-auteurs avec Mme [H] des oeuvres « Alysson », « Ciao Rubello », « Poisson Lune » et « Atlas » ne sont pas dans la cause devant la cour et que Mme [H] ne forme pas, dans ses dernières écritures, de demandes devant la cour tendant à voir annuler les contrats de cession, d’édition et d’adaptation audiovisuelle concernant ces oeuvres.
En conséquence, concernant les oeuvres précitées, le chef du jugement déféré qui a rejeté les demandes d’annulation des contrats de cession de droits consentis par Mme [K] [H] aux sociétés Alter K et Almost Musique et de remboursement des sommes perçues par elles en exécution des contrats, ainsi qu’en paiement de dommages-intérêts est devenu irrévocable.
Les demandes de Mme [H] devant la cour concernent uniquement le contrat de préférence éditoriale du 29 février 2016 et les contrats de cession et d’édition du 29 février 2016 sur les oeuvres : « Adélaïde », «RC », « Riviera », « le Chagrin », « Bleu Nuit » et « Rose » dont elle est seule l’auteur.
La SACEM n’étant pas non plus dans la cause devant la cour, Mme [H] ne forme aucune prétention visant la société d’auteurs dans ses dernières écritures.
– Sur la validité du pacte de préférence éditoriale du 29 février 2016
Selon l’article L. 132-4 du code de la propriété intellectuelle, « Est licite la stipulation par laquelle l’auteur s’engage à accorder un droit de préférence à un éditeur pour l’édition de ses oeuvres futures de genres nettement déterminés.
Ce droit est limité pour chaque genre à cinq ouvrages nouveaux à compter du jour de la signature du contrat d’édition conclu pour la première oeuvre ou à la production de l’auteur réalisée dans un délai de cinq années à compter du même jour.
L’éditeur doit exercer le droit qui lui est reconnu en faisant connaître par écrit sa décision à l’auteur, dans le délai de trois mois à dater du jour de la remise par celui-ci de chaque manuscrit définitif.
Lorsque l’éditeur bénéficiant du droit de préférence aura refusé successivement deux ouvrages nouveaux présentés par l’auteur dans le genre déterminé au contrat, l’auteur pourra reprendre immédiatement et de plein droit sa liberté quant aux oeuvres futures qu’il produira dans ce genre. Il devra toutefois, au cas où il aurait reçu ses oeuvres futures des avances du premier éditeur, effectuer préalablement le remboursement de celles-ci. »
Le contrat de préférence éditoriale conclu entre Mme [H] et les sociétés Alter K et Almost Musique prévoit à l’article 1er que l’auteur confère à l’éditeur dans le cadre de l’article L. 132-4 du code de la propriété intellectuelle, un droit de préférence ou de première option sur l’édition et l’exploitation et ce sur le monde entier, de ses oeuvres futures (paroles et/ou musiques) dans la limite des dispositions de l’article 11 du présent contrat et des oeuvres suivantes écrites à la date des présentes : « Adélaïde », «RC», « Riviera », « Alysson », « le Chagrin », « Bleu Nuit », « Rose », « Ciao Rubello », « Poisson Lune » et « Atlas » comprenant musique et parole. Ce pacte de préférence concerne les oeuvres des genres suivants : chansons, musiques de films et/ou audiovisuels, spectacles musicaux, comédie musicale écrites ou composées par lui avec un ou plusieurs collaborateurs, et autres intervenants du projet « Requin Chagrin » ou autres projets de l’auteur pendant la durée du contrat. »
L’article 11 de ce contrat prévoit :
Mme [K] [H] soutient que le contrat de préférence éditoriale conclu le 29 février 2016 est nul comme contraire aux dispositions précitées de à l’article L . 132-4 du code de la propriété intellectuelle car il ne prévoit pas de limitation dans sa durée ni n’est « limité pour chaque genre à cinq ouvrages nouveaux ».
Les parties s’accordent pour dire que selon les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle, un contrat de préférence éditoriale doit, pour être valable, soit être limité dans le temps (maximum cinq ans) soit être limité pour chaque genre à cinq ouvrages nouveaux.
Elles s’opposent toutefois sur la notion « d’ ouvrage », Mme [H] considérant que le terme ouvrage est synonyme du mot « oeuvre » alors que les sociétés Alter K et Almost Musique font valoir que les dispositions de cet article conçues pour l’édition de livre doivent être transposées à l’industrie musicale, un pacte de préférence dans ce domaine ne pouvant se limiter à cinq « oeuvres » ou « chansons », le terme « ouvrage » étant en outre distinct de celui d’ « oeuvre ».
Mme [H] reproche à la décision déférée d’avoir dénaturé la signification du mot « ouvrage » en considérant que ce terme renvoie à un ensemble de travaux formant un tout, distinct du terme « oeuvre » qui renvoie à une réalisation unique et que les dispositions précitées ne s’opposent pas à la cession portant « sur un album futur, d’au moins 10 titres ».
Les dispositions de l’article L. 132-4 du code de la propriété intellectuelle précitées dérogent au principe posé par l’article L. 131-1 du même code portant prohibition de la cession globale des oeuvres futures. Elles sont donc d’interprétation strictes et sont édictées dans l’intérêt de l’auteur. L’auteur peut donc accorder à l’éditeur un droit de préférence pour cinq ouvrages ou oeuvres futures ou pour sa production de cinq années à condition que le genre des oeuvres soit nettement déterminé.
Si les dispositions de l’article L. 132-4 peuvent apparaître peu adaptées au secteur de l’édition musicale en ce que la limitation à cinq oeuvres est trop réduite pour satisfaire un éditeur qui a investi de fortes sommes ainsi que le relèvent les intimées, il n’en demeure pas moins que l’option de limitation dans le temps est ouverte à l’éditeur d’oeuvres musicales.
Le pacte de préférence du 29 février 2016 en cause est conclu « pour la durée nécessaire à l’écriture/composition par l’auteur de : 1 album dans le commerce venant à la suite de l’album 1 (album 2). Par la suite, l’éditeur disposera d’une option exclusive pour les oeuvres constituant l’album 3 de l’auteur (« album optionnel »)… On entend par « album sorti dans le commerce » un recueil d’au moins 10 oeuvres, faisant l’objet d’une sortie commerciale dans les circuits normaux de distribution (physique et digital) ».
Ce pacte n’est pas limité dans le temps. En effet, la stipulation du contrat prévoyant que le pacte de préférence est conclu pour la durée nécessaire à l’écriture/composition par l’auteur d’un album sorti dans le commerce est indéterminée ce d’autant que l’éditeur a également une option exclusive sur un second album.
Il n’est pas plus limité à cinq « ouvrages ». En effet, la notion d’ « ouvrage » prévue à l’article L. 132-4 du code de la propriété intellectuelle ne peut renvoyer à un « album » tel que défini dans le présent acte sauf à retenir une interprétation large qui n’est pas favorable aux intérêts de l’auteur, celui-ci s’engageant alors pour au moins une trentaine d’oeuvres musicales dès lors que celles-ci seraient réunies dans un album ce sans aucune limite dans le temps.
De même, contrairement à ce que soutiennent les sociétés éditrices, il ne peut être retenu que l’album est un ouvrage relevant du genre prédéfini des « chansons » visé à l’article 1er. En tout état de cause, à supposer que l’album relève du genre « chansons », il s’infère de ce qui précède que le pacte porte sur plus de cinq ouvrages nouveaux pour ce seul genre.
Les dispositions de ce pacte ne peuvent donc être considérées comme respectant les dispositions de l’article L. 132-4 du code de la propriété intellectuelle précitées.
Le pacte de préférence conclu le 29 février 2016 entre Mme [H] et les sociétés Alter k et Almost Musique doit en conséquence être annulé ce quand bien même Mme [H] apparaît avoir librement consenti à ce contrat de préférence éditoriale. A cet égard, il sera relevé que cette jeune artiste avait une connaissance très limitée en la matière ainsi qu’il ressort du courriel du 23 mars 2017 fourni aux débats par les sociétés éditrices (pièce 19), Mme [H] écrivant certes vouloir laisser le pacte de préférence tel quel mais après avoir précisé qu’elle était paniquée « sur cette histoire de pacte … ».
Les sociétés Alter K et Almost Musique font, à titre subsidiaire, valoir l’article 15.1 du contrat de préférence éditoriale selon lequel : « Toute disposition du présent contrat qui ne serait pas conforme à l’article L. 132-4 du code de la propriété intellectuelle, sera considérée comme nulle et non avenue entre les parties sans toutefois affecter la validité des autres dispositions du contrat » pour considérer que ces dispositions excluent la nullité totale du pacte. Pour autant, l’ensemble du contrat est consacré à la préférence éditoriale des sociétés éditrices et doit être annulé dans sa totalité ce malgré les dispositions précitées. Les demandes des sociétés Alter K et Almost Musique tendant à ce que soit ordonné par la cour la renégociation des termes de l’article 11 ou que celle-ci redéfinisse d’office la limite temporelle dans le cadre de cinq ans sont infondées et ne pourront qu’être rejetées, le juge n’ayant nullement ce pouvoir.
– Sur la nullité des contrats de cession et d’édition
L’article 1er du pacte de préférence du 29 février 2016 prévoit que Mme [H] confère aux sociétés éditrices dans le cadre de l’article L. 132-4 du code de la propriété intellectuelle un droit de préférence ou de première option sur l’édition et l’exploitation de ses oeuvres futures dans les limites prévues à l’article 11 du contrat et des oeuvres suivantes écrites à la date des présentes et notamment « Adélaïde », «RC », « Riviera », « le Chagrin », « Bleu Nuit » et « Rose » dont elle est seule l’auteur.
Les contrats de cession et d’édition portant sur ces oeuvres ainsi que les contrats de cession du droit d’adaptation audiovisuelle y afférents ont un lien intime avec le pacte de préférence du 29 février 2016 car ils ont été convenus concomitamment en raison de la confiance de l’auteur dans les sociétés éditrices à laquelle celle-ci a également cédé ses oeuvres futures. Ces contrats doivent être considérés comme indivisibles, ceux-ci étant nécessaires à la réalisation d’une même opération, Mme [H] ayant conclu les contrats d’édition précités uniquement car elle s’y croyait tenue en exécution du pacte de préférence.
En conséquence, les cessions de droits consenties par Mme [H] sur les oeuvres « Adélaïde », «RC», « Riviera », « le Chagrin », « Bleu Nuit » et « Rose » en exécution d’un pacte de préférence éditorial nul sont dépourvues de cause et doivent également être considérées comme nulles.
Le jugement sera infirmé de ces chefs.
– Sur les conséquences de la nullité des contrats
Les restitutions résultant de la nullité des contrats sont un effet direct et nécessaire de l’anéantissement des contrats.
Il n’est pas discuté que les sociétés éditrices ont d’ores et déjà récupéré l’avance de 4 000 euros consentie à Mme [H] par la délégation de créance consentie sur les droits d’auteur auprès de la SACEM.
En conséquence, les demandes de Mme [H] tendant à la restitution des recettes perçues par les sociétés éditrices de la SACEM au titre de la reproduction mécanique et de l’exécution publique des oeuvres « Adélaïde », « RC », « Riviera », « le Chagrin », « Bleu Nuit » et « Rose » seront accueillies de même que la demande de restitution des sommes perçues au titre de l’exploitation secondaire de l’oeuvre « Adelaïde » dans le film cinématographique « La prière », ce avec intérêt au taux légal à compter du 6 février 2019 date de l’assignation pour les recettes perçues avant cette date, aucune mauvaise foi des sociétés éditrices n’étant établie, et à compter du paiement de ces sommes pour celles perçues postérieurement à l’acte introductif d’instance.
Au vu des éléments dont dispose la cour, il sera alloué à Mme [H] la somme provisionnelle de 5 000 euros à valoir sur les sommes dont les sociétés éditrices lui sont redevables.
Mme [H] réclame en outre l’allocation de dommages et intérêts en réparation d’un préjudice matériel dû selon elle au retard pris dans les négociations, qui ont failli échouer, avec les sociétés KMS et Sony Music Entertainment sur le rachat des bandes du premier album ainsi que d’un préjudice moral compte tenu de « sa désillusion et déception lorsqu’elle a découvert que ses éditeurs se préoccupaient davantage de leurs propres intérêts ».
Toutefois, Mme [H] ne démontre aucune faute des sociétés éditrices dans le cadre des négociations avec les sociétés KMS et Sony Music Entertainment, l’âpreté des négociations n’étant pas en soi fautive. De même, aucune faute en lien causal avec le préjudice moral invoqué n’est caractérisée par l’appelante. Elle sera en conséquence déboutée de ses demandes de dommages et intérêts.
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Le contrat de préférence éditoriale étant nul, les demandes de dommages et intérêts des sociétés Almost Music et Alter K en raison des manquements contractuels de Mme [H] seront rejetées, comme leurs demandes tendant à enjoindre à Mme [H] de déposer des oeuvres nouvelles à la SACEM et de communication de pièces y afférentes.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a condamné Mme [H] à payer aux sociétés éditrices la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel et celle de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral.
– Sur les autres demandes
Le sens de l’arrêt conduit à infirmer les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles.
Parties perdantes, les sociétés Alter K et Almost Musique sont condamnées aux dépens de première instance et d’appel et à payer à Mme [H], en application de l’article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 8 000 euros. Elles seront elles-mêmes déboutées de leurs demandes à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l’appel,
Infirme le jugement entrepris sauf en ses dispositions ayant rejeté les demandes de dommages et intérêts de Mme [K] [H] et la demande des sociétés Almost Musique et Alter K aux fins de modification des bulletins déposés auprès de la SACEM pour les oeuvres « Ballade Pop », « Le Grand Voyage », «Sémaphore», « Mauvais Présage », « Rivières », « Soleil Blanc », « Les Promesses », «Clairvoyance»,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Annule le contrat de préférence éditoriale conclu entre Mme [K] [H] et les sociétés Almost Musique et Alter K en date du 29 février 2016,
Annule les contrats de cession et d’édition et les contrats de cession du droit d’adaptation audiovisuelle conclus entre Mme [K] [H] et les sociétés Almost Musique et Alter K en date du 29 février 2016 relatifs aux oeuvres musicales intitulées « Adélaïde », « RC », « Riviera », « le Chagrin », « Bleu Nuit » et « Rose »,
Condamne les sociétés Almost Musique et Alter K à restituer à Mme [K] [H] l’intégralité des sommes qu’elles ont perçues au titre des oeuvres susvisées, notamment de la SACEM au titre des répartitions des redevances de droits d’auteur échues et de la société Les Films Du Worso au titre de la synchronisation de l’oeuvre « Adélaïde » dans le film cinématographique de long métrage intitulé « La Prière », et ce avec intérêt au taux légal à compter du 6 février 2019 pour les recettes perçues antérieurement à cette date, et à compter du jour de leur paiement pour celles versées postérieurement,
Condamne les sociétés Almost Musique et Alter K à payer à Mme [K] [H] une somme provisionnelle de 5 000 euros à valoir sur les sommes dont elles seront redevables à son égard à ce titre,
Rejette tout autre demande,
Condamne les sociétés Almost Musique et Alter K à payer à Mme [K] [H] la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel et les déboute de leurs demandes à ce titre,
Condamne les sociétés Almost Musique et Alter K aux dépens de première instance et d’appel qui pourront être recouvrés selon les modalités prévues à l’article 699 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente