Notifier un contenu illicite à un hébergeur
La responsabilité de l’hébergeur est régie par l’article 6 1.2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance de l’économie numérique. Les prestataires d’hébergement ne peuvent voir leur responsabilité engagée du fait des activités ou informations stockées s’ils n’avaient pas connaissance du caractère illicite du contenu ou de faits et circonstances le faisant apparaître.
Sauf situations particulières (apologie des crimes contre l’humanité etc..), les personnes assurant des prestations d’hébergement ne sont pas soumises à l’obligation générale de surveiller les informations qu’elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.
La connaissance des faits litigieux ou des contenus illicites est présumée acquise lorsqu’il est notifié à l’hébergeur tous les éléments exigés par la loi et notamment la description des faits litigieux, leur localisation précise, les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré. Cette information prend la forme d’une Notification de contenus illicites.
Le principe de la notification
L’article 6 1.5 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance de l’économie numérique pose le principe de la notification de contenus illicites par le titulaire des droits : la connaissance des faits litigieux (contrefaçon ou autres atteintes) est présumée acquise par les hébergeurs lorsqu’il leur est notifié les éléments suivants :
-la date de la notification ;
-si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile,
nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa
dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ;
-les nom et domicile du destinataire ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social;
-la description des faits litigieux et leur localisation précise ;
-les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;
-la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté.
La notification de contenus illicites prévue par l’article 6.I.5 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique présente un caractère obligatoire justifié par le fait qu’aucune obligation générale de surveillance des contenus stockés ne doit être imposée aux hébergeurs (article 6.I.7 de la loi susvisée). La connaissance de contenus illicites stockés par les hébergeurs n’est présumée acquise que lorsque divers éléments leur sont notifiés et notamment la description des faits litigieux et leur localisation précise (url). Les motifs pour lesquels les contenus doivent être retirés doivent inclure la mention des dispositions légales et les justifications de faits.
Avant même de déterminer si un hébergeur a agi promptement pour retirer des contenus illicites hébergés, les juges ont l’obligation de rechercher si la notification de contenus illicites comporte bien l’ensemble des mentions légales obligatoires. Lorsqu’aucune notification n’est adressée à l’hébergeur, aucune responsabilité ne peut lui être imputée.
Le respect des mentions légales
Les juges sont particulièrement rigoureux quant au respect des mentions impératives de la notification de contenus illicites. Sous peine d’irrecevabilité devant les tribunaux, lorsqu’un auteur et sa société de production poursuivent un éditeur de contenus tel que Youtube ou Google Vidéos qui a diffusé sans autorisation une oeuvre de leur catalogue (sketch audiovisuel), ces derniers ont l’obligation, dans la mise en demeure adressée à ces sites (notification de contenus illicites), de préciser notamment i) quelles sont les vidéos contrefaisantes (adresses URL) et ii) les motifs justifiant la demande du retrait (faits mais aussi textes de loi visés).
L’auteur qui met en demeure un hébergeur de site Internet de désactiver un site Internet contrefaisant, doit dans sa lettre recommandée (notification de contenus illicites) être précis et indiquer les droits lésés, les adresses url litigieuses et y apporter tous les justifications de contrefaçons alléguées (preuve de la titularité sur les oeuvres et mentions des dispositions légales applicables). Toute mise en demeure qui ne répond pas aux conditions posées à l’article L 6-1. 5 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, est insuffisante pour permettre aux hébergeurs une réaction prompte et adaptée aux droits allégués et les exonère de toute responsabilité.
Dans une affaire impliquant le site Youtube, les juges ont rappelé qu’au sens de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, sont des contenus à caractère manifestement illicite ceux qui présentent une certaine évidence et qui ne portent pas à appréciation, il s’agit essentiellement des contenus liés à la pédophilie, aux crimes contre l’humanité et à l’incitation à la haine raciale. Ces contenus donnent lieu à une obligation de retrait volontaire immédiat.
Pour tous les autres contenus et notamment ceux de propriété intellectuelle (actes de contrefaçon), l’hébergeur doit avoir une information et une connaissance effective. A ce titre, les victimes de la contrefaçon doivent préciser à l’hébergeur quels droits sont bafoués, l’identification des contenus en cause (adresse url et titres), les faits, les dispositions légales en cause, les pseudonymes des internautes ayant postés les contenus en cause et les documents justificatifs.
A noter que dans une affaire concernant Dailymotion, en raison du non respect des mentions légales de la notification de contenus illicites, aucune responsabilité n’a été retenue contre l’hébergeur. Dans le cadre de la diffusion illicite du film Joyeux Noël sur le site Dailymotion.com (Nord-Ouest Production c/ Dailymotion) la Cour de cassation a également écarté la responsabilité de la société Dailymotion en raison de l’absence des mentions impératives dans la notification de contenus illicites adressée par les titulaires des droits sur le film Joyeux Noël.
Le retrait rapide des contenus illicites
Lorsque la notification de contenus illicites comporte toutes les mentions légales exigées, l’hébergeur doit agir rapidement. Il a par exemple été jugé qu’après la notification des contenus illicites qui lui a été faite, la société aufeminin.com qui a retiré en quelques jours, des photographies portant atteinte à l’image d’une personne, a bien agi avec promptitude et a respecté ses obligations d’hébergeur. Les juges ont considéré que les délais de quinze jours et de un mois avant de procéder à un retrait de contenu illicite, ne suffisent pas à engager la responsabilité de l’hébergeur. En revanche, le délais d’un an avant le retrait des contenus illicites a été jugé excessif et a engagé la responsabilité de Youtube.
La société FLACH FILM, productrice du documentaire «Le monde selon Bush» a poursuivi en contrefaçon, en concertation avec son distributeur, le site Google vidéo sur lequel l’oeuvre avait été diffusée. La société Google a été jugée responsable (240 000 euros de dommages et intérêts) car n’ayant pas retiré promptement la vidéo litigieuse. Le retrait ayant été opéré dans un délai supérieur à deux semaines. Par ailleurs, la vidéo ayant été remise en ligne à plusieurs reprises, les juges ont considéré que Google n’avait pas pris les mesures permettant de rendre l’accès au contenu illicite impossible. A ce titre, une seule notification de contenus illicites suffit.
Dans une autre affaire, un mannequin ayant retrouvé des photographies la représentant sur Internet, photographies assorties de commentaires douteux, a poursuivi en vain l’hébergeur OVH aux fins de leur retrait. Les juges ont considéré qu’en ne réagissant pas à la notification de contenus illicites conforme, la société OVH n’avait pas rempli ses obligations, surtout eu égard au caractère évident de la violation des droits du mannequin (2 000 € à titre de dommages intérêts).
Autre exemple : informée de l’existence d’une contrefaçon de la marque d’une société mais n’ayant pas réagi, la société OVH a été condamnée. La société OVH a fait valoir en vain que la notification de contenus illicites ne comportait pas les mentions de la mise en demeure exigées à l’article 6-I-5 de la loi en l’absence « de description des faits litigieux et leur localisation précise ». La société OVH en possession d’une mise en demeure ayant pour objet l’« interdiction de l’utilisation de la marque déposée » ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité. La notification désignait expressément l’adresse du site hébergé litigieux avec une référence précise à la société pour le compte de laquelle le site était hébergé, comportant son numéro au registre du commerce et des sociétés, ainsi que l’adresse de son siège social, outre la mention en caractère gras « la société … utilise une marque en infraction à mes droits » accompagnée de la mention de la date de dépôt de la marque à l’INPI. La société OVH ne pouvait donc valablement prétendre à l’absence de caractère suffisamment comminatoire de la mise en demeure, ni à son caractère équivoque. La société OVH ne justifiait pas d’avantage avoir accompli les diligences nécessaires en vue de rendre impossible l’accès à cet annuaire dont le contenu comportait des mentions signalées comme manifestement illicites (15 000 euros à titre de dommages-intérêts).
A noter que la majorité des hébergeurs dont Google (pour les services dissociés de son moteur de recherche) ont désormais mis en place des procédures de signalement de contenus illicites
L’obligation de non réitération
Les juges ont affirmé relativement tôt que dès lors qu’ils reçoivent une notification de contenus illicites conforme à la loi, les hébergeurs ont à leur charge une obligation de non réitération. L’obligation pour l’hébergeur de mettre en place un système propre à empêcher la réapparition d’un contenu déjà notifié ne met pas à sa charge une obligation générale de surveillance des contenus puisque le système d’identification par empreintes détectera et signalera automatiquement l’identité entre le contenu notifié objet de droits et le nouveau contenu mis en ligne, sans que cela suppose une connaissance préalable de l’ensemble des contenus présents sur le site.
A ce titre, certains prestataires tels que la société Youtube, disposent déjà d’un système d’identification des oeuvres par empreintes dit « content identification ». Cette technique extrait de chaque oeuvre des empreintes uniques audio et vidéo et permet de reconnaître automatiquement des vidéos mises en ligne qui comporteraient des séquences, même partielles, identiques. Aussi dès lors que l’hébergeur dispose des moyens techniques qui lui permettent de reconnaître les vidéomusiques qui ont fait l’objet d’une première notification et ainsi d’en rendre impossible l’accès, il n’y a pas lieu d’imposer à l’ayant droit de procéder à une nouvelle notification de contenus illicites. Toutefois, l’ayant droit reste tenu d’apporter sa collaboration à l’identification précise de la vidéo en cause, en fournissant éventuellement une matrice à l’hébergeur afin de lui permettre de « prendre une empreinte ».
L’obligation anti-itérative a de nouveau été affirmée par les tribunaux dans l’affaire Kaamelott c/ Dailymotion. Dès lors que l’hébergeur a reçu une notification de contenus illicites valide, il a l’obligation de prendre toutes mesures contre la future présence des mêmes contenus sur sa plateforme et cela même si ces contenus contrefaisants émanent de contributeurs différents. En raison de la réapparition d’une vingtaine d’épisodes de Kaamelott sur Dailymotion après une notification des ayants droits, la plateforme s’est vue engagée sa responsabilité à hauteur de 150 000 euros de dommages et intérêts, somme répartie entre les différents ayants droit: le producteur (Calt Production), le diffuseur (M6) et l’exploitant du vidéogramme (SND). Toutefois, certaines décisions (peu nombreuses) ne reconnaissent pas d’obligation antiitérative à la charge des hébergeurs. Après une première notification de contenus illicites, un réalisateur avait communiqué à l’hébergeur un exemplaire original du clip afin de permettre à l’hébergeur de générer une empreinte et d’éviter toute nouvelle mise à disposition de l’oeuvre. Les juges n’ont pas considéré que ce fait permettait à l’hébergeur de respecter son obligation d’empêcher la remise à disposition des oeuvres. Le titulaire de droits doit notifier à l’hébergeur l’ensemble des nouvelles adresses url à partir desquelles l’oeuvre est disponible.
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