L’Essentiel : Mme [V] [N] a engagé une action pour revendiquer la nationalité française, se basant sur sa filiation paternelle. Née en Algérie, elle n’a pas de certificat de nationalité française, et le ministère public conteste sa demande. Selon l’article 30 du code civil, elle doit prouver la nationalité de son père et établir un lien de filiation. Malgré la production de documents, des incohérences dans les jugements algériens compliquent la vérification de son identité. Le tribunal a finalement rejeté sa demande, concluant qu’elle n’a pas prouvé sa filiation avec un père français, et a ordonné la mention de cette décision sur son acte de naissance.
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Contexte de la procédureMme [V] [N] a engagé une action déclaratoire de nationalité française, se prévalant d’une filiation paternelle. Elle a déposé une assignation au procureur de la République le 10 février 2023, et le ministère public a notifié ses conclusions le 9 avril 2024. L’affaire a été fixée à l’audience de plaidoiries du 10 octobre 2024, avec une ordonnance de clôture rendue le 7 juin 2024. Revendiquer la nationalité françaiseNée le 11 janvier 1993 à [Localité 3] en Algérie, Mme [V] [N] revendique la nationalité française par son père, M. [E] [M], né en France. Cependant, elle ne possède pas de certificat de nationalité française. Le ministère public conteste sa nationalité, affirmant qu’elle n’est pas française. Charge de la preuveSelon l’article 30 du code civil, la charge de la preuve incombe à celui qui revendique la nationalité. Mme [V] [N] doit prouver la nationalité française de son père et établir un lien de filiation légalement reconnu. Les actes d’état civil doivent être probants et établis pendant sa minorité pour avoir des effets sur sa nationalité. Éléments de preuve fournisMme [V] [N] a produit plusieurs documents, dont son acte de naissance et des actes de mariage et de naissance de son père. Toutefois, le ministère public a relevé des incohérences dans les jugements algériens concernant la filiation et le changement de nom de son père, ce qui complique la vérification de son identité. Décision du tribunalLe tribunal a conclu que Mme [V] [N] n’a pas prouvé avec certitude qu’elle est née d’un père français. En conséquence, sa demande de nationalité française a été rejetée. Le tribunal a également ordonné la mention de cette décision sur son acte de naissance et a condamné Mme [V] [N] aux dépens. ConclusionLa décision a été rendue le 21 novembre 2024, affirmant que la procédure était régulière et que Mme [V] [N] n’était pas de nationalité française. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les conditions de régularité de la procédure en matière de nationalité selon le code de procédure civile ?La régularité de la procédure en matière de nationalité est encadrée par l’article 1043 du code de procédure civile, qui stipule que dans toutes les instances où s’élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l’assignation doit être déposée au ministère de la justice, qui en délivre récépissé. En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 4 avril 2024, ce qui signifie que la condition de l’article 1043 est respectée. Ainsi, la procédure est considérée comme régulière au regard de ces dispositions, permettant au tribunal de statuer sur la demande de nationalité. Quelle est la charge de la preuve en matière de nationalité selon le code civil ?Selon l’article 30 alinéa 1 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français, sauf s’il est déjà titulaire d’un certificat de nationalité. Il est précisé que cette charge de la preuve ne peut être satisfaite par des certificats délivrés à des membres de la famille, même s’ils sont des ascendants, car la présomption de nationalité française attachée à ces certificats ne bénéficie qu’à leurs titulaires. Dans le cas de Mme [V] [N], qui n’est pas titulaire d’un certificat de nationalité française, il lui incombe de prouver la nationalité française de son père et d’établir un lien de filiation légalement reconnu. Quels sont les critères d’établissement de la filiation en matière de nationalité ?L’article 17-1 du code civil précise que l’action en nationalité relève des dispositions de l’article 18, qui stipule qu’est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français. Pour établir la filiation, il appartient à la demanderesse de prouver, d’une part, la nationalité française du parent dont elle revendique la nationalité, et d’autre part, un lien de filiation légalement établi, conformément à l’article 47 du code civil. Cet article indique que tout acte de l’état civil fait en pays étranger fait foi, sauf preuve du contraire. Il est également précisé que pour avoir des effets sur la nationalité, l’établissement de la filiation doit intervenir pendant la minorité de l’enfant, conformément à l’article 20-1 du code civil. Quelles sont les implications des actes d’état civil dans la reconnaissance de la nationalité ?L’article 47 du code civil stipule que tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres éléments établissent que cet acte est irrégulier ou falsifié. Dans le contexte des relations entre la France et l’Algérie, l’article 36 du protocole judiciaire signé le 28 août 1962 précise que les actes d’état civil sont dispensés de légalisation, à condition qu’ils soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l’autorité compétente. Il est donc essentiel pour la demanderesse de produire des copies intégrales de l’état civil en original pour justifier de sa nationalité, ce qui n’a pas été fait de manière satisfaisante dans cette affaire. Quelles sont les conséquences de l’absence de preuve de nationalité dans cette affaire ?Au vu des éléments présentés, le tribunal a constaté que Mme [V] [N] ne parvient pas à prouver avec certitude qu’elle est née d’un père français. Elle n’a pas démontré un lien de filiation certain à l’égard de [E] [M], ce qui l’empêche de revendiquer la nationalité française. En conséquence, le tribunal a débouté Mme [V] [N] de sa demande et a jugé qu’elle n’est pas de nationalité française, conformément à la demande reconventionnelle du ministère public. Cette décision souligne l’importance de la preuve en matière de nationalité et les exigences strictes en matière de documentation et d’établissement de la filiation. Quelles sont les mentions à porter en marge de l’acte de naissance selon le code civil ?L’article 28 du code civil stipule que mention sera portée, en marge de l’acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l’acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il est également prévu que toute première délivrance de certificat de nationalité française et les décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité doivent faire l’objet d’une mention. Dans cette affaire, le tribunal a ordonné la mention prévue par l’article 28, ce qui est une procédure standard dans les cas de contestation de nationalité. Quelles sont les conséquences financières pour la demanderesse dans cette affaire ?En application de l’article 696 du code de procédure civile, la partie qui succombe dans une instance est condamnée aux dépens. Dans ce cas, Mme [V] [N], ayant perdu sa demande, sera condamnée aux dépens dans les conditions propres à l’aide juridictionnelle. Cela signifie qu’elle devra assumer les frais de la procédure, ce qui peut avoir des implications financières significatives pour elle. |
JUDICIAIRE
DE PARIS
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1/2/2 nationalité B
N° RG 23/03059 –
N° Portalis 352J-W-B7H-CY5HN
N° PARQUET : 23-487
N° MINUTE :
Assignation du :
10 Février 2023
AJ du TJ DE PARIS du 13 Septembre 2022 N° 2022/021056
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
JUGEMENT
rendu le 21 Novembre 2024
DEMANDERESSE
Madame [V] [N]
CHEZ [T] [U] [Adresse 10]
[Localité 1]/ALGERIE
représentée par Maître Rym BOUKHARI-SAOU de l’AARPI ANSLEX, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #B0418
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/021056 du 13/09/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Paris)
DEFENDERESSE
LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 8]
[Localité 2]
Madame Isabelle HEYM-MULLER, Substitute
Décision du 21/11/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section B
N°RG 23/3059
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente
Présidente de la formation
Madame Maryam Mehrabi, Vice-présidente
Madame Victoria Bouzon, Juge
Assesseurs
Assistées de Madame Hanane Jaafar, Greffière
DEBATS
A l’audience du 10 Octobre 2024 tenue publiquement sans opposition des représentants des parties, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile par Madame Antoanela Florescu-Patoz, Magistrate rapporteure, qui a entendu les plaidoiries et en a rendu compte au tribunal dans son délibéré.
JUGEMENT
Contradictoire,
en premier ressort,
Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Antoanela Florescu-Patoz, Vice-présidente et par Madame Hanane Jaafar, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu les dernières conclusions de Mme [V] [N] constituées par l’assignation délivrée le 10 février 2023 au procureur de la République,
Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 9 avril 2024,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 7 juin 2024 ayant fixé l’affaire à l’audience de plaidoiries du 10 octobre 2024,
Décision du 21/11/2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section B
N°RG 23/3059
Sur la procédure
Aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s’élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l’assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.
En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 4 avril 2024. La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.
Sur l’action déclaratoire de nationalité française
Mme [V] [N], se disant née le 11 janvier 1993 à [Localité 3] (Algérie), revendique la nationalité française par filiation paternelle, sur le fondement de l’article 18. Elle expose que son père, M. [E] [M] né le 9 juillet 1959 à [Localité 7], est français pour être né en France d’une mère, [B] [M], née le 25 septembre 1933 à [Localité 5] (Orne).
Mme [V] [N] n’est pas titulaire d’un certificat de nationalité française.
Le ministère public sollicite du tribunal de dire que Mme [V] [N] n’est pas française.
Sur le fond
En application de l’article 30 alinéa 1 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu’il n’est pas déjà titulaire d’un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code, sans possibilité, pour lui, d’invoquer les certificats délivrés à des membres de sa famille, fussent-ils ses ascendants, dans la mesure où la présomption de nationalité française qui est attachée à ces certificats ne bénéficie qu’à leurs titulaires, et ce même s’ils n’ont fait l’objet d’aucune contestation.
Conformément à l’article 17-1 du code civil, compte tenu de la date de naissance revendiquée par la demanderesse, l’action relève des dispositions de l’article 18 du code civil aux termes duquel est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français.
Il appartient donc à Mme [V] [N], non titulaire de certificat de nationalité française, de rapporter la preuve, d’une part, de la nationalité française du parent dont elle revendique la tenir, et, d’autre part, d’un lien de filiation légalement établi à l’égard de celui-ci au moyen d’actes d’état civil probants au sens de l’article 47 du code civil, étant précisé qu’afin de satisfaire aux exigences de l’article 20-1 du code civil, cet établissement doit être intervenu pendant sa minorité pour avoir des effets sur la nationalité.
Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
Il est précisé à ce titre que dans les rapports entre la France et l’Algérie, les actes d’état civil sont dispensés de légalisation par l’article 36 du protocole judiciaire signé le 28 août 1962 et publié par décret du 29 août 1962 ; il suffit que ces actes soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l’autorité ayant qualité pour les délivrer.
Par ailleurs, nul ne peut se voir attribuer la nationalité française à quelque titre que ce soit s’il ne justifie pas de façon certaine de son état civil et de celui des ascendants qu’il revendique, par la production de copies intégrales de l’état civil en original, étant précisé que le premier bulletin de la procédure rappelle la nécessité de produire de tels actes.
Il appartient dès lors à la demanderesse de démontrer, d’une part, la naissance en France de M. [E] [M] et, d’autre part, la naissance d’un de ses deux parents en France et l’existence d’un lien de filiation légalement établi à l’égard de celui-ci au moyen d’actes d’état civil probants au sens de l’article 47 du code civil, étant précisé qu’afin de satisfaire aux exigences de l’article 29 du code de la nationalité précité, cet établissement doit être intervenu pendant sa minorité pour avoir des effets sur la nationalité.
En l’espèce, Mme [V] [N] produit la copie de son acte de naissance n° 9, délivrée le 17 octobre 2022 par l’officier d’état civil de [Localité 4], selon lequel elle est née le 11 janvier 1993 à [Localité 3], de [E], âgé de 34 ans sans profession, né à [Localité 6] le 9 juillet 1959 et de [J] [N], âgée de 27 ans, sans profession, née à [Localité 3], le 11 mars 1965, l’acte ayant été dressé le 12 janvier 1993 sur la déclaration de [E] [N].
La demanderesse justifie d’un état civil probant ce que le ministère public ne conteste pas.
Pour justifier la filiation à l’égard de [E] [D], la demanderesse produit :
– transcription au service central de l’état civil du mariage de [E] [M] et de [J] [N] (pièce n°2) ;
– une copie d’acte de naissance de [E] [M], né le 9 juillet 1959 de [B] [M], qui déclare le reconnaître et de [C] [N] qui l’a reconnu le 2 janvier 1960 selon la mention marginale de l’acte (pièce n°4) ;
– la traduction d’un jugement rendu le 30 janvier 2007 par le tribunal de Ain El Hammam qui expose que [C] [N], le père de [E] [N], à son arrivée en Algérie a transcrit la naissance de ses trois enfants à l’état civil de la commune de [Localité 9] comme issue de [K] [L]. Il a déclaré [E] [N] comme [N] [W], né le 19 juin 1959 au lieu du 9 juillet 1959. Le jugement a annulé la transcription de la naissance du demandeur à l’état civil de la commune d’[Localité 4] (pièce n°6) ;
– la traduction d’un jugement rendu le 16 mars 2015 du tribunal de Sidi M’Hamed qui ordonne la transcription de l’acte de naissance de [E] [N], né le 9 juillet 1959 à Paris, fils de [N] [C] et de [B] [M] (pièce n°7) ;
– la copie du décret du changement de nom du ministère de la justice de [M] en [N] (pièce n°10) ;
Comme relevé à juste titre par le ministère public, le tribunal observe que les copies des deux jugements certifiées conforme à l’original du tribunal de Ain El Hammam et du tribunal de Sidi M’Hamed et en langue arabe, n’accompagnent pas les traductions produites aux débats.
La demanderesse n’a formulé aucune observation sur ce point.
Or, il convient de rappeler que l’efficacité d’une décision de justice, même si elle existe de plein droit, reste toujours subordonnée à sa propre régularité internationale.
Par ailleurs, le ministère public relève à juste titre une incohérence dans le jugement du 30 janvier 2007 du tribunal d’Ain El Hammam ordonnant l’annulation de la transcription de la naissance de [W] [N] à l’état civil de la commune d’Akbil.
En effet, il résulte des pièces produites qu’au jour de la naissance de Mme [V] [N], son père se nommait, soit [E] [M], selon son acte d’état civil français, soit [W] [N], selon l’acte d’état civil algérien, mais n’avait pas encore le nom de [E] [N], puisque les jugements modifiant son nom sont tous les deux intervenus après la naissance de la demanderesse en 1993.
Au vu de ces éléments, il est impossible de s’assurer avec certitude d’une identité de personne entre [E] [M] et [E] [N], le père de l’intéressé figurant sur son acte de naissance.
Il résulte de ce qui précède que Mme [V] [N] ne démontre pas avec certitude d’être née d’un père français, ne rapporte pas la preuve d’un lien de filiation certain à l’égard de [E] [M] dont elle revendique la nationalité française et ne peut se voir reconnaître la nationalité française.
Au regard de ces éléments, il y a lieu de débouter Mme [V] [N] de sa demande et il sera jugé, conformément à la demande reconventionnelle du ministère public, qu’elle n’est pas de nationalité française.
Sur la mention prévue à l’article 28 du code civil
Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l’acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l’acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, cette mention sera en l’espèce ordonnée.
Sur les dépens
En application de l’article 696 du code de procédure civile, Mme [V] [N], qui succombe, sera condamnée aux dépens dans les conditions propres à l’aide juridictionnelle.
LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :
Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l’article 1043 du code de procédure civile ;
Déboute Mme [V] [N] de ses demandes ;
Juge que Mme [V] [N], se disant née le 11 janvier 1993 à [Localité 3] (Algérie), n’est pas de nationalité française ;
Ordonne la mention prévue par l’article 28 du code civil ;
Condamne Mme [V] [N] aux dépens dans les conditions propres à l’aide juridictionnelle.
Fait et jugé à Paris le 21 Novembre 2024
La Greffière La Présidente
Hanane Jaafar Antoanela Florescu-Patoz
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