Motivation insuffisante dans la rétrocession d’un bien agricole

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Motivation insuffisante dans la rétrocession d’un bien agricole

L’Essentiel : Le tribunal a annulé la décision de la SAFER relative à la vente d’une propriété à [Localité 11], constatant que la motivation fournie n’était pas suffisante pour permettre aux demandeurs de comprendre les raisons de leur éviction. Bien que la SAFER ait respecté les formalités de notification, elle n’a pas satisfait aux exigences de motivation imposées par l’article R 142-4 du code rural. En conséquence, la SAFER a été condamnée aux dépens et à verser 1000 € à MM. [Y] et [H] pour couvrir leurs frais irrépétibles.

Exposé du litige

Par exploit d’huissier délivré le 25 mars 2022, MM. [Y] et [H] ont saisi le tribunal concernant la décision de la SAFER PACA relative à la vente d’une propriété à [Localité 11]. Les demandeurs avaient répondu à l’appel à candidature dans les délais, mais ont été informés par la SAFER, par lettre du 3 novembre 2021, qu’un autre projet avait été retenu. Malgré des relances, ils n’ont pas reçu de motivation satisfaisante pour cette décision, ce qui les a conduits à demander l’annulation de la décision de la SAFER et des dommages-intérêts.

Arguments des demandeurs

MM. [Y] et [H] ont soutenu que la SAFER était tenue de motiver sa décision conformément à l’article R 142-4 du code rural, afin de leur permettre de contester cette décision dans les six mois suivant la notification. Ils ont estimé que la motivation fournie était insuffisante et ont demandé au tribunal d’annuler la décision de la SAFER tout en réclamant des frais de justice.

Arguments de la SAFER

La SAFER a conclu au rejet de la demande des consorts [Y] et [H], affirmant avoir respecté les règles de procédure et avoir fourni les motifs de la rétrocession dans les délais impartis. Elle a également soutenu que la demande des demandeurs constituait une demande de contrôle d’opportunité des motifs de la rétrocession, ce qui n’était pas de son ressort.

Motifs de la décision

Le tribunal a examiné si la SAFER avait respecté les exigences de motivation et de notification. Il a constaté que la SAFER avait bien accompli les formalités d’affichage et de notification dans les délais légaux. Cependant, la motivation fournie n’était pas suffisante pour permettre aux candidats évincés de comprendre les raisons du choix de la SAFER, ce qui a conduit à l’annulation de la décision.

Dépens et frais irrépétibles

La SAFER a été condamnée aux dépens de l’instance, et en application de l’article 700 du Code de procédure civile, elle a également été condamnée à verser 1000 € à chacun des demandeurs pour couvrir les frais irrépétibles.

Conclusion du tribunal

Le tribunal a annulé la décision de la SAFER concernant l’attribution du bien au GFA Girafe et girafons, a condamné la SAFER aux dépens et a ordonné le paiement de 1000 € à MM. [Y] et [H] chacun.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les obligations de la SAFER en matière de motivation de sa décision de rétrocession ?

La SAFER est tenue de justifier sa décision de préemption par référence explicite et motivée à l’un ou plusieurs des objectifs définis par la loi, conformément à l’article L 143-3 du Code rural.

Cet article stipule :

“A peine de nullité, la société d’aménagement foncier et d’établissement rural doit justifier sa décision de préemption par référence explicite et motivée à l’un ou à plusieurs des objectifs ci-dessus définis, et la porter à la connaissance des intéressés.

Elle doit également motiver et publier la décision de rétrocession et annoncer préalablement à toute rétrocession son intention de mettre en vente les fonds acquis par préemption ou à l’amiable.”

Ainsi, la motivation doit permettre aux candidats évincés de comprendre les raisons qui ont conduit à l’écartement de leur offre.

En l’espèce, la SAFER a mentionné un projet de “reprise d’un domaine agricole en maraîchage et viticulture avec création d’une ferme-auberge représentant 0,07 SR”, mais cette mention est jugée insuffisante.

La motivation doit être suffisamment détaillée pour que les candidats puissent vérifier que l’égalité des candidats a été respectée.

La simple mention d’un projet sans explication des raisons pour lesquelles il a été préféré ne satisfait pas cette exigence.

Quels sont les délais que la SAFER doit respecter lors de la notification des motifs de sa décision ?

L’article R 142-4 du Code rural précise les délais que la SAFER doit respecter lors de la notification des motifs de sa décision de rétrocession.

Cet article dispose :

“Lorsque la société d’aménagement foncier et d’établissement rural a attribué un bien acquis à l’amiable, elle est tenue de faire procéder, au plus tard dans le mois suivant la signature de l’acte authentique, à l’affichage, pendant un délai de quinze jours, à la mairie de la commune de la situation de ce bien, d’un avis comportant la désignation sommaire du bien avec notamment la superficie totale, le nom de la commune, celui du lieudit ou la référence cadastrale, le nom et la qualité du cessionnaire ainsi que les conditions financières de l’opération.

Dans le délai d’un mois à compter du premier jour de cet affichage, la société d’aménagement foncier et d’établissement rural informe les candidats non retenus des motifs qui ont déterminé son choix.”

En l’espèce, la SAFER a respecté ces délais.

Elle a notifié aux candidats évincés les motifs de la rétrocession dans le délai d’un mois suivant l’affichage en mairie, ce qui a été fait le 12 janvier 2022.

Les formalités ont donc été accomplies dans le délai imparti par les textes, ce qui est conforme aux exigences légales.

Comment la motivation de la décision de la SAFER a-t-elle été jugée par le tribunal ?

Le tribunal a jugé que la motivation fournie par la SAFER n’était pas suffisante pour respecter les exigences légales.

Il a souligné que la motivation doit permettre aux candidats évincés de comprendre les raisons qui ont conduit à la décision de la SAFER.

La mention d’un projet de “reprise d’un domaine agricole en maraîchage et viticulture avec création d’une ferme-auberge représentant 0,07 SR” a été considérée comme trop vague et descriptive.

Le tribunal a précisé que, bien que la SAFER ait tenté de justifier son choix par le sérieux du projet retenu, cela ne suffisait pas.

Il a ajouté que les candidats évincés ne doivent pas être mis en mesure de comprendre les raisons de la décision uniquement au stade contentieux.

La motivation doit être suffisamment détaillée pour que les candidats puissent vérifier que l’égalité des candidats a été respectée.

En conséquence, l’exigence de motivation n’ayant pas été respectée, la décision attaquée a été annulée.

TRIBUNAL JUDICIAIREDE DRAGUIGNAN
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Chambre 3 – CONSTRUCTION

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DU 10 Janvier 2025
Dossier N° RG 22/02605 – N° Portalis DB3D-W-B7G-JNFW
Minute n° : 2025/08

AFFAIRE :

[I] [Y], [W] [H] C/ S.A. SOCIETE AMENAGEMENT FONCIER ET ETABLISSEMENT RURAL PROVENCE ALPES COTE D’AZUR

JUGEMENT DU 10 Janvier 2025

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

PRÉSIDENT : Madame Nadine BARRET, Vice-Présidente, statuant à juge unique

GREFFIER lors des débats : Madame Peggy DONET
GREFFIER FF lors de la mise à disposition : Madame Evelyse DENOYELLE

DÉBATS :

A l’audience publique du 19 Septembre 2024
A l’issue des débats, les parties ont été avisées que le jugement serait prononcé par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024, prorogé au 10 Janvier 2025

JUGEMENT :

Rendu après débats publics par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort

copie exécutoire à :

Maître [F] [Z] de l’AARPI [M] [Z]
Maître [V] [E]

Délivrées le 10 Janvier 2025

Copie dossier

NOM DES PARTIES :

DEMANDEURS :

Monsieur [I] [Y]
demeurant [Adresse 3]

Monsieur [W] [H]
demeurant [Adresse 6]

représentés par Maître Pierre MONTORO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

D’UNE PART ;

DÉFENDERESSE :

S.A. SOCIETE AMENAGEMENT FONCIER ET ETABLISSEMENT RURAL PROVENCE ALPES COTE D’AZUR, dont le siège social est sis [Adresse 9]

représentée par Maître Valérie COLAS de l’AARPI GIOVANNANGELI COLAS, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, avocat postulant, Maître Julien DUMOLIE de la SELARL CABINET DEBEAURAIN & ASSOCIÉS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, avocat plaidant

D’AUTRE PART ;

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EXPOSE DU LITIGE

Par exploit d’huissier délivré le 25 mars 2022 à la SAFER, MM. [Y] et [H] saisissaient le tribunal de céans sur le fondement des articles L141-1, R 141-1 du code rural et de la pêche maritime.

La SAFER PACA ayant mis en vente une propriété sise à [Localité 11], les demandeurs avaient répondu à l’appel à candidature dans le délai requis.

Par lettre du 3 novembre 2021 elle leur avait fait connaître qu’elle avait donné un avis favorable à un autre projet tout en annonçant un prochain courrier précisant les motifs ayant déterminé son choix conformément aux dispositions du code rural et de la pêche maritime.

Ce courrier ne leur étant pas parvenu, MM. [Y] et [H] relançaient la SAFER à deux reprises. Il leur était répondu par courrier du 12 janvier 2022 que le bien avait été cédé au GFA Girafe et girafons au motif : “reprise d’un domaine agricole en maraîchage et viticulture avec création d’une ferme auberge représentant 0,07 SR ».

Rappelant la mission des SAFER et la procédure des opérations d’attribution des biens à rétrocéder, les demandeurs soulignaient que la SAFER était tenue de motiver sa décision et d’informer les candidats non retenus des motifs qui avaient déterminé son choix en application de l’article R 142-4 du code rural afin de permettre à ces derniers de les contester dans les six mois de la notification en application de l’article L 143-14 du code rural.

La motivation de la décision de rétrocession devait permettre aux candidats évincés de vérifier la réalité des objectifs poursuivis au regard des exigences légales.

Soutenant qu’en l’occurrence la motivation était insuffisante, MM. [Y] et [H] demandaient au tribunal d’annuler la décision de la SAFER et de la condamner à leur verser la somme de 2000 € chacun sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et à régler les dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 juin 2023 les demandeurs persistaient dans leurs prétentions.

Par ses écritures notifiées par voie électronique le 17 octobre 2022, la SAFER concluait au rejet et sollicitait la condamnation des demandeurs à lui verser la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile à régler les dépens.

Elle soutenait que la demande des consorts [Y] et [H] s’analysait en réalité comme une demande de contrôle d’opportunité des motifs de la rétrocession.

Elle rappelait avoir respecté les règles de procédure, avoir adressé le courrier requis par l’article R142-4 du code rural aux candidats non retenus les informant des motifs ayant déterminé le choix de l’attributaire, et avait fait précéder cette notification d’une information non exigée par les textes afin que les candidats non retenus aient connaissance dans les meilleurs délais de la décision du CTD.

Sur le fond elle soutenait que la motivation critiquée s’inscrivait dans les objectifs fixés par la loi à l’article L 141-1 du code rural.

Pour un plus ample exposé des faits moyens et prétentions des parties il est renvoyé aux écritures susvisées conformément à l’article 455 du Code de procédure civile.

La clôture était prononcée par ordonnance du 18 mars 2024. L’affaire était audiencée pour être plaidée à l’audience du 19 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande en annulation de la préemption

L’article L 143-3 du Code rural dispose :”A peine de nullité, la société d’aménagement foncier et d’établissement rural doit justifier sa décision de préemption par référence explicite et motivée à l’un ou à plusieurs des objectifs ci-dessus définis, et la porter à la connaissance des intéressés. Elle doit également motiver et publier la décision de rétrocession et annoncer préalablement à toute rétrocession son intention de mettre en vente les fonds acquis par préemption ou à l’amiable.”

* Sur le respect des délais

L’article R 142-4 du Code rural précise : “Lorsque la société d’aménagement foncier et d’établissement rural a attribué un bien acquis à l’amiable, elle est tenue de faire procéder, au plus tard dans le mois suivant la signature de l’acte authentique, à l’affichage, pendant un délai de quinze jours, à la mairie de la commune de la situation de ce bien, d’un avis comportant la désignation sommaire du bien avec notamment la superficie totale, le nom de la commune, celui du lieudit ou la référence cadastrale, le nom et la qualité du cessionnaire ainsi que les conditions financières de l’opération. Dans le délai d’un mois à compter du premier jour de cet affichage, la société d’aménagement foncier et d’établissement rural informe les candidats non retenus des motifs qui ont déterminé son choix. Lorsque le choix est motivé par un refus d’approbation du projet d’attribution mentionné à l’article R. 141-11, elle adresse au candidat concerné copie du refus motivé du commissaire du Gouvernement.

L’affichage en mairie fait courir le délai de recours prévu à l’article L. 143-14. L’accomplissement de ces formalités est certifié par le maire qui adresse à cette fin un certificat d’affichage à la société d’aménagement foncier et d’établissement rural.”

En l’espèce, la SAFER a notifié à MM. [Y] et [H] par lettre datée du 3 novembre 2021 qu’un autre projet avait été retenu et a annoncé un courrier de motivation ultérieur.

La SAFER produit l’avis de rétrocession portant le visa du maire valant attestation d’affichage pendant le délai légal de 15 jours en date du 15 février 2022. L’avis mentionne le motif de l’attribution : “reprise d’un domaine agricole en maraîchage et viticulture avec création d’une ferme-auberge représentant 0,07 SR”. Cette pièce indique qu’elle a été adressée par la SAFER à la mairie le 5 janvier 2022.

L’attestation notariale de vente par substitution mentionne que le bien a été rétrocédé par la SAFER le 23 décembre 2021 au GFA Girafe et girafons.

La SAFER devait donc procéder à l’affichage en mairie avant le 23 janvier 2022. Elle a bien accompli cette formalité.

Elle devait dans le délai d’un mois à compter du premier jour de l’affichage notifier les motifs de la rétrocession aux candidats évincés. Elle a procédé à cette notification le 12 janvier 2022.

Les formalités ont donc été accomplies dans le délai imparti par les textes susvisés.

* Sur l’exigence de motivation

La loi impose à la SAFER de justifier sa volonté de préempter par référence explicite et motivée à l’un des objectifs légaux (Art. L. 143-3 CR).

La première exigence est de viser expressément, dans la décision de préemption, au moins un des objectifs assignés par la loi à l’article L143-2 du CR :

“L’exercice de ce droit a pour objet, dans le cadre des objectifs définis à l’article L. 1 :

1° L’installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs ;

2° La consolidation d’exploitations afin de permettre à celles-ci d’atteindre une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles et l’amélioration de la répartition parcellaire des exploitations existantes, dans les conditions prévues à l’article L. 331-2 ;

;(…)”

En l’espèce, la “reprise d’un domaine agricole en maraîchage et viticulture avec création d’une ferme-auberge représentant 0,07 SR” semble correspondre au 1° susvisé.

La motivation doit permettre au candidat évincé de connaître les motifs qui ont conduit la SAFER à écarter son offre, et par là-même à s’assurer que l’égalité des candidats a été respectée par la SAFER.

En l’espèce, celle-ci s’attache dans ses écritures à démontrer le bien-fondé de sa décision par le sérieux du projet retenu. Elle souligne encore que les projets d’installation hors cadre familial sont largement retenus par rapport aux agrandissements d’exploitation déjà installées, selon une priorité fixée par le Schéma directeur régional des exploitations agricoles. Or les consorts [Y] et [H] étaient déjà installés.

Toutefois ce n’est pas au stade contentieux que les candidats évincés doivent être mis en mesure de comprendre pourquoi la SAFER a donné la préférence à un autre projet. La seule mention de la “reprise d’un domaine agricole en maraîchage et viticulture avec création d’une ferme-auberge représentant 0,07 SR” ne remplit pas cette exigence. Purement descriptive, elle ne comporte pas les motifs du choix. Quelle que soit l’opportunité de la décision, qu’il n’appartient pas au tribunal de contrôler, la motivation n’énonce pas les considérations de fait propres aux dossiers en cause qui ont conduit la SAFER à retenir le GFA Girafe et girafons au détriment des demandeurs.

L’exigence de motivation n’étant pas respectée, la décision attaquée sera annulée.

Sur les dépens

Conformément à l’article 696 du Code de procédure civile, la SAFER est condamnée aux entiers dépens.

Sur les frais irrépétibles

En application de l’article 700 du Code de procédure civile, il convient de condamner la SAFER à payer aux demandeurs la somme de 1000 € chacun au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement mis à disposition des parties au greffe, contradictoire et en premier ressort,

Annule la décision de la SAFER ayant attribué au GFA le bien foncier d’une superficie de 40 ha 37 ares 77 centiares sis à [Localité 10] lieu-dit [Adresse 7] cadastré AI [Cadastre 4] (16)(F2) AK [Cadastre 1] (14) – [V] [K] [U] AK [Cadastre 5] ([Cadastre 2]) (A) [Cadastre 5]([Cadastre 2])( B) [Cadastre 5] ([Cadastre 2]) (C) [Cadastre 5] ([Cadastre 2]) (Z), selon vente par substitution au GFA Girafe et girafons par acte reçu par Maître [J] [X] notaire à [Localité 8] le 23 décembre 2021,

Condamne la SAFER aux dépens de l’instance,

Condamne la SAFER à payer à M. [I] [Y] et à M. [W] [H] la somme de 1000 € chacun au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,


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