Modification de la servitude de passage : enjeux et conditions juridiques.

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Modification de la servitude de passage : enjeux et conditions juridiques.

L’Essentiel : M. [F] [E] et Mme [Z] [H] ont acquis une maison en septembre 2015, confrontés à une servitude de passage qui a engendré un litige avec leurs voisins. Malgré des tentatives de conciliation, ils ont assigné plusieurs voisins en justice en 2022 pour demander le déplacement de cette servitude. En mai 2023, une intervention forcée a été demandée contre Mme [T] [S]. Le tribunal a finalement rejeté leur demande, estimant qu’ils n’avaient pas prouvé que la servitude était devenue plus onéreuse. Ils ont été condamnés aux dépens et à verser des frais à leurs voisins.

Contexte de l’affaire

M. [F] [E] et Mme [Z] [H] ont acquis une maison à [Adresse 3] en septembre 2015. Cette propriété est située en bord de rue, devant trois autres maisons, dont celle de M. [W] [D] au numéro 24, de Mme [T] [S] au numéro 26, et de Mme [N] [R] au numéro 28. Les maisons en enfilade bénéficient d’une servitude de passage sur le terrain de M. [F] [E] et Mme [Z] [H], ce qui a engendré un litige malgré des tentatives de conciliation en 2020 et 2021.

Procédures judiciaires

En octobre et novembre 2022, M. [F] [E] et Mme [Z] [H] ont assigné M. [W] [D], M. [A] [C] et Mme [K] [Y] devant le tribunal judiciaire de Lille pour demander le déplacement de la servitude de passage. En mai 2023, ils ont également assigné Mme [T] [S] en intervention forcée. Le juge a ordonné la jonction des procédures en septembre 2023. Les parties ont ensuite échangé des conclusions jusqu’à janvier 2024, avec des demandes variées concernant la mise hors de cause de certains défendeurs et des demandes de dommages-intérêts.

Arguments des parties

M. [F] [E] et Mme [Z] [H] soutiennent que la servitude actuelle nuit à leur qualité de vie, en raison des nuisances sonores et de la sécurité, et qu’un nouveau tracé serait plus avantageux. En revanche, Mme [T] [S] et Mme [N] [R] s’opposent à cette demande, arguant que les désagréments sont normaux et que la servitude a été acceptée lors de l’achat de leur maison. Elles estiment également que le nouveau tracé proposé serait moins pratique et plus dangereux.

Décision du tribunal

Le tribunal a constaté que M. [A] [C] devait être mis hors de cause, car il était locataire, et a également prononcé la mise hors de cause de Mme [K] [Y] qui avait vendu son bien. Concernant la demande de déplacement de la servitude, le tribunal a rejeté la demande de M. [F] [E] et Mme [Z] [H], estimant qu’ils n’avaient pas prouvé que la servitude était devenue plus onéreuse pour eux ni que le nouvel emplacement proposé serait aussi commode pour les autres propriétaires.

Conséquences financières

M. [F] [E] et Mme [Z] [H] ont été condamnés aux dépens de l’instance et à verser des sommes à Mme [N] [R], Mme [K] [Y] et Mme [T] [S] au titre des frais irrépétibles. Le tribunal a également rejeté leurs demandes de dommages-intérêts.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la mise hors de cause de M. [A] [C]

M. [A] [C] a été assigné en qualité de propriétaire du bien sis [Adresse 6] à [Localité 10]. Cependant, il a été établi qu’il n’est que locataire de ce bien, ce qui n’est contesté par aucune des parties.

En conséquence, M. [F] [E] et Mme [Z] [H] ont demandé sa mise hors de cause.

Ainsi, conformément aux règles de procédure, il convient de prononcer la mise hors de cause de M. [A] [C], car il n’est pas le propriétaire du bien en question.

Sur l’intervention volontaire de Mme [N] [R]

Mme [N] [R] a souhaité intervenir volontairement en lieu et place de M. [A] [C], en tant que propriétaire du bien sis [Adresse 6] à [Localité 10].

Cette intervention est conforme aux dispositions des articles 328 et suivants du code de procédure civile, qui régissent les interventions dans une instance.

Étant donné qu’aucune des parties ne conteste cette intervention, il convient d’acter l’intervention volontaire de Mme [N] [R].

Sur la mise hors de cause de Mme [K] [Y]

Mme [K] [Y] a été assignée en tant que propriétaire du bien sis [Adresse 5] à [Localité 10]. Toutefois, il a été prouvé qu’elle a vendu son bien à Mme [T] [S] le 30 août 2022, ce qui n’est pas contesté.

Par conséquent, M. [F] [E] et Mme [Z] [H] ont demandé la mise hors de cause de Mme [K] [Y].

Il est donc approprié de prononcer la mise hors de cause de Mme [K] [Y] en raison de son absence de lien de propriété avec le bien concerné.

Sur la servitude de passage

M. [F] [E] et Mme [Z] [H] demandent le déplacement de l’assiette primitive de la servitude de passage sur le fondement de l’article 701 alinéa 3 du code civil.

Cet article stipule que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l’usage ou à le rendre plus incommode.

Cependant, si l’assignation primitive est devenue plus onéreuse pour le propriétaire du fonds assujetti, il peut proposer un nouvel endroit pour l’exercice de la servitude, à condition que ce nouvel endroit soit aussi commode.

En l’espèce, M. [F] [E] et Mme [Z] [H] soutiennent que la servitude actuelle engendre des nuisances sonores et des dangers pour leur enfant.

Cependant, les défendeurs, Mme [T] [S] et Mme [N] [R], contestent ces allégations, arguant que les désagréments sont normaux et que la servitude a été acceptée lors de l’achat de leur maison.

Il est donc essentiel de prouver que l’assignation primitive est devenue plus onéreuse et que le nouvel endroit proposé est aussi commode.

En l’absence de preuves suffisantes, la demande de déplacement de l’assiette primitive de la servitude sera rejetée.

Sur les dépens

L’article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, sauf décision motivée du juge.

Dans cette affaire, M. [F] [E] et Mme [Z] [H] ont succombé dans leurs demandes.

Il convient donc de les condamner in solidum à la charge des dépens de la présente instance, conformément à la règle énoncée par l’article précité.

Sur les frais irrépétibles

L’article 700 du code de procédure civile prévoit que le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme pour les frais exposés et non compris dans les dépens.

En l’espèce, il est équitable de condamner in solidum M. [F] [E] et Mme [Z] [H] à verser des sommes à Mme [K] [Y], Mme [N] [R], et Mme [T] [S] au titre de l’article 700.

Les demandes formulées par M. [F] [E] et Mme [Z] [H] au titre de l’article 700 seront également rejetées, car ils n’ont pas réussi à prouver leur demande.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 02
N° RG 22/07238 – N° Portalis DBZS-W-B7G-WQXM

JUGEMENT DU 07 JANVIER 2025

DEMANDEURS :

M. [F] [E]
[Adresse 3]
[Localité 10]
représenté par Me Alexandre BAREGE, avocat au barreau de LILLE

Mme [Z] [H]
[Adresse 3]
[Localité 10]
représentée par Me Alexandre BAREGE, avocat au barreau de LILLE

DÉFENDEURS :

Mme [T] [S]
[Adresse 5]
[Localité 10]
représentée par Me Francis DEFFRENNES, avocat au barreau de LILLE

M. [W] [D]
[Adresse 4]
[Localité 11]
défaillant

M. [A] [C]
[Adresse 9]
[Localité 1]
représenté par Me Pierre VANDENBUSSCHE, avocat au barreau de LILLE

Mme [K] [O] [X] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 10]
représentée par Me Pierre VANDENBUSSCHE, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Maureen DE LA MALENE, Juge, statuant en qualité de Juge Unique, en application de l’article R 212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire,

Greffier : Dominique BALAVOINE, Greffier

DÉBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 07 Juin 2024 ;

A l’audience publique du 05 Novembre 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les parties ont été avisées que le jugement serait rendu le 07 Janvier 2025.

JUGEMENT : réputé contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 07 Janvier 2025, et signé par Maureen DE LA MALENE, Présidente, assistée de Dominique BALAVOINE, Greffier.

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte authentique en date du 4 septembre 2015, M. [F] [E] et Mme [Z] [H] sont devenus propriétaires d’une maison à usage d’habitation sise [Adresse 3] à [Localité 10] cadastrée A [Cadastre 12] et A [Cadastre 14].

Cette parcelle est située en bord de rue, devant trois autres habitations positionnées en enfilade juste derrière elle.

M. [W] [D] est propriétaire de la maison voisine située au numéro 24 et cadastrée A [Cadastre 13].

La maison située au numéro 26 et cadastrée A [Cadastre 7] appartient à Mme [T] [S] depuis le 30 août 2022, date à laquelle elle a acquis l’immeuble à Mme [K] [Y].

Enfin, Mme [N] [R] veuve [C] (ci-après Mme [N] [R]) est propriétaire de la dernière maison située au numéro 28 et cadastrée A [Cadastre 8].

Les trois maisons situées en enfilade bénéficient d’une servitude de passage pour enclave sur le fonds appartenant à M. [F] [E] et à Mme [Z] [H], à l’origine d’un litige malgré deux tentatives de conciliation en 2020 et 2021.

* * *

Par actes signifiés les 19 et 26 octobre et 8 novembre 2022, M. [F] [E] et Mme [Z] [H] ont assigné M. [W] [D], M. [A] [C] et Mme [K] [Y] devant le tribunal judiciaire de Lille en vue notamment d’ordonner le déplacement de l’assiette primitive de la servitude de passage.

Par acte signifié le 26 mai 2023, ils ont également assigné en intervention forcée Mme [T] [S] devant le tribunal judiciaire de Lille à ces mêmes fins.

Par ordonnance en date du 19 septembre 2023, le juge de la mise en état a ordonné la jonction de ces deux procédures.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 31 octobre 2023 aux parties constituées et par voie d’huissier le 19 janvier 2024 à M. [W] [D], M. [F] [E] et Mme [Z] [H] demandent au tribunal, au visa des dispositions de l’article 701 du code civil, de :
-mettre hors de cause M. [A] [C] ;
-prendre acte de l’intervention volontaire de Mme [N] [R] ;
-mettre hors de cause Mme [K] [Y] ;
-prendre acte de l’intervention forcée de Mme [T] [S] ;
-ordonner le déplacement de l’assiette primitive de la servitude ;
-dire que la servitude contournera désormais leur jardin sur la gauche, longera le garage pour ensuite longer le mur mitoyen de l’immeuble du n°30 sur la droite ;
-condamner solidairement M. [W] [D], Mme [N] [R] et Mme [T] [S] au paiement de la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens ;
-débouter Mme [K] [Y] de sa demande tendant à les voir condamnés au paiement de la somme de 2.000 euros en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens de l’instance ;
-débouter Mme [N] [R] de sa demande tendant à les voir condamnés au paiement de la somme de 5.000 euros en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
-débouter Mme [T] [S] de sa demande tendant à les voir condamnés au paiement de la somme de 2.400 euros en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens de l’instance.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 26 septembre 2023, Mme [K] [Y] demande au tribunal, au visa des dispositions de l’article 701 du code civil, de :
-prononcer sa mise hors de cause ;
-débouter en conséquence M. [F] [E] et Mme [Z] [H] en toutes leurs demandes, fins et conclusions en ce qu’elles sont dirigées à son encontre ;
-condamner solidairement M. [F] [E] et Mme [Z] [H] à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile de même que les entiers frais et dépens de l’instance.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 26 septembre 2023, M. [A] [C] et Mme [N] [R] veuve [C] demandent au tribunal, au visa des dispositions de l’article 701 du code civil, de :
-mettre hors de cause M. [A] [C] ;
-accueillir l’intervention volontaire de Mme [N] [R] en ses lieu et place ;
-débouter M. [F] [E] et Mme [Z] [H] en toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
-condamner solidairement M. [F] [E] et Mme [Z] [H] à verser à Mme [N] [R] une somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile de même que les entiers frais et dépens de l’instance

Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 octobre 2023, Mme [T] [S] demande au tribunal, au visa des dispositions de l’article 701 du code civil, de :
-débouter M. [F] [E] et Mme [Z] [H] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
-condamner M. [F] [E] et Mme [Z] [H] à lui payer la somme de 2.400 euros sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers frais et dépens ;
-rappeler l’exécution provisoire attaché au présent jugement.

M. [W] [D] n’a pas constitué avocat. Par conséquent, il sera statué par jugement réputé contradictoire conformément aux dispositions de l’article 474 du code de procédure civile.
L’affaire a fait l’objet d’un renvoi par la première chambre civile à la deuxième chambre civile du tribunal judiciaire de Lille suivant ordonnance du 8 mars 2024.
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 7 juin 2024 et l’affaire a été fixée à plaider à l’audience du 5 novembre 2024.

L’affaire a été mise en délibéré au 7 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il convient de rappeler que, selon les dispositions de l’article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.

Sur la mise hors de cause de M. [A] [C]

M. [A] [C] a été assigné en qualité de propriétaire du bien sis [Adresse 6] à [Localité 10]. Toutefois, il apparaît que M. [A] [C] en est le locataire, ce qui n’est discuté par aucune des parties.

Dès lors, M. [F] [E] et Mme [Z] [H] entendent le mettre hors de cause.

Par conséquent, il convient de prononcer la mise hors de cause de M. [A] [C].

Sur l’intervention volontaire de Mme [N] [R] en lieu et place de M. [A] [C]

Mme [N] [R] est propriétaire du bien sis [Adresse 6] à [Localité 10] et entend ainsi intervenir volontairement en lieu et place de M. [A] [C], es qualité.

Par conséquent, il convient d’acter l’intervention volontaire de Mme [N] [R] conformément aux dispositions des articles 328 et suivants du code de procédure civile, qui n’est contestée par aucune des parties.

Sur la mise hors de cause de Mme [K] [Y]

Mme [K] [Y] a été assignée en qualité de propriétaire du bien sis [Adresse 5] à [Localité 10]. Toutefois, elle a vendu son bien à Mme [T] [S] le 30 août 2022, ce qui n’est discuté par aucune des parties.

Dès lors, M. [F] [E] et Mme [Z] [H] entendent mettre hors de cause Mme [K] [Y].

Par conséquent, il convient de prononcer la mise hors de cause de Mme [K] [Y].

Sur la servitude de passage

M. [F] [E] et Mme [Z] [H] sollicitent le déplacement de l’assiette primitive de la servitude de passage sur le fondement des dispositions de l’article 701 alinéa 3 du code civil. En effet, ils soutiennent d’abord qu’en l’état actuel, cette servitude les empêche de faire des aménagements avantageux de leurs fonds. De plus, ils estiment que le passage régulier de véhicules motorisés engendre des nuisances sonores, notamment parce que la servitude se situe entre leur maison et leur jardin. Ils ajoutent ensuite qu’un tel usage de la servitude représente un danger, notamment pour leur fille âgée de deux ans, et qu’il contribue à la détériorer de manière significative, ce qui les contraint à un entretien plus régulier et donc plus coûteux de la servitude litigieuse. Par ailleurs, les demandeurs considèrent qu’une telle configuration diminue la valeur de leur bien, notamment d’un point de vue financier. Ils prétendent ainsi qu’une meilleure configuration est possible et qu’elle serait par ailleurs tout aussi commode pour les défendeurs. Ils indiquent enfin que les immeubles des défendeurs n’étant de toute façon plus enclavés, la servitude litigeuse perd de son intérêt, de sorte que les griefs concernant le nouveau tracé sont inopérants.

Mme [T] [S] s’oppose à la demande de déplacement de l’assiette primitive de la servitude sur le fondement des dispositions de l’article 701 du code civil. En effet, elle soutient que M. [F] [E] et Mme [Z] [H] ont acheté leur maison en connaissant et en acceptant la servitude de passage telle qu’elle existe actuellement. Elle déclare également qu’aucun élément nouveau ne serait de nature à rendre plus onéreuse l’assignation primitive ou à causer une gêne substantielle, les nuisances sonores alléguées n’étant selon elle que « quelques sujétions usuelles et communes », et l’accès en véhicule automobile correspondant « à un usage normal d’un fonds destiné à l’habitation, pour lequel le propriétaire d’une parcelle enclavée est en droit de réclamer un passage sur les fonds des voisins ». Elle soutient par ailleurs que les désordres allégués sur la servitude résultent d’un défaut d’entretien des propriétaires du fonds servant et non pas du passage de véhicules motorisés. Au surplus, Mme [T] [S] estime que le manque de sécurité de la disposition actuelle n’est pas démontré et que le nouveau tracé lui porterait préjudice, qu’il ne serait pas aussi commode pour l’exercice de ses droits et qu’il créerait un problème de sécurité évident étant donné que les résidents ne pourraient pas déterminer qui circule sur la servitude au moment où ils souhaiteraient l’emprunter.

Mme [N] [R] s’oppose également à la demande de déplacement de l’assiette primitive de la servitude. En effet, elle met en avant le fait que M. [F] [E] et Mme [Z] [H] sont « totalement défaillants à prouver une dégradation particulière et récente de leurs conditions de vie à raison de l’assignation primitive de la servitude ». Elle estime que les désagréments qu’ils allèguent sont « parfaitement normaux compte-tenu de la configuration des lieux et de la présence de trois immeubles comme fonds dominants de la servitude ». Elle indique également qu’ils ne démontrent aucune évolution de leur situation depuis qu’ils sont propriétaires. Elle souligne par ailleurs que c’est en raison de l’existence de la servitude litigieuse qu’ils ont pu acheter leur maison à bon prix. Elle conclut que le nouveau tracé « constituerait une dégradation catastrophique dans l’accès au fonds dominant », notamment s’agissant de l’éventuel accès des secours et qu’il nuirait à l’écoulement des eaux pluviales pourtant prévu par les actes notariés de vente de chacune des parties.

L’article 701 du code civil dispose que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l’usage ou à le rendre plus incommode.
Ainsi, il ne peut changer l’état des lieux, ni transporter l’exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée.
Mais cependant, si cette assignation primitive était devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle l’empêchait d’y faire des réparations avantageuses, il pourrait offrir au propriétaire de l’autre fonds un endroit aussi commode pour l’exercice de ses droits, et celui-ci ne pourrait pas le refuser.

Le propriétaire d’un fonds assujetti ne peut donc demander la modification de l’assiette de la servitude qu’à la double condition que l’assignation primitive soit devenue plus onéreuse pour lui et que le nouvel endroit proposé au propriétaire de l’autre fonds soit aussi commode pour l’exercice de ses droits. Aussi, s’il apparaît que le nouveau passage proposé serait plus difficile, il n’y a plus lieu de rechercher si le passage actuel est ou non devenu plus onéreux pour le propriétaire du fonds servant.

En l’espèce, les fonds dominants appartenant aux défendeurs bénéficient d’une servitude de passage conventionnelle pour enclave sur le fonds appartenant aux demandeurs, qui existait avant l’acquisition de leur bien en 2015.

M. [F] [E] et Mme [Z] [H] font toutefois état de l’existence de nombreux désagréments du fait de cette servitude à raison notamment des multiples passages quotidiens, des incivilités et du manque de sécurité à l’origine de nuisances sonores et de dégâts matériels.

Ils produisent pour en justifier :
– des photographies d’une personne véhiculée à motocyclette usant de la servitude de passage, et de la présence de détritus sur le passage ;
– un certificat médical du docteur [M] [V] du 20 juin 2018 aux termes duquel elle a « constaté que le chien [P] a été renversé par une voiture le vendredi 15 juin 2018 »,
– une attestation de M. [I] [E] en date du 28 février 2023, indiquant que lors de son séjour chez son fils, il a constaté que « les passages sur le carrelage devant leur maison s’entendaient et résonnaient à l’intérieur de celle-ci » et que les voisins « passent à toute heure du jour et de la nuit, avec leur poubelle à roulettes ».

Toutefois, ces éléments sont insuffisants à démontrer l’aggravation des conséquences de la servitude pour le fonds servant et l’existence d’une gêne substantielle, dans la mesure où il ne peut être difficilement reproché aux voisins le passage et le stationnement de véhicules sur la voie publique, et par voie de conséquence l’accident de leur chien, qui existeraient même en cas de déplacement de la servitude. Par ailleurs, les photographies, non situées dans le temps et dans l’espace, ne démontrent aucunement la fréquence de ces passages motorisés ou la dégradation de la servitude du seul usage de celle-ci par les propriétaires des fonds dominants.

Par ailleurs, s’agissant des réparations avantageuses qu’ils souhaiteraient réaliser, les seuls éléments probants que M. [F] [E] et Mme [Z] [H] rapportent sont relatifs à la perte de valeur de leur bien immobilier en l’état actuel de la servitude du fait que le jardin n’est pas attenant à la maison. Toutefois, ces seuls éléments ne peuvent pas être considérés comme étant des faits nouveaux de nature à empêcher des réparations avantageuses puisque la servitude litigieuse existait déjà au moment où les demandeurs ont acquis le bien immobilier, et que le prix d’achat comportait donc déjà cette moins-value.

Enfin, force est de constater que le nouveau tracé de la servitude de passage proposé par M. [F] [E] et par Mme [Z] [H] rendrait l’usage de celle-ci plus incommode pour les propriétaires des fonds dominants. Il ressort en effet du procès-verbal de constat dressé par huissier le 8 octobre 2020 que la largeur de la servitude serait réduite à 1,20 mètres de largeur alors qu’elle est actuellement de 2,5 mètres. Elle sera également indéniablement plus longue et présentera deux coudes à 90° en lieu et place d’une ligne droite.

Enfin, force est de constater que les demandeurs ne rapportent pas davantage la preuve de l’absence d’enclave de la dernière maison appartenant à Mme [N] [C].

Par conséquent, faute pour [F] [E] et Mme [Z] [H] de rapporter la preuve non seulement que l’assignation primitive est devenue plus onéreuse pour eux mais également que le nouvel endroit proposé aux propriétaires des fonds dominants est aussi commode que l’ancien tracé pour l’exercice de leurs droits, ils seront déboutés de leur demande de déplacement de l’assiette primitive de la servitude de passage.

Sur les dépens

L’article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En l’état, il convient de condamner in solidum M. [F] [E] et Mme [Z] [H], qui succombent, à la charge des dépens de la présente instance.

Sur les frais irrépétibles

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

En équité, il convient de condamner in solidum M. [F] [E] et Mme [Z] [H] au paiement à ce titre de la somme de 1.200 euros à :
– Mme [K] [Y],
– Mme [N] [R],
– Mme [T] [S].

Il convient également de rejeter les demandes formulées par M. [F] [E] et par Mme [Z] [H] au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et par jugement réputé contradictoire, par mise à disposition au greffe, par ordonnance susceptible d’appel :

DONNE ACTE À L’INTERVENTION VOLONTAIRE de Mme [N] [R] veuve [C] ;

PRONONCE la mise hors de cause de M. [A] [C] ;

PRONONCE la mise hors de cause de Mme [K] [Y] ;

REJETTE la demande de déplacement de l’assiette primitive formulée par M. [F] [E] et par Mme [Z] [H] ;

CONDAMNE in solidum M. [F] [E] et Mme [Z] [H] à la charge des dépens de la présente instance ;

CONDAMNE in solidum M. [F] [E] et Mme [Z] [H] à payer à Mme [N] [R] veuve [C] la somme de 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum M. [F] [E] et Mme [Z] [H] à payer à Mme [K] [Y] la somme de 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum M. [F] [E] et Mme [Z] [H] à payer à Mme [T] [S] la somme de 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE la demande formée par M. [F] [E] et par Mme [Z] [H] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

Dominique BALAVOINE Maureen DE LA MALENE


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