Mesures d’instruction disproportionnées et atteinte à la vie privée

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Mesures d’instruction disproportionnées et atteinte à la vie privée

L’Essentiel : La SOCIÉTÉ CBI FRANCE et Madame [B] ont demandé la rétractation d’une ordonnance autorisant la société KEEPERS à saisir des données informatiques. Elles ont soutenu que la clause de non-concurrence était expirée et invalide, et que la saisie était disproportionnée. En réponse, KEEPERS a défendu la validité de la clause, affirmant que Madame [B] avait violé ses engagements. Le tribunal a finalement rétracté l’ordonnance, ordonné la restitution des éléments saisis et condamné KEEPERS à verser 3 000 euros pour préjudice moral, ainsi qu’à payer les dépens et 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Contexte de l’affaire

La SOCIÉTÉ CBI FRANCE et Madame [Z] [B] ont introduit une demande de rétractation d’une ordonnance rendue le 19 avril 2023, qui autorisait la société KEEPERS à saisir des données informatiques. Cette demande a été formulée par assignation en référé rétractation le 16 août 2023, dans le cadre d’un litige concernant une clause de non-concurrence.

Les demandes des parties

Les demanderesses ont sollicité la rétractation de l’ordonnance, la destruction des données saisies, ainsi qu’une indemnité de 10 000 euros pour frais de procédure. En complément, elles ont demandé 15 000 euros pour préjudice moral. La société KEEPERS, quant à elle, a demandé le déboutement des demandes des demanderesses et a réclamé des indemnités pour résistance abusive.

Arguments des demanderesses

Les demanderesses ont soutenu que la clause de non-concurrence avait expiré et qu’elle était invalide. Elles ont également affirmé que la saisie des données était disproportionnée et portait atteinte au secret des affaires. Elles ont mis en avant des éléments de harcèlement moral et sexuel ayant conduit à la rupture conventionnelle de Madame [B].

Arguments de la société KEEPERS

La société KEEPERS a défendu la validité de la clause de non-concurrence, affirmant que Madame [B] avait violé ses engagements en travaillant pour un concurrent. Elle a soutenu que la saisie des données était justifiée et proportionnée, et que les demandes des demanderesses étaient infondées.

Développements judiciaires

L’affaire a été renvoyée à plusieurs reprises, notamment pour permettre une médiation, qui n’a finalement pas eu lieu. Les parties ont continué à échanger des conclusions, avec des demandes de sursis à statuer en attente d’une décision des prud’hommes sur la validité de la clause de non-concurrence.

Décision du tribunal

Le tribunal a jugé irrecevable la demande de sursis à statuer et a rétracté l’ordonnance du 19 avril 2023. Il a ordonné la restitution ou la destruction des éléments saisis et a condamné la société KEEPERS à verser 3 000 euros à Madame [B] pour préjudice moral, ainsi qu’à payer les dépens et une somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de la rétractation d’une ordonnance sur requête selon le Code de procédure civile ?

La rétractation d’une ordonnance sur requête est régie par l’article 496 du Code de procédure civile, qui précise que :

« S’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance. L’instance en rétractation d’une ordonnance sur requête a pour seul objet de soumettre à l’examen d’un débat contradictoire les mesures initiales ordonnées à l’initiative d’une partie en l’absence de son adversaire. »

Ainsi, la rétractation doit être demandée par une partie intéressée et se limite à l’examen des mesures ordonnées initialement.

Il est également important de noter que le juge doit se placer au jour de l’ordonnance querellée pour apprécier l’existence du motif légitime, ce qui implique qu’il n’a nul besoin de connaître d’éventuelles décisions ultérieures sur la validité des clauses en question.

En résumé, la rétractation est une procédure qui permet de contester les mesures prises sans le contradictoire, mais elle est strictement encadrée par le Code de procédure civile.

Quelles sont les conditions pour ordonner des mesures d’instruction selon l’article 145 du Code de procédure civile ?

L’article 145 du Code de procédure civile stipule que :

« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »

Pour qu’une mesure d’instruction soit ordonnée, il faut donc :

1. **Un motif légitime** : Il doit exister une raison valable pour justifier la nécessité de conserver ou d’établir la preuve avant le procès.

2. **Des mesures légalement admissibles** : Ces mesures doivent être circonscrites dans le temps et dans leur objet, et proportionnées à l’objectif poursuivi.

Le juge a la responsabilité de vérifier si la mesure demandée est nécessaire pour l’exercice du droit à la preuve et si elle respecte les droits des parties en présence.

En conclusion, les mesures d’instruction doivent être justifiées par un motif légitime et doivent respecter des critères de proportionnalité et de limitation.

Quelles sont les implications de la clause de non-concurrence dans le contrat de travail selon le Code du travail ?

La clause de non-concurrence est régie par l’article L. 1121-1 du Code du travail, qui dispose que :

« L’employeur ne peut apporter aux droits des salariés que des restrictions qui sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. »

Pour qu’une clause de non-concurrence soit valide, elle doit :

1. **Être justifiée par la nature de la tâche** : La restriction doit être en lien direct avec les fonctions exercées par le salarié.

2. **Être proportionnée** : La durée et l’étendue géographique de la clause doivent être raisonnables et ne pas empêcher le salarié de trouver un emploi.

3. **Prévoir une contrepartie financière** : En général, une clause de non-concurrence doit être accompagnée d’une compensation financière pour le salarié.

Dans le cas présent, la validité de la clause de non-concurrence est contestée, et le juge doit examiner si elle respecte ces critères pour déterminer si elle est applicable ou non.

Quelles sont les conséquences d’une saisie disproportionnée selon le Code de procédure civile ?

La disproportion d’une saisie est abordée dans le cadre des mesures d’instruction, notamment à travers l’article 145 du Code de procédure civile, qui exige que les mesures soient proportionnées à l’objectif poursuivi.

En effet, si une saisie est jugée disproportionnée, cela peut entraîner plusieurs conséquences :

1. **Annulation de la saisie** : Le juge peut décider de rétracter l’ordonnance autorisant la saisie si celle-ci ne respecte pas les critères de proportionnalité.

2. **Restitution des éléments saisis** : Les éléments saisis peuvent être restitués à la partie concernée, comme cela a été ordonné dans l’affaire en question.

3. **Dommages et intérêts** : La partie lésée peut demander des dommages et intérêts pour le préjudice subi en raison de la saisie disproportionnée.

Ainsi, la proportionnalité est un principe fondamental qui protège les droits des parties et garantit que les mesures d’instruction ne portent pas atteinte de manière excessive à leurs libertés fondamentales.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE

RÉFÉRÉS

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RENDUE LE 14 JANVIER 2025

N° RG 23/02145 – N° Portalis DB3R-W-B7H-YW7W

N° de minute :

S.A.S.U. CBI FRANCE,
[Z] [B]

c/

S.A.S. KEEPERS

DEMANDERESSES

S.A.S.U. CBI FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 4]

Madame [Z] [B]
[Adresse 1]
[Localité 4]

Toutes deux représentées par Maître Bénédicte GIARD-RENAULT TEZENAS DU MONTC de la SELARL ENOR AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : D1234

DEFENDERESSE

S.A.S. KEEPERS
[Adresse 2]
[Localité 3]

Représentée par Maître Guillaume BOULAN de la SCP C R T D ET ASSOCIES, avocats au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 713

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président : Karine THOUATI, Vice-présidente, tenant l’audience des référés par délégation du Président du Tribunal,

Greffier : Philippe GOUTON, Greffier

Statuant publiquement en premier ressort par ordonnance contradictoire mise à disposition au greffe du tribunal, conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

Nous, Président , après avoir entendu les parties présentes ou leurs conseils, à l’audience du 21 novembre 2024, avons mis l’affaire en délibéré à ce jour :

Par assignation en référé rétractation délivrée le 16 aout 2023 à la société KEEPERS, la SOCIÉTÉ CBI FRANCE et Madame [Z] [B] ont saisi le président du tribunal judiciaire de Nanterre aux fins de voir :
-rétracter l’ordonnance du 19 avril 2023
-ordonner au commissaire de Justice la destruction de l’intégralité des données collectées depuis les données informatiques de Madame [B] et de la société CBI
-condamner la société KEEPERS à payer à la demanderesse outre les dépens, 10 000 euros d’indemnité de procédure.

A l’audience du 21 décembre 2023 la SOCIÉTÉ CBI FRANCE et Madame [Z] [B] ont soutenu des conclusions selon lesquelles elles sollicitent en complément des demandes de leur assignation :
– débouter la société KEEPERS,
– la condamner à leur payer 15 000 euros pour préjudice moral, outre 15 000 euros d’indemnité de procédure.

Elles exposent que Madame [Z] [B] a été salariée de la société KEEPERS de juin 2018 au 18 janvier 2022, date de début de la période couverte par une clause de non-concurrence ; que la société KEEPERS n’a aucun droit sur la solution KWR ; que la clause de non concurrence insérée au contrat de travail a expiré le 18 janvier 2023 avant la saisie du 5 juillet 2023 , n’est pas valable et sera annulée par le conseil des prudhommes de Paris qui a été saisi ; que l’ordonnance querellée n’est limitée ni dans le temps ni dans l’objet , avec des dizaines de mots clés très généraux de noms communs ; que la mesure est disproportionnée ; qu’il y a atteinte au secret des affaires.
La société KEEPERS soutient des conclusions selon lesquelles elle sollicite de voir :
-débouter la SOCIÉTÉ CBI FRANCE et Madame [Z] [B] de toutes leurs demandes
– condamner in solidum la SOCIÉTÉ CBI FRANCE et Madame [Z] [B] à lui verser 5 000 euros au titre de la résistance abusive
-condamner in solidum la SOCIÉTÉ CBI FRANCE et Madame [Z] [B] à lui payer 10 000 euros d’indemnité de procédure et aux dépens.

Elle expose qu’elle s’est séparée de Madame [Z] [B] à l’amiable par rupture conventionnelle avec clause de non concurrence ; que pendant la durée de validité de cette clause Madame [Z] [B] a violé ses engagements et travaillé pour son principal concurrent ; que la liste de mots clés de la saisie ordonnée sur requête était précise et la mesure proportionnée ; que l’assignation n’allègue pas la nullité de la clause de non concurrence.
L’affaire a fait l’objet d’une réouverture des débats à l’audience du 24 juin 2024, avec injonction de rencontrer un médiateur Madame [F] [J].
A l’audience du 24 juin 2024, l’affaire a été renvoyée d’office au 21 novembre 2024 pour indisponibilité du magistrat et à l’audience du 21 novembre 2024, les parties ont indiqué qu’elles n’étaient pas entrées en médiation, l’une des parties l’ayant refusée.
Les demanderesses ont soutenu des conclusions selon lesquelles elles sollicitent désormais:
IN LIMINE LITIS :
-SURSEOIR à statuer en l’attente de la décision définitive de la juridiction prud’homale,
et, le cas échéant, de la chambre sociale de la Cour d’Appel, portant sur la validité de la
clause de non-concurrence du contrat de travail ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
-CONSTATER l’aveu judiciaire de la Société KEEPERS, en ce que la clause de non
concurrence aurait été levée par voie transactionnelle ;
– RETRACTER l’Ordonnance rendue le 19 avril 2023 ;
-ORDONNER au Commissaire de justice la destruction de l’intégralité des données
collectées depuis les données informatiques de Madame [B] et de la Société
CBI France;
-DEBOUTER la SAS KEEPERS de sa demande au titre de l’abus de droit ;
-CONDAMNER la SAS KEEPERS à payer aux demanderesses, la somme de 25.000 €
au titre du préjudice moral subi par Madame [B] ;
-CONDAMNER la SAS KEEPERS à payer aux demanderesses, outre les dépens, la
somme de 15.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elles exposent en substance, que la rupture conventionnelle du 13 décembre 2021 a organisé la sortie de Madame [B] suite à des agissements de harcèlement moral et sexuel ; qu’elle a créé ensuite sa société CBI le 24 février 2022 pour activité de création de logiciels en lien avec le diagnostic médical ; que la mesure d’instruction ne comportant aucune limite temporelle et 85 mots clés soit un périmètre si large qu’il a entrainé la saisie de l’ordinateur de Mme [B] par l’huissier , était disproportionnée ; que seul le conseil de prudhomme est compétent pour statuer sur la validité de la clause de non concurrence qui est le seul élément allégué par la société KEEPERS à l’appui de sa demande de mesure d’instruction ; que la clause est visiblement nulle au regard des restrictions illimitées qu’elle impose ; que si la clause était annulée, la requête n’aurait plus de motif légitime et l’ordonnance devrait être rétractée ; qu’en tout état de cause la société KEEPERS a avoué devant le conseil de prudhommes que le protocole transactionnel conclu à sa sortie de la société KEEPERS levait la clause de non concurrence.

La société KEEPERS soutient des conclusions selon lesquelles elle sollicite :
DECLARER irrecevables Madame [Z] [B] et la société CBI au titre de leur demande de sursis à statuer ;
DEBOUTER Madame [Z] [B] et la société CBI France de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
CONFIRMER l’ordonnance du 19 avril 2023 dans l’intégralité de ses termes ;
CONDAMNER in solidum Madame [Z] [B] et CBI France à payer à KEEPERS la somme de 5.000 € au titre de la résistance abusive ;
CONDAMNER in solidum Madame [Z] [B] et la société CBI France à payer à la société KEEPERS la somme de 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER Madame [Z] [B] et la société CBI France aux entiers dépens.

Elle expose en substance qu’elle a pour objet le conseil en investissement, reporting, ingénierie patrimoniale, en substance gestion de patrimoine ; qu’elle a développé la solution KEEPERS WEALTH REPORT qui est un outil stratégique unique en son genre ; que Mme [B] recrutée comme directrice de l’innovation avait une clause de non concurrence d’une durée d’un an lui interdisant une activité concurrente ou un contact avec un client ; que la société KEEPERS a payé la contrepartie financière de ladite clause à compter de janvier 2022 date de la rupture : que le courriel du 23 décembre 2022 indiquant l’adresse mail de Mme [B] chez LETUS PRIVATE OFFICE a démontré que Mme [B] a eu au minimum des contacts professionnels poussés avec le concurrent direct LETUS PRIVATE OFFICE alors que la clause était toujours en vigueur ; que le sursis à statuer aurait dû être soulevé in limine litis ; qu’il suffit que soit établie l’existence d’éléments rendant plausible le bien fondé de l’action envisagée pour justifier la mesure in futurum ; que le risque de déperdition de preuve obligeait KEEPERS à déroger au contradictoire : que les mesures ordonnées étaient proportionnées au but poursuivi.

Conformément à l’article 446-1 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à l’assignation introductive d’instance et aux écritures déposées et développées oralement à l’audience.

MOTIFS
Aux termes de l’article 493 du code de procédure civile, l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

L’article 145 du code de procédure civile dispose :

« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »

Constituent des mesures légalement admissibles des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi.

Il incombe au juge de vérifier si la mesure ordonnée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

En sus d’être circonscrite, la mesure d’instruction ne doit comporter aucune atteinte à une liberté fondamentale.

L’article 496, alinéa 2 du code de procédure civile prévoit que s’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance.

L’instance en rétractation d’une ordonnance sur requête a pour seul objet de soumettre à l’examen d’un débat contradictoire les mesures initiales ordonnées à l’initiative d’une partie en l’absence de son adversaire, la saisine du juge de la rétractation se trouvant limitée à cet objet, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement.

Sur la demande de sursis à statuer :

Selon l’article 378 du code de procédure civile, le sursis à statuer est une décision qui suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’évènement qu’elle détermine.

La demande de sursis à statuer est une exception de procédure, et doit être formée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

Le juge a un pouvoir d’appréciation discrétionnaire sur cette demande et peut même l’ordonner d’office.

En l’espèce,

Les requérantes à la rétractation sollicitent par leurs conclusions post réouverture des débats un sursis à statuer jusqu’à la décision du conseil de prudhommes saisi par Mme [B] en nullité de la clause de non concurrence liant, selon la société KEEPERS, Madame [B] pendant une année après son départ.

Cette demande de sursis à statuer n’ayant pas été formulée in limine litis, elle est irrecevable.

Au demeurant, le juge saisi d’une demande de rétractation doit se placer au jour de l’ordonnance querellée pour apprécier l’existence du motif légitime, ce qui implique qu’il n’a nul besoin de connaitre la décision du conseil de prudhommes sur la validité de la clause de non concurrence sur laquelle se fondait la requête du 12 avril 2023.

Dès lors, la demande sera rejetée.

Sur la demande de rétractation de l’ordonnance du 19 avril 2023

La requête du 12 avril 2023 faisait valoir qu’au départ de Mme [B] en date du 18 janvier 2022 , sa clause de non concurrence a été mise en œuvre et était valable un an soit jusqu’au 18 janvier 2023, la société KEEPERS ayant payé la contrepartie financière de ladite clause pendant un an soit environ 2000 euros par mois.

La clause de non concurrence en article 12 du contrat de travail versé aux débats prévoyait que le salarié s’interdisait dès la cessation du contrat pour une durée de 12 mois d’exercer une activité concurrente ou d’entrer au service d’une entreprise ayant une activité concurrente, ou d’approcher un client de la société KEEPERS.

Rien n’indique que ladite clause soit manifestement invalide même si l’activité de conseil est visée à la clause puisque c’est d’une activité concurrente qu’il est question donc de conseil en gestion de patrimoine ; contrairement aux écritures de Madame [B] il ne ressort pas manifestement des écritures de la société KEEPERS devant le conseil des prudhommes que la clause de non concurrence ait été invalidée par le protocole conclu entre les parties au moment du départ de cette dernière.

Le courriel du 23 décembre 2022 reçu par erreur par la société KEEPERS mentionnait une adresse de messagerie de Mme [B] au sein de la société LETUS PRIVATE OFFICE, ce qui indiquait selon toutes probabilités que Madame [B] exerçait pour le compte de ladite société, dont la société KEEPERS justifie qu’elle est un concurrent direct.

Dès lors quel que soit son poste au sein de ladite société, la société KEEPERS avait un motif légitime de recueillir avant tout procès des éléments de preuve tendant à confirmer la violation de ladite clause de non concurrence par Madame [B], en se limitant toutefois aux mesures légalement admissibles.

L’ordonnance du 19 avril 2023 rendue sur requête du 12 avril 2023, versée aux débats, a autorisé l’huissier instrumentant pour la requérante principalement à :

-se rendre au domicile de Mme [B] et dans les locaux de sa société CBI France pour se faire remettre tout document informatique, « procéder à une recherche de mots clés sur tout document informatique selon la liste figurant en pièce n° 12 », prendre copie de tout document faisant apparaitre un ou plusieurs mots clés et les documents ayant une liaison informatique formelle avec le document porteur du mot clé,
-ne se dessaisir des documents saisis qu’après un mois en l’absence de rétractation, et en cas de rétractation sur autorisation du juge des requêtes saisi de la demande de rétractation.

La pièce n° 12 listant les mots clés vise :

-5 mots clés dits généraux avec les noms des associés fondateurs de la société Keepers
-32 mots clés dits « outils Keepers » notamment les mots : Business intelligence, parcours client, asset allocator, data room, tax audit, cash flow
-15 mots clés dits « Clients Keepers »
-4 mots clés dits « éléments financiers » dont les mots « cloture, liasse, facturation »
-8 mots clés dits « obligation de non concurrence général » avec les mots « contrats de travail, contrat prestation, bulletin de paie
-10 mots clés dit « equipe letus » avec les noms des associés de LETUS et responsables commerciaux
-9 mots clés dits « prestataires reporting consolidé »
-2 mots clés dits « général » avec les mots [N] et [U] (visant un ancien salarié de Keepers ayant aidé Mme [B])

soit 85 mots clés.

Il n’est pas indiqué dans l’ordonnance que ces mots clés devront être croisés, ni aucune limite temporelle, ce qui autorise l’huissier à saisir tous les documents comportant ces mots clés quelle qu’en soit la date, qui pourraient se trouver sur un ordinateur présent au domicile de Mme [B] ou dans les locaux de la société CBI, les mots clés listés permettant , par leur généralité d’avoir accès à des informations sur les activités de la société LETUS sans limitation de temps et d’objet , ainsi que sur toutes les activités de Madame [B] sans limite de temps par exemple grâce aux mots clés : data room, parcours client, clôture, liasse, facturation, contrat de travail, contrat de prestation, bulletin de paie, protocole.

L’absence de limite temporelle est d’autant plus dommageable que la clause de non concurrence avait une validité jusqu’au 18 janvier 2023, or la saisie a eu lieu le 5 juillet 2023 donc bien après la fin de validité de la clause alors qu’il était facile de limiter les documents saisis à la durée de validité de la clause.

En outre aucun élément versé aux débats ne permet de considérer que la société KEEPERS avait un motif légitime de recueillir des informations générales en sans limite temporelle en lien avec Monsieur [N] [U] qui a quitté la société KEEPERS.
Dès lors, il apparait que la mesure d’instruction in futurum n’était pas circonscrite dans le temps ni dans son objet, et était manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi qui était de documenter le fait que Madame [B] avait violé sa clause de non concurrence en travaillant pour une société concurrente.

Sur la demande de dommages intérêts provisionnels

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Le juge des référés peut, en application de cette disposition, condamner une partie à des dommages et intérêts si l’obligation d’indemnisation est non sérieusement contestable et dans la limite du montant non sérieusement contestable, le juge des référés n’allouant que des provisions.

En l’espèce,

Les demanderesses sollicitent 25 000 euros de dommages intérêts au titre de leur préjudice moral au motif que le constat a été exécuté au domicile de Mme [B] pendant plus de 8 heures alors qu’elle était enceinte de 6 mois entrainant un arrêt maladie d’un mois.

Au soutien de sa demande elle verse aux débats des arrêts maladie du 5 au 21 juillet 2023 au motif « malaise, choc émotionnel » prescrit par son obstétricien, étant rappelé que la saisie a été effectuée le 5 juillet 2023.

Madame [B] justifie ainsi d’un préjudice moral lié audit constat invalidé, qui justifie l’allocation en référé d’une indemnisation au montant non sérieusement contestable de 3 000 euros.

Sur les demandes accessoires

En application de l’article 696 du code de procédure civile, la société KEEPERS qui succombe, doit supporter la charge des dépens.

L’équité et les circonstances de l’espèce commandent de condamner la société KEEPERS à payer à la société CBI et à Madame [B] la somme globale de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Disons que la demande de sursis à statuer est irrecevable ;

Rétractons l’ordonnance sur requête du 19 avril 2023 ;

Ordonnons la restitution ou la destruction des éléments saisis,

Condamnons la société KEEPERS à payer à Madame [B] la somme de 3000 euros à titre de provision sur indemnisation de son préjudice moral,

Condamnons la société KEEPERS aux dépens,

Condamnons la société KEEPERS à payer à Madame [B] la somme de 8000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

FAIT À NANTERRE, le 14 janvier 2025.

LE GREFFIER

Philippe GOUTON, Greffier

LE PRÉSIDENT

Karine THOUATI, Vice-présidente


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