L’Essentiel : La question de la mauvaise foi du déposant de marque soulève des enjeux juridiques complexes au sein de l’Union européenne. La CJUE doit clarifier l’articulation entre les motifs absolus de nullité, tels que définis à l’article 7 du règlement n° 207/2009, et la notion de mauvaise foi, prévue à l’article 52, paragraphe 1, sous b). Les divergences d’interprétation entre les juridictions des États membres rendent nécessaire une interprétation uniforme de ces concepts. Il est crucial de déterminer si ces causes de nullité sont autonomes ou si la mauvaise foi peut être appréciée uniquement en fonction des motifs absolus de refus d’enregistrement. |
En matière de dépôt frauduleux de marque, il existe une divergence d’interprétation entre des juridictions d’appel des Etats membres sur l’articulation des motifs absolus de nullité visés à l’article 7 du règlement n° 207/2009 et de la mauvaise foi qui constitue une cause de nullité prévue à l’article 52, paragraphe 1, sous b) du même règlement. La CJUE a été saisie d’une question préjudicielle. L’annulation d’une marque déposée en fraude des droits d’autruiSelon la jurisprudence des juridictions françaises, l’annulation d’une marque déposée en fraude des droits d’autrui peut être demandée, sur le fondement du principe « fraus omnia corrumpit » combiné, depuis la loi de transposition du 4 janvier 1991, avec l’article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle, et s’inscrit ainsi dans le cadre des motifs d’annulation prévus à l’article 4, paragraphe 4, sous g), de la directive 2008/95 (Com., 17 mars 2021, pourvoi n° 18-19.774). Exemple de dépôt frauduleux de marqueLa Cour de cassation juge « qu’un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité » (Com., 25 avr. 2006, n° 04-15.641, Bull. n° 100) ou lorsqu’est rapportée la preuve d’intérêts sciemment méconnus par le déposant (Com., 12 décembre 2018, pourvoi n° 17-24.582) ainsi que lorsque des dépôts multiples de marques s’inscrivent dans une stratégie commerciale visant à priver des acteurs de l’usage d’un nom nécessaire à leur activité actuelle ou future (Com., 1er juin 2022, pourvoi n° 19-17.778). La cour d’appel de Paris a considéré, dans son arrêt du 25 juin 2021, que la succession de droits de propriété industrielle ne devait pas servir à protéger la même caractéristique du produit et que l’intention de protéger une solution technique au-delà du délai de protection du brevet caractérisait la mauvaise foi du déposant, sans que ce dernier puisse utilement faire grief au juge de confondre la mauvaise foi et le motif de refus tiré de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii) du règlement n° 207/2009. En revanche, la cour d’appel de Stuttgart, dans un arrêt du 13 mars 2023, a retenu que le fait que la coloration rose caractéristique soit nécessaire pour obtenir un effet technique correspond, en réalité, au motif de refus prévu à l’article 7, paragraphe 1, point e) ii), du règlement n° 207/2009 du 26 février 2009, qui aurait dû être invoqué sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, point a), et non de l’article 52, paragraphe 1, point b). Divergence d’interprétationIl s’ensuit qu’il existe une divergence d’interprétation entre des juridictions d’appel des Etats membres sur l’articulation des motifs absolus de nullité visés à l’article 7 du règlement n° 207/2009 et de la mauvaise foi qui constitue une cause de nullité prévue à l’article 52, paragraphe 1, sous b) du même règlement. Les questions préjudicielles poséesSe pose ainsi la question de l’articulation des motifs absolus de nullité visés à l’article 7 du règlement n° 207/2009, auquel renvoie l’article 52, paragraphe 1, sous a) du même texte, et de l’article 52, paragraphe 1, sous b), qui vise le dépôt de mauvaise foi. Dans la mesure où la mauvaise foi constitue une notion autonome du droit de l’Union soumise à une interprétation uniforme, il convient d’interroger la CJUE et de lui poser les questions suivantes : Les causes de nullité que sont, d’un côté, l’enregistrement d’une marque contrairement aux dispositions de l’article 7 et, de l’autre, la mauvaise foi du déposant au jour du dépôt, qui font respectivement l’objet de l’article 52, paragraphe 1, sous a) et sous b) du même règlement, sont-elles autonomes, voire exclusives ? Si la réponse à la première question est négative, la mauvaise foi du déposant peut-elle être appréciée au regard du seul motif absolu de refus d’enregistrement visé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii) du règlement n° 207/2009 sans qu’il ne soit constaté que le signe déposé à titre de marque soit constitué exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ? L’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 207/2009 doit-il être interprété en ce sens qu’il exclut la mauvaise foi d’un déposant ayant introduit une demande d’enregistrement de marque avec l’intention de protéger une solution technique lorsqu’il a été découvert, postérieurement à cette demande, qu’il n’existait pas de lien entre la solution technique en cause et les signes constituant la marque déposée ? |
Q/R juridiques soulevées : Qu’est-ce que le dépôt frauduleux de marque ?Le dépôt frauduleux de marque se réfère à une situation où une marque est enregistrée dans l’intention de nuire à autrui, en particulier pour priver un concurrent de l’utilisation d’un signe essentiel à son activité. Cette notion est ancrée dans le principe juridique « fraus omnia corrumpit », qui signifie que la fraude corrompt tout. En France, l’article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle permet de demander l’annulation d’une marque sur ce fondement. Les juridictions françaises ont établi que la fraude peut être caractérisée par l’intention de nuire ou par des dépôts multiples visant à empêcher d’autres acteurs d’utiliser un nom nécessaire à leur activité.Quels sont les critères de la fraude dans le dépôt de marque ?La jurisprudence française définit plusieurs critères pour établir qu’un dépôt de marque est frauduleux. Tout d’abord, un dépôt est considéré comme frauduleux s’il est effectué avec l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité. Cela a été confirmé par la Cour de cassation dans un arrêt de 2006. De plus, la preuve d’intérêts sciemment méconnus par le déposant peut également constituer un indice de fraude. Enfin, des dépôts multiples de marques dans le but de restreindre l’usage d’un nom par d’autres acteurs sont également des éléments constitutifs de fraude, comme l’a souligné un arrêt de 2022.Comment les juridictions interprètent-elles la mauvaise foi dans le dépôt de marque ?La mauvaise foi dans le dépôt de marque est interprétée de manière variée par les juridictions. La Cour d’appel de Paris a jugé que la protection d’une solution technique au-delà du délai de protection d’un brevet peut indiquer la mauvaise foi du déposant. En revanche, la cour d’appel de Stuttgart a mis en avant que la nécessité d’une caractéristique technique, comme une couleur, pourrait être liée à un motif de refus d’enregistrement, ce qui montre une divergence d’interprétation entre les juridictions. Cette divergence soulève des questions sur la manière dont la mauvaise foi et les motifs absolus de nullité interagissent dans le cadre du droit des marques.Quelles questions préjudicielles ont été posées à la CJUE ?Les questions préjudicielles posées à la CJUE concernent l’articulation entre les motifs absolus de nullité et la notion de mauvaise foi dans le cadre du règlement n° 207/2009. La première question interroge si les causes de nullité, à savoir l’enregistrement d’une marque en violation de l’article 7 et la mauvaise foi du déposant, sont autonomes ou exclusives. Une autre question se demande si la mauvaise foi peut être appréciée uniquement en fonction d’un motif de refus d’enregistrement sans que le signe soit exclusivement constitué par la forme du produit. Enfin, il est demandé si l’article 52, paragraphe 1, sous b), exclut la mauvaise foi d’un déposant qui a tenté de protéger une solution technique, même si, par la suite, aucun lien n’a été établi entre cette solution et la marque déposée. |
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